Seuphor, libre comme l'art

Seuphor, libre comme l’art : abstraction « froide» et abstraction « chaude»

Le blog des Chroniques du Chapeau noir poursuit la publication de « Seuphor, libre comme l’art », écrit par Claude Guibert sur la vie de l’écrivain, historien et artiste Michel Seuphor (1901-1999), de son vrai nom Fernand Berckelaers. Ce livre a été écrit en 2008 et sera publié intégralement à raison de quelques pages par publication, une fois par semaine.

Publication N° 64

André Bloc

A Meudon, où vingt ans plus tôt Théo Van Doesburg, avec la construction de son pavillon personnel, proposait une véritable révolution pour l’habitat individuel, André Bloc entreprend la construction de sa maison-atelier en 1949. Pour le défenseur de la synthèse des arts, c’est l’occasion rêvée de concrétiser ses idées sur l’architecture. La maison-atelier, très discrète sur la rue des Capucins et la rue du Bel-Air, ne se laisse découvrir que sur le jardin et se dévoile davantage encore de l’intérieur. Le mur de façade, d’abord rectiligne et totalement aveugle, s’infléchit ensuite en une courbe de parois vitrées donnant sur l’amphithéâtre du jardin, proposant ainsi une autre illustration des rapports intérieur/extérieur. La forme courbe du volume bâti présente comme avantage majeur la concentration de la vie autour du patio, encadré par le mur extérieur concave et par un cirque de verdure. Bloc a conçu l’architecture de sa maison, la peinture des murs intérieurs, la sculpture sur le bassin de la pelouse, la mosaïque sur le mur du jardin et au fond du bassin de la terrasse et l’escalier intérieur en arête de poisson. Il a même créé ses propres meubles pour sa maison, certains destinés par la suite à une édition. Le sculpteur cybernétique Nicolas Schöffer en a dessiné les panneaux électriques.

Le mouvement MADI s’intègre désormais au paysage artistique parisien. En janvier 1951, Arden-Quin organise l’exposition Espace-Lumière à la galerie Suzanne Michel à Paris, à laquelle participent la française Jeanne Kosnick-Loss, le nord-américain Jack Youngerman et de jeunes artistes abstraits vénézuéliens vivant à Paris Jésus Rafael Soto, Alejandro Otero, Luis Guevara Moreno et Ruben Nuñez. Dans l’atelier d’Arden-Quin, situé au 23 de la rue Froideveaux un Centre de Recherches et d’Études Madistes est créé à l’initiative du peintre uruguayen Volf Roitman, avec la participation d’artistes latino-américains et français (Pierre Alexandre, Angela Mazat, Roger Neyrat, Ruben Nuñez, Marcelle Saint-Omer et Georges Sallaz).Cet atelier se veut à la fois un outil de promotion du mouvement Madi et plus généralement un endroit ouvert à l’information au dialogue, à l’échange d’idées. On y projette des documents sur l’art abstrait pour mieux susciter le débat. On compte parmi les visiteurs aussi bien les pionniers Georges Vantongerloo, Marcelle Cahn ,César Domela ou Auguste Herbin, que des artistes plus jeunes : Alicia Penalba, Carlos Cairoli, Georges Koskas et Soto.

L’abstraction lyrique

Un nouveau front s’ouvre  en ce début des années 1950, opposant une abstraction « froide» et une abstraction « chaude». Aux antipodes de l’art géométrique se développe un art informel, tachiste, où le geste prime , où la spontanéité est la seule règle. Wols et Georges Mathieu ouvrent la voie. Hans Hartung et Pierre Soulages arrivent avec des nouvelles recherches. Les tenants de l’abstraction gestuelle s’opposent alors fermement aux tenants de l’abstraction géométrique. Ils valorisent l’engagement physique du peintre dans son travail. La liberté du peintre vient de son expression immédiate, gestuelle. Cette abstraction lyrique veut promouvoir un lien émotionnel direct entre le peintre et le spectateur.

Au salon des Réalités Nouvelles, la vague géométrique prend de l’ampleur. Ses partisans renforcent leurs troupes. Dans le même temps, Charles Estienne publie L’Art abstrait est-il un Académisme ? , pamphletdans lequel il dénonce « une  esthétique du plan coupé et de l’aplat, une nouvelle routine, une nouvelle usure de l’œil et de l’esprit 1» .

En 1950, le jeune Dewasne, lui-même engagé dans la tâche exaltante de créer un langage plastique neuf et Edgard Pillet  secrétaire général de la revue Art d’aujourd’hui, fondent l’atelier d’ art abstrait au 14 rue de la Grande Chaumière à Montparnasse. Au sortir de la guerre, les anciens combattants américains disposent de bourses pour venir étudier en Europe. Certains utilisent ces aides pour bénéficier de formations sur l’art. L’atelier d’art abstrait les attire et connaît un rayonnement international: conférences techniques et philosophiques auxquels les acteurs du monde de l’art participent. Edgard Pillet prend sa part dans la polémique lancée par Charles Estienne. Léon Degand, fervent défenseur de l’abstraction géométrique répond aux attaques de Charles- Estienne en affirmant qu’en art, la froideur comme la chaleur est une  forme de tempérament, qu’il n’y a ni bonne ni mauvaise  peinture, que de mauvais peintres. Il participe aux conférences de l’atelier d’art abstrait avec Julien Alvard, Charles Estienne, André Bloc, Desargues et Seuphor. S’y joignent des artistes tels que Félix Del Marle, Auguste Herbin. On organise des visites d’atelier, des discussions sur le travail des élèves. Ensemble, ils forment un grand nombre d’artistes et intellectuels venus du monde entier, principalement d’Amérique latine et des pays scandinaves. Inscrit à l’atelier d’art abstrait, Agam, fixé à Paris en 1951 , commence à s’intéresser à l’art cinétique. Il rencontre Fernand Léger et Auguste Herbin. Fortement impressionnée par la jeune peinture française qu’elle découvre lors d’une exposition à Bruxelles, la jeune artiste Belge Francine Trasenster décide alors de venir à Paris où elle rencontre  l’architecte Michel Holley qu’elle épouse en 1947. C’est l’année 1950 qui voit Francine Holley-Trasenster s’investir totalement dans l’abstraction géométrique. Elle fréquente le milieu artistique autour de Fernand Léger, participe aux réunions de l’Atelier d’art abstrait de Jean Dewasne et Edgard Pillet,  s’inscrit à l’Atelier d’Arts Sacrés, où elle apprend les techniques de la fresque. Un jeune artiste Vénézuélien, Jésus Soto, fréquente lui aussi l’atelier d’art abstrait ainsi que le salon des Réalités nouvelles. Son constat est généralement critique, considérant que l’abstraction géométrique ne fait que simplifier la figuration.

1 Réalités nouvelles 1946-1955 Galerie Drouard 2006

Seuphor, libre comme l'art

Seuphor, libre comme l’Art : Abstraction, Création

Le blog des Chroniques du Chapeau noir poursuit la publication de « Seuphor, libre comme l’art », écrit par Claude Guibert sur la vie de l’écrivain, historien et artiste Michel Seuphor (1901-1999), de son vrai nom Fernand Berckelaers. Ce livre a été écrit en 2008 et sera publié intégralement à raison de quelques pages par publication, une fois par semaine.

Publication N° 46

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Abstraction-Création

Seuphor absent de Paris, l’avenir de Cercle et Carré s’est donc trouvé scellé. Il aura suffi de deux mois pour que l’empêche- ment physique de son organisateur ouvre une brèche et favorise la mise sur pied d’un nouveau groupe. Vantongerloo, riche du fichier de Cercle et Carré, s’engage sans attendre dans la création d’Abstraction-Création. S’il s’agit d’envisager une synthèse des tentatives de Cercle et Carré de Seuphor et Torrès-Garcia et du groupe de l’Art Concret de Van Doesburg, le champ est libre : Seuphor malade est loin de Paris, Van Doesburg, qui a toujours souffert d’asthme, est en cure à Davos. Le 15 février 1931, ce dernier décède d’un arrêt cardiaque trois semaines après la création d’ Abstraction-Création. Le nouveau groupe est fort d’artistes tels que Hélion, Herbin, Arp, Gleizes, Kupka, Vantongerloo. En ce début des années Trente, Herbin, après une phase géométrique non-figurative puis un retour à la figuration retrouve le chemin de l’abstraction géométrique. Cette fois, son orientation est prise. Il faudra encore de nombreuses années pour que son alphabet plastique voie le jour. Après d’interminables discussions finit par paraître, en 1932, une revue Abstraction-Création, art non-figuratif, qui matérialise les idées du mouvement. De très nombreux artistes européens et quelques américains adhèrent ; le groupe comptera plus de quatre cents membres. Jusqu’en 1936, le collectif assurera la défense de l’art abstrait avec cependant une moins grande rigueur que Cercle et Carré. Il ne s’agit plus seulement de défendre l’art géométrique ou l’ art concret, mais un art abstrait non figuratif plus vaste :

 –  « La nouvelle plastique constructiviste n’est pas individualiste, ce n’est pas une plastique de tour d’ivoire ».Jean Gorin 1

1932

Un fait divers tragique au retentissement mondial agite l’année 1932. Le premier mars, le fils aîné de l’aviateur Charles Lindbergh, Charles Junior est kidnappé et retrouvé mort quelques jours plus tard dans un bois du New Jersey malgré le paiement d’une rançon. Salvador Dalí ajoute au malaise en se produisant dans une soirée costumée avec Gala dans un linge ensanglanté censé le travestir en « Bébé Lindbergh assassiné ».
A Paris, le 6 mai , le président de la République Paul Doumer reçoit plusieurs coups de revolver tirés par un médecin russe, Paul Gorgulov. Dans la nuit, le président décède. Dans un contexte fragile d’instabilité gouvernementale, de récession économique aussi bien au niveau national qu’international, entre deux tours d’élections législatives, l’assassinat de Doumer provoque la consternation et pose beaucoup de questions.  Les pouvoirs publics et la presse s’emparent de l’événement pour l’utiliser à des fins de propagande. Faut-il n’y voir que le geste d’un dément, son crime étant le reflet d’une paranoïa doublée de folie politique ? Peut-on croire les  balbutiements du meurtrier voulant défendre une cause où se mêle le salut de la Russie et la fondation sur place d’un « parti vert », violemment anticommuniste ? Faut-il y voir un complot pour déstabiliser la France ? L’émotion est énorme. Après les funérailles nationales à Notre-Dame et au Panthéon, on continue à s’interroger sur ce drame. La guillotine mettra un terme provisoire au débat.
Rare événement heureux pour la presse cette année 1932, c’est en octobre qu’est lancé aux chantiers de Saint-Nazaire le plus grand paquebot du monde. On a hésité à l’appeler Président Paul-Doumer. C’est finalement le Normandie qu’inaugure le  nouveau président de la république Albert Lebrun.


1« Le triomphe de l’art moderne » JJ Lévèque 1996 p 528

Expositions

Chroniques New-yorkaises (4) : Au Whitney Museum, la couleur de l’Histoire.

« Spilling Over : Painting Color in the 1960 s »

Que ce soit au MOMA, au Guggenheim ou au Whitney Museum, c’est le fond qui manque le moins. Toutes ces institutions new-yorkaises rivalisent de richesses dans leurs collections permanentes. C’est à partir de son fond propre que le Whitney museum propose l’exposition « Spilling Over : Painting Color in the 1960 s »( Débordement : la peinture de couleur dans les années 1960). Ce titre trouve son origine dans une citation de l’artiste Bob Thompson dont le travail est également accroché : « Je peins de nombreuses peintures qui me disent lentement que j’ai quelque chose en moi qui éclate, qui se tord, qui colle, qui déborde pour sortir. Dans des âmes, des bouches et des yeux jamais vus auparavant. » Cette présentation rassemble des œuvres des années soixante et du début des années soixante dix qui recourent aux couleurs audacieuses, saturées et même parfois hallucinatoires pour jouer sur notre perception.
Avec cette machine à remonter le temps, l’exposition du Whitney montre comment ces vagues nouvelles redistribuent alors la donne non seulement aux États-Unis mais également en atteignant les rives de l’Europe et de la France en particulier. C’est l’époque où les « Chroniques de l’art vivant » à Paris nous font découvrir, au fil des mois et des années, cette peinture inconnue bousculant nos références. Dans une France encore dominée par la seconde école de Paris, les signaux venus d’Amérique vont contribuer à modifier le cours de l’Histoire. C’est aussi le temps où le galeriste Daniel Templon approche à New York ces artistes et commence à les faire connaître dans la capitale. Au cours de cette période inventive aux États-Unis , de nombreux artistes adoptent la peinture acrylique, explorent ses vastes possibilités techniques et son large éventail de teintes. On peut mesurer, avec le recul, qu’un tel emploi de l’acrylique n’était pas sans danger. La mort de Morris Louis d’un cancer des poumons à cinquante ans fut probablement liée à l’inhalation des vapeurs de sa peinture.

« Spilling Over : Painting Color in the 1960 s » Whinet museum avril 2019

Color Fields

Les peintres du Color Fields versent l’acrylique et teintent leurs toiles, dramatisant la matérialité et la force visuelle de la peinture. De leur côté, les peintres associés à l’Op-art créent des motifs, des agencements géométriques et des combinaisons de couleurs intenses pour souligner que la vision associe phénomène physique et perception mentale. Au même moment, une génération émergente d’artistes explore la capacité de la couleur à formuler de nouvelles questions sur la perception, en particulier sa relation avec la race, le sexe, et le codage de l’espace. L’exposition se penche sur les différentes façons dont la couleur peut conjuguer recherche formelle et réflexion politique. Dessiné entièrement à partir de la collection Whitney, « Spilling Over : Painting Color in the 1960 s » comprend des œuvres majeures récemment acquises ainsi que des toiles qui sont entrées dans la collection peu après leur création par des peintres tels que Alvin Loving, Ellsworth Kelly, Miriam Schapiro et Frank Stella, entre autres.

« Gamma Delta » 1959-1960 Morris Louis,

Dans « Gamma Delta » Morris Louis a teint sa toile en diluant et en versant des peintures synthétiques sur sa surface, permettant aux couleurs de s’étaler et de « saigner ». Morris Louis a exploré cette technique pendant neuf ans en réponse aux peintures de Jackson Pollock et peut-être davantage encore à celles d’Helen Frankenthaler, dont il a visité le studio en 1953. En l’espace de quelques années, Morris Louis a réalisé des centaines de toiles s’engageant jusqu’à l’épuisement dans une recherche où les couleurs, au gré de la liberté des coulures, produisent leur propre espace.

Plus vaste, plus clair que le Whitney museum historique construit par Marcel Breuer dans l’Upper East side, le nouveau Whitney, conçu par Renzo Piano et ouvert depuis 2015 dans le sud ouest de Manhattan, donne à ces oeuvres un espace à la mesure de leur ambition. Consacré essentiellement à l’art américain des XXe et XXIe siècles, le Whitney rappelle avec cette exposition comment la vague de fond de la peinture américaine des années soixante à soixante dix a profondément impacté l’histoire de la peinture contemporaine et redistribué les cartes dans les relations artistiques entre les États-Unis et l’Europe.

Photos de l’auteur

« Spilling Over : Painting Color in the 1960 s »
Mars-aout 2019
Whitney Museum of American Art
99 Gansevoort Street
New York, NY 10014





Expositions

Roger Vilder : l’art en partage

« Défense de ne pas toucher »

Dans les années soixante en France le G.R.A.V., Groupe de recherche d’arts visuels, édictait comme principes : « Défense de ne pas toucher » et  « Défense de ne pas participer ». Pour Roger Vilder qui expose actuellement à la galerie NMarino à Paris, ces injonctions retrouvent aujourd’hui toute leur valeur. Pour cet artiste qui a partagé sa vie entre le Canada et la France, les travaux sur l’art construit conjointement à ceux sur le mouvement le rapprochent de cette histoire écrite par les tenants de l’art cinétique. Car c’est un itinéraire d’une cinquantaine d’années qui aboutit aujourd’hui avec cette proposition d’ « Algorithme tactile ». Les premières recherches numériques de Roger Vilder remontent à 1971. En 1973 il réalise des dessins par ordinateur au centre météorologique du Canada.

Algorithme Roger Vilder
Algorithme tactile 4 carrés couleur

Désormais pour Roger Vilder cette volonté d’associer la création dans le domaine des arts plastiques avec la technologie informatique se concrétise avec ces dessins en noir et blanc ou en couleur animés par des algorithmes, les tableaux devenant en permanence modifiés par des mouvements aléatoires ou répétitifs. Le plan du tableau est alors asservi par l’ordinateur au bénéfice d’une œuvre en changement permanent.

« Algorithme tactile »

Le  « Défense de ne pas toucher » des artistes du G.R.A.V. trouve ici une nouvelle application avec l’utilisation par Roger Vilder d’écrans tactiles qui perturbent singulièrement le statut à la fois de l’œuvre et celui de l’artiste. Désormais, le collectionneur prend sa part de création pour chaque œuvre initiée par l’artiste. Le spectateur du tableau a pouvoir de décision en intervenant sur le plan tactile: il peut alors déplacer l’image, agrandir une forme, la réduire, modifier le rapport géométrique des formes et des couleurs.
Dans ces conditions, ce n’est pas seulement la nature de l’œuvre qui change en se voyant attribuer un acteur supplémentaire dans l’acte de création, c’est le statut même de l’artiste qui s’en trouve bouleversé. En mettant à la disposition du spectateur ce pouvoir de décision, Roger Vilder met en situation un tandem inédit qui, d’une certaine façon, désacralise le rôle du créateur, la prééminence incontestée de l’artiste. Imaginerait-on un tableau de Mondrian modifié au gré des humeurs du collectionneur ? Qu’en aurait pensé Mondrian lui-même ? Comment se définit alors la notion d’auteur ? Avec cette proposition  d’ « Algorithme tactile », Roger Vilder remet sur l’ouvrage la question du rapport à l’art que les artistes du G.R.A.V. posaient il y a un demi-siècle. Parmi ses membres, Julio Le Parc déclarait dès 1961 : «L’art d’ailleurs ne nous intéresse pas en tant que tel. Il est pour nous un moyen de procurer des sensations visuelles, un matériel mettant en valeur vos dons. Tout le monde est doué, tout le monde peut devenir partenaire. Et ce sera parfait si l’œuvre vous fait oublier le tableau, ‘l’œuvre d’art’».

« Défense de ne pas participer »

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Algorithme tactile 15×20 Carrés Noir et Blanc

Roger Vilder, avec ses « Algorithmes tactiles » installe ainsi cette relation nouvelle dans la création artistique. La mutation de l’œuvre d’art ne tient pas d’abord, me semble-t-il, à l’avancée technologique mais bien davantage à ce statut nouveau : le tableau au mur n’est pas un objet fini, définitif, il devient un élément interactif, modifiable, soumis à la volonté de son propriétaire, lui même détenteur de cette part de créativité. Le rêve des artistes du G.R.A.V. de voir naître une nouvelle relation entre l’artiste et le spectateur prend forme aujourd’hui  avec cet art du partage.

Photos: Galerie NMarino

Roger Vilder
« Algorithmes tactiles »
8 Octobre – 26 Novembre 2016
Galerie NMarino
8 rue des Coutures Saint-Gervais
75003
Paris

Expositions

Quentin Lefranc : Déconstruire ! dit-il

Depuis les éblouissantes années vingt autour de De Stilj et du Banhaus, nous savions que l’art construit de cette période révolutionnaire gardait aujourd’hui toute sa richesse. Mondrian, Van Doesburg  restaient présents dans nos acquis culturels comme dans notre quotidien. Si bien que la première exposition personnelle d’une jeune artiste Quentin Lefranc avec « Smelled all unexpected, pictures seemed not know how to behave and ellipse became deaf as bare » dans la non moins jeune galerie Jérôme  Pauchant à Paris, offre un regard contemporain sur la lecture possible de l’art en général et de l’art construit en particulier. Il faut rendre justice à un autre artiste Benjamin Collet, dont l’intervention ponctue celle de Quentin Lefranc, d’être l’auteur du titre de l’exposition.

QUENTIN LEFRANC GALERIE JEROME PAUCHANT PARIS 2015
Quentin Lefranc galerie Jérôme Pauchant 2015

La galerie prête non seulement son espace au travail de Quentin Lefranc mais se révèle partie prenante d’un agencement  qui participe à la mise en oeuvre du projet. Les plans des murs ont été traités dans les couleurs choisies par l’artiste afin de parfaire la mise en situation de ses propositions.
Johannes Vermeer, Donald Judd, Gerrit Rietveld notamment servent de sources pour expérimenter ce travail de déconstruction et de recomposition voulu par l’artiste. C’est peut-être avec la « Berlin chair » de 1923 créée par Gerrit Rietveld que la passerelle historique m’apparaît comme la plus pertinente pour évoquer ce jeu de déconstruction historique et plastique.

A chair (2nd), 2014 Acrylique, contreplaqué, bois, papier Acrylic, plywood, wood, paper2015
A chair (2nd), 2014
Acrylique, contreplaqué, bois, papier
Acrylic, plywood, wood, paper2015

La chaise de Rietveld marquait déjà un tel aboutissement dans la réduction aux formes élémentaires que la passerelle historique établie par Quentin Lefranc avec une réflexion contemporaine semble aller de soi dans cette entreprise de déstructuration d’une création si aboutie dans sa composition.
On ne peut pas ne pas se rappeler combien les artistes de De Stijl portaient en eux l’ambition de cet art novateur qui marquerait l’aboutissement  d’un langage universel avec la fusion de la peinture, de la sculpture, de l’architecture, de la vie quotidienne. Le néoplasticisme  s’apparentait à une Internationale  à laquelle rien ne résisterait. Quentin Lefranc n’hésite pas à briser l’îcone pour mener à bien son jeu de déconstruction. La remise à plat de l’art a connu des épisodes multiples dans l’histoire, notamment en France avec Supports-Surfaces et BMPT dans les décennies récentes. Ici, les particules élémentaires issues des oeuvres historiques revisitées posent les jalons pour tenter d’établir une nouvelle donne dans la constitution d’un langage plastique ouvert sur un devenir à promouvoir. Si chaque proposition peut être examinée séparément, c’est davantage  l’ensemble oeuvres et espace de la galerie qui participe de cette réflexion, qui ne se contente pas d’une remise à plat mais envisage le jeu relationnel entre les éléments mis à disposition. Seul élément pris dans son état premier, une photographie documentaire d’un blockhaus sur la côte atlantique montre cette construction militaire basculée par le temps dans une position inutile, sorte de déconstruction naturelle d’une architecture de défense qui n’a pas résisté aux assauts de la mer et des années.
En sortant de la galerie, je pensais à Claude Rutault et son exigeante voire intransigeante démarche. Claude Rutault présentait en 2013 à la Galerie Perrotin à Paris sa  traduction plastique de l’atelier  de Vermeer (1986) avec un assemblage signifiant les  » éléments incontournables » de cet atelier.  Vérification faite, cette association d’idée ne doit rien au hasard. Pour le Prix Antoine Marin 2015, c’est Claude Rutault qui vient de parrainer  le travail de Quentin Lefranc.

Photos :

© Quentin Lefranc. Galerie Jérôme Pauchant, Paris
Photographies : Molly SJ Lowe.

 

Quentin Lefranc feat. Benjamin Collet
« Pictures seemed not to know how to behave »
5 Septembre  – 10 Octobre 2015
Galerie Jérôme Pauchant
61 Rue Notre Dame de Nazareth
75003 Paris

 

Expositions

Il faut maintenant construire le monde

visuel_fracC’est un singulier télescopage que provoque actuellement au FRAC Poitou-Charente l’exposition Il faut maintenant construire le monde.  Prenant comme point de départ un tableau de Michel Seuphor présent dans la collection permanente du FRAC, cette confrontation entre le temps euphorique du néoplasticisme et la création artistique contemporaine offre une mise en perspective inédite entre des époques aux objectifs si différents.
Michel Seuphor (1901-1999) a traversé son siècle en témoin privilégié. Grand ami de Mondrian dans les années vingt, écrivain, historien de l’art, artiste plasticien lui-même avec le développement de ses « dessins à lacunes« , a consacré sa vie à la défense de l’art construit.

Commenter les avant-gardes historiques

Aujourd’hui l’objectif du FRAC est de présenter des propositions d’artistes contemporains qui « commentent  quelques décennies plus tard, les avant-gardes historiques abstraites et idéalistes. » Ce regard critique peut prendre parfois l’aspect d’ un constat d’échec. Cyprien Gaillard commente ainsi la faillite des utopies. Romain Pellas se livre à une tentative presque désespérée de reconstruction d’un monde non maîtrisable.
On devine que l’exposition a été constituée à partir de la collection du FRAC Poitou-Charente et que l’œuvre de Seuphor, presque perdue dans cet ensemble, sert de prétexte à cette lecture contemporaine.

Etagère Romain Pellas 1999-2003
Etagère Romain Pellas
1999-2003

Il reste que l’idée de cette confrontation entre deux lectures  jette, me semble-t-il, un éclairage cru sur notre rapport au monde.
La création des années Vingt, après le séisme de la grande guerre, s’engageait avec passion pour une société en effet à reconstruire. Théo Van Doesburg, avec sa revue De Stijl depuis 1918, brandit l’étendard du néoplasticisme pour lequel son compagnon de route Piet Mondrian prône l’usage exclusif dans la peinture de lignes droites agencées horizontalement ou verticalement et mises en rapport entre elles selon des principes de parallélisme ou d’orthogonalité. Ensemble ils veulent atteindre un art universel attaché à l’emploi d’une palette limitée aux trois couleurs primaires. C’est le temps de l’Esprit nouveau qui souffle en direction de toutes les disciplines artistiques. A travers l’Europe, de petites revues militantes (Het Overzicht, Der Sturm ) diffusent cette volonté de table rase. On mesure combien cette ambition collective contraste avec aujourd’hui  l’éparpillement d’un art sans projet collectif, livré aux seuls ballotements d’un marché mondialisé. Au bout du compte, c’est peut-être l’art des années Vingt qui commente l’art contemporain. Ayant bien connu personnellement Michel Seuphor, je peux témoigner de la foi inébranlable de ce grand acteur de l’art du vingtième siècle envers les engagements d’un art construit dont la radicalité irradiait tous les arts de son temps, parfois même au prix d’oppositions agitées, notamment avec les surréalistes. Celui qui fut le créateur de Cercle et Carré associait ces règles de l’art à des règles de vie structurantes. Une telle attitude pouvait parfois atteindre un paroxysme comme on a pu l’observer chez Aurélie Nemours notamment.

Le messager Michel Seuphor 1978 collection FRAC Poitou Charente
Le messager Michel Seuphor 1974 collection FRAC Poitou Charente

Quel projet collectif ?

L’exposition Il faut maintenant construire le monde témoigne d’un constat à partir duquel tout serait à reconstruire. La tâche semble immense dans un univers artistique disparate où il est difficile de discerner une préoccupation commune avant même d’envisager un projet collectif.
Peut-être faudra-t-il disposer d’un recul suffisant pour donner de cette production contemporaine une lecture significative ?  Peut-être aussi pourrait on attendre des artistes, eux-mêmes, cette prise en main des objectifs de l’art comme l’ont fait, en leur temps, les tenants du néoplasticisme dont les œuvres, notamment dans le domaine de l’architecture, n’ont rien perdu de leur potentiel novateur ?

 

Photos: FRAC Poitou Charente

Exposition : Il faut maintenant construire le monde

Élisabeth Ballet | Katinka Bock | Chto Delat
Paolo Codeluppi | Cyprien Gaillard | Piero Gilardi
Liam Gillick | IKHÉA©SERVICES | Élodie Lesourd
Romain Pellas | Émilie Perotto | Bruno Petremann
The Atlas Group/Walid Raad | David Renaud
Bojan Sarcevic | Michel Seuphor | Kristina Solomoukha Benjamin Swaim | Marianne Vitale
Du 3 avril au 13 juin 2015
FRAC Poitou Charente
63 Bd Besson Bey
16000 Angoulème

Expositions

Jean Dewasne : la traversée de l’abstraction en solitaire

La longue marche

affiche dewasne

Après la disparition du peintre en 1999, l’oeuvre de Jean Dewasne connaît cette année une remise au premier plan spectaculaire.  C’est, en effet, une longue marche qui s’engage aujourd’hui  au musée départemental Matisse au Cateau-Cambrésis : « Jean Dewasne, la couleur construite » marque le point de départ de cet itinéraire qui se poursuivra au musée des Beaux-arts de Cambrai avec « Dewasne, vers une peinture plane, 1939 – 1989  » puis au LAAC de Dunkerque avec « La  donation Dewasne« . C’est dire l’importance de ce triptyque pour revisiter l’œuvre du peintre.
En 1950, alors que Jean Dewasne  poursuit la tâche exaltante de créer un langage plastique neuf, sa volonté d’obtenir une technique proche de  l’industrie l’amène à s’éloigner des  habitudes de la peinture traditionnelle et à choisir des matériaux nouveaux (peintures glycérophtaliques, laques, émail à froid, Ripolin) et des supports inhabituels (contreplaqué, métal). Ultime point de rupture, il  utilise la peinture au pistolet  ce qui fait de lui un précurseur sur ce plan technique. Il vient même l’année précédente de théoriser  son orientation dans le  « Traité de la peinture plane » .

Jean Dewasne, La Longue Marche, 1969
Jean Dewasne, La Longue Marche, 1969

L’homme que je rencontrai il y a une quarantaine d’années, cachait derrière une voix douce et lente une détermination qui s’était déjà fortement vérifiée dans le monde de l’art. Nullement prêt aux compromis ni aux compromissions, il avait déjà rompu avec le salon des Réalités Nouvelles ( dont il contribua à organiser la première édition en 1946 ) dans une lettre où il assénait :
« Le dit salon a été crée pour défendre l’art abstrait mais non pour défendre des conceptions idéalistes ou spiritualistes contre des conceptions matérialistes, ni des théories esthétiques comme celle de l’art pour l’art à l’exclusion de tout autre ; et réciproquement d’ailleurs. Je ne puis accepter cette réduction de ma liberté de pensée au sein de notre association ainsi que celle d’autres membres de la société. »
Si son œuvre est associée à l’abstraction géométrique, je garde de son témoignage personnel qu’il préférait évoquer une « abstraction précise » davantage qu’une abstraction géométrique. Il suffit d’ailleurs d’observer ses tableaux pour vérifier que les formes strictement géométriques sont peu présentes.

L’Atelier d’ art abstrait

Jean Dewasne dans son atelier parisien en 1995
Jean Dewasne dans son atelier parisien en 1995

Edgard Pillet secrétaire général de la revue Art d’aujourd’hui, et Jean Dewasne fondent en 1950 l’Atelier d’ art abstrait au 14 rue de la Grande Chaumière à Montparnasse. Au sortir de la guerre, les anciens combattants américains disposent de bourses pour venir étudier en Europe. Certains utilisent ces aides pour bénéficier de formations sur l’art. L’atelier d’art abstrait les attire et connaît un rayonnement international: conférences techniques et philosophiques auxquels les acteurs du monde de l’art participent. On organise des visites d’atelier, des discussions sur le travail des élèves. Ensemble, ils forment un grand nombre d’artistes et intellectuels venus du monde entier, principalement d’Amérique latine et des pays scandinaves.

Une traversée en  solitaire

Malgré cet engagement collectif, l’œuvre personnelle de Jean Dewasne échappe aux catégories de l’abstraction, notamment à celle de l’abstraction géométrique directement issue de « Cercle et Carré« , pour approfondir une recherche qui ne peut être assimilée à celles des autres peintres de son époque. Aurélie Nemours, Luc Peire, Gottfried Honegger notamment tendent vers une abstraction dont l’exigence peut être vue, pour Dewasne, comme une intransigeance dans laquelle il ne se reconnaît pas. D’autres, comme Agam ou Vasarely  s’orientent vers un art optique qui ne lui ressemble pas. Jean Dewasne tient à sa liberté dans cette recherche d’une abstraction certes construite mais hors de ces courants dominants. Son périple dans l’abstraction de son temps restera comme une traversée en solitaire.

Jean Dewasne dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

Photo:  La Longue marche :Musée départemental Matisse
Portrait Dewasne:   Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemrporain

« Jean Dewasne, la couleur construite« 

22 mars – 9 juin 2014
Musée départemental Matisse
Palais Fenelon
Place du Commandant Richez
59360 Le Cateau-Cambresis

Expositions

André Stempfel : « Je dérange »

Les artistes de l’art construit et de l’art concret  sont le plus souvent associés à une image austère, rigide. On ne peut nier que déjà dans les années vingt, Mondrian donnait le ton : personnage à l’allure quelque peu sévère, avec son costume strict, petite moustache, lunettes rondes, allure très soignée, l’homme présentait une silhouette à l’opposé de l’aspect convenu de « l’artiste ». De son côté, Von Doesburg, costume noir, chemise noire, cravate noire, cultivait lui aussi cette image de sévérité et de rigueur.
Pour les artistes de notre époque, je revois encore Aurélie Nemours dans son appartement parisien de Port Royal, vivant dans des conditions très spartiates, totalement  investie dans une oeuvre faite là aussi de rigueur, d’exigence.
Aussi la démarche d’André Stempel mérite un regard particulier. L’homme, en effet, peut lui aussi donner l’impression  d’une certaine réserve qui ne laisserait guère de place à la fantaisie. Pourtant son œuvre exprime le contraire.

Le charme discret de la géométrie

« Espiralé » 2012 André Stempfel

J’avais déjà évoqué dans un article précédent cette singularité du peintre (André Stempfel : le charme discret de la géométrie). L’exposition actuelle de la galerie Lahumière à Paris confirme cette situation d’un artiste de l’art construit et de l’art concret  qui ne se laisse pas enfermer dans cette image d’une rigueur froide.
Certes, comme les autres artistes de ce mouvement historique, André Stempfel rend hommage au carré, s’en tient à une économie de formes généralement utilisées en monochrome, jaune en la circonstance. Mais quelque chose se passe dans cette production rigoureuse.

« Je dérange »

La rigidité annoncée de cette abstraction géométrique se voit perturbée par une apparition déstabilisante. Le carré commence à se détériorer dans un détail qui le transforme en développement circulaire, le comble pour un carré.

« Swirl » 2008 André Stempfel

Sous le titre ambigu « Je dérange« , Stempfel dérange en effet le bel ordonnancement de la rigidité de l’oeuvre  avec ce geste iconoclaste, révélateur de l’humour discret de l’homme.
Il dérange aussi les règles si longuement débattues par les maîtres de cette abstraction géométrique. Les oppositions historiques entre Mondrian et Von Doesburg sur l’introduction ou non de l’oblique dans le tableau sont connues. Pour Aurélie Nemours, oser l’oblique aurait été une fantaisie insupportable qu’elle s’empressa de bannir de son oeuvre. Alors, André Stempfel dérange aussi les tables de la loi. Il agit presque sournoisement dans un coin du tableau, comme un potache faisant un coup en douce.
Rigueur deviendrait donc compatible avec humour pour donner une vitalité nouvelle à ce mouvement historique en ne se contentant pas de le décliner à l’infini mais plutôt en contribuant à  le déranger délicatement pour le faire vivre.

André Stempfel dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

Photos : Galerie Lahumière Paris

André Stempfel « Je dérange »

Du 17 mai au 22 juin 2013
Galerie Lahumière
17 rue du Parc Royal
75003 Paris

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Expositions

Olivier Mosset : la radicalité en peinture (1)

Au Musée Régional d’Art Contemporain Languedoc-Roussillon à Sérignan vient de s’ouvrir l’exposition consacrée exclusivement à Olivier Mosset  sur la totalité de ce lieu imposant.
Pas de demi-mesure possible avec un artiste aux positions radicales et qui attire, selon qu’il est admiré ou détesté, des attitudes tout aussi absolues.

La peinture est un concept

Les artistes du groupe BMPT, soit Buren, Mosset et Tonori, même s’ils émettent aujourd’hui des réserves sur le moment de ce qu’ils préfèrent ne pas appeler un groupe, ont cependant dès 1967 posé les bases d’un positionnement  fondamental.
Refuser que la peinture soit un jeu, qu’elle puisse consister à accorder ou désaccorder des couleur, qu’elle puisse valoriser le geste, représenter l’extérieur ou illustrer l’intériorité, refuser que  « peindre c’est peindre en fonction de l’esthétisme, des fleurs, des femmes, de l’érotisme, de l’environnement quotidien, de l’art, de dada, de la psychanalyse, de la guerre au Vietnam. » bref affirmer haut et fort « Nous ne sommes pas peintres », voilà la base de départ de ces artistes radicaux.
Et pour mieux affirmer ce refus d’être peintre, ils se sont servis …. de toiles, de pinceaux et de couleurs.
C’est donc que, pour se référer à l’incontournable coupure de Duchamp, la peinture après lui ne répondait plus à ces paramètres qui ont accompagné l’histoire de l’art.
Pour en revenir particulièrement à Olivier Mosset, la peinture apparaît comme un concept.
Ce n’est plus l’œuvre d’un artiste avec son aptitude personnelle à réaliser, ce n’est pas davantage l’expression d’un monde intérieur, sanctionné par une signature  que nous devons  prendre en compte.

Loin de l’abstraction géométrique

Pour ces raisons, mettre en relation le travail d’Olivier Mosset avec l’histoire  de l’abstraction géométrique serait,  je crois,  une erreur.  Les peintres de cette abstraction, elle aussi radicale, s’inscrivaient, me semble-t-il, dans l’histoire de la peinture avec cette volonté de la pousser dans ses retranchements, en quête d’un absolu. J’entends encore Aurélie Nemours m’évoquer sa démarche Janséniste et son évolution irrésistible d’une figuration vers son abstraction intransigeante. J’entends encore Luc Peire me décrire comment sa peinture glissait progressivement de la figuration à l’abstraction, s’imposant presque à son corps défendant pour aboutir à ce verticalisme abstrait vertigineux.
L’absolu vers lequel tendaient ces peintres n’était pas le fait d’un position radicale de principe et de départ, mais le glissement irrésistible d’une histoire de la peinture.

Le degré zéro de la peinture

C’est donc de bien autre chose qu’il s’agit lors du Salon de la Jeune peinture de 1967 au musée d’art moderne de la ville de Paris. Buren, Mosset, Parmentier et Toroni déterminent alors  le degré zéro de la peinture.  A l’instar du zéro absolu des températures, ce point est théorique et inaccessible. C’est donc bien sur des positions théoriques, conceptuelles, voire virtuelles que se situe un Olivier Mosset qui nous propose une peinture sans peintre. Il ne fallait pas moins que les 2700 mètres carrés du MRAC de Sérignan pour démontrer cette contradiction. A suivre.

Olivier Mosset dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

Voyage à l’invitation du MRAC de Sérignan

Olivier Mosset

Du 9  mars au 12 juin 2013

Musée régional d’art contemporain
146 avenue de la Plage
34410 Sérignan

Pour mémoire

Vincent Batbedat, l’âme de la structure

Dans l’itinéraire des artistes plasticiens, il peut arriver que se révèle une œuvre double. Parfois un peintre abandonne durablement  ses pinceaux pour se consacrer à la sculpture , tel Ivan Messac. Un second quitte  brutalement une abstraction lyrique et joyeuse au profit d’une figuration sombre et lourde. Ce fut le cas de Jean Rustin notamment. C’est une autre forme d’œuvre double que proposait le sculpteur Vincent Batbedat (1932-2010) : il s’agissait de sculpture et de sculpture. Mais encore ?

Les Danseurs 2004 acier inox Vincent Batbedat

Assembler l’acier

La face peut-être la plus connue de l’artiste est celle d’une oeuvre très proche d’un art construit, jouant sur des matériaux métalliques, à la section carrée, dont il déclinait l’assemblage dans l’espace. Sa rencontre avec Michel Seuphor en 1961 lui ouvre, en effet, l’univers de l’art géométrique. Seuphor lui fait rencontrer Aurélie Nemours, Luc Peire et bien d’autres artistes de l’art construit. Quand en 1969 il découvre ce tube carré et ses possibilités de pliage qui deviendra son matériau de prédilection., il participe dans le même temps au mouvement Co-Mo (Constructivisme et Mouvement).

Sculpter la pierre

Pourtant, sa formation l’engageait dans une autre voie plus classique. En 1950,  lorsqu’il quitte la Gascogne pour Paris et commence des études d’architecture à l’école nationale des Beaux-Arts , Batbedat  découvre l’atelier de sculpture Del Debbio où il apprend à tailler la pierre, atelier qui se situe impasse Ronsin parmi ceux de Brancusi, Max Ernst, Tinguely, Istrati, Dumitresco, Lacasse et Lalanne.

Composition des vides 1994 Grès rose Vincent Batbedat

Cette sculpture de la pierre, où il retrouve les gestes de la confrontation au matériau, dans la poussière et le bruit, Vincent Batbedat ne pouvait pas l’abandonner.
Entre la froideur métallique des premières et la sensualité tactile des secondes, on pourrait croire qu’il s’agit de deux créations faites par deux sculpteursdifférents.  C’est pourtant bien ce même homme au caractère généreux, à l’énergie débordante qui s’exprimait. Vincent Batbedat m’expliquait combien cette approche présentait d’avantages. Après avoir travaillé des mois sur la conception d’œuvres métalliques, rigoureuses, géométriques, le passage à la taille de la pierre arrivait comme une récréation,  et donc comme une re-création. Si l’homme était volontiers bavard, il se méfiait cependant des mots pour décrire son travail :
« L’objet de la Sculpture est l’indicible elle ne suggère pas ni ne prétend à définir elle concrétise lorsque les mots deviennent impuissants (et c’est très vite) là, elle commence à rayonner. »
C’est le mot de structure qu’il faut cependant mettre en avant pour relier dans une même approche ces deux faces de l’oeuvre du sculpteur. Reprenant l’enseignement de Michel Seuphor, Vincent Batbedat affirmait :
« La Structure, c’est le principe du monde. La Sculpture, c’est la structure à notre portée humaine. »
Et dans les années récentes, assemblages métalliques et sculpture de la pierre se rejoignaient davantage encore dans cette révélation de la structure. L’homme excessif, généreux, bouillonnant  laisse une oeuvre Janus dont les deux faces révèlent cette âme de la structure du monde.

Photos:A.O.V.B – Association des amis de l’œuvre de Vincent Batbedat

Vincent Batbedat dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

« Hommage à Vincent Batbedat »
avec les oeuvres de
Jean Anguera, Gérard Lardeur, Thomas Lardeur
Francesco Marino Di Teana, Dietrich Mohr, Luis Thomas D’Hoste

14 Novembre 2012 au 12 Janvier 2013
Galerie Michèle Broutta
31 rue des Bergers
75015 Paris