Expositions

Barbara Navi : « Sous tant de paupières »

Revivre, 2023, huile sur toile, 150 x 150 cm

Écrire que Barbara Navi nous a habitués, depuis ses années de peinture, à nous perdre dans sa narration ne serait pas exact. Sa démarche est le contraire d’une habitude, à l’opposé d’une méthode appliquée. Nous égarer dans sa peinture apparaît alors comme la seule attitude possible pour tenter d’appréhender ce qui fait la nature même de son œuvre.
Dans l’exposition « Sous tant de paupières » à la galerie Valérie Delaunay à Paris, cette approche se vérifie une fois encore. Nous savions déjà que la lecture d’une toile de Barbara Navi ne peut faire l’économie d’une analyse s’étendant à un ensemble de tableaux, un examen qui tente de révéler ces liens souterrains dessinant la trajectoire mentale d’une œuvre en mouvement.
La liberté que nous accorde la peintre en laissant ouvertes les fenêtres de ses tableaux sur un monde quelque peu énigmatique, chacun en disposera comme il l’entend pour entreprendre ce voyage, non seulement dans la peinture, mais aussi dans une relation au monde peut-être différente d’un individu à l’autre.
Pour avoir suivi Barbara Navi dans ces cheminements passés, ces rapports à la figuration, au réel, au mouvement, au temps m’apparaissent comme autant de questionnements sur la vision, terme ô combien double puisqu’il désigne à la fois une capacité physiologique et une aptitude conceptuelle. « Sous tant de paupières », formule empruntée à Rainer Maria Rilke, met en jeu, me semble-t-il, ce moment fragile entre vue et pensée, entre rêve et réalité. Réflexion et reflection se présentent comme les deux faces d’un sens à double sens : la vue et la conscience. Que se passe-t-il sous tant de paupières ? À nouveau Barbara Navi nous entraîne dans cette pérégrination qui vient de loin, qui se nourrit de tout ce qu’elle a vécu, lu, entendu, éprouvé. Au-delà de cette perception du monde, l’artiste se livre dans le même temps à une captation personnelle qui passe par les choix auxquels elle procède dans la quête des documents, des textes, des images, des musiques, des histoires, de tout ce qui cultive sa démarche.

Les témoins, 2024, huile sur toile, 146 x 114 cm

Au fil des toiles, l’errance dans laquelle elle nous engage ne peut être ressentie comme un égarement. Au contraire, au-delà d’un réel immédiat trop flagrant, l’artiste nous dévoile un univers où sa peinture fait voler en éclats une figuration dans laquelle elle refuse de se laisser enfermer par un réalisme illusoire. D’une toile achevée à une toile en cours de travail, cette même interrogation subsiste. Quel est donc ce moment où la vision mentale donne naissance à une image ? Comment ne pas rappeler une fois encore cette lumineuse analyse de Michel Foucault sur les peintres de la figuration narrative ?
« Une image saisie dans la trajectoire qui la mène de la photographie au tableau».

Pour l’artiste, cette image devient le lieu de passage vers un autre espace physique et mental. C’est dans cette trajectoire, décrite par Foucault, que se joue ce que le terme réducteur d’ « inspiration » clôturerait un peu trop vite. Pour la peinture, comme peut-être pour la philosophie, la question apparaît plus importante que la réponse. C’est ainsi que Barbara Navi nous invite à accepter ce voyage dans l’inconnu.
Et quand les paupières s’ouvrent sur ce réel revisité par la peinture, l’horizon est sans limite le champ de la vision et le champ de réflexion se confondent dans cette déambulation à perte de vue.

SOUS TANT DE PAUPIERES
Barbara Navi
Exposition du  14 mars au 20 avril 2024
Vernissage le jeudi 14 mars 2024
20 rue chapon, 75003 PARIS
Galerie Valerie Delaunay


Coups de chapeau

Jean-Marie Barre : le nouveau Fauve

« Suddenly, a blue bouquet » 2023

Attention en traversant le parcours du peintre Jean-Marie Barre : une vie peut en cacher une autre. Nous savions déjà que l’artiste, venu d’une figuration fine, précise, qu’il qualifie lui-même de transfiguration narrative, offrait à la toile des atmosphères colorées par les souvenirs. Les tableaux se trouvaient enrichis par un texte, confortant cette vocation mémorielle de la peinture.
Pourtant, malgré la légitimité de cet engagement, Jean-Marie Barre a éprouvé l’impérieuse nécessité de rompre avec cet univers, sans savoir, pour autant, quelle serait la voie nouvelle.
Et ce saut dans l’inconnu il le manifeste avec un voyage au centre de la peinture qu’il entreprend en abandonnant pour un temps les pinceaux. Cette introspection s’opère à travers les lectures, les voyages, les rencontres. C’est à Berlin, tout d’abord, qu’il installe son atelier pour s’y livrer à une « Entrée en matière », cherchant sous la surface du tableau, à remonter les strates géologiques de l’histoire de la peinture, puisant à la fois dans son geste et dans sa réflexion, les éléments fondamentaux de cette pratique, comme dans une sorte d’archéologie mentale indispensable. Il faut en passer par le noir et blanc comme une remise a zéro indispensable. Bientôt le rouge réapparaît au service d’une abstraction gestuelle sans repentir avec la série « Triad of colors, Black, red, white » de 2014 .
Le besoin de changement se confirme avec les voyages. A Los Angeles, en 2017, la série Open eyes / structures et cercles confronte gestuel et structure. Avec cette deuxième vie, Jean-Marie Barre accède à une pratique qui, sans qu’on le décèle encore totalement, porte les prémisses de son travail actuel. La superbe série « Botanic » de 2018, conserve les attributs d’une peinture abstraite et gestuelle tout en nous faisant envisager avec son titre qu’il pourrait bien s’agir d’une figuration en devenir. L’autre indication sous-jacente de cette série tient à l’emploi d’une couleur fluorescente avec usage de la bombe.

« The Former station in Trets » 2023


Et c’est aujourd’hui qu’une troisième voie, une troisième vie, s’ouvrent. Après ces mouvements telluriques qui ont bousculé sa peinture, le peintre atteint un point d’équilibre particulièrement remarquable dans la série «Vie personnelle » de cet été 2023. Avec cette conjonction d’une figuration renouvelée et d’une abstraction gestuelle, Jean- Marie Barre, recourant à une couleur fluorescente transgressive, se pose en « nouveau fauve », héritier de ces peintres du début du vingtième siècle magnifiant avec audace la Provence méditerranéenne. Du « Chemin de Beaumes » à « Behind Gigondas » un sillon est tracé, portant en lui les acquis de ses vies antérieures pour déboucher sur cette somptueuse voie lactée.

Cette fois nous y sommes ! serait-on tenté de lancer à l’intention d’un artiste qui a fait du doute un mode opératoire. Formons le voeux de voir Jean-Marie Barre s’épanouir dans cette création aboutie.

« Double Je »
Jean-Marie Barre
Centre culturel Sainte-Anne / Boulbon

Septembre 2023

Expositions

Alfred Courmes, les dérives de la figuration

Il ne fait pas bon être un artiste inclassable. Alfred Courmes l’a vérifié tout au long de son itinéraire de peintre. Et c’est dans un circuit parallèle que sa rétrospective est présentée actuellement à l’Espace Niemeyer à Paris.
Désigné comme « peintre d’exception(S) » Courmes semble avoir déjoué toutes les tentatives d’association à des mouvements identifiés de l’art du vingtième siècle.

« 45% de B.A » 1961

« Panique »

Avec sa figuration d’un réalisme irréaliste, son classicisme déjoué par le surréalisme, on voit bien que les « ismes » échouent les uns après les autres sur la grève de sa peinture. Courmes est reconnu comme précurseur d’une génération de jeunes peintres qui exposent avec lui à la Galerie Nationale du Grand Palais en 1972, dans l’exposition « 12 ans d’art contemporain » où il reçoit le prix « Panique » dans cette manifestation controversée par nombre d’artistes.
Une tentative de plus reste en mémoire, celle des « Mythologies quotidiennes » au musée d’art moderne de la ville de Paris en 1976 semble le rapprocher d’un mouvement qui se reconnaîtra dans cette exposition collective : la Figuration narrative. Peine perdue ! Courmes ne s’embarqua pas sur ce navire. Il faut donc rendre les armes et accepter l’idée de cette exception rebelle aux classifications.

« L’Ange du mauvais goût »

C’est pourtant à une étrange narration que se livrait le peintre d’un tableau à l’autre. Les titres déjà nous donnent une indication sur ses sources d’inspiration : « Saint-Sébastien à l’écluse Saint-Martin «, « Persée lui joue un air de flûte avant de la délivrer, Andromède « , « Le Cyclope n’avait qu’un œil mais c’était le bon ». Ce détournement des thèmes mythologiques lui valut parfois une volée de bois vert de la part de ceux qui le taxèrent de « L’Ange du mauvais goût ».

C’est à l’étranger, quand bien même il s’agit d’une commande l’état Français, que lui est offerte l’occasion de développer à grande échelle une œuvre majeure : la décoration murale de la salle à manger de l’ambassade de France à Ottawa au Canada en compagnie d’autres artistes : cent vingt mètres carrés peints à la cire dont le thème sera la France heureuse qui lui demandera deux ans de travail et se terminera la veille de la Seconde Guerre mondiale.

Reproduction de la décoration murale de la salle à manger de l’ambassade de France à Ottawa au Canada (Espace Niemeyer Paris 2023)

« Non, non Persée ne délivrera pas Andromède » 1965

Après cette œuvre spectaculaire, le peintre retrouve à l’atelier le chemin de cette figuration en solitaire, à l’image de cet esquif traversant l’océan :  «Le radeau de la Méduse», 1963 , thème repris plus tard avec «Le radeau de la petite Méduse aztèque», 1963/1987 . Une fois encore le peintre s’en prend aux classiques avec ce détournement du tableau de Théodore Géricault .
Ce radeau en perdition serait-elle la métaphore de cette figuration à la dérive qui caractérise l’œuvre du peintre ?

Décalé, insoumis, Alfred Courmes n’eut vraisemblablement cure de ses détracteurs et poursuivit son chemin sans se soucier des chiens qui aboient sur le bord de la route.
Les balles continueront à siffler à ses oreilles : «excentrique, bizarre, grinçant»…
Cette figure provocatrice n’était peut-être pas pour lui déplaire.

Alfred Courmes
La rétrospective

29 mars – 4 juin 2023
Espace Niemeyer
2 place du Colonel Fabien
75019 Paris

Expositions

Thierry Cauwet : trompe-l’image

Peut-être faudrait-il, pour décrire le travail de Thierry Cauwet, procéder avec les mots comme l’artiste procède avec les images ? Car les tableaux qui sont présentés actuellement à l’Espace Icare à Issy les Moulineaux témoignent de cette incessante remise en cause de la figuration, de cette volonté opiniâtre d’interroger le sens d’une représentation qui a traversé l’histoire de l’art. Entre geste peint et collage, le statut de cette œuvre semble ne pas vouloir se laisser enfermer dans une désignation unique. L’artiste explique d’ailleurs que l’unique n’est pas sa référence et que le double offre davantage de liberté à sa création. Les mots risquent donc de se télescoper, de s’entremêler, de se chevaucher pour tenter de décrire la démarche de Thierry Cauwet. Patchwork, puzzle, kaléidoscope sont des appellations que l’on est tenté de suggérer pour approcher cette opération de fragmentation, recomposition, assemblage. Mais elles ne cernent pas pour autant cette stratégie.

Beaucoup d’autres artistes ont, depuis longtemps, renoncé à une figuration voire même à la peinture. On observe que Thierry Cauwet ne se soustrait pas à cette confrontation et qu’il prend à bras le corps une question toujours vivante : comment travailler aujourd’hui sur cette convention : l’image ? A bras le corps semble d’ailleurs l’expression la mieux adaptée pour éclairer ce questionnement.
L’artiste, sur chaque toile, joue sur deux tableaux. Entre le corps et le geste d’une part, la déconstruction et recomposition matérielle d’autre part, la série de 2017 présentée à l’espace Icare par le peintre revisite la mythologie grecque.
Cette préoccupation s’inscrit dans le contemporain : « Devant le retour du religieux sous toutes ses formes, il m’a semblé qu’il était urgent de lui opposer cette autre source de la culture occidentale d’où naquit Chaos » explique l’artiste.

Espace Icare Issy les Moulineaux 2022

L’univers dans lequel nous entraîne Thierry Cauwet, au-delà de la mythologie Grecque, est celui de ce chaos des images, de cette explosion picturale qui lui sert à remettre en question la figuration et dans le même temps à interroger la nature même de la peinture.
Entre les peintres qui s’étaient interrogés sur la matérialité de la peinture, au temps de Supports/Surfaces et ceux qui s’étaient rebellés pour proposer une nouvelle figuration critique de son époque, Thierry Cauwet me semble adopter une autre voie : faire exploser cette représentation pour revenir à ce chaos originel. Geste, effacement, découpe, recomposition, collage. … Voilà que les mots s’éparpillent eux aussi, s’échappent d’une description construite pour tenter de restituer le processus mis en mouvement par le peintre. Dans un même tableau figuration et matérialité sont soumises à ce « Crash test » pour mieux nous laisser entrevoir l’origine de la peinture.

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(Détail)


Certes la mythologie Grecque reste le thème de cette série : Actéon et Artémis, Ariane et le Minotaure, Osiris, Zeus habitent ces représentations. Mais cet ancrage historique et culturel ne fait pas perde de vue qu’il est au service d’une préoccupation contemporaine : qu’est-ce que la peinture ? Qu’est-ce qu’une image ? Et entre sacré et religieux, la légitimité des images reste une question sensible. Et loin d’être simplement iconoclaste, Thierry Cauwet entraine la figuration dans un jeu de trompe-l’image qui nous oblige à le suivre sur ce terrain qui reste à défricher.

Thierry Cauwet

4 au 29 janvier 2022

Espace Icare
31 Bd Gambetta
92130 Issy les Moulineaux

La chaîne vidéo

Vidéo-magazine N°15 : Guillaume Corneille : COBRA et après

C’est au musée de Pont-Aven que se termine l’exposition consacrée à Guillaume Corneille.

Le vidéo-magazine N°15 ouvre une page d’histoire en évoquant le peintre Corneille.

« Guillaume Cornelis van Beverloo, dit Corneille (Liège 1922 –Auvers-sur-Oise 2010) a consacré sa vie à l’art. Déjà, en 1939, il sait qu’il veut devenir peintre:il a 17 ans. Un an plus tard, il s’inscrit à l’école des Beaux-Arts d’Amsterdam. Guidé par son talent en dessin, il se forme d’abord seul à la peinture et expose ses œuvres dès 1946. En 1943, après un court passage à l’Académie des beaux-arts d’Amsterdamoù il juge l’enseignement trop académique, il abandonne le cursus classique pour s’exprimer librement. Cette liberté caractérisesa carrière artistique. Corneille s’éloigne alors des Pays-Bas, cherchant de nouveaux horizons. Il écrit en décembre 1947: «Je travaille nuit et jour. Ce n’est que maintenant que j’ai vraiment commencé à peindre (…) Maintenant je réalise une toile forte, primitive… Aux couleurs violentes. Mon œuvre contient tout…». Dans ce contexte de création intense, il fonde à Paris avec deux compagnonshollandais Constant et K. Appel, les artistes belgesC. DotremontetJ. Noiret, ainsi que l’artiste danoisA. Jorn, le groupeCoBrAen novembre 1948, en réaction contre l’abstraction géométrique et le réalisme socialiste. C’est pour l’artiste une périodetrès imaginative avec des personnages étranges et un bestiaire coloré; suivie par une phase souvent décrite comme sa période «d’Abstraction lyrique» de 1951 à 1955. Après cette courte étape abstraite, Corneille revient à la figuration dès les années 1970, avec l’usage d’un dessin plus cerné, de coloris plus vifs qui rappellent sa participation au groupe CoBrA.Corneillea toujours été un oiseau libre. Grand voyageur, il a fait le tour du monde : Afrique noire, Mexique, Brésil, Indonésie, Bali, Chine, Japon, Israël, Etats-Unis, Italie, Hongrie, Danemark, etc. Chaque voyage est l’occasion de nouvelles rencontres et inspirations. En 1995, il s’installe avec sa famille dans la région duVal d’OiseàVilliers-Adam.Décédé en 2010,il est inhumé auxcôtésde Vincent Van Gogh,à Auvers sur Oise. » (extrait du dossier pédagogique du musée de Pont-Aven).

Expositions

Barbara Navi : les mirages de la figuration

« La peinture photogénique »  

Lorsque la peinture s’est libérée de la représentation du réel après l’avènement de la photographie, nombreux sont les peintres qui se sont emparés de ce jeu inédit où tout était permis : rehausser un paysage photographié de touches d’aquarelles ou de pastel, peindre des décors, des ruines à l’arrière plan de personnages photographiés, reconstituer en studio une scène … C’est à Michel Foucault que j’emprunte ces exemples qu’il avançait dans « La peinture photogénique » pour étayer son analyse sur la pratique de ces peintres : « Ce qu’ils ont produit au terme de leur travail, ce n’est pas un tableau construit à partir d’une photographie, ni une photographie maquillée en tableau, mais une image saisie dans la trajectoire qui la mène de la photographie au tableau« .

Eaux troubles - Barbara Navi
Eaux troubles – Barbara Navi

Aujourd’hui la peinture de Barbara Navi s’inscrit, me semble-t-il, dans cette stratégie réinventée. Pourtant l’artiste appartient à une génération qui estimait achevé le cycle de la peinture, cette aventure qui, depuis les dessins gravés sur les parois des galeries aurignaciennes,   consacrait  la pérennité  d’un art millénaire. Mais Barbara Navi, autodidacte, ne s’est pas laissée entrainer par les courants dominants et a fait de la peinture un médium contemporain. Le peintre place entre le réel et notre perception un écran, celui d’une peinture saisie par la photographie. Surexposition, saturation de l’image, déréglage de la mise au point sont autant de procédés avec lesquels elle joue sur cette toile dont on ne sait plus s’il s’agit de celle du tableau ou celle de l’écran cinématographique. Car la figuration proposée par Barbara Navi porte en elle la mémoire de cette histoire écrite par les artistes à la poursuite de l’image évoquée dans les écrits de Michel Foucault. Dans la longue chaine des inventions où diorama, daguerréotype, calotype ouvrent la voie à la conquête de l’image jusqu’au Kodachrome ou au Technicolor, la peinture intègre désormais tous les acquis de cette odyssée.

« Une fébrilité de l’attente« 

Ce travail sur la figuration permet de pénétrer dans un univers où le réel semble laisser place au mirage, ce dernier n’étant pas une hallucination puisqu’il est possible de le photographier. Le peintre se sert alors des outils de son temps (dont l’ordinateur) pour s’immerger dans le maelstrom des images et sa façon de perturber la figuration participe à une narration ambiguë qui nous est proposée plan par plan d’un tableau au suivant, réunie dans un thème à l’image de celui des « Egarés » présenté actuellement à la galerie de la Voute à Paris.

Barbara Navi " La part d'ombre " huile sur toile, 2013
Barbara NAVI – La part d’ombre, huile sur toile, 2013

Dans cette trajectoire qui mène de la photographie au tableau, Barbara Navi s’installe dans un espace incertain entre réel et fiction, agence une scène à la narration énigmatique, l’ensemble de cette stratégie aboutissant à une figuration jouant sur les deux tableaux : celui du récit et celui de la représentation. Avant elle, d’autres se sont employés à parcourir cette trajectoire, soit pour tenter, chez les hyperréalistes, de rendre invisible l’acte de peindre au profil d’un simulacre de photographie, soit, comme chez les peintres de la Figuration narrative, pour assigner à cette figuration une fonction analytique et politique.
Barbara Navi, pour sa part, a fait le choix d’une création qui prend ses distances avec le réel tout en conservant les apparences d’un monde possible. Mais ce monde, confiné dans l’espace du tableau, nous laisse dans l’incertitude d’un moment suspendu, de ce que le peintre décrit comme « une fébrilité de l’attente« . Les titres des séries précédentes  Eaux Troubles, La part d’ombre, Vertige, Antichambre, sont révélateurs de ce positionnement en déséquilibre, de cette intention de placer le tableau et son regardeur dans un entre-deux instable, voire inquiétant. Avec ce cinéma de l’immobile, Barbara Navi introduit dans sa peinture une narration  nourrie par une écriture plastique au service des mirages de la figuration.

Photos Barbara Navi

Barbara Navi « Les Egarés »‘
Du 08 octobre au 12 novembre 2015
Galerie de la Voûte
42 Rue de la Voûte
75012 Paris

Expositions

Daniel Richter « Voyage, voyage »

Selon les générations, « Voyage, voyage » peut rappeler à certains des souvenirs de jeunesse, à d’autres  ceux de leurs parents. Ce titre de la chanteuse Desireless, sorti en 1986, emblématique des années quatre-vingt, est devenu rapidement un très grand succès en France, puis en Europe et dans le monde.  Il retrouve aujourd’hui une actualité comme titre de l’exposition du peintre Daniel Richter à la Galerie Thaddaeus Ropac à Paris.
Dans ses peintures à l’huile, Daniel Richter relie l’histoire de l’art aux cultures médiatiques et populaires. Le titre de l’exposition est un hommage ironique au tube de Desireless.
« Les figures des dernières œuvres du peintre sont souvent debout, isolées dans  de vastes paysages où elles semblent vivre un sublime moment contemplatif. Nul ne sait s’il s’agit de musiciens ou de guerriers. Ils pourraient être des voyageurs en quête d’une destination oubliée depuis longtemps, leur but reste incertain. »

Exposition Daniel Richter, galerie Thaddaeus Ropac à Paris 2012

La violence des sujets figuratifs, l’agression colorée des tableaux contribuent à suggérer une  apocalypse dont on ne devine pas les tenants et aboutissants. Venu de l’abstraction, le peintre a dérivé  vers cette figuration turbulente. Mais Daniel Richter, nous dit-on, expliquait en 2004 :

« Il n’y a finalement aucune différence entre la peinture abstraite et la peinture figurative — hormis certaines formes de décodage. Mais les problèmes d’organisation des couleurs et des plans restent à vrai dire toujours les mêmes. Dans les deux cas, c’est la même méthode qui s’insinue sous diverses formes ».

Comme d’autres avant lui, Daniel Richter a peut-être considéré que si le désir pouvait s’ exprimer de façon abstraite, l’angoisse, elle, ne pouvait être que figurative.

"Voyage,voyage" 2012 Daniel Richter

L’évolution de son temps, les tensions de son époque, bref la dureté du monde, tout cela expliquerait-il le basculement de cette peinture vers cette figuration inquiétante ?
Au moment où sont écrites ces lignes, aux Etats Unis un tueur solitaire vient de perpétrer un massacre dans une salle de cinéma. Les tableaux de Daniel Richter  renvoient un singulier écho à cette actualité terrifiante.
Le voyage qui nous est proposé  serait-il, au mieux,  issu d’une contre-culture psychédélique, à la recherche d’un monde déconnecté de ce réel inacceptable ?
Peut-être nous faut-il replonger dans la chanson et les paroles de Desireless  pour retrouver un peu de paix ?

« Glisse des ailes sous les tapis du vent,
Voyage, voyage,
Eternellement.
De nuages en marécages,
De vent d’Espagne en pluie d’équateur,
Voyage, voyage,
Vole dans les hauteurs
Au dessus des capitales,
Des idées fatales,
Regarde l’océan… »

 

Photos galerie  Thaddaeus Ropac

 

Voyage, Voyage
Daniel Richter

4 juillet – 8 septembre 2012
Galerie Thaddaeus Ropac
7, rue Debelleyme
75003 Paris 3e

 

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Expositions

Le violon d’Ingres de Vincent Bioulès

« Chemins de Rome à Montauban ».

C’est  au musée Ingres à Montauban que va s’ouvrir une exposition consacrée à Vincent Bioulès, intitulée  « Chemins de Rome à Montauban ». Cette exposition a comme objectif de poursuivre la série des dialogues de grands dessinateurs français avec Ingres, projet déjà tenté avec Ernest Pignon-Ernest en 2007 et Henri Cueco en 2010.

« Au musée Ingres, l’exposition comportera environ 150 oeuvres provenant de musées français ou de collectionneurs particuliers et sera composée de plusieurs parties. L’une montrera l’ensemble du parcours de l’artiste, soit quarante ans de peinture à travers des oeuvres de plusieurs époques, depuis les premiers pas du peintre dans l’abstraction, avant même les années « Support /Surfaces » jusqu’aux aux très récents paysages de Céret de la fin des années 2000, en passant par la série des Places d’Aix. Une autre présentera, dans les salles Ingres du musée, des nus et des portraits réalisés par Vincent Bioulès faisant écho à l’oeuvre du maître de Montauban. Enfin, le coeur de ce dialogue se structurera autour de la présentation des dessins réalisés par Vincent Bioulès à Rome en 2007 et 2008 dans les jardins de la Villa Médicis. »

Le paradoxe Bioulès

Vincent Bioulès

Ce n’est pas le moindre paradoxe pour Vincent Bioulès d’avoir été à la fois l’inventeur du terme « Supports/surfaces » en 1970 et vraisemblament le moins fondamentalement  « Supports/surfaces » du groupe, même si les œuvres de cette période très courte pour lui s’inscrivaient, avec une abstraction rigoureuse et analytique dans la démarche générale du groupe. Pourtant, la nature de Vincent Bioulès le portait ailleurs.

A cette époque, Vincent Bioulès enseignait aux Beaux-arts :
« Je tentais d’enseigner le dessin et c’était le temps de Supports/Surfaces où je n’allais pas faire long feu, mais je pouvais alors, dans le jargon et les formules de nos bataillons, affirmer crânement que le moteur de la peinture n’était autre que la contradiction principale condensée dans le conflit de la couleur et du dessin… »
Lors d’une rencontre il y a quelques années déjà, Vincent Bioulès m’expliquait que cette période de groupe avait été assez difficile pour lui.  Il quittera d’ailleurs  « Supports /surfaces » en 1972 pour retrouver avec bonheur son violon d’Ingres : une peinture figurative consacrée d’abord aux fenêtres, car c’est à travers elles que Bioulès se propose d’explorer le monde en général et le monde de l’art en particulier.

« Intérieur » Vincent Bioulès

« Supports-Surfaces »  et après..

Quarante ans après cette expérience fort du groupe  « Supports/surfaces », il est possible d’observer les chemins divers empruntés par les artistes soudés à l’époque par un positionnement radical sur la peinture. Certains, comme Claude Viallat ou André-Pierre Arnal ont poursuivi une recherche qui n’a rien abandonné de cette remise en cause radicale. D’autres comme Vincent Bioulès, Louis Cane ou Jean-Pierre Pincemin ont manifesté le besoin de revisiter l’histoire de l’art en mettant leurs pas dans ceux des artistes de cette histoire et d’interroger, à nouveau la figuration.

Violon d’Ingres

« Violon d’Ingres » Man Ray 1924

Pour revenir à Ingres, Vincent Bioulès a retrouvé avec bonheur ses marques dans celles de Jean-Auguste-Dominique Ingres.
Picasso affirmait : « Il est notre maître à tous ». Des artistes contemporains ont parfois pris leur références dans l’oeuvre d’Ingres. « La grande odalisque » aura fait l’objet de multiples versions, de Martial Raysse à Orlan.
Ma faiblesse personnelle ira, au-delà des peintres contemporains, à Man Ray pour son superbe  Violon d’Ingres sur le corps de sa compagne et modèle Kiki de Montparnasse en 1924…

 

Photo Wikipédia

Vincent Bioulès dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

Vincent Bioulès
« Chemins de Rome à Montauban »
du 30 juin au 4 novembre 2012
Musée Ingres
Montauban, 82

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Expositions

Anne Cindric : une toile peut en cacher une autre.

L’exposition « Missing in action » visible actuellement à la galerie Laure Roynette à Paris présente le travail de l’artiste Anne Cindric. Ce « Missing in action » est une expression américaine désignant les soldats portés disparus au combat.

La toile de Jouy

"D-Day" 2011 Huile sur toile Anne Cindric

Anne Cindric, si elle se refuse à tout jugement moral ou politique, se concentre cependant sur « la représentation du pouvoir sous toutes ses formes : auparavant ses figures historiques, puis ses colifichets, aujourd’hui sa manifestation ultime, la guerre. » Certes l’artiste assume son statut de peintre et nous offre une figuration propre à servir son propos. Mais le jeu plus captivant auquel se livre Anne Cindric me semble tenir au choix du support : la toile de Jouy.
« Je construis mes tableaux , dit-elle, à partir de symboles de l’État incarnant un pouvoir froid, rationnel et ennuyeux ; je me suis inspirée des traditions françaises désuètes, en utilisant la Toile de Jouy en référence aux ornements des salles des Palais de Justice.»

Une toile peut en cacher une autre

C’est donc sur du « déjà peint » que peint le peintre. Ce « déjà travaillé » sur lequel elle porte son dévolu n’est pas neutre, véhicule sa propre histoire, ses propres références culturelles (et artistiques).
Intervient alors la seconde toile : celle créée par l’artiste. Les figures des soldats que l’on rencontre sur l’ensemble des oeuvres récentes d’Anne Cindric sont inspirées, le plus souvent, de vieilles photographies de guerres coloniales : le Vietnam, l’Indochine, l’Algérie.

"Lost" Huile sur toile Anne Cindric

Cette superposition entre l’imagerie désuète de la toile de Jouy et la violence toujours actuelle des clichés de guerre apporte à la lecture de l’ensemble un singulier second degré dans lequel peut s’engouffrer le spectateur. Anne Cindric ne prétend pas nous délivrer un message à sens unique. Elle nous laisse le droit d’investir notre propre lecture, au-delà peut-être de son propos initial.
Je retiens, pour ma part, de cette « guerre en dentelle » le jeu du peintre brouillant les pistes. Il me semble que, au-delà de l’information diffusée sur sa biographie, l’artiste a pris soin, à ce point du chemin sur le sentier de la création, d’effacer ses propres traces pour que l’on ne remonte pas jusqu’à ses propres paramètres personnels. Nous ne parlerons donc pas de ses origines, de sa formation, de sa profession. Laissons ces indices estompés derrières ses pas d’artiste et retenons cette présence d’une peinture jouant avec jubilation sur ce cache cache pictural. Attention en traversant la peinture : une toile peut en cacher une autre.

Photos Galerie Laure Roynette.

Exposition Anne Cindric « Missing in action »
Jusqu’au 23 juin 2012
Galerie Laure Roynette
20 rue de Thorigny 75003 Paris