
Le blog des Chroniques du Chapeau noir poursuit la publication de « Seuphor, libre comme l’art », écrit par Claude Guibert sur la vie de l’écrivain, historien et artiste Michel Seuphor (1901-1999), de son vrai nom Fernand Berckelaers. Ce livre a été écrit en 2008 et sera publié intégralement à raison de quelques pages par publication, une fois par semaine.
Publication N° 46
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Abstraction-Création
Seuphor absent de Paris, l’avenir de Cercle et Carré s’est donc trouvé scellé. Il aura suffi de deux mois pour que l’empêche- ment physique de son organisateur ouvre une brèche et favorise la mise sur pied d’un nouveau groupe. Vantongerloo, riche du fichier de Cercle et Carré, s’engage sans attendre dans la création d’Abstraction-Création. S’il s’agit d’envisager une synthèse des tentatives de Cercle et Carré de Seuphor et Torrès-Garcia et du groupe de l’Art Concret de Van Doesburg, le champ est libre : Seuphor malade est loin de Paris, Van Doesburg, qui a toujours souffert d’asthme, est en cure à Davos. Le 15 février 1931, ce dernier décède d’un arrêt cardiaque trois semaines après la création d’ Abstraction-Création. Le nouveau groupe est fort d’artistes tels que Hélion, Herbin, Arp, Gleizes, Kupka, Vantongerloo. En ce début des années Trente, Herbin, après une phase géométrique non-figurative puis un retour à la figuration retrouve le chemin de l’abstraction géométrique. Cette fois, son orientation est prise. Il faudra encore de nombreuses années pour que son alphabet plastique voie le jour. Après d’interminables discussions finit par paraître, en 1932, une revue Abstraction-Création, art non-figuratif, qui matérialise les idées du mouvement. De très nombreux artistes européens et quelques américains adhèrent ; le groupe comptera plus de quatre cents membres. Jusqu’en 1936, le collectif assurera la défense de l’art abstrait avec cependant une moins grande rigueur que Cercle et Carré. Il ne s’agit plus seulement de défendre l’art géométrique ou l’ art concret, mais un art abstrait non figuratif plus vaste :

– « La nouvelle plastique constructiviste n’est pas individualiste, ce n’est pas une plastique de tour d’ivoire ».Jean Gorin 1
1932
Un fait divers tragique au retentissement mondial agite l’année 1932. Le premier mars, le fils aîné de l’aviateur Charles Lindbergh, Charles Junior est kidnappé et retrouvé mort quelques jours plus tard dans un bois du New Jersey malgré le paiement d’une rançon. Salvador Dalí ajoute au malaise en se produisant dans une soirée costumée avec Gala dans un linge ensanglanté censé le travestir en « Bébé Lindbergh assassiné ».
A Paris, le 6 mai , le président de la République Paul Doumer reçoit plusieurs coups de revolver tirés par un médecin russe, Paul Gorgulov. Dans la nuit, le président décède. Dans un contexte fragile d’instabilité gouvernementale, de récession économique aussi bien au niveau national qu’international, entre deux tours d’élections législatives, l’assassinat de Doumer provoque la consternation et pose beaucoup de questions. Les pouvoirs publics et la presse s’emparent de l’événement pour l’utiliser à des fins de propagande. Faut-il n’y voir que le geste d’un dément, son crime étant le reflet d’une paranoïa doublée de folie politique ? Peut-on croire les balbutiements du meurtrier voulant défendre une cause où se mêle le salut de la Russie et la fondation sur place d’un « parti vert », violemment anticommuniste ? Faut-il y voir un complot pour déstabiliser la France ? L’émotion est énorme. Après les funérailles nationales à Notre-Dame et au Panthéon, on continue à s’interroger sur ce drame. La guillotine mettra un terme provisoire au débat.
Rare événement heureux pour la presse cette année 1932, c’est en octobre qu’est lancé aux chantiers de Saint-Nazaire le plus grand paquebot du monde. On a hésité à l’appeler Président Paul-Doumer. C’est finalement le Normandie qu’inaugure le nouveau président de la république Albert Lebrun.
1« Le triomphe de l’art moderne » JJ Lévèque 1996 p 528