Expositions

Au Bon Marché : Buren au carré

Depuis les années 30, après l’aventure du Bauhaus, avec le groupe Cercle et Carré de Michel Seuphor entouré de Arp, Mondrian, Van Tongerloo, Torrès-Garcia notamment, cette fascination du carré a marqué l’histoire de l’art. Pour les tenants de l’art géométrique et de l’art concret, cette vénération n’a jamais faibli. Aujourd’hui, venu d’une autre histoire, celle de BMPT (Buren, Mosset, Parmentier, Toroni) qui clamait « Nous ne sommes pas peintres ! », Daniel Buren fait de cette forme une unité de mesure qui transforme le magasin du Bon Marché en gigantesque scène dédiée à ce symbole.

Aux Beaux Carrés : travaux in situ

Le projet présenté au Bon Marché ne lésine pas sur les moyens pour les multiples installations qui occupent l’ensemble du magasin. La verrière située au cœur de ce commerce de luxe abrite cette orchestration du carré. Devant l’escalator central, les carreaux du plafond en verre construisent deux immenses œuvres composées de plus de plus de 1500 carrés en polycarbonate et adhésifs blancs d’une part, roses de l’autre, qui se déploient dans l’espace et diffractent la lumière, comme un incroyable damier en trois dimensions. Il s’agit là de l’Acte 1 déjà ambitieux qui sera suivi par un Acte 2 de fin juin au mois d’août de cette année.
A l’extérieur du magasin, rue de Sèvres, un damier de carrés blancs et colorés se dessine tout au long des huit vitrines.

Au deuxième étage, deux Cabanes éclatées, l’une jaune, l’autre bleue donnent l’occasion au visiteur de s’immerger dans cet espace complexe, trompeur, composé à la fois de ces carrés omniprésents mais également de miroirs qui décuplent la vision à l’intérieur de ce kaléidoscope géant. Assurément une telle installation nous renvoie aux beaux jours de l’art cinétique, du GRAV, Groupe de Recherche d’Art Visuel rassemblant au côté de François Morellet, Jean-Pierre Yvaral, Julio Le Parc, Horacio Garcia-Rossi, Joël Stein et Francisco Sobrino. Déjà, en ce début des années 60, c’est une notion d’art interactif qui prévalait. On ne fera pas grief à Daniel Buren d’avoir bien connu cette période de l’art du vingtième siècle. La perspective augmentée par le jeu des miroirs nous renvoie également aux expériences de Luc Peire, jouant à l’infini de la même façon avec ses créations graphiques linéaires poussées au-delà des limites.

Cet art interactif des années 60 préfigurait déjà une notion d’art relationnel. Les deux Cabanes éclatées du Bon Marché invitent à cette déambulation quelque peu hésitante au cours de laquelle le visiteur peut très vite perdre ses repères dans l’espace, au risque de se heurter à un miroirs, d’hésiter à mettre les pieds sur un sol transparent, de chercher en vain la sortie de cet étonnant piège visuel.

Buren au carré

Ce sont donc quatre propositions qui imposent une présence majeure dans l’espace intérieur du Bon marché : les deux suspensions, blanche et rose, le déambulatoire des Cabanes éclatées et l’habillage des escalators qui rappelle le travail historique de Buren avec les bandes colorées. Depuis qu’en 1965 il décide de limiter sa peinture à des rayures verticales dont la largeur sera toujours de 8,7 centimètres, Daniel Buren a placé son travail dans cette démarche inscrivant sa peinture comme un fait purement objectif. 
Buren au carré signe ici une des ses réalisations majeures dans un lieu privé.

Aux Beaux Carrés : travaux in situ 
Daniel Buren
Du 9 janvier au 18 février 2024
Le Bon Marché Rive Gauche
24 rue de Sèvres
75007 Paris

Seuphor, libre comme l'art

Seuphor, libre comme l’art : le G.R.A.V.

Le blog des Chroniques du Chapeau noir poursuit la publication de « Seuphor, libre comme l’art », écrit par Claude Guibert sur la vie de l’écrivain, historien et artiste Michel Seuphor (1901-1999), de son vrai nom Fernand Berckelaers. Ce livre a été écrit en 2008 et sera publié intégralement à raison de quelques pages par publication, une fois par semaine.

