Moments privilégiés

Une année particulière

A quoi ressemblera l’année 2018 ? Parmi tous les indices qui peuvent alimenter cette interrogation, nul doute que l’évocation de deux commémorations ne passera pas inaperçue. Le cinquantenaire de mai 68 replace aujourd’hui cette période agitée dans une perspective historique pour beaucoup et une nostalgie persistante pour ceux qui l’ont vécue. Plus discret l’anniversaire de la mort de Marcel Duchamp peut également offrir une réflexion à notre regard sur l’art du temps.
L’intrusion de mai 68 dans le domaine de l’art a bien dépassé le seul cadre de l’espace artistique pour envahir l’imagerie populaire.

Les affiches de mai

Le 8 mai 1968, à l’initiative des élèves architectes, un comité de grève se constitue à l’École des beaux-arts de Paris. Des artistes du Salon de la Jeune Peinture, comme Gilles Aillaud, Eduardo Arroyo, Francis Biras, Pierre Buraglio, Gérard Fromanger, Bernard Rancillac ou Gérard Tisserand et des membres de différentes tendances ou courants de gauche et d’ extrême gauche organisent le mouvement : assemblée générale journalière, discussions, décisions collégiales … Le 14 mai, étudiants et artistes impriment une première affiche en lithographie à trente exemplaires “Usines, Universités, Union”. Le même jour, le peintre Guy de Rougemont et le sérigraphe Éric Seydoux, qui maîtrisent cette technique de la sérigraphie, sont chargés de mettre en place un atelier et initient étudiants et artistes à cette technique nouvelle qui permet d’imprimer plus rapidement que la lithographie. La totalité des affiches imprimées atteindra le million.
Pour les artistes, cette période d’activité intense, aura durablement influencé l’implication de leur peinture dans une prise de responsabilité au regard du monde réel. « Les artistes ne sont même plus dans leurs ateliers, ils ne travaillent plus, ils ne peuvent plus peindre parce que le réel est beaucoup plus puissant que toutes leurs inventions » témoigne Gérard Fromanger.

 « Vivre et laisser mourir ou la fin tragique de Marcel Duchamp ».

En mai 1968 il ne reste plus à Marcel Duchamp que quelques mois à vivre. Déjà certains peintres de la Figuration narrative l’ont tué symboliquement une première fois. En 1965, trois artistes qui ont l’habitude de travailler ensemble à des œuvres collectives, Gilles Aillaud, Eduardo Arroyo et Antonio Recalcati, réalisent une série de huit grandes peintures intitulées « Vivre et laisser mourir ou la fin tragique de Marcel Duchamp ». La série figure une scène d’interrogatoire policier qui tourne mal, interrompue par trois copies des œuvres les plus célèbres de Duchamp, le Nu descendant l’escalier (1912), l’urinoir intitulé Fontaine (1917), et le Grand Verre (1915-1923).

AILLAUD Gilles (1928-2005), ARROYO Eduardo (né en 1937), RECALCATI Antonio (né en 1938), Vivre et laisser mourir ou la Fin tragique de Marcel Duchamp, 1965,  ensemble de huit tableaux signés collectivement.

On voit l’un des trois peintres en train de frapper Duchamp, ce dernier inanimé sur un fauteuil puis jeté nu dans un escalier. La séquence se termine par un enterrement avec drapeau américain sur le cercueil et, pour tenir les cordons du poêle, trois protagonistes du Nouveau réalisme français et trois autres du Pop américain.
Cinquante ans après la mort de Duchamp et  les soubresauts de mai 68, l’art du temps a beaucoup changé. La peinture n’a pas tué Duchamp. Duchamp n’a pas tué la peinture. Pour autant le monde de l’art a connu un bouleversement radical. Ce qui est désigné pudiquement sous le terme de mondialisation a ouvert un champ libre au luxe planétaire  s’octroyant les attributs de la culture et de l’art.
C’est à ce réel là que les artistes se retrouvent confrontés aujourd’hui.

 

Expositions·Médias

Marseille (2) : « Le grand verre » et après

A Marseille, un superbe hôtel particulier inséré en pleine ville près du vieux port ne laisse guère deviner son histoire liée à la pêche du corail sur les côtes nord de la Tunisie et au commerce des laines, de la cire et des cuirs. Au dix-septième siècle la Compagnie du Cap Nègre enrichie par cette activité multiple édifie ce bâtiment qui abrite aujourd’hui le musée Cantini, nom laissé par Jules Cantini dernier propriétaire du lieu avant que l’hôtel ne soit légué à la ville de Marseille. Il faudra attendre 1936 pour que le musée Cantini devienne effectivement un musée d’art décoratif.
Le CIRVA

En 2017, c’est une histoire plus récente qui est présentée dans ses murs. Le CIRVA, Centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques, fête ses trente ans d’existence à Marseille. Cet anniversaire offre l’occasion de montrer la collection unique qui s’est enrichie depuis le début de ses activités pour compter aujourd’hui environ six cent œuvres.
La particularité du CIRVA tient au protocole établi entre les artistes et ce lieu de production. Centre d’art et atelier de recherche et de création contemporaine, l’établissement accueille des plasticiens, designers ou architectes ayant des pratiques variées et désirant introduire le verre dans leur démarche créatrice. Ces artistes développent leurs projets de recherche assistés de l’équipe technique du CIRVA , selon les modalités et le rythme convenant à chacun des projets. Il s’agit donc d’un véritable laboratoire pensé pour les artistes, dans l’idée de leur offrir un espace et un outil de travail unique. Depuis plus de vingt ans, le CIRVA a accueilli deux cents artistes pour des objectifs divers, tant dans le domaine de l’art contemporain que du design et des arts décoratifs.

Figure imposée

 » Mort à Venise »1993-1997. Erik Dietman,

Ce que montre l’exposition du musée Cantini éclaire ce qui, pour des artistes contemporains, constitue une figure imposée : accepter d’utiliser le verre pour prolonger une démarche qui peut se révéler aux antipodes du design et des arts décoratifs. Certes, depuis « Le grand verre » réalisé entre 1915 et 1923 à New York par Marcel Duchamp, ce matériau participe à l’histoire de l’art contemporain. On en peut oublier non plus l’usage agressif et tranchant qu’en faisait Daniel Pommereulle.
Pour autant son utilisation relève le plus souvent des arts décoratifs. Si bien que chaque artiste se trouve confronté à une forme de défi pour s’approprier le verre et le soumettre à une démarche inhabituelle, inattendue, décalée.
Erik Dietman  ne s’est pas privé de ce jeu décapant avec notamment  » Mort à Venise » (1993-1997). Jean-Luc Moulène prend au pied de la lettre l’expression « cage de verre » pour For Birds (2012) qui a les honneurs de l’affiche. « Le Petit Ange rouge de Marseille » (1991-1993) de James Lee Byars occupe une place privIlégiée dans la plus vaste salle du musée.

« Le Petit Ange rouge » (1991-1993) James Lee Byars

L’exposition qui n’a aucune vocation chronologique opère, par ailleurs, une mise en perspective de ces créations contemporaines avec la présence d’artistes désormais inscrits dans l’Histoire de l’art. Ainsi Shirley Jaffe ou Hans Hartung notamment s’invitent au sein de ce parcours.
Détourné de ses fonctions utilitaires, le verre confirme dans « Une maison de verre » sa disponibilité pour toutes les audaces, le détournements au-delà des pratiques historiques des arts décoratifs

 

« Une maison de verre »:  Le CIRVA »
Du 17 mars au 24 septembre 2017
Musée Cantini
19 rue Grignan
13006 Marseille

Moments privilégiés

Beaubourg : quarante degrés au-dessus de Duchamp

Jacques Tissinier Centre Pompidou Paris 1977
Jacques Tissinier Centre Pompidou Paris 1977

Centre Beaubourg

Quand le Centre Pompidou de Paris est inauguré le 31 janvier 1977 c’est une histoire de sept années qui aboutit après que Georges Pompidou en ait initié le projet. Ce qui s’appelait pendant toutes ces années de construction le Centre Beaubourg deviendra donc Centre Pompidou après la mort de ce dernier en 1974.
Pour la génération de ceux qui ont accompagné dans la durée ces années d’aventure, l’anniversaire des quarante ans du Centre Pompidou n’a rien d’anecdotique. Oubliées aujourd’hui les polémiques acharnées sur l’architecture de Renzo Piano, Richard Rogers, et Gianfranco Franchini, les invectives sur l’«Usine à gaz », la «Raffinerie de pétrole ». Pendant les travaux quelques interventions ludiques pimentent à l’occasion la venue du futur bâtiment, comme ce partage du « Gâteau Beaubourg » avec le groupe «Radeau de la Méduse », organisé par Jacques Pineau, performance où l’on retrouve Jacques Halbert.

gateau-beaucourg
« Gâteau Beaubourg » avec le groupe «Radeau de la Méduse », Jacques Pineau,Jacques Halbert 1976

Alors que les travaux sont achevés, le tout premier crayon libertaire géant élancé en direction du bâtiment avant même l’inauguration du centre en janvier 1977 par l’artiste Jacques Tissinier rend alors hommage au « J’écris ton nom, liberté »  d’Eluard. Avec leurs interventions de saltimbanques ou de plasticiens ces artistes soulèvent à leur façon une question sensible : quel sera l’art, quels seront les artistes accueillis dans cette institution majeure ? Déjà certains pressentent que ce ne sera pas pour eux et le font entendre. Musée d’art moderne et contemporain,  bibliothèque, centre de création industrielle? Toutes les interrogations restent alors ouvertes sur la destinée véritable de ce complexe culturel inédit.
Puis ce 31 janvier 1977 le Centre Pompidou ouvre enfin.  On a peut-être également oublié les files d’attente interminables générées par la curiosité du public face à un personnel surpris, débordé, gérant tant bien que mal par une entrée du centre qui n’est plus utilisée aujourd’hui ce flot ininterrompu de visiteurs.
Quarante ans plus tard, le succès public ne s’est pas démenti. En 2016, Beaubourg a vu son nombre de visiteurs augmenter de neuf pour cent et a franchi, pour la huitième année consécutive, la barre des trois millions de visites. Pourtant les nouvelles contraintes matérielles de visite avec les contrôles accrus de sécurité n’ont pas facilité la fluidité du trafic et les files d’attente ne sont pas seulement dues au succès des expositions.

Duchamp et après

D’entrée le Centre Pompidou  prend ses marques avec une exposition inaugurale : une grande rétrospective Marcel Duchamp. « Cette exposition rend hommage et justice à un artiste dont l’œuvre, considérée en dehors de la France comme majeure et à l’origine de l’art actuel, est restée, en son propre pays, singulièrement méconnue, voire ignorée. ». duchamp-afficheC’est une prise de position radicale qui se manifeste pour l’art contemporain, ligne de fracture entre des conceptions différentes, voire antagonistes sur l’art du temps. Ces quarante années ont confirmé l’enracinement de ces choix. Tout au long de quatre décennies d’expositions la ligne du Centre Pompidou a confirmé cette orientation. Depuis le début des années 2000, la création par l’ADIAF du prix Marcel Duchamp entraîne le partenariat du Centre Pompidou qui s’associe davantage encore au fil des années pour accueillir les lauréats de ce prix.
Depuis 1977 la désignation même d’art contemporain a considérablement évolué et l’appellation recouvre d’autres réalités dans un univers mondialisé qui a bouleversé également la vie du marché de l’art.
Près de quarante ans après le premier crayon libertaire de Jacques Tissinier, la photographie de Stéphane Mahé sur les murs du Centre Pompidou en 2015 révélait également les changements de l’état du monde. Ce  « Crayon guidant le peuple », titre donné à la photo par ceux qui se sont empressés de multiplier à l’envi la diffusion du cliché, associe définitivement la marche populaire du 11 janvier 2015 après les attentats parisiens au geste conquérant de la liberté. La génération Beaubourg, quarante degrés au-dessus de Duchamp, peut mesurer aujourd’hui la mutation de son art et de son époque.

La programmation anniversaire des 40 ans du Centre Pompidou
https://www.centrepompidou.fr/fr/Le-Centre-Pompidou/40-ans

Expositions

Dust : tu redeviendras poussière…

Dust affiche« Élevage de poussière « 

C’est l’argument très pointu d’un commissaire d’exposition, David Campany, qui sert de référence initiale à l’exposition « DUST — Histoires de poussière, d’après Man Ray et Marcel Duchamp  » visible actuellement au BAL à Paris. Cet indice précurseur porte le nom d’ « Élevage de poussière« . En 1920, Man Ray rend visite à son ami Marcel Duchamp dans son atelier new-yorkais. Là, il voit une plaque de verre posée à plat, recouverte d’une épaisse couche de poussière. Duchamp a volontairement laissé cette poussière s’accumuler durant des mois. C’est l’un des stades d’élaboration de ce qui deviendra sa plus grande œuvre en techniques mixtes : « La Mariée mise à nu par ses célibataires, même » également connue sous le nom de « Grand Verre » (1915-1923). La pellicule de poussière représente l’épaisseur du temps. Il faudra que ce temps donne une perspective à cet objet avant que, dans les années 1960 et 1970, les artistes conceptuels y voient une préfiguration de leurs réflexions. Élevage de poussière sera considéré comme annonçant le travail des artistes associés à l’Art brut, à Fluxus et à l’Arte povera. L’image est revendiquée par tous ces mouvements mais ne peut être accaparée par aucun d’eux.
Proposer alors une exposition photographique autour de cet « inframince » pourrait a priori paraître une gageure et laisser place au scepticisme. Pourtant il faut rendre les armes et accepter ce voyage improbable dans une quête développée auprès d’artistes de générations différentes, de recherches diverses. Ce fil conducteur entraine alors le visiteur dans une errance où la poussière passe par des états multiples, autorise des lectures inattendues. Photographie de presse, photographie d’inconnu mais également créations d’artistes contemporains jalonnent ce parcours inédit.

Tempête de poussière au Kensas en 1935  Photographe inconnu
Tempête de poussière au Kensas en 1935 Photographe inconnu

L’ « Élevage de poussière  » de Man Ray/Duchamp permettait l’interprétation d’une vue aérienne dans un espace énigmatique. Mais cette poussière devient également vecteur d’une destruction d’immeuble à New York. Une tempête de poussière au Kensas en 1935 abandonne derrière elle un terrain stérile.
Cette poussière, apparemment anodine lorsqu’elle se dépose au fil du temps sur quelques objets ou sur la plaque de Marcel Duchamp, s’affirme alors comme révélatrice de tous les dangers. « Je te montrerai la peur dans une poignée de poussière » écrivait TS Eliot dans « La Terre vaine » en 1924. L’ambition de David Campany n’est pas mesurée. L’auteur de l’exposition et du livre qui la génère suggère que la photo de Duchamp/Man Ray pourrait être une clef pour la compréhension de notre siècle,  « concentré de hasard, d’incertitudes spatiales, d’ambiguïtés sur l’origine de l’image et sur son auteur, à un sentiment d’instabilité, à un effacement des frontières établies entre photographie, sculpture et performance (…) »
Si bien que l’on ne peut pas, me semble-t-il, ignorer la question sous-jacente d’une telle exposition : le créateur serait-il le curator, personnage central de la manifestation ?

Installation de "Nomads" de Xavier Ribas au BAL, Paris 2015
Installation de « Nomads » de