Coups de chapeau·Non classé

Chroniques New-Yorkaises (6) : l’avènement du Performing Art Center

Perelman Performing Arts Center

Dans la chaleur de Manhattan, en ce mois de septembre, aboutit un projet majeur en préparation depuis plusieurs années : le PAC, Performing Art Center. On devrait même écrire le PPAPC, Perelman Performing Arts Center. En effet, le bâtiment porte le nom de l’un des plus grands donateurs, Ronald O. Perelman, figure emblématique du monde des affaires et de l’investissement, bien connu pour posséder le Groupe Revlon. De la même façon le SHED, inauguré en 2019 dans le nouveau quartier d’Hudson Yards, est associé au nom de Michael Bloomberg, l’ancien maire de New York et homme d’affaires, qui a donné soixante quinze millions de dollars pour la construction de ce centre unique destiné à présenter un large éventail d’activités dans les arts de la scène, et des arts visuels.

Dans ce quartier de New York, chargé de la lourde histoire du 11 septembre 2001, à proximité des deux immenses bassins de marbre noir symbolisant l’absence des tours jumelles du World Trade Center, le PAC, avec sa rigueur architecturale en contrepoint, ajoute désormais une réponse positive centrée sur la vie, la création.
Encore entouré de barrières de protection, le PAC ouvrira dans une quinzaines de jours, offrant un nouveau foyer pour les artistes émergents et établis dans le théâtre, la danse, la musique, l’opéra et la performance multidisciplinaire de New York et du monde. Même s’il ne présente la spectaculaire architecture modulable du SHED, le PAC dispose de trois espaces de théâtre intimes et flexibles qui peuvent être combinés et configurés pour créer une gamme d’expériences uniques pour le public et répondre aux visions créatives des artistes. Déjà le programme de ce lieu naissant est établi jusqu’à juin 2024.

« Refuge »

D’entrée le PAC annonce la couleur avec le concert « Refuge » : « Les musiciens du pays et du monde entier ont trouvé refuge à New York, une ville avec une histoire musicale riche, des influences culturelles diverses et des possibilités infinies de collaboration et de croissance. Notre premier concert Refuge met en vedette une commande en première mondiale du compositeur lauréat du prix Pulitzer, Raven Chacon, et réunit des artistes extraordinaires de Shanghai, d’Afrique de l’Ouest, de Tunisie, du Brésil, de Jamaïque, de France, d’Arizona et de Minneapolis. qui ont tous trouvé leur foyer artistique à New York. »
Avec le SHED et le PAC, New-York dispose désormais de deux outils majeurs pour situer la ville au centre de la vie artistique du pays et confirmer sa vocation de lieu incontournable au plan international.

Perelman Performing Arts Center
251 Fulton Street
New York NY 10007

La chaîne vidéo

Fred Forest : Duchamp et après

« Fred Forest, l’homme média N°1 »

Après avoir été peintre et dessinateur de presse aux journaux  » Combat  » et  » Les Echos « , l’ancien contrôleur des postes et des télécommunications se consacre à des recherches relevant des nouveaux médias technologiques. Pionnier de l’art vidéo autour de 1968, il est le premier artiste à créer en France, à cette époque, des  » environnement interactifs « .  Fred Forest innove encore en pionnier en concevant différentes formes  » d’expériences de presse  » de portée symbolique et critique. On se souvient de son  » espace blanc  » dans le journal  » Le Monde  » en 1972 et de sa mémorable opération médiatique du mètre carré artistique…En 1973 il réalise plusieurs actions spectaculaires dans le cadre de la Biennale de Sao-Paulo qui lui valent le Prix de la communication et…son arrestation par le régime militaire. Dans sa pratique artistique, toujours en pionnier, il utilise: le téléphone, la vidéo, la radio, la télé, le câble, l’ordinateur, les journaux lumineux à diodes électroniques, la robotique, les réseaux télématiques…En ce qui concerne les réseaux il sera encore là, le tout premier, avec le réseau expérimental de Vélizy.
Pierre Restany écrivait à son sujet :

« Fred Forest pose un problème et il est exemplaire. Il est certainement l’artiste qui a su pressentir (…) l’importance de la communication, non pas comme une série de systèmes destinés à appréhender le réel, mais comme un volume, un territoire autonome où l’auto-expressivité se normalise au contact d’autres intervenants dans une même situation sociale »