Publication N° 73

Le GRAV

Au mois de juillet 1960, apparaît sur la scène artistique une nouvelle formation de l’art cinétique, le Groupement de recherche d’art visuel. L’acte fondateur est signé par Demarco, Garcia Miranda, Garcia Rossi, Le Parc, Vera Molnar, Morellet, Mayano, Servanes, Sobrino, Stein, Yvaral. Leur objectif : considérer le phénomène artistique en tant qu’expérience strictement visuelle située sur le plan d’une perception physiologique et non émotive. Au-delà de la préoccupation plastique, le groupe ambitionne de modifier durablement la relation entre l’art et le spectateur. Le principe fondamental auquel adhèrent ses différents membres, avec plus ou moins d’enthousiasme, est la dévalorisation de « l’artiste » et du « chef-d’œuvre », au profit d’une sollicitation du spectateur. Le collectif va se resserrer autour de Garcia Rossi , Le Parc , Morellet, Sobrino, Stein et Yvaral, ce dernier suivant les traces de son père Victor Vasarely. Ils décident de continuer à signer personnellement leurs œuvres et de poursuivre un travail individuel sur des matériaux de base, tout en élaborant collégialement des problèmes esthétiques tels que l’abandon de la deuxième dimension afin d’éviter toute connivence avec l’esthétique picturale. Ainsi Sobrino opte pour le plexiglas, Yvaral pour les fils de nylon et de vinyle tendu, Le Parc pour la lumière et le plexiglas, Stein pour les trièdres et la polarisation, Garcia-Rossi pour les boîtes à réflexion lumineuse et Morellet pour la programmation des pulsions de tubes de néon.
Le GRAV, bien décidé à secouer les habitudes visuelles ainsi que les pratiques sociales dans la relation art/spectateur, recourt à l’agitation. Dans la Biennale de Paris de 1961, ils produisent un trac distribué dans la manifestation sous le titre de « Assez de mystifications ». Le ton est donné :

Le Parc, Sobrino, Yvaral, Morellet, Stein, Garcia-Rossi en 1963

Le GRAV signale

1/ la platitude et l’uniformité des œuvres exposées,

2/ la lamentable situation de dépendance de la « Jeune génération »,

3/ La soumission absolue de la « Jeune Peinture » aux peintres consacrés (Nous espérons qu’il s’agit là seulement d’une crise de croissance)

4/ L’inconséquence et  l’inconscience chez les exposants et organisateurs des caractères réels de la vie où l’homme de notre temps est plongé ». 1

Suivent de nombreuses affirmations sur les positions du groupe. Deux ans plus tard, le troisième Biennale offre une place majeure au G.R.A.V. A cette occasion, les artistes disposant du grand hall d’entrée du musée d’Art moderne, privilégient la production collective. Pour enfoncer le clou, ils accompagnent leurs propositions plastiques d’un nouveau tract en forme de profession de foi :

–  «  Nous voulons intéresser le spectateur, le sortir des inhibitions, le décontracter. Nous voulons le faire participer. Nous voulons le placer dans une situation qu’il déclenche et transforme. Nous voulons qu’il soit conscient de sa participation. Nous voulons qu’il s’oriente vers une interaction avec d’autres spectateurs. Nous voulons développer chez le spectateur une forte capacité de perception et d’action. Un spectateur conscient de son pouvoir d’action et fatigué de tant d’abus et mystifications, pourra faire lui-même la vraie  « révolution dans l’art ». Il mettra en pratique les consignes :

DÉFENSE DE NE PAS PARTICIPER

DÉFENSE DE NE PAS TOUCHER

DÉFENSE DE NE PAS CASSER » 

                               A Paris, octobre 1963 le G.R.A.V.

Le comportement provocant des jeunes artistes du G.R.A.V.  agace Seuphor. Ce qu’il considère comme de l’insolence ne se limite pas à l’attitude de jeunes artistes turbulents. Il n’accepte pas que l’on se moque de la poésie et de la métaphysique. Il se sent blessé par ce qu’il prend pour une attitude primaire. En février 1971, Yvaral lui écrit pour s’étonner de le voir refuser leur présence à ses côtés dans une brochure « Formes et couleurs » et lui propose une rencontre avec les membres du groupe.

Seuphor décline l’invitation de façon cinglante :

– « Une originalité se conquiert et, peut-être se mérite. Vous n’avez, pour l’heure, que le mérite d’être le fils de Vasarely, ce qui vous donne beaucoup d’atouts. De toute manière, un contact entre votre groupe et moi n’est pas désirable, ce qui m’est cher étant pour vous un objet de dérision (…) ». 2

1 Cité dans « Julio Le Parc » JL Pradel catalogue Severgnini 1995 p 274

2 Archives ANCV  S 59 / Galerie Denise René

La chaîne vidéo

Vidéo-magazine N°6 : Francisco Sobrino

L’Espace d’art concret de Mouans Sartoux propose actuellement une rétrospective sur l’artiste cinétique Francisco Sobrino.

Article paru le 18 mai 2014

Le G.R.A.V. et après

GRAV

La disparition récente de Francisco Sobrino (1932-2014) ponctue l’éloignement historique d’un mouvement de l’art du vingtième siècle:  le Groupe de recherche d’art visuel (GRAV) qui réunissait Horacio Garcia Rossi, Julio Le Parc, François Morellet, Francisco Sobrino, Joël Stein, Yvaral. Seuls deux artistes du groupe témoignent encore de cette période : Julio Le Parc et François Morellet, ce dernier s’étant écarté quelque peu de la tendance dominante du groupe, l’art cinétique et lumino-cinétique, pour se diriger vers un art concret épuré qu’il présente aujourd’hui encore (tout récemment à la galerie Kamel Mennour à Paris).
Le  G.R.A.V définissait, en effet, ses « propositions sur le mouvement » en 1961 en participant à la IIe Biennale de Paris au musée d’Art moderne de la Ville de Paris. Son premier manifeste « Assez de mystifications« , jeté en tract dans l’ exposition, ambitionnait de changer le rapport du spectateur à l’art. Des positions radicales s’expriment alors : « Il s’agissait de définir des critères objectifs d’analyse pour obtenir une position théorique globale, à savoir la surestimation de l’individu et des circuit traditionnels de l’expression et de diffusion. » Mais une évolution se fait jour : on décide de conserver la signature nominale des œuvres et une spécificité individuelle dans le travail : Yvaral travaille avec les fils de nylon et de vinyle tendus, Le Parc se consacre à la lumière, Stein s’intéresse aux trièdres et la polarisation, Garcia Rossi choisit les boîtes à réflexion lumineuse et Morellet s’investit dans la  programmation des pulsions de tubes de néon. Sobrino opte, pour sa part, pour le plexiglas. Il propose des reliefs, formes plates superposées par interrelations, progressions, systématisation (Plexiglas blanc-noir et couleur), œuvres en volumes (Plexiglas transparent).

'Estructura permutacional', 1972, Paseo de la Castellana, Madrid Francisco Sobrino
‘Estructura permutacional’, 1972, Paseo de la Castellana, Madrid Francisco Sobrino

« Structures permutationnelles »

Assez vite, Sobrino explore l’utilisation de nouveaux matériaux. Il  entreprend la réalisation de « Structures permutationnelles » en aluminium. Les recherches sont les mêmes que dans les pièces en Plexiglas. L’effet miroir ajoute une interférence entre l’œuvre et son environnement : formes, mouvements et lumières sont incorporés et reflétés, l’œuvre s’intègre à l’architecture, créant ainsi des images virtuelles toujours recomposées par le déplacement du spectateur. Après la dissolution du GRAV en 1968, Francisco Sobrino poursuit, de son côté, cette recherche induite à l’époque du groupe.
On sait combien le mouvement de l’art cinétique et lumino-cinétique a traversé une longue période d’oubli avant de revenir en force notamment l’an passé avec Julio Le Parc au Palais de Tokyo à Paris et Jésus Raphael Soto  au Centre Pompidou toujours à Paris avant la somptueuse exposition « Dynamo »  au Grand Palais.
Francesco Sobrino aura bénéficié avec les autres artistes vivants de l’ancien GRAV de ce retour spectaculaire au premier plan. Dans le même temps la galerie Galerie NMarino à Paris lui consacra une exposition de ses travaux en Noir et Blanc.

Sobrino autoroute 1989
Métal peint 20 m de hauteur autoroute Madrid-Barcelone Guadalajara 1989 Sobrino

Signalétique

Avec le recul sur ces années soixante turbulentes pour les jeunes artistes du GRAV, la pérennité de l’ œuvre de Sobrino pourrait bien se trouver dans cette relation à l’architecture qu’il approfondit avec des réalisations  signalétiques, notamment sur les autoroutes espagnoles.
Entre les « Structures permutationnelles » et leur jeu d’aller-retour entre l’oeuvre et l’architecture proche et ces signalétiques monumentales, Francisco Sobrino s’est positionné à la charnière de ces préoccupations à la fois plastiques et architecturales.
Si bien que le mouvement, dans cette création, s’apparente davantage à un agencement des plans (perturbés,déclinés) qu’au jeu de lumière auquel le lumino-cinétisme nous avait sensibilisé.Francisco Sobrino aura réussi à rendre perceptible, dans cette monumentalité statique, un mouvement seulement créé par ce jeu de plans sans recourir aux procédures cinétiques ou lumineuses de ses amis du G.R.A.V.

Rétrospective Sobrino
Jusqu’au 6 septrembre 2020
Espace de l’Art Concret
Centre d’art contemporain
Donation Albers-Honegger
Château de Mouans
06370 Mouans-Sartoux

Pour mémoire

Francisco Sobrino, architecte du mouvement.

Le G.R.A.V. et après

GRAV
GRAV

La disparition récente de Francisco Sobrino (1932-2014) ponctue l’éloignement historique d’un mouvement de l’art du vingtième siècle:  le Groupe de recherche d’art visuel (GRAV) qui réunissait Horacio Garcia Rossi, Julio Le Parc, François Morellet, Francisco Sobrino, Joël Stein, Yvaral. Seuls deux artistes du groupe témoignent encore de cette période : Julio Le Parc et François Morellet, ce dernier s’étant écarté quelque peu de la tendance dominante du groupe, l’art cinétique et lumino-cinétique, pour se diriger vers un art concret épuré qu’il présente aujourd’hui encore (tout récemment à la galerie Kamel Mennour à Paris).
Le  G.R.A.V définissait, en effet, ses « propositions sur le mouvement » en 1961 en participant à la IIe Biennale de Paris au musée d’Art moderne de la Ville de Paris. Son premier manifeste « Assez de mystifications« , jeté en tract dans l’ exposition, ambitionnait de changer le rapport du spectateur à l’art. Des positions radicales s’expriment alors : « Il s’agissait de définir des critères objectifs d’analyse pour obtenir une position théorique globale, à savoir la surestimation de l’individu et des circuit traditionnels de l’expression et de diffusion. » Mais une évolution se fait jour : on décide de conserver la signature nominale des œuvres et une spécificité individuelle dans le travail : Yvaral travaille avec les fils de nylon et de vinyle tendus, Le Parc se consacre à la lumière, Stein s’intéresse aux trièdres et la polarisation, Garcia Rossi choisit les boîtes à réflexion lumineuse et Morellet s’investit dans la  programmation des pulsions de tubes de néon. Sobrino opte, pour sa part, pour le plexiglas. Il propose des reliefs, formes plates superposées par interrelations, progressions, systématisation (Plexiglas blanc-noir et couleur), œuvres en volumes (Plexiglas transparent).

'Estructura permutacional', 1972, Paseo de la Castellana, Madrid Francisco Sobrino
‘Estructura permutacional’, 1972, Paseo de la Castellana, Madrid Francisco Sobrino

« Structures permutationnelles »

Assez vite, Sobrino explore l’utilisation de nouveaux matériaux. Il  entreprend la réalisation de « Structures permutationnelles » en aluminium. Les recherches sont les mêmes que dans les pièces en Plexiglas. L’effet miroir ajoute une interférence entre l’œuvre et son environnement : formes, mouvements et lumières sont incorporés et reflétés, l’œuvre s’intègre à l’architecture, créant ainsi des images virtuelles toujours recomposées par le déplacement du spectateur. Après la dissolution du GRAV en 1968, Francisco Sobrino poursuit, de son côté, cette recherche induite à l’époque du groupe.
On sait combien le mouvement de l’art cinétique et lumino-cinétique a traversé une longue période d’oubli avant de revenir en force notamment l’an passé avec Julio Le Parc au Palais de Tokyo à Paris et Jésus Raphael Soto  au Centre Pompidou toujours à Paris avant la somptueuse exposition « Dynamo »  au Grand Palais.
Francesco Sobrino aura bénéficié avec les autres artistes vivants de l’ancien GRAV de ce retour spectaculaire au premier plan. Dans le même temps la galerie Galerie NMarino à Paris lui consacra une exposition de ses travaux en Noir et Blanc.

Sobrino autoroute 1989
Métal peint 20 m de hauteur autoroute Madrid-Barcelone Guadalajara 1989 Sobrino

Signalétique

Avec le recul sur ces années soixante turbulentes pour les jeunes artistes du GRAV, la pérennité de l’ œuvre de Sobrino pourrait bien se trouver dans cette relation à l’architecture qu’il approfondit avec des réalisations  signalétiques, notamment sur les autoroutes espagnoles.
Entre les « Structures permutationnelles » et leur jeu d’aller-retour entre l’oeuvre et l’architecture proche et ces signalétiques monumentales, Francisco Sobrino s’est positionné à la charnière de ces préoccupations à la fois plastiques et architecturales.
Si bien que le mouvement, dans cette création, s’apparente davantage à un agencement des plans (perturbés,déclinés) qu’au jeu de lumière auquel le lumino-cinétisme nous avait sensibilisé.Francisco Sobrino aura réussi à rendre perceptible, dans cette monumentalité statique, un mouvement seulement créé par ce jeu de plans sans recourir aux procédures cinétiques ou lumineuses de ses amis du G.R.A.V.

Francisco Sobrino dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

Photos :

GRAV
source :http://museografo.com

Expositions

François Morellet «Rigoureux, Rigolard»

morellet vitrineLe point d’interrogation qui ponctue le titre de l’exposition « François Morellet, c’est n’importe quoi ? » à la galerie Kamel Mennour à Paris apparait comme un garde-fou superflu pour préserver l’intérêt que l’on peut porter, toutes recherches confondues, à cet artiste indocile, enfant terrible de quatre-vingt huit ans à l’œuvre insaisissable. Aujourd’hui encore, l’artiste permet de vérifier cette aptitude à prendre à contrepied celui qui croirait  pouvoir définir sans coup férir sa démarche.

« Rigoureux, Rigolard »

Il y a bien longtemps en effet que François Morellet déjoue en toute liberté les tentatives de cloisonnement. A l’époque de l’art cinétique triomphant, il participe, dans les années soixante, au «G.R.A.V.» qu’il fonde avec Hugo De Marco, Horacio Garcia-Rossi, Julio Le Parc, Francisco Sobrino, Joël Stein et Yvaral. Ce groupe expérimental, dans la mouvance de l’art cinétique, explore des voies novatrices qui restent très actuelles aujourd’hui dans l’optique d’un «art relationnel». Mais Morellet s’éloigne de ces rives pour creuser sa recherche dans un art concret où le recours au hasard est déterminant. En cela il se singularise par rapport à ses amis de l’art cinétique.
Le rencontrant dans les années quatre vingt dix, je garde en mémoire l’œil pétillant d’un artiste  qui mettait un point d’orgueil à se définir comme  « Rigoureux, Rigolard ».

Less is more

morellet mennourAujourd’hui, l’œuvre de François Morellet  atteint, avec ces œuvres récentes, un point minimaliste que les artistes du l’art concret revendiquent dans un « Less is more » chauffé à blanc. Mais aussitôt cette affirmation faite, il faut se résoudre à accepter une lecture réaliste  des « Entre deux mers n°2 & n°3  » se renvoyant  d’un tableau au suivant la ligne d’horizon sur une mer indéfinie.  Pour autant, les œuvres minimalistes exposées ici, mises en perspective avec des tableaux de Morellet datant de …. 1949 ( inspirées par les arts premiers et plus particulièrement par les œuvres aborigènes exposées en 1950 à la galerie Raymond Creuze)  permettent de mesurer le cheminement implacable de François Morellet vers ce dépouillement absolu qui n’a pourtant rien de sévère. Nous ne sommes pas dans l’univers austère d’Aurélie Nemours mais dans celui d’un artiste toujours prêt à regarder son travail au second degré.
A la Défense, près de Paris, Morellet se voit offrir, en 1990, la possibilité de réaliser une œuvre liée aux bâtiments du Fonds national d’art contemporain. Comment rivaliser avec la Grande Arche toute proche ? La réponse de l’artiste : on ne rivalise pas !
Morellet n’aime pas cette réalisation massive qu’il estime rappeler le temps d’une architecture que n’auraient pas désavoué les staliniens ou les fascistes. Sa volonté est donc de jouer « contre » avec une structure qui « se casse la gueule » m’explique-t-il. Et face à la Défense son œuvre devient « La Défonce ».
Dans le second espace de la galerie, rue du Pont de Lodi, c’est son travail sur les néons qui est de retour dans cette installation occupant l’ensemble de la salle en sous-sol. Un programme gérant l’allumage des néons perturbe les repères du spectateur juché sur une passerelle conçue par Tadashi Kawamata.
Depuis plus de soixante ans qu’il expose, François Morellet garde cette fraicheur d’enfant qui, devenu jeune homme, s’employait à concevoir de nouveaux modèles dans l’usine de jouets familiale.

François Morellet dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

Photo: galerie Kamel Mennour

François Morellet, C’est n’importe quoi ?
En collaboration avec Tadashi Kawamata
Galerie Kamel Mennour
Du 29/03/2014 au 17/05/201
47 rue Saint-André des arts
& 6 rue du Pont de Lodi –
75006 Paris

Expositions

Julio Le Parc, d’une révolution à l’autre

Pénétrables

Pénétrable Julio Le parc entrée exposition Palais de Tokyo Paris 2013

C’est la même idée scénographique qui préside à l’ouverture des expositions Soto au Centre Pompidou et Julio Le Parc au Palais de Tokyo à Paris actuellement. Dans les deux cas, il faut passer par un pénétrable pour accéder à la suite de l’exposition. Cette idée est juste car elle oblige le visiteur à se mettre en condition pour accepter de voir ses sens perturbés dans chaque parcours. Pour autant, l’exercice n’est pas exactement du même ordre dans les deux cas. Pour Soto, tant bien que mal en avançant à l’aveugle, on sort sans difficulté de l’obstacle. Pour Julio Le Parc, ce pénétrable constitué de lamelles larges réfléchissantes comme des glaces n’aboutit qu’à une seule sortie possible, tout le reste étant fermé. Je dois avouer , à ma grande confusion, avoir un fait un tour pour rien avant de retrouver (grâce à l’aide bienveillante d’un gardien) la sortie libératrice. Je veux croire, par fierté, que beaucoup d’autres ont subi la même humiliation.

« Sphere rouge » de Julio Le Parc au Palais de Tokyo 2013

Il faut donc mériter l’accès à l’exposition Le Parc qui vaut bien cet effort. Beaucoup de ces œuvre sont connues et ont été montrées dans diverses circonstances. En France, il est possible que cela remonte néanmoins à l’exposition  à l’espace Electra (EDF) en …  1995.

Assurément l’exposition Le Parc est la plus imposante actuellement à Paris dans la surprenante vague cinétique qui déferle et le restera au plan monographique même si, dans son importance, la très prochaine exposition Dynamo au Grand Palais sera concurrente.

La révolution du GRAV

Julio Le Parc a participé au sein du G.R.A.V à  l’ ambition révolutionnaire du groupe, dès 1961,  de modifier structurellement les relations à l’art. : transformer le rapport artiste-société, modifier le rapport oeuvre-oeil, dépasser les valeurs plastiques traditionnelles. Ce même groupe devait hausser le ton lors de la troisième biennale de Paris en 1963 :  « Assez de mystifications » lançaient ces artistes, estimant que l’on ne sortait pas d’un circuit bouclé de l’art, cercle vicieux dans lequel il n ‘y avait pas d’ouverture possible.
Julio Le Parc a  participé activement à cette ambition transformatrice. Les oeuvres cinétiques de ces années illustrent cette vocation

L’autre révolution

Mais Julio Le Parc n’ a jamais perdu de vue un autre militantisme, directement politique celui-là. Grand prix de la biennale de Venise en 1966,  Il est expulsé de France en 1968 pour avoir participé à l’atelier populaire des Beaux-Arts qui créait les affiches de mai 68, expulsion maintenue malgré l’émotion suscitée auprès  d’autorités culturelles (Anthonioz, Lassaigne, voire Malraux). De retour en France, il conserve son potentiel de contestation. Ainsi, il fait partie des artistes qui refusent de participer à l’exposition 72/72 au Grand Palais, en 1972, exposition considérée comme caution du pouvoir. Ses participations à la Brigade des artistes antifascistes (  Pour le Chili Athènes, 1975, Pour l’Amérique Latine Nancy, 1977, Pour le Salvador Paris, 1981)  jalonnent cet itinéraire militant.

« Salle de jeux » de Julio Le Parc, au Palais de Tokyo, des punching balls à l’effigie du patron, du curé, de l’intellectuel, du juge ou du professeur

Dans l’exposition du Palais de Tokyo, une salle propose un immense jeu de punching balls invitant à cogner des figures d’autorité, militaire, père, prêtre, patron, juge. Un jeu de fléchettes suggère de « choisir ses ennemis« , de l’ »impérialiste » à l’ »intellectuel neutre » en passant par le « capitaliste » ou le « militaire ».

Et si l’artiste propose tout un jeu de lunettes à grilles variables pour voir le monde autrement, cette intention ne se limite pas à la vision optique. Julio Le Parc entend nous entrainer dans un déformatage à la fois du regard et de la pensée.
« D’une manière générale, par mes expériences, j’ai cherché à provoquer un comportement différent du spectateur (…) pour trouver avec le public les moyens de combattre la passivité, la dépendance ou le conditionnement idéologique, en développant les capacités de réflexion, de comparaison, d’analyse, de création, d’action. »

Cette révolution là reste présente dans les préoccupations de ce  jeune artiste indocile de quatre-vingt cinq ans.

 

Julio Le Parc dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

Photos de l’auteur.
Julio Le Parc, Palais de Tokyo
13 avenue du Président Wilson, Paris 16e
Du 27 février au 20 mai 2013
<span style= »font-size: small; »><span style= »font-size: medium; »></span></span></span></span>

Expositions

Francisco Sobrino en noir et blanc

Cinéma

Francisco Sobrino

Pour rafraichir la mémoire sur le mouvement de l’art cinétique et de l’op-art  il faut, paradoxalement, rechercher le plus souvent dans des documents filmés en noir et blanc. C’est le cas notamment des films d’archives du G.R.A.V. auquel a participé Francisco Sobrino. Cette actualité de l’artiste espagnol est  en phase avec le phénomène évoqué dans des articles récents : l’étonnante vague d’expositions sur l’art cinétique qui déferle sur Paris, du Palais de Tokyo( Le Parc) au Centre Pompidou (Soto) en attendant l’imposante exposition « Dynamo » au Grand Palais. Cette convergence des grands lieux d’exposition parisiens en direction d’un courant si bien oublié  depuis un bon nombre d’années  ne cesse de surprendre. Quel est le grand ordonnateur de ce phénomène ?  A défaut de trouver un acteur unique à cet engouement, constatons que le mouvement est accompagné par des galeries parisiennes dont c’est la vocation, notamment la galerie Denise René, la galerie Lelia Murdoch et donc, avec Sobrino, la galerie Nmarino.
D’origine espagnole, Francisco Sobrino se retrouve dès l’âge de dix sept ans à Buenos-Aires où il entre à l’école nationale des Beaux-arts. C’est encore à Buenos Aires que les contacts se nouent avec Le Parc, De Marco, Garcia-Rossi. Ces rencontres orientent durablement l’avenir de cet artiste qui, peu de temps après son arrivée à Paris, fait partie des fondateurs de ce fameux « Groupe de recherche des arts visuels » où les Français Morellet, Stein et Yvaral s’associent à l’aventure.

Le temps du GRAV

Au départ de cette association, les positions radicales s’expriment : « Il s’agissait de définir des critères objectifs d’analyse pour obtenir une position théorique globale, à savoir la surestimation de l’individu et des circuit traditionnels de l’expression et de diffusion. »

Mais une évolution se fit jour : on décida donc de conserver la signature nominale des œuvres et une spécificité individuelle dans le travail : Yvaral travailla avec les fils de nylon et de vinyle tendus, Le Parc se consacra à la lumière, Stein s’intéressa aux trièdres et la polarisation, Garcia Rossi choisit les boîtes à réflexion lumineuse et Morellet s’investit dans la  programmation des pulsions de tubes de néon. Sobrino opta, pour sa part,  pour le plexiglas Il proposa des reliefs, formes plates superposées par interrelations, progressions, systématisation (Plexiglas blanc-noir et couleur), œuvres en volumes (Plexiglas transparent).

Sans titre 1970 Francisco Sobrino

Si Sobrino a beaucoup travaillé avec la couleur, on peut redécouvrir, dans l’exposition actuelle de la galerie NMarino, ses oeuvres jouant sur un contraste saisissant entre noir et blanc.
Il y a quelques années, l’artiste m’expliquait qu’il concevait sa démarche comme un travail de laboratoire, avec rigueur et précision. Les pièces noir et blanc n’ont rien perdu de leur force et de leur présence. C’est un privilège des oeuvres de cet art construit : résister au temps. Sur un demi-siècle, le travail de Sobrino conserve cette même aptitude à accaparer le regard que des oeuvres de la génération suivante. L’op-art et l’art cinétique vérifient dans cette actualité chargée à Paris leur capacité de survivre à l’oubli.

Francisco Sobrino dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

Photos Galerie NMarino
Francisco Sobrino
Noir et blanc
Du 21 mars au 11 mai 2013
Galerie NMarino
8 rue des Coutures Saint Gervais
75003 Paris

Pour mémoire

Hommage à Horacio Garcia-Rossi

L’artiste Horacio Garcia-Rossi est décédé le 5 septembre dernier. Cofondateur du GRAV (Groupe de recherche d’art visuel, 1960-1968) avec Julio Le Parc, François Morellet, Francisco Sobrino, Joël Stein et Jean-Pierre Yvaral, son travail s’était affirmé autour de la «couleur-lumière». Après le récent décès de Joel Stein il y a quelques semaines, c’est encore un membre de ce célèbre G.R.A.V. qui disparaît.

J’avais évoqué, il y a quelques mois, (Horacio Garcia-Rossi, les années lumière) l’itinéraire de cet artiste lumino-cinétique qui retrouva le chemin de la peinture toujours au service de la lumière. Avec le récent décès de la galeriste Denise René, c’est tout un pan de l’art cinétique qui est touché alors que l’inscription de cette tendance dans l’histoire se vérifie : La Réunion des musées nationaux du Grand Palais organisera au printemps 2013 une exposition intitulée Lumineux ! Dynamique ! Espace et vision dans l’art, de nos jours à 1913 qui sera présentée dans les Galeries Nationales du Grand Palais à Paris.

Composition A 51 1983 Horacio Garcia-Rossi

Argentin, Horacio Garci-Rossi s ‘est rapidement trouvé au centre des préoccupations de l’art cinétique naissant : c’est à Buenos Aires que les contacts se nouent avec Le Parc, De Marco, Sobrino ; ce sont donc déjà certains des artistes du futur groupe du G.R.A.V. qui se destinent à venir en France où, peu de temps après son arrivée à Paris, Garcia-Rossi fait partie des fondateurs de ce fameux « Groupe de recherche des arts visuels » où les Français Morellet, Stein et Yvaral participent à l’aventure. Car c’est bien une aventure mémorable qui commence.
Art relationnel avant l’heure, la recherche du GRAV a marqué son époque. Dans ce groupe turbulent, Garci-Rossi a apporté son ton personnel :

«Horacio a été le sage du GRAV, il avait l’intelligence, le calme et l’humour nécessaires pour bien tenir ce rôle. Il n’avait pas envie comme d’autres, moi-même par exemple, d’agresser le spectateur ou de s’encombrer de lampes et de néons», écrivait François Morellet en 2010.

Horacio Garcia-Rossi dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

Photo Composition A 51 1983 Catalogue Drouot

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Portraits

Francisco Sobrino : « Défense de ne pas toucher ».

Francisco Sobrino

S’il est espagnol, c’est en Argentine que l’artiste cinétique Francisco Sobrino engage son œuvre artistique sur un chemin qu’il ne quittera plus.

C’est, en effet à Buenos Aires où il se retrouve dès l’âge de dix sept ans que Francisco Sobrino entre à l’Ecole nationale des Beaux-arts. C’est encore à Buenos Aires que les contacts se nouent avec Le Parc, De Marco, Garcia-Rossi ; ce sont donc déjà certains des artistes du futur groupe du G.R.A.V. qui se destinent à venir en France où, peu de temps après son arrivée à Paris, Sobrino fait partie des fondateurs de ce fameux « Groupe de recherche des arts visuels » où les Français Morellet, Stein et Yvaral participent à l’aventure. Car c’est bien une aventure mémorable qui commence. Si l’art cinétique a pu paraître daté et donc passé, le G.R.A.V. , dont le mot d’ordre est « Défense de ne pas toucher ». a posé des jalons pour des approches très actuelles de l’art.

Sculpture plexiglas de Sobrino

Comme l’écrit Frank Popper :
« Le facteur commun, et le plus important, à toutes ces recherches tient à la poursuite de leurs objectifs généraux. Sans se référer spécifiquement aux déclarations et manifestes du Groupe de Recherche d’Art Visuel, il est clair que le principe fondamental auquel adhéraient ses différents membres, avec plus ou moins d’enthousiasme, était la dévalorisation de « l’artiste » et du « chef-d’oeuvre », au profit d’une sollicitation du spectateur. »

Francisco Sobrino me rappelle avec amusement que lors de la biennale de 1963 à Paris, les artistes du GRAV présentaient leurs œuvres cinétiques (dont les sculptures de Sobrino) et que les organisateurs leur avaient proposé un couloir inoccupé pour intervenir. Les artistes fabriquèrent des colonnes noir carrées sur roulettes, dans lesquelles ils s’enfermèrent pour les faire circuler dans le couloir en question. Sobrino m’explique que les visiteurs prêtèrent davantage d’attention à cette action qu’aux œuvres minutieusement réalisées. Les prémisses d’un art relationnel étaient présentes dans ces propositions quarante ans avant les travaux actuels.

Francisco Sobrino dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain