Pour mémoire

Jean Clareboudt

Jean Clareboudt et sa compagne Jocelyne sont morts le 10 avril 1997 fauchés par un véhicule dans une rue d’Istanbul. Depuis le début des années soixante dix, Clareboudt ne vivait que pour sa création. Je l’avais connu dans ces années là, le rencontrant parfois à «France Soir » où il effectuait des tâches de correcteur pour survivre. Déjà son engagement artistique remplissait sa vie. Dessinateur, sculpteur ? Je ne crois pas que l’on puisse le faire entrer dans une ou deux cases, même si, dans ses dernières années, le sculpteur devenait prééminent.

Terrasse 1982 West Park, Munich, Allemagne

Clareboudt expérimentait l’art par tous les pores de la peau. En 1976, j’avais filmé une performance « Espaces d’arc » où, le corps nu et muni de quelques arcs, baigné dans un espace musical de son complice Roland Bembaron, il exprimait la nature même de sa recherche : la tension entre les choses, les êtres, cet entre-deux indicible qu’il cherchait à cerner par tous les moyens.
Clareboudt s’était formé auprès de Jacobsen et d’Etienne-Martin. Grand voyageur, il ne cessait de découvrir le monde : Perth (Australie, 1986), Copenhague (Danemark, 1989) , Odense (Danemark, 1989) , Calcutta (1992), ou Hawaï. Artiste nomade, il enrichissait ses nombreux carnets au fil de ses pérégrinations.
Au bout du compte, il serait vain de le situer dans un mouvement. Land art ? installations ? sculpture ? Performances, dessins, assemblages de matériaux divers contribuaient à sa quête permanente. Le succès venu dans les années quatre vingt dix lui offrit la possibilité de réaliser des pièces monumentales qui lui survivent aujourd’hui. Comme toujours, Jean Clareboudt était entre deux voyages, entre deux projets, entre deux carnets…. Pour mettre au point les derniers détails concernant un travail commun, il était passé me voir fin mars 97 rapidement, devant repartir en voyage aussitôt. En voyant sa silhouette dévaler l’escalier, je n’avais pas compris pour quelle destination. Maintenant je sais…

Photo Wikimedia commons

Jean Clareboudt dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

//

Coups de chapeau

L’Alignement du XXIe siècle d’Aurélie Nemours

Dans un nouveau quartier de Rennes, L’Alignement du XXIe siècle est érigé depuis 2005. Cette œuvre est unique à plus d’un titre. Unique car elle est la seule sculpture d’un peintre: Aurélie Nemours. Unique car il s’agit de la plus grosse commande publique depuis quarante ans.
72 colonnes en granit gris de Bretagne, hautes de 4,50 mètres et larges de 90 centimètres composent cet alignement orienté sur le méridien du lieu. Les colonnes et leur ombre sont parfaitement alignées au midi solaire du lieu.

Je connaissais Aurélie Nemours depuis de nombreuses années. A Port-Royal, dans son appartement parisien, tout montrait combien seule l’œuvre comptait et comment le confort de la vie quotidienne n’apparaissait que très secondaire. Aurélie Nemours plaçait l’exigence au premier plan. Pour la construction de L’Alignement du XXIe siècle, cette exigence et cette rigueur se sont exprimées tout au long du chantier.
Aurélie Nemours est partie d’un dessin pour concevoir cette unique sculpture. Dans les années quatre vingts, le peintre pose sur le sol de son atelier « le Rythme du millimètre », une toile blanche composée de soixante-douze carrés noirs de dimension égale. Cette toile posée sur le sol dessine le plan de la future sculpture : les carrés noirs marquent les emplacements des piliers verticaux, les blancs seront les vides qui les séparent.
Bien plus qu’une oeuvre de l’abstraction géométrique, le projet lance un pont entre les millénaires. Aurélie Nemours a visité les mégalithes de Carnac. Elle a pris la mesure de ce lieu magique, arpenté le site, compté les pas séparant les menhirs de plus de quatre mètres de haut, éprouvé la dimension spirituelle des alignements, ressenti la puissance de la roche magmatique. Son projet enracine dans le néolithique la valeur universelle de l’abstraction. Aurélie Nemours décède le 27 janvier 2005. Le 17 décembre, la dernière colonne est érigée.

Aurélie Nemours dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

//

Pour mémoire

René Laubiès

Le 13 novembre 2006 disparaissait le peintre René Laubiès. Né d’un père avocat originaire de la Lozère  et d’une mère née dans une  vieille famille créole de la Réunion, René Laubies  n’a jamais vraiment posé ses valises. Il partageait son année entre un village de l’Inde et Paris dont il  acceptait difficilement la dûreté.
«Il ne se passe absolument rien ici,
disait-il au sujet de son  village de Kerala en Inde. Mais jamais je ne m’ennuie. Les jours coulent avec un naturel immémorial, sans rupture ni contrainte. A Paris, en revanche, le temps morcelé, syncopé, n’en finit plus, il se traîne et me pèse.»
C’est pourtant à Paris que sa peinture fut associée au « Nuagisme ».

En 1953, le critique  Julien Alvard regroupe, sous le titre  » D’une nature sans limites à une peinture sans bornes » :   Frédéric Benrath, René Duvillier, Pierre Graziani,  Marcelle Loubchansky, Nasser Assar et René Laubiès.
Le terme de « nuagisme » apparaît dans la presse comme une attaque.  Le terme se retourne contre leurs auteurs et devient  un argument pour le regroupement de ces artistes. Laubiès peignait peu, vivait dans des conditions spartiates en Inde.  Le rencontrant à Paris, je fais connaissance avec un homme distant du milieu artistique parisien, distant et même assez remonté contre ce qu’il juge être un art officiel des institutions. Avec une économie de moyens, privilégiant souvent le papier à la toile, René Laubiès a cherché toute sa vie de peintre à capter la vibration de la lumière, la nature toujours changeante de cette couleur impalpable, de cette insaisissable légèreté de la perception lumineuse.

René Laubiès dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

Photo imago 1995 autorisation René Laubiès