Fred Forest au Centre Pompidou en 2017

Sous le titre « Les Territoires », l’exposition de Fred Forest au Centre Pompidou de Paris en 2017 cache une épopée, celle du combat d’un artiste acharné à défendre ses positions dans une lutte sans merci de David contre Goliath.
Pour le visiteur la surprise vient déjà du lieu de l’exposition : celle- ci ne trouve pas sa place dans les espaces habituels du musée mais en sous-sol, au niveau -1 du Forum, premier indice d’une discrimination si l’on veut bien considérer que, dans le même temps, est exposé dans les salles principales Hervé Fischer, un autre membre du Collectif d’art sociologique cofondé avec Fred Forest.
Autre indice : cette exposition, sans catalogue, ne dure qu’un mois et demi.
Il faut dire que la présence néanmoins visible de Fred Forest au Centre Pompidou relève du miracle si l’on se replace dans la longue bataille qui a opposé l’artiste à l’institution. Il y a plus de vingt ans, Fred Forest croise le fer avec le Centre pour revendiquer la transparence dans l’achat des œuvres et leur prix. C’est le début d’un contentieux sans fin dans lequel l’artiste gagne ou perd au gré des décisions de justice.

Au plan artistique, Fred Foret paie cher sa combativité. Dans l’exposition «Video Vintage 1963-1983» au Centre Pompidou en 2012…. Fred Forest est absent.  Cet oubli singulier provoque alors la réaction de personnalités de l’art. A l’initiative d’Alain Dominique Perrin, président de la fondation Cartier et du Musée du Jeu de Paume, une cinquantaine de signataires s’interrogent sur « les raisons pour lesquelles ce pionnier français de l’art vidéo s’en trouve écarté. » Ces signataires interrogent également Alain Seban, directeur à l’époque du Centre Pompidou, sur l’absence d’œuvres de Fred Forest dans les collections du centre Pompidou.

Pugnace l’artiste n’en reste pas là et réclame une exposition. Finalement le miracle se produit aujourd’hui mais avec des contraintes très particulières. Le quotidien « Le Monde » révèle le témoignage de l’artiste : « Ils m’ont fait signer une décharge car je dois prendre en charge l’assurance de l’exposition, payer les gardiens. Et ils ne font pas le catalogue. J’ai investi mes économies, 25 000 euros, dans l’exposition. »
C’est dire si la conquête de ce territoire au Centre Pompidou relève de l’exploit.

La chaîne vidéo

Vidéo magazine N°4 : Jean-Jacques Lebel

Baigné dans l’art dès sa jeunesse, Jean-Jacques Lebel a fréquenté de nombreux artistes dont Marcel Duchamp . Inlassablement, Lebel a transgressé les pratiques artistiques. Il est l’auteur, en 1960, à Venise, de  » L’ Enterrement de la Chose  » , le premier happening européen. Il publie, sur le mouvement des happenings à travers le monde, le premier essai critique en français. À partir de cette date, il produit plus de soixante-dix happenings, performances et actions, sur plusieurs continents, parallèlement à ses activités picturales, poétiques et politiques. Ce besoin permanent de nous montrer que l’art et la vie ne doivent faire qu’un , cette révolte viscérale contre ce qui pourrait apparaître comme un métier, voilà ce que Jean Jacques Lebel ne cesse d’agiter.

A l’occasion de l’exposition ARCHIPEL au musée d’Arts de Nantes, le vidéo magazine N°5 consacre ce gros plan à Jacques Lebel.
« Tel un archipel, l’exposition Archipel, Fonds de dotation Jean-Jacques Lebel propose des groupements d’œuvres d’artistes, de courants, de mediums, de techniques, de provenances et statuts variés, formant un tout cohérent. Ce reflet de l’incroyable Fonds de dotation Jean-Jacques Lebel aborde ainsi plusieurs volets de l’histoire de l’art du 20e siècle.« 

Le rencontrant à Montreuil il y a quelques années pour son interview dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain, nous croisons sur notre chemin la rue de la Révolution. Hilare, Jean-Jacques Lebel exige que je le prenne en photo devant la plaque de la rue. Le happening continue…

Moments privilégiés

De la performance

Quand la manifestation dans l’espace public mobilise aussi bien la performance des artistes que l’action politique ou syndicale, la frontière entre les deux modes d’expression se révèle parfois ténue.
Lors de la marche pour le climat à Paris, les militants de l’organisation ANV COP21 ont exposé ce dimanche 8 Décembre cent portraits présidentiels d’Emmanuel Macron décrochés pour dénoncer “l’inaction climatique” du gouvernement. Tout en scandant “Nous sommes toutes et tous décrocheurs de portraits”, les participants ont brandi ces portraits du chef de l’État à l’envers. Ce jeu de subversion des images auquel se juxtaposait le principe d’accumulation conférait, je crois, à cette initiative l’aspect d’une performance artistique au-delà de sa vocation politique.

Ce même 8 décembre un mouvement syndical dans le domaine hospitalier se joignait à la manifestation pour dénoncer à la fois les conditions de travail dans les hôpitaux et les blessures et mutilations dont ont été victimes certains manifestants. Les cotons tiges géants portés par les agents hospitaliers avaient pour mission, j’imagine, de déboucher les oreilles des gouvernants sourds à leurs revendications.
Ce principe d’objets surdimensionnés n’est pas sans rappeler celui du Pop-art avec ces cotons tiges gigantesques. Les blouses blanches des manifestants ne pouvaient qu’accentuer la dimension plastique d’une initiative inscrite dans une démarche de revendication syndicale et politique. La manifestation syndicale prend alors l’aspect d’un happening qu’il est tentant de rapprocher de la performance artistique.
Cette dualité se retrouve dans les propositions des artistes depuis de nombreuses années.

Fred Forest

On ne peut pas ne pas évoquer la performance historique de Fred Forest en 1973 à Sao Polo. Organisant un défilé de pancartes … blanches dans les rues de la ville, l’absence de message revendicatif se révéla plus fort que les slogans potentiels.

XII Biennale Sao Polo 1973 Fred Forest


L ’artiste fort du statut acquis lors de la XII Biennale, critique le régime militaire en place avec cette manifestation dans les rues de Sao Paulo et dénonce l’atteinte aux libertés fondamentales. L’appui des médias et la complicité active des artistes et des intellectuels brésiliens en fera un événement international.. C’en était trop. Cette fois, Fred Forest a bien été cerné… par la police militaire. Il sera conduit et interrogé au DOPS (département de la police politique) durant quatre heures. La performance artistique acquiert, dans le contexte du lieu et de l’époque, une dimension politique militante.

« Zero Demo »

Quand l’artiste Hongrois Endre Tót, organise, au début des années 80, des manifestations sans slogan comme « Zero Demo » , à Viersen, en Allermagne (1980), la performance artistique dans laquelle les participants brandissent des panneaux blancs seulement remplis du chiffre zéro, cette même proximité entre l’acte artistique et la revendication politique se vérifie.

« Zero Demo » , à Viersen Allermagne (1980) Endre Tó

« La révolution des couleurs »

En avril 2016, la Macédoine a commencé la « Révolution de couleurs ». « Plutôt que des piquets, des flammes et des routes bloquées, les manifestants macédoniens ont décidé de s’armer de pistolets à peinture et de ballons. » Les manifestants réclamaient le report des élections , la démission du président  Gjorge Ivanov. La révolution des couleurs, associant l’engagement militant et le geste artistique, privilégie alors l’usage perturbateur de la peinture plutôt que pavés, boulons, objets divers susceptibles d’être meurtriers.

Le 18 mai, sous la pression de l’opposition, de l’ Union européenne, et sûrement un peu de la révolution des couleurs, le Parlement macédonien a voté le report des élections. Cette fois l’action politique et la stratégie artistique se sont conjugués pour faire de l’espace public le lieu historique de la performance.

Coups de chapeau

Chroniques New-yorkaises(1) : le SHED est sur les rails.

Le Shed

Avant même son ouverture en haut de la High Line dans Manhattan, le SHED avait déjà acquis une notoriété due à l’incroyable audace architecturale qui fait accéder cet équipement culturel au niveau d’une prouesse technique innovante. En effet, ce bâtiment ne se contente pas de mettre à la disposition des artistes des salles immenses. Il offre surtout une conception totalement modulable disposant d’une partie mobile sur rails, une sorte de soufflet géant qui modifie la structure du bâtiment et s’adapte à toutes les possibilités de manifestations, spectacles, expositions etc…

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Équipé d’immenses roues à taille humaine qui rendent possibles ces transformations, c’est peu de dire que le SHED est sur les rails. Mais au-delà de la prouesse technique, c’est davantage encore, me semble-t-il, l’approche multidisciplinaire qui caractérise ce nouvel équipement au cœur de Manhattan.
Il ne faut pas, en effet, s’attendre à visiter dans ce lieu des expositions comme au MOMA ou au Whitney muséum. Ce qui prévaut au SHED c’est la conjugaison des disciplines, la création d’événements qui concourent à proposer un résultat supérieur à la somme de ses éléments constitutifs.

