Expositions

Robert Ryman : le blanc est une couleur ?

« Robert Ryman. Le regard en acte »

Au musée de l’Orangerie à Paris, l’exposition « Robert Ryman. Le regard en acte » consacrée au peintre américain propose, avec sa démarche essentielle, un questionnement radical sur la couleur en consacrant son parcours au blanc. Le blanc est-il une couleur ?
La réponse des scientifiques passe par la longue histoire de tous ceux qui n’ont eu de cesse d’analyser et reproduire les couleurs. En 1666 le physicien Newton fait passer de la lumière solaire blanche à travers un prisme de façon à la décomposer en rayons lumineux de différentes couleurs. Newton est le premier à révéler que la lumière blanche est constituée d’un mélange de rayons de lumière de couleurs différentes. En utilisant des toupies colorées le physicien Maxwell montre que la lumière blanche résulte d’un mélange de lumières rouge, verte et bleue. Son article Experiments on Colour, qui pose les principes des combinaisons de couleurs, est lu à la Royal Society d’Édimbourg en mars 1855. Dans le diagramme de Maxwell les trois couleurs primaires (rouge, vert et bleu) sont situées dans les angles du triangle équilatéral ; leur mélange en quantités égales donne au centre une lumière blanche. Les scientifiques diront aujourd’hui que le blanc représente la somme de toutes les longueurs d’onde de la lumière.

« Annoncez la couleur ! »

Pour avoir pendant plusieurs années présenté l’exposition « Annoncez la couleur ! » consacrée au peintre Gérard Fromanger, je peux témoigner que son œuvre, reposant sur la trichromie, devenue quadrichromie avec le noir de l’imprimeur, a interrogé cette question de la couleur avec une difficulté supplémentaire. La trichromie du peintre n’est pas celle du physicien. Au rouge, vert, bleu du physicien, le peintre substitue le rouge, le jaune et le bleu. Des longueurs d’onde de la lumière pour le physicien aux pigments colorés du peintre, le terme de trichromie n’en finit pas d’entretenir la confusion. Robert Ryman se trouve ainsi à la croisée des chemins entre la perception visuelle du blanc par l’œil et la pratique matérielle de ce monochrome par la peinture.
L’exposition de l’Orangerie met l’accent sur le fait que Ryman a été « Trop souvent assimilée au courant minimaliste américain ». Donald Judd, sculpteur et peintre américain, même s’il n’aimait pas l’expression Minimalisme pour définir son art, a néanmoins été un contributeur de ce mouvement artistique avec son déploiement de dessins simplistes et de formes géométriques. Donald Judd voulait supprimer toute trace d’artistes dans son travail, tentant ainsi de supprimer l’émotion. Pour y parvenir, il s’est appuyé sur des matériaux fabriqués à la machine qui remettaient en question la nature de l’art. Ellwortyh Kelly, avant d’accepter le minimalisme comme son expression artistique, a peint des plantes avec des lignes géométriques simples. Plus tard, il utilise des formes géométriques et des répétitions de lignes de la même manière que l’artiste minimaliste.
A l’évidence, Robert Ryman a gardé ses distances avec ces artistes minimalistes en s’attachant à la matérialité de la peinture.

« ll concentre ses recherches, de façon presque obsessionnelle, sur les spécificités propres à son medium, interrogeant les notions de surface, de limite de l’oeuvre, d’espace dans lequel elle s’intègre, de lumière avec laquelle elle joue, et de durée dans laquelle elle se déploie. »
Si bien que pour répondre à la question que nous pose l’oeuvre de Ryman, nous devrons accepter que si le blanc est une « nuance » en peinture, composée par les primaires du peintre, ce blanc est bien pour notre œil, « la somme de toutes les couleurs » décrite par les physiciens.

Robert Ryman. Le regard en acte

Du 06 mars au 01 juillet 2024
Musée de l’Orangerie Paris

Expositions

Barbara Navi : « Sous tant de paupières »

Revivre, 2023, huile sur toile, 150 x 150 cm

Écrire que Barbara Navi nous a habitués, depuis ses années de peinture, à nous perdre dans sa narration ne serait pas exact. Sa démarche est le contraire d’une habitude, à l’opposé d’une méthode appliquée. Nous égarer dans sa peinture apparaît alors comme la seule attitude possible pour tenter d’appréhender ce qui fait la nature même de son œuvre.
Dans l’exposition « Sous tant de paupières » à la galerie Valérie Delaunay à Paris, cette approche se vérifie une fois encore. Nous savions déjà que la lecture d’une toile de Barbara Navi ne peut faire l’économie d’une analyse s’étendant à un ensemble de tableaux, un examen qui tente de révéler ces liens souterrains dessinant la trajectoire mentale d’une œuvre en mouvement.
La liberté que nous accorde la peintre en laissant ouvertes les fenêtres de ses tableaux sur un monde quelque peu énigmatique, chacun en disposera comme il l’entend pour entreprendre ce voyage, non seulement dans la peinture, mais aussi dans une relation au monde peut-être différente d’un individu à l’autre.
Pour avoir suivi Barbara Navi dans ces cheminements passés, ces rapports à la figuration, au réel, au mouvement, au temps m’apparaissent comme autant de questionnements sur la vision, terme ô combien double puisqu’il désigne à la fois une capacité physiologique et une aptitude conceptuelle. « Sous tant de paupières », formule empruntée à Rainer Maria Rilke, met en jeu, me semble-t-il, ce moment fragile entre vue et pensée, entre rêve et réalité. Réflexion et reflection se présentent comme les deux faces d’un sens à double sens : la vue et la conscience. Que se passe-t-il sous tant de paupières ? À nouveau Barbara Navi nous entraîne dans cette pérégrination qui vient de loin, qui se nourrit de tout ce qu’elle a vécu, lu, entendu, éprouvé. Au-delà de cette perception du monde, l’artiste se livre dans le même temps à une captation personnelle qui passe par les choix auxquels elle procède dans la quête des documents, des textes, des images, des musiques, des histoires, de tout ce qui cultive sa démarche.

Les témoins, 2024, huile sur toile, 146 x 114 cm

Au fil des toiles, l’errance dans laquelle elle nous engage ne peut être ressentie comme un égarement. Au contraire, au-delà d’un réel immédiat trop flagrant, l’artiste nous dévoile un univers où sa peinture fait voler en éclats une figuration dans laquelle elle refuse de se laisser enfermer par un réalisme illusoire. D’une toile achevée à une toile en cours de travail, cette même interrogation subsiste. Quel est donc ce moment où la vision mentale donne naissance à une image ? Comment ne pas rappeler une fois encore cette lumineuse analyse de Michel Foucault sur les peintres de la figuration narrative ?
« Une image saisie dans la trajectoire qui la mène de la photographie au tableau».

Pour l’artiste, cette image devient le lieu de passage vers un autre espace physique et mental. C’est dans cette trajectoire, décrite par Foucault, que se joue ce que le terme réducteur d’ « inspiration » clôturerait un peu trop vite. Pour la peinture, comme peut-être pour la philosophie, la question apparaît plus importante que la réponse. C’est ainsi que Barbara Navi nous invite à accepter ce voyage dans l’inconnu.
Et quand les paupières s’ouvrent sur ce réel revisité par la peinture, l’horizon est sans limite le champ de la vision et le champ de réflexion se confondent dans cette déambulation à perte de vue.

SOUS TANT DE PAUPIERES
Barbara Navi
Exposition du  14 mars au 20 avril 2024
Vernissage le jeudi 14 mars 2024
20 rue chapon, 75003 PARIS
Galerie Valerie Delaunay


Expositions

Photographie : le corps du sujet

« Corps à corps »

« Le corps est, pour le meilleur et pour le pire, l’image du monde ».

Annette Messager « Mes voeux » 1989 (Détail)

Cette citation, dont l’auteur est l’écrivain et photographe Nicolas Bouvier, si elle s’applique à l’art en général, pourrait signer l’exposition « Corps à corps » du Centre Pompidou à Paris. Avec l’objectif de sortir des schémas classiques ( le portrait, l’autoportrait, le nu ou encore la photographie dite « humaniste »), le parcours de l’exposition propose au visiteur d’autres critères pour interroger la photographie contemporaine. Cette approche repose sur deux fonds majeurs : celui du Musée national d’art moderne du Centre Pompidou, et celui, privée, du collectionneur et homme de cinéma Marin Karmitz. On sait comment ce dernier a accompagné Jean-Luc Godard dès les années soixante. Cette connivence a apporté au collectionneur une vision nouvelle sur le cinéma mais également sur la photographie : « Ma rencontre avec Godard a transformé ma vision du cinéma. Après l’IDHEC, à vingt et un ans, en 1962, j’ai été un de ses assistants. Avec lui, j’ai désappris tout ce que j’avais pu apprendre à l’école, il a tout déconstruit. Il ne connaissait rien à la technique. »
Désapprendre pourrait bien être le mot clef à prendre en compte dans ce « Corps à corps » entre la photographie et le spectateur.
Boltanski, Brassaï, Dorothea Lange, Annette Messager, SMITH, Paul Strand, Zanele Muholi sont autant de noms connus qui nous entraînent dans ce voyage dédié à une sélection qui échappe aux catégories classiques évoquées plus haut. Dans le même temps la relation à la photographie de ces noms célèbres s’avère fort différente selon les artistes.
Brassaï veut étonner avec les choses devenues banales et que l’on ne voit plus. Ainsi les chaises du Luxembourg sous la neige ou encore les sacs de sable à la Concorde deviennent des objets de poésie. « J’étais à la recherche de la poésie du brouillard qui transforme les choses, de la poésie de la nuit qui transforme la ville, de la poésie du temps qui transforme les êtres… ». Un autre photographe hongrois, absent de l’exposition, André Kertesz, aurait légitimement pu figurer avec ses oeuvres qui interrogent la photographie dans sa nature, dans sa capacité à sortir du sujet. La ville lui offrait de nouveaux points de vue quand il photographiait les ombres des passants depuis sa fenêtre. De même, son regard personnel sur les célèbres chaises du jardin des Tuileries, révélait les corps par leur absence.

               Chris Marker Série « Passengers » 2008-2010

Un autre cinéaste est sollicité pour ce questionnement sur l’image fixe : Chris Marker. Et c’est avec le cinéma que ce réalisateur, écrivain donne à la photo un statut particulier. Chris Marker reprend le principe de succession de photographies en séquences narratives pour l’adapter au cinéma, une voix off et la composition sur papier par un montage qui utilise les techniques cinématographiques classiques, comme le champ-contrechamp, les plans larges alternant avec les plans serrés, la transition fondue.
Les artistes plasticiens, tels Christian Boltanski et Annette Messager, ont fait de la photographie un matériau déterminant dans leur parcours. Constitué de dizaines d’images de parties du corps, « Mes voeux » d’Annette Messager présente une identité fragmentée qui se compose et se recompose à la manière d’un kaléidoscope. L’accumulation de photographies suspendues à des cordes longues et visibles, sorte d’ex voto contemporain, témoigne de ce corps à corps disséqué.
Existe-t-il une photographie au masculin et une autre au féminin ? Bien qu’absente de cette exposition, mes pensées vont à l’exceptionnelle Sabine Weiss pour son parcours dans la photographie. Son travail n’était pas conçu comme une photographie coup de poing mais avec le souci d’une approche bienveillante. Elle ne se livrait pas à une gesticulation voyante, armée d’une batterie d’appareils encombrants. Comme sa photographie, son geste restait discret, léger, respectueux de la scène observée. Sabine Weiss nous donnait le sentiment de réaliser son œuvre sur la pointe des pieds. Loin d’un corps à corps avec la photographie , Sabine Weiss proposait cette relation prévenante avec le corps des autres.

Corps à corps
6 sept. 2023 – 25 mars 2024
Centre Pompidou Paris

Expositions

Les petits riens de Jean-Michel Alberola

C’est peu de dire que Jean-Michel Alberola est un artiste déroutant, intriguant, j’allais écrire épuisant. Et si ce sont bien des tableaux qui sont accrochées aux murs de la galerie Daniel Templon à Paris, l’artiste ne peut pas être réduit au statut de peintre.

« Le peintre des «surfaces »

« Quand j’étais adolescent je ne voulais pas faire de peinture, je n’ai jamais pensé faire de peinture, je voulais faire du cinéma. » confesse Alberola qui se livre depuis des années à un parcours complexe entre littérature, philosophie, peinture et finalement tous ces petits « riens » présentés dans l’exposition « Les Rois de rien et les années 1965-1966-1967 ». On ne peut ignorer que dans ces années soixante, le contexte en France est celui de Supports/surfaces, de BMPT et que Jean-Michel Alberola, « Le peintre des «surfaces », occupe une place singulière dans cette époque où règnent les groupes d’artistes.
L’accrochage des tableaux nous place très vite devant cette évidence : chaque toile n’est qu’un moment dans un ensemble en mouvement permanent. Le tableau est l’écran sur lequel se projette une réflexion en continu, élément ponctuel d’un puzzle que nous sommes invités à reconstituer. Si bien que ces « Riens » ne sont pas le néant et ne sont pas moins que rien. Il nous sera donc difficile de verbaliser ce qu’ Alberola tente de nous donner à voir, à penser. En outre l’artiste a toujours pris, je crois, un malin plaisir à refuser la plupart du temps, les interviews, refusant peut-être que la communication vienne galvauder la pensée, déprécier la tentative artistique.

L’artiste semble nous dire « Débrouillez vous ! ».
A nous donc de discerner dans ce rien cette relation au monde, de suivre autant que possible ce fil  d’Ariane. Et si les tableaux de l’exposition se fédèrent dans un tout, ce sont quarante années de cheminement artistique qu’il faudrait prendre en compte pour appréhender la stratégie de l’artiste. Davantage encore qu’un fil d’Ariane, c’est vraisemblablement une démarche arachnéenne qui rapproche les toiles du peintre de celles de l’araignée.

1965-1966-1967 
L’accent mis sur ces trois années 1965-1966-1967  mérite une attention particulière :
« Une époque charnière qui annonce l’explosion politique des années 1970 , ces trois années sont encore libres, alors que dans la fin des années 60 l’argent infiltre les domaines culturels de l’industrie musicale et cinématographie. »
C’est aussi l’occasion de rappeler que 1965-1966-1967  précèdent 1968, comme si les travaux des artistes en général, et celui de Jean-Michel Alberola en particulier, étaient les signes avant-coureurs d’un séisme culturel. Ce symptôme artistique mériterait peut-être une étude approfondie. La Roue de bicyclette de Marcel Duchamp en 1913 précède 1914.

Jean-Michel Alberola
Les Rois de Rien et les années 1965-1966-1967
6 janvier – 24 février 2024
Paris – Grenier Saint Lazare

Expositions

Au Mémorial de Caen : la Figuration narrative face au monde

Après les périodes de notoriété les artistes de la Figuration Narrative semblaient souffrir des avancées de l’art contemporain qui reléguaient quelque peu au second plan les tenants d’une peinture considérée comme datée, voire dépassée.
Depuis quelques années, sans que l’on puisse situer exactement l’origine de ce déclenchement il faut se rendre à l’évidence : la Figuration narrative connaît un retour en grâce indéniable.

« Mythologies quotidiennes » et les autres

« Que d’abstrait ! que d’abstrait ! » clamait le jeune instituteur Bernard Rancillac qui voulait devenir peintre dans les années 50. En juillet 1964 au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, l’exposition « Mythologies quotidiennes » est organisée par le critique d’art Gérald Gassiot-Talabot et les peintres Bernard Rancillac et Hervé Télémaque. Certes la tentative de définition de Gassiot-Talabot “ Est narrative toute œuvre plastique qui se réfère à une représentation figurée dans la durée, par son écriture et sa composition, sans qu’il y ait toujours à proprement parler de ‘‘récit » ” présentait le mérite de cadrer large quand bien même certains ont voulu restreinte plus tard à une illusoire rigueur historique le mouvement aux participants de cette exposition dans laquelle prenaient place de nombreux artistes qui se sont révélés tellement éloignés de la Figuration Narrative.

« « Années pop, années choc 1960-1975 »

Un des mérites de l’exposition « « Années pop, années choc 1960-1975 » au Mémorial de Caen, qui évite dans son titre d’employer la formule Figuration narrative, est justement d’associer au mouvement générique, pour lequel les conflits de paternité peuvent paraître désormais assez dérisoires, des artistes qui n’étaient pas reconnus dans ces critères historiques discutables. Pendant combien d’années le silence a recouvert le travail de la coopérative des Malassis avant que l’on redécouvre sa spécificité?

Dans l’impressionnante collection des 350 œuvres de la collection privée de Jean-Claude Gandur soixante-neuf pièces de vingt-six artistes sont présentées sur les deux niveaux de l’exposition temporaire actuellement visible au Mémorial de Caen.
Un autre mérite de cette exposition est de nous présenter des toiles mal connues que l’on aborde avec intérêt. Arroyo, Erró, Fromanger, Klasen, Messac, Rancillac, Schlosser, Télémaque sont des noms familiers  de ce mouvement mais certaines œuvres apparaissent ici comme des découvertes.

A l’image de Gérard Fromanger clamant «  Le monde n’est pas un spectacle ni une représentation. Je suis dans le monde, pas devant le monde« , bon nombre de ces peintres ont fait de leur figuration non seulement un réponse à cette « Dictature de l’abstrait » que dénonçait Rancillac au Salon de Mai de 1957, mais également un outil de contestation pour lequel certains ont manifesté leur aptitude au sein de l’Atelier Populaire de 1968 à la Sorbonne.
Le 8 mai 1968 un comité de grève se constitue à l’École des beaux-arts de Paris. Des artistes du Salon de la Jeune Peinture, comme Gilles Aillaud, Eduardo Arroyo, Francis Biras, Pierre Buraglio, Gérard Fromanger, Bernard Rancillac ou Gérard Tisserand organisent le mouvement : assemblée générale journalière, discussions, décisions collégiales … Le 14 mai, étudiants et artistes impriment une première affiche en lithographie à trente exemplaires “Usines, Universités, Union”. Le même jour, le peintre Guy de Rougemont et le sérigraphe Éric Seydoux, qui maîtrisent cette technique de la sérigraphie, sont chargés de mettre en place un atelier et initient étudiants et artistes à cette technique nouvelle qui permet d’imprimer plus rapidement que la lithographie. La totalité des affiches imprimées atteindra le million.

Erró

Le mouvement de cette peintres est donc directement confronté à la société de son temps, par l’engagement personnel de certains d’entre eux dans l’action militante et plus généralement par cette nouvelle peinture se servant notamment de l’outil photographique comme une « objectivation » post-Duchamp de cette figuration.
Élargie à des noms moins connus de cette tendance, l’exposition prend sa place dans l’histoire de l’art et dans l’Histoire du monde dont le mémorial de Caen est partie prenante.

« Années pop, années choc, 1960-1975 »

Du 22 juin au 31 décembre 2023

Mémorial de Caen
En partenariat avec la Fondation Gandur pour l’Art.

Expositions

Guacolda : sous l’odyssée, la trame

Aborder l’œuvre de Guacolda c’est accepter de suivre à la trace les indices qui parcourent son œuvre: écriture, dessin, fil, canevas, trame. Ces indices construisent, d’une œuvre à l’autre, ce cheminement reliant entre les mots, entre les lignes, entre les fils, ce qui fonde sa création.

De l’écriture au trait

L’écriture, en premier lieu, établit ce lien entre le trait, le sens, le fil conducteur d’une œuvre plastique sous-jacente. Déjà cette écriture, supportée par une photographie, par un dessin, acquiert un statut nouveau. Si, en orfèvrerie, le filigrane est un ouvrage fait de fils de métal précieux ou de verre, entrelacés et soudés, dans l’industrie papetière, ce filigrane désigne un dessin apparaissant sur certains papiers observés par transparence. Chez Guacolda ce fil de l’écriture exprime cette intention affirmée d’entrelacer forme et écriture pour lui attribuer une identité spécifique.

Du trait au fil

Avec notamment la gravure, le trait se fait dessin et manifeste sa tendance à revendiquer sa propre liberté. La Joconde le sait bien pour avoir été soumise à tous les entrelacs. Le trait de ce dessin se trouve parfois confronté à lui même dans une superposition génératrice d’une rémanence comme dans « Alice web négatif » ou accolée à une peinture.

Face à cette concurrence d’un arrière plan, le trait du dessin ne demandait qu’à s’échapper du plan du papier pour acquérir son indépendance et créer son itinéraire propre. Un fil rouge poursuivra l’artiste au-delà de l’écriture et du dessin vers d’autres rives. Car le trait du dessin, comme celui de l’écriture, se matérialise désormais en fil que Guacolda va dédier à sa recherche plastique. L’artiste joue avec la souplesse du matériau pour donne à ce trait matérialisé par le fil une liberté nouvelle, le laissant vivre à la surface de la toile pour faire naître sous nos yeux une figure. La somptueuse « Jeune fille à la perle » donne à ce fil rouge une vie contemporaine qui tend la main à l’histoire de l’art.

Entre-deux

Et si la figuration n’était qu’une abstraction comme les autres ? A l’évidence Guacolda se plaît à situer sa représentation entre deux réalités : de la photographie au tissage, du dessin au tressage, tous les procédés juxtaposés s’emploient à entremêler les trames physiques avec les trames mentales et culturelles. Dans certaines œuvres nous ne sommes pas si éloignés de la trame de la photographie ou de celle de l’imprimeur. Ce sont bien les points abstraits de la photographie ou de l’imprimerie qui composent la figure. Reprenant à son compte les recherches des Pointillistes usant de la fragmentation de la touche afin de faire transparaître les différents jeux de lumière sur les motifs, l’artiste se joue de cette aptitude du point à révéler une figure.

Le terme de canevas pourrait convenir avec toutes ses acceptions pour décrire le travail de Guacolda : toile à trame lâche, dessinée et servant de support à un ouvrage de broderie, synopsis au théâtre mais aussi ensemble des points relevés sur le terrain qui permettent de reconstituer la toile d’un relief par cartographie. De plus la matrice de ce canevas fait appel aux références de l’histoire de l’art constituant autant de trames culturelles :Saint-Sébastien, Menine, Odalisque, Joconde, Jeune fille à la perle, Gabrielle d’Estrée… Ce jeu de va et vient s’exerce dans toutes les directions : broderie sur papier japonais, broderie sur papier bulle, tressage toile de Jouy et peinture, broderie sur toile, broderie sur photographie. Cet entre-deux se joue également avec la connivence du support mis à contribution pour rendre plus complexe encore cette incertitude.

La stratégie développée par Guacolda mobilise ainsi tous les procédés qui relient physiquement et culturellement à travers son odyssée, ses racines personnelles : trame de l’écriture sur le plan du tableau, trame peinte sur la toile, trame issue de ces entrelacs minutieux entre l’histoire de l’art et la création originale, trame enfin avec le jaillissement de cette fibre libérée de la broderie.

Guacolade « Je,jeu »
28 septembre- 20 octobre 2023

Galerie de la Maison des arts plastiques
57 rue de Verdun
94500 Champigny-sur-Marne.

Expositions

Chiharu SHIOTA : perdre le fil

« Memory under the skin »

Chez Daniel Templon à Paris, l’artiste Japonaise Chiharu Shiota dispose actuellement de l’espace le plus ample, la galerie du Grenier Saint Lazare, pour déployer son œuvre arachnéenne. En 2015 à la galerie Templon de la rue Beaubourg, alors qu’elle venait d’être choisie pour représenter le Japon à la 56 ème biennale de Venise, Chiharu Shiota développait sa stratégie de l’araignée en expliquant : « La création de fils est le reflet de mes propres sentiments. Un fil peut être remplacé par le sentiment. Si je tisse quelque chose et qu’il se révèle être laid, tordu ou noué, tels doivent avoir été mes sentiments lorsque je travaillais. ».


On se souvient de l’envahissement auquel l’artiste s’était livrée au Bon Marché  en 2017. Cette histoire, cousue de fil blanc, offrait la vue d’un espace pénétrable qui rappelait étrangement la fausse teigne. Qu’est-ce donc ? Tous les apiculteurs amateurs ou professionnels connaissent bien cet ennemi redoutable qui envahit parfois les ruches, atteint l’intégrité des abeilles et finalement pourrit la vie des insectes. Cette fausse teigne n’est pas une araignée mais un papillon envahisseur dont les cocons d’un blanc éclatant rappellent étrangement les créations de l’artiste japonaise. Il s’agissait donc de dépasser le seul rapport à l’espace du pénétrable pour déboucher sur une nouvelle dimension. L’installation nous racontait une histoire.

« Comme seconde peau »

« Memory under the skin » chez Templon actuellement évoque un des thèmes familiers de l’artiste : le vêtement « comme seconde peau ». « Ce vêtement peut même être plus important qu’une peau puisqu’il offre la possibilité d’exprimer tellement sur chacun d’entre nous.Il en dit plus que la couleur de peau, l’âge ou la nationalité d’une personne « .
A la galerie du Grenier Saint Lazare aujourd’hui, le fil blanc a cédé la place au fil rouge pour un pénétrable qui, tout en rappelant ceux de Jésus Raphael Soto, ne se limite pas, une fois encore, à ce jeu dans l’espace.

Le noir également fait partie de sa palette. Le rapport à la mémoire constitue ainsi un fil conducteur dans cette œuvre qui force le regard et l’oblige à abandonner le discernement du fil pour accéder à un plan supérieur « Et soudain, on n’arrive plus à tracer les lignes des yeux. Lorsque chaque fil n’est plus visible, il semble que la vérité qui s’y trouve devient enfin visible.
Le pénétrable dépasse alors le rapport à l’espace induit par les œuvres de Soto pour nous entraîner dans ce passage de l’espace au temps. La forme humaine, absente de l’œuvre de Shiota, fait son apparition désormais, comme submergée voire écrasée par cet envahissement du fil noir. L’artiste, en nous faisant perdre le fil de cette installation fragile, délicate et complexe, nous oblige à la suivre dans cette histoire sous-jacente développée au fil du temps.

Chiharu Shiota
Memory Under the Skin
24 mai – 22 juillet 2023
Galerie Daniel Templon
28 Rue du Grenier-Saint-Lazare, 75003, Paris.

Expositions

Alfred Courmes, les dérives de la figuration

Il ne fait pas bon être un artiste inclassable. Alfred Courmes l’a vérifié tout au long de son itinéraire de peintre. Et c’est dans un circuit parallèle que sa rétrospective est présentée actuellement à l’Espace Niemeyer à Paris.
Désigné comme « peintre d’exception(S) » Courmes semble avoir déjoué toutes les tentatives d’association à des mouvements identifiés de l’art du vingtième siècle.

« 45% de B.A » 1961

« Panique »

Avec sa figuration d’un réalisme irréaliste, son classicisme déjoué par le surréalisme, on voit bien que les « ismes » échouent les uns après les autres sur la grève de sa peinture. Courmes est reconnu comme précurseur d’une génération de jeunes peintres qui exposent avec lui à la Galerie Nationale du Grand Palais en 1972, dans l’exposition « 12 ans d’art contemporain » où il reçoit le prix « Panique » dans cette manifestation controversée par nombre d’artistes.
Une tentative de plus reste en mémoire, celle des « Mythologies quotidiennes » au musée d’art moderne de la ville de Paris en 1976 semble le rapprocher d’un mouvement qui se reconnaîtra dans cette exposition collective : la Figuration narrative. Peine perdue ! Courmes ne s’embarqua pas sur ce navire. Il faut donc rendre les armes et accepter l’idée de cette exception rebelle aux classifications.

« L’Ange du mauvais goût »

C’est pourtant à une étrange narration que se livrait le peintre d’un tableau à l’autre. Les titres déjà nous donnent une indication sur ses sources d’inspiration : « Saint-Sébastien à l’écluse Saint-Martin «, « Persée lui joue un air de flûte avant de la délivrer, Andromède « , « Le Cyclope n’avait qu’un œil mais c’était le bon ». Ce détournement des thèmes mythologiques lui valut parfois une volée de bois vert de la part de ceux qui le taxèrent de « L’Ange du mauvais goût ».

C’est à l’étranger, quand bien même il s’agit d’une commande l’état Français, que lui est offerte l’occasion de développer à grande échelle une œuvre majeure : la décoration murale de la salle à manger de l’ambassade de France à Ottawa au Canada en compagnie d’autres artistes : cent vingt mètres carrés peints à la cire dont le thème sera la France heureuse qui lui demandera deux ans de travail et se terminera la veille de la Seconde Guerre mondiale.

Reproduction de la décoration murale de la salle à manger de l’ambassade de France à Ottawa au Canada (Espace Niemeyer Paris 2023)

« Non, non Persée ne délivrera pas Andromède » 1965

Après cette œuvre spectaculaire, le peintre retrouve à l’atelier le chemin de cette figuration en solitaire, à l’image de cet esquif traversant l’océan :  «Le radeau de la Méduse», 1963 , thème repris plus tard avec «Le radeau de la petite Méduse aztèque», 1963/1987 . Une fois encore le peintre s’en prend aux classiques avec ce détournement du tableau de Théodore Géricault .
Ce radeau en perdition serait-elle la métaphore de cette figuration à la dérive qui caractérise l’œuvre du peintre ?

Décalé, insoumis, Alfred Courmes n’eut vraisemblablement cure de ses détracteurs et poursuivit son chemin sans se soucier des chiens qui aboient sur le bord de la route.
Les balles continueront à siffler à ses oreilles : «excentrique, bizarre, grinçant»…
Cette figure provocatrice n’était peut-être pas pour lui déplaire.

Alfred Courmes
La rétrospective

29 mars – 4 juin 2023
Espace Niemeyer
2 place du Colonel Fabien
75019 Paris

Expositions

François Rouan : qu’est-ce qu’il se trame ?

« Odalisques et Pavanes »

Rare, discret, voire silencieux, François Rouan réapparaît brillamment à la galerie Daniel Templon à Paris actuellement près de deux décennies après sa dernière exposition, avec un ensemble inédit d’œuvres récentes « Odalisques et Pavanes ». On sait que l’artiste, s’il a emprunté une voie personnelle solitaire, a cependant été rapproché du groupe Supports/surfaces dans les années soixante avec les tressages qui interrogeaient la peinture sur sa matérialité.

A l’époque de Supports-Surfaces, un groupe voisin, « Textruction » créé en 1971 avec Jean Mazeaufroid, Badin, Duchène, Jassaud et Vachey, développait une recherche qui n’est pas sans rappeler celle de François Rouan.
Dans Textruction, il y a « Texte » et « Destruction ». Avec cette déconstruction du tableau, le groupe créait un nouveau langage où les mots et les signes donnaient vie à de nouvelles propositions visuelles. Établir des rapports entre sens et support n’est pas une démarche étrangère à celle de François Rouan. Si bien que la notion de trame, au-delà de sa réalité physique, renvoie à une méthode intellectuelle, identifiable également dans les travaux récents de l’artiste. « Entre jouissance de la forme et de la couleur et questionnements métaphysiques, son œuvre résonne avec une acuité particulière avec les préoccupations actuelles – le rapport à l’image, l’envers de la surface, la capacité de la peinture à recomposer un monde réel et mental fragmenté ».

Ce qui se trame dans ces œuvres, c’est, me semble-t-il, la stratégie d’un artiste qui ne s’en tient pas à la seule peinture.
Déjà à partir de 1980 il élargissait sa pratique à d’autres médiums, photographiques et filmiques. Entre peinture et philosophie, entre littérature et cinéma, entre histoire de l’art, danse ou musique, François Rouan entremêle les formes, les idées, les couleurs, les signes pour aboutir sur le plan du tableau à cette sorte de révélation : pensée et peinture ne font qu’un.

Cette œuvre aussi exigeante que secrète, connaîtra l’an prochain une mise en lumière majeure au musée des Beaux-arts de Lyon.

François Rouan

« Odalisques et Pavanes »

23 mars 13 mai 2023

Galerie Daniel Templon
8 rue du Grenier Saint-Lazare
75003 Paris

Expositions

Sur les murs j’écris ton nom : street art

« Capitales 60 ans d’art urbain »

Depuis son ouverture, l’exposition « Capitales 60 ans d’art urbain » à l’Hôtel de ville de Paris rencontre un succès considérable avec plus de 150.000 visiteurs au point que la manifestation bénéficie d’une prolongation jusqu’en juin prochain. Si le sujet de « Capitales » est bien le street art, il évite cependant l’écueil d’un reproche : celui de nommer street art ce qui est exposé entre quatre murs. Car présenter cette expression marginale au sein d’un musée ou d’un centre d’art est antinomique. L’équipe des commissaires d’exposition échappe donc à cette critique et offre un parcours qui, partant des précurseurs de l’art urbain dans Paris, nous conduit jusqu’aux confins de la réalité augmentée.

Une salle de « Capitales 60 ans d’art urbain » Hôtel de ville de Paris

Les artistes des années 60 et 70, dont le profil n’est pas celui des fantassins du street art, appartiennent à des courants de l’art contemporain : Jacques Villeglé, membre des Nouveaux Réalistes, Ernest-Pignon-Ernest légitimement reconnu par les institutions, ont pris possession de la rue chacun à sa manière. Pour Jacques Villeglé, les affiches de la rue ont fourni son matériau de départ pour introduire ce réalisme brut sur les murs des musées. Ernest-Pignon-Ernest a investi les rues avec ses sérigraphies qui l’ont fait reconnaître comme un des précurseurs de l’art urbain.
En France ce n’est qu’au début des années 80 qu’une nouvelle génération s’approprie les murs de la capitale. Jérôme Mesnager, plus jeune que les précurseurs Jacques Villeglé et Ernest-Pignon-Ernest, a établi des passerelles entre l’univers de l’art de son temps et la mouvance de l’art urbain. Créateur de l’« Homme en blanc », il est l’un des premiers peintres de rue parisiens tout en reprenant les codes de l’art contemporain.
Avec le graffiti s’affirme une expression rebelle, non autorisée, voire clandestine. De New York à Paris de Los Angeles à Londres, c’est une contre-culture qui s’approprie les murs de façon sauvage. Et c’est toute la difficulté d’inscrire dans une histoire de l’art consacrée par les institutions un phénomène social et culturel dont la nature même relève de la contestation, de la désobéissance, de la résistance à la culture dominante.
L’exposition de l’hôtel de ville de Paris présente le mérite de documenter ce mouvement urbain : outils des graffeurs, bombes à peinture etc.. ainsi que plusieurs programmes vidéo sur les témoignages de ces artistes de la rue.

RERO « The way out is in… »

Si ce phénomène urbain présentait, à son origine, une forme d’anonymat, des noms sont apparus, ont acquis une notoriété et se retrouvent légitimés par les institutions, Bansky, Keith Haring, Shepard Fairey notamment. A Paris RERO, à la frontière de l’art urbain et du conceptuel bénéficie, lui aussi, d’une visibilité renforcée par son accueil dans les centres d’art.
Pour autant la réalité sauvage du street art se réveille parfois. La disparition tragique il y a moins d’un an de deux artistes français à New York rappelle douloureusement combien le street art est identifié à une pratique hors des institutions, illégale parfois, underground souvent, risquée. Pierre Audebert et Julien Blanc, alias « Full 1 » et « Jibeone », sont morts le 20 avril 2022 à New York, happés par une rame de métro alors qu’ils s’apprêtaient à réaliser l’un de leurs rêves : graffer l’intérieur d’un des iconiques métros de la ville de New York, érigés au rang de symbole dans le monde du graffiti. Les corps ont été retrouvés près de la station Sutter Ave-Rutland Road un endroit connu pour être un haut lieu du graffiti new-yorkais. Les deux artistes Toulousains avaient 28 et 34 ans. C’est dire si ce « J’écris ton nom liberté » peut se payer au prix fort, celui de la vie.
Le street art , dans sa vocation originelle, n’est pas un long fleuve tranquille.


 Capitales 60 ans d’art urbain
Du samedi 15 octobre 2022 au samedi 3 juin 2023
Salle Saint-Jean de l’Hôtel de Ville de Paris
5 rue de Lobau, Paris 4e
Artistes présents dans l’exposition

Villeglé, Zlotykamien, Ernest Pignon-Ernest, Surface Active, Captain Fluo, Edmond Marie Rouffet, Blek le Rat, Miss.Tic, Vive La Peinture, Speedy Graphito, Jean Faucheur, Mesnager, Mosko, Jef Aérosol, Bando, Ash, Jay0ne, SKKI, Keith, Haring, Mambo, Nasty, Slice, Psyckoze, Lokiss, Shoe, Futura, A-One, Rammellzee, Jon0ne, André, Zevs, Dize, Invader, Shepard Fairey, JR, Vhils, Swoon, Banksy, C215, L’Atlas, YZ, Seth, Tarek Benaoum, El Seed, Ludo, Rero, Dran, O’Clock, Tanc, Lek, Sowat, Cristobal Diaz, Philippe Baudelocque, Levalet, Madame, Kashink, Vision, Pest, Greky, Sébastien Preschoux, Romain Froquet, Kraken, 9eme Concept, Les Francs Colleurs.