« Reich Richter Pärt »

Au lendemain de l’inauguration il m’a été possible d’assister à l’un de ces « évents ». Dans « Reich Richter Pärt », deux spectacles en immersion,(l’un conçu par le compositeur Steve Reich et le peintre Gerhard Richter, l’autre par Richter et le compositeur Arvo Pärt), explorent le langage sensoriel commun de l’art visuel et de la musique. Le partenariat Richter/Pärt s’appuie sur un concept développé à l’origine par Alex Poots et Hans Ulrich Obrist pour le Festival International de Manchester et met en vedette la composition chorale envoutante de Pärt avec la nouvelle œuvre de Richter incluant papier peint et trois tapisseries jacquard. La collaboration entre Steve Reich et Gerhard Richter (une initiative du SHED) repose sur la série « Patterns » du peintre et les structures musicales rigoureuses et répétitives de Steve Reich

Reich Richter part

Cette osmose, créée en collaboration avec Corinna Belz et mettant en vedette la première mondiale d’une nouvelle composition de Steve Reich, s’exprime dans une salle immense habitée par la création du peintre sur les murs et la projection durant l’événement de la série « Patterns » dans laquelle Richter divise et reflète à plusieurs reprises une image d’ordinateur d’une peinture abstraite pour animer l’œuvre. Certes l’association d’œuvres d’un peintre avec une création musicale ne constitue pas une nouveauté.
Ce qui prend ici une dimension particulière vient de l’échelle à laquelle cet environnement est créé, espace dans lequel le spectateur et auditeur se trouve en effet immergé, enveloppé par cette proposition sensorielle. La musique de Steve Reich, dont le caractère répétitif peut sembler parfois ingrat, m’est apparue, dans ce contexte, luxuriante, colorée et son association avec le travail sur ordinateur des œuvres de Richter n’a rien d’artificiel. Musique et structures colorées se fondent remarquablement.
La seconde création associant les toiles de Richter avec la composition d’Arvo Pärt offrait au spectateur/auditeur une autre forme d’immersion : celle des choristes se mêlant à la foule des visiteurs pour mieux les inclure dans cet évènement d’une grande pureté musicale.
Le SHED n’en est encore qu’à ses débuts et on peut imaginer tout le parti qui peut être tiré d’un tel outil. Au bout de cette High line sur laquelle l’ancienne voie ferrée est encore présente, le SHED entreprend à son tour un voyage prometteur.

Photos de l’auteur.

« Reich Richter Pärt »
6 avril – 2 juin 2019
The SHED
545 West 30th Street
New YorK

Expositions

André Cadere : un art vagabond

Au début des année soixante dix, à Paris, une silhouette, devenue familière dans les galeries, les musées, déambule dans les rues du quartier Latin. Ce promeneur nonchalant est identifiable par un bâton de pèlerin quelque peu énigmatique qu’il promène immanquablement sur tous ses itinéraires.

André Cadere, rue Mazarine Paris 1973

Que fait là ce personnage singulier tenant à la main cet objet étrange, mal identifié ? André Cadere, depuis 1967, a quitté sa Roumanie natale pour Paris. Il fréquente alors Isidore Isou et le cercle des Lettristes. Il aurait pu rester un artiste parmi les autres qui, après s’être adonné à une peinture proche de l’Op art, propose des tableaux-reliefs composés de demi-baguettes colorées. Mais, en ce début des années soixante dix, Cadere a franchi un pas décisif. Ce n’est pas seulement le produit de son travail qui compte mais sa posture personnelle.
L’objet lui-même, ce bâton dont il ne se sépare jamais, répond pourtant déjà à des règles précises : « Une barre de bois rond est immuable, toute pièce étant à chaque fois différente l’une de l’autre, l’ensemble du travail étant une constellation. Cette constellation étant strictement limitée. D’un autre côté, mon activité n’a pas de suite, ni d’avenir. Il n’y a pas d’évolution, une barre de bois rond est. » écrit-il au galeriste Yvon Lambert en 1978. »
Si l’on creuse un peu dans ce protocole, on découvre que les séquences de couleur y sont organisées selon des combinaisons mathématiques. Et chaque barre devient unique grâce à l’introduction d’une erreur dans la permutation des segments colorés.

« Héros »

Mais l’essentiel tient davantage, me semble-t-il, à cette posture que Cadere n’hésite pas à qualifier de « Héros » : « On pourrait dire qu’un héros est au milieu des gens, parmi la foule, sur le trottoir. Il est exactement un homme comme les autres. Mais il a une conscience, peut-être un regard, qui, d’une façon ou d’une autre, permet que les choses viennent presque par une sorte d’innocence« .
L’artiste a décidé que le bouleversement de la notion d’exposition passe par ce qui, bien plus qu’un geste, devient une attitude permanente, quotidienne : sillonner les circuits des galeries, des institutions, s’immiscer en visiteur lambda au cœur des expositions, des vernissages, porter avec lui comme un étendard modeste ce bâton coloré qui, peu à peu, fait partie du paysage artistique, faire corps avec cette œuvre dont on ne sait pas si elle est acceptée ou seulement tolérée dans les manifestations d’art. A cette époque où d’autres artistes ont, eux-aussi, beaucoup contribué à remettre en question la notion d’œuvre, de production artistique, les pérégrinations de Cadere interpellent davantage encore sur le statut même de l’artiste.
J’avais eu l’occasion de rencontrer André Cadere dans ces années soixante dix, de le voir flâner à l’époque au quartier Latin, respectant à la lettre un circuit qu’il s’était fixé et que l’on pouvait vérifier sur un tract distribué aux intéressés. Cet homme à la voix un peu traînante, occupait un atelier qui paraissait d’autant plus immense que ses bâtons colorés occupaient une place minuscule. Mort jeune, à quarante quatre ans, on aurait pu imaginer que son protocole éphémère tomberait aux oubliettes de l’histoire de l’art.

 « Une Saison Roumaine« 

André Cadere exposition Centre Pompidou Paris 2019

Le Centre Pompidou de Paris, dans la grande exposition « Une Saison Roumaine« , redonne à Cadere une place significative dans la mémoire de l’art de ces années soixante dix. A la manière de Cadere, ce n’est pas une salle qui lui est réservée. Même si l’homme n’est plus là, ses bâtons colorés se promènent au gré des espaces du Centre Pompidou, se retrouvent posés ici et là, dans un couloir anodin, près d’une œuvre, fixés en haut d’un mur …
C’est peut-être le paradoxe auquel André Cadere n’a pas échappé : se situer délibérément en marge des institutions, du circuit marchand et  cependant « coller » en permanence avec ces institutions, ces lieux du marché de l’art, avec ses rites (vernissages, foires d’art et c…).
Au point que l’existence même de son protocole ne pouvait se révéler qu’à cette condition : adhérer physiquement en permanence avec le monde qu’il remettait en question. Entre production artistique et performance, l’artiste a signé et coloré à sa manière cette époque des années soixante dix. Au Centre Pompidou, les allées du musées témoignent de cette mémoire.

Photos Rue Mazarine : @ Jean François Riviere/imago
Centre Pompidou  : de l’auteur

Une saison Roumaine
André Cadere « Pas  à pas »
A partir du 28 Novembre 2018
Centre Pompidou Paris

 

Expositions

Contes d’été de la Maison Combas

« Meubles de circonstance, complètement déjantés »

Le domaine de Chamarande dans l’Esssonne aurait pu se prêter, pour Robert Combas, à une exposition de plus, une exposition comme les autres. C’était sans compter avec les conditions très particulières dans lesquelles l’artiste a investi ce vaste espace champêtre organisé autour d’un superbe château du dix-septième siècle et accompagné de bâtiments annexes eux aussi consacrés à l’exposition : l’Auditoire et l’Orangerie.

Combas Chamarande 2017

L’espace intérieur du château ne répond pas aux normes habituelles des espaces d’art contemporain mais Combas, rompu aux exercices les plus variés (notamment avec le Musée international d’Art modeste à Sète), disposait des ressources multiples de son œuvre pour marquer sa présence dans ce lieu.
Intitulée « Meubles de circonstance, complètement déjantés », l’exposition comprend deux cents pièces qui font basculer ce décor du dix-septième siècle dans un univers hors normes, hors du temps même si l’appartenance historique de l’artiste au mouvement de la Figuration libre nous replonge dans ces années quatre-vingt où ces « Sales gosses », ruant dans les brancards d’un enseignement des Beaux-arts art dominé à l’époque par les enseignants de Supports-Surfaces, se sont employés à inventer un art nourri des graffitis, des bandes dessinées, de la musique rock, etc..

Combas Chamarande 2017 in situ

« Maison Combas »

C’est peu de dire que Combas a trouvé son style, marqué son territoire avec un tracé qui n’appartient qu’à lui au risque de se rendre peut-être prisonnier volontaire de cette identité contraignante. Le mobilier créé par l’artiste n’échappe donc pas à cette signature Combas.  Déjà dans les années quatre vingt dix les premières pièces en bois apparaissent. Aujourd’hui, tables, chaises, fauteuils, vase, lampadaires, tapis de sol déclinent cette « Maison Combas ». Dans la grande salle du Salon blanc de Chamarande  les alignements de chaises construisent une singulière perspective,  contraste saisissant avec ce volume architectural habillé par les lambris blancs d’origine.
La bibliothèque du château offre ses vitrines à une collection d’objets qui n’est pas sans rappeler ce que montre le musée international d’art modeste de Sète, cabinet des curiosités où se côtoient souvenirs, témoignages de rencontres…
Il y a quelque chose qui relève de l’obsession boulimique d’un facteur Cheval ou d’autres « Singuliers de l’art » dans cette présentation. In situ, Combas a créé un dessin mural occupant tout un pan de l’aile droite du château. Si on y ajoute la performance des « Sans Pattes », orchestre qu’il cré en 2010, l’été de Chamarande fait le tour des passions d’un peintre, sculpteur, performeur insatiable, avide des sentiers buissonniers.
Pour que cette manifestation ne soit pas une exposition comme les autres Robert Combas y a réalisé une performance tout à fait inattendue : il s’y est marié avec sa compagne après trente années de vie commune. Point d’orgue d’une manifestation dans laquelle l’artiste a mis en place toutes les composantes de son univers plastique et culturel, cet ultime conte de la Maison Combas est à la mesure d’un artiste prêt à toutes les expériences susceptibles de conforter son irréductible besoin de se situer hors champ des règles et des protocoles.

Photos de l’auteur

« Pas droit » Robert Combas »
1 juin – 1 octobre 2017
Domaine de Chamarande

 

Expositions

Fred Forest : la conquête du territoire

Collectif d’art sociologique

Sous le titre « Les Territoires », l’exposition de Fred Forest au Centre Pompidou de Paris cache une épopée, celle du combat d’un artiste acharné à défendre ses positions dans une lutte sans merci de David contre Goliath.
Pour le visiteur la surprise vient déjà du lieu de l’exposition : celle- ci ne trouve pas sa place dans les espaces habituels du musée mais en sous-sol, au niveau -1 du Forum, premier indice d’une discrimination si l’on veut bien considérer que, dans le même temps, est exposé dans les salles principales Hervé Fischer, un autre membre du Collectif d’art sociologique cofondé avec Fred Forest.
Autre indice : cette exposition, sans catalogue, ne dure qu’un mois et demi.
Il faut dire que la présence néanmoins visible de Fred Forest au Centre Pompidou relève du miracle si l’on se replace dans la longue bataille qui a opposé l’artiste à l’institution. Il y a plus de vingt ans, Fred Forest croise le fer avec le Centre pour revendiquer la transparence dans l’achat des œuvres et leur prix. C’est le début d’un contentieux sans fin dans lequel l’artiste gagne ou perd au gré des décisions de justice.
Au plan artistique, Fred Foret paie cher sa combativité. Dans l’exposition «Video Vintage 1963-1983» au Centre Pompidou en 2012…. Fred Forest est absent.  Cet oubli singulier provoque alors la réaction de personnalités de l’art. A l’initiative d’Alain Dominique Perrin, président de la fondation Cartier et du Musée du Jeu de Paume, une cinquantaine de signataires s’interrogent sur « les raisons pour lesquelles ce pionnier français de l’art vidéo s’en trouve écarté. » Ces signataires interrogent également Alain Seban, directeur à l’époque du Centre Pompidou, sur l’absence d’œuvres de Fred Forest dans les collections du centre Pompidou.
Pugnace l’artiste n’en reste pas là et réclame une exposition. Finalement le miracle se produit aujourd’hui mais avec des contraintes très particulières. Le quotidien « Le Monde » révèle le témoignage de l’artiste : « Ils m’ont fait signer une décharge car je dois prendre en charge l’assurance de l’exposition, payer les gardiens. Et ils ne font pas le catalogue. J’ai investi mes économies, 25 000 euros, dans l’exposition. »
C’est dire si la conquête de ce territoire au Centre Pompidou relève de l’exploit.

« Le M2 artistique »

En 1977, « Le M2 artistique » a eu pour objectif premier la dénonciation des pratiques de spéculation (liée à des scandales financiers de l’époque, dont ceux de la Garantie Foncière) en mettant en relation parodique la spéculation dans l’immobilier avec celle qui s’effectue d’une manière aussi exacerbée dans le marché de l’art. Fred Forest créé alors la « Société civile immobilière du m2 artistique », une véritable entreprise. Puis, à la limite de la frontière suisse, il achète un terrain de cinq mètres sur quatre divisé en vingt parcelles d’un mètre carré. Lors d’une grande vente d’art à l’espace Cardin à Paris est proposé sur le marché le «M2 artistique» Art sociologique, art vidéo, art interactif et c…

« Le blanc envahit la ville » 1973 Sao Polo

Comment cerner Fred Forest ? Je garde, personnellement, comme moment privilégié, en 1973 à Sao Polo, sa manifestation « Le blanc envahit la ville » , les manifestants brandissant des pancartes… blanches, opération très mal vue par le régime militaire.

Les Indiqnés de l’art

Depuis ces années, Fred Forest n’en est pas resté là. Récemment encore, il crée l’incident avec son projet de performance Les Indiqnés de l’art. Fred Forest interpellé par le service de sécurité du MOMA qui lui signifie l’interdiction de procéder à sa performance qu’il vient à peine de commencer, sous peine de son arrestation immédiate par la police New-Yorkaise.
Aujourd’hui, les conditions dans lesquelles l’exposition « Le Territoires «  au Centre Pompidou se déroule soulignent le positionnement inconfortable de ce Don Quichotte de l’art contemporain. Le flyer du Centre Pompidou propose à nouveau l’encart blanc si souvent utilisé pour donner la parole à chacun. Ne vous en privez pas.

 

Fred Forest
« Les Territoires »
12 juillet – 28 août 2017
Forum -1 – Centre Pompidou, Paris
Expositions

Abraham Poincheval : scènes de la vie minérale

« Pierre » Palais de Tokyo Abraham Poincheval 2017

Le moins claustrophobe des visiteurs du Palais de Tokyo à Paris ne peut être que sidéré, me semble-t-il, par la performance que s’apprête à assumer l’artiste Abraham Poincheval du 22 février au 1er mars prochains dans le cadre de l’exposition qui lui est consacrée :
« Pierre est une expédition au cœur du monde minéral. Abraham Poincheval tente pour la première fois d’habiter un rocher pendant une semaine, approfondissant ainsi son expérimentation de l’enfermement et de l’isolement. »
A ce stade des informations l’incompréhension n’est pas dissipée : dans cette énorme pierre calcaire taillée au profil de l’artiste, volume dans lequel est disposé un matériel assez sommaire, est-il possible qu’un être humain puisse tenir une semaine ? Comment s’alimente-t-il (aliments lyophilisés, litres d’eau comptabilisés…) ? Quelles sont les alertes prévues en cas de malaise, syncope ? Comment s’opèrent les gestes élémentaires d’hygiène ? La notion de performance artistique s’efface-t-elle devant celle de l’exploit sportif ? Non assure Abraham Poincheval qui récuse cette dimension sportive : “S’enterrer vivant consiste à repousser ses limites physiques et mentales”.
Un célèbre explorateur souterrain, aventurier et scientifique, Michel Siffre, loin de toute ambition artistique, a déjà montré l’exemple d’un isolement radical en 1962 : il reste deux mois au fond du gouffre du Scarrasson, dans les Alpes du sud. Après soixante et un jours passés à l’écart de tout repère temporel sur un glacier souterrain, il est sorti le dix sept septembre en se croyant le vingt août.  Mais Abraham Poincheval ajoute à cette expérience l’exiguïté terrifiante dans laquelle il décide de se placer.

Coupe intérieure de la pierre

L’artiste a certes expérimenté des performances de claustration notamment en se glissant dans un trou d’un mètre soixante dix sous le sol de la galerie Ho, à Marseille (2012), en vivant en totale autonomie dans une bouteille géante posée sur la place Lazare-Goujon à Villeurbanne (2016) ou encore en s’enfermant treize jours dans la peau d’un ours au musée de la Chasse et de la Nature à Paris  (2014). Mais le confinement que veut s’infliger l’artiste dans cette nouvelle performance atteint un point tellement extrême que l’acceptation même d’une telle épreuve apparaît folle. On peine à imaginer la capacité de résistance psychologique nécessaire à l’artiste pour affronter un tel challenge. Quel  niveau de souffrance physique et mentale doit il atteindre pour que les responsables d’une institution muséale se désolidarisent d’une performance quand bien même des garanties de sécurité aient été prises ? L’osmose recherchée par Abraham Poincheval entre le règne du vivant et le monde minéral le conduit à repousser davantage encore les limites de la proposition artistique. La pierre sculptée s’impose ainsi comme une géode à  taille humaine qui à la manière d’une gangue naturelle protège les précieux quartz de couleur en son sein. L’artiste, au cœur de cette géode calcaire, présente avec son projet une singulière confrontation entre le corps et la matière. De la performance statique au vu des visiteurs jusqu’à l’enfermement physique et visuel puis au confinement absolu, Abraham Poincheval serait-il pris à son propre piège du dépassement de ses limites ? C’est avec curiosité mêlée d’une certaine inquiétude que l’on peut attendre le début de cette performance troublante.

Photos de l’auteur

Abraham Poincheval

3 février – 8 Mai 2017
Palais de Tokyo
13 avenue du Président Wilson
75116 Paris

Coups de chapeau

Ivan Messac : passage à l’acte

C’est une pratique de l’art quelque peu oubliée qui retrouve aujourd’hui avec Ivan Messac une actualité au Centre Pompidou de Paris. Peindre en direct, en continu devant un public peut surprendre quand on associe la peinture aux vertus de la concentration, du silence, du calme de l’atelier. On sait pourtant que certains ont, dans le passé, voulu transformer l’acte de peintre en happening auquel devaient se joindre d’autres créateurs. On ne peut oublier Georges Mathieu et sa fureur gestuelle devant une toile exécutée (c’est le mot) en un temps record. Souvent les peintres ont souhaité associer dans un même élan, la réalisation de leur toile avec le concours d’un jazzman se produisant dans le même temps que celui de la réalisation du tableau.

Ivan Messac au travail au Centre Pompidou

«L’amour à cloche-pied»

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Ivan Messac ne se livre pas à un happening, il n’en réalise pas moins une performance depuis quelques semaines au Centre Pompidou. Déjà la toile du peintre ne répond pas aux normes connues. Son fournisseur lui a fabriqué un objet non identifié sur six mètres de longueur, support aux formes inhabituelles. Le projet puise ses racines dans la mythologie : pour cette œuvre intitulée  «L’amour à cloche-pied», c’est le mythe gréco-romain de «L’enlèvement de Proserpine» par Pluton qui constitue le fil rouge de l’événement. Car, à la différence d’un peinture asservie au geste sans repentir d’un Mathieu, Ivan Messac a longuement préparé cette fresque, recourant même à une préparation numérique qui nous rappelle que le plus jeune membre de la Figuration narrative a, comme ses aînés, travaillé avec la photographie tout au long de son parcours. Pour autant l’improvisation n’est pas totalement exclue. Au pied du mur, le peintre décide assez rapidement de poser sa toile pour peindre. Mais il serait réducteur de ne voir l’œuvre que sur le plan du tableau. L’acte de peindre est-il d’ailleurs aussi décisif pour un projet dont le véritable travail s’est déroulé  en amont pendant des mois de conception et de préparation ?  Le passage à l’acte du peintre apparait davantage comme l’aboutissement de cette histoire préconçue.
Cette longue marche de plusieurs semaines à laquelle se soumet Ivan Messac se voit accompagnée de prestations d’autres artistes dans cette enceinte du studio 13/16. Hervé Sika, danseur, chorégraphe, confronte la danse au projet du peintre. L’écrivain, poète et plasticien Pierre Tilman, ami et complice de Messac de longue date, est venu dans cet espace pour enrichir, comme il a su si bien le faire en d’autres occasions, l’œuvre en jouant avec les mots. Qui, mieux que lui, saurait disséquer le mot AMOUR ? Pierre Tilman est un poète en action et ce jeu avec la peinture lui ressemble.
A ces complicités artistiques, l’évènement Messac s’accompagne d’une fébrile activité de communication à laquelle le peintre doit répondre : presse écrite, photographes, cinéastes. Il peint et pourtant il tourne … Les visiteurs se pressent : personnalités culturelles, politiques, jeunes curieux.

Messac Live

Au bout du compte, retiendra-t-on en premier ce tableau hors normes «L’amour à cloche-pied» ? Il me semble que la véritable œuvre d’Ivan Messac, au terme de ces trois semaines folles, aura d’abord pris la dimension de cette scène d’un théâtre vivant sur laquelle se croisent les concours créatifs, les échanges, les paroles sur l’art pour aboutir à ce happening tranquille dont il restera comme trace cette toile à la mesure d’une aventure exaltante.
Pierre Tilman nous alerte : « Quand on aura dit qu’Ivan Messac est peintre, on n’aura pas dit grand chose... »  Allez au Centre Pompidou partager quelques instants avec cet artiste qui, avec ce passage à l’acte, s’il n’a pas voulu tuer le peintre, l’aura cependant entraîné dans une aventure turbulente.

Messac Live – 20 jours pour un tableau

15 Octobre -13 Novembre 2016
Studio 13 /16
Centre Pompidou Paris

Ivan Messac dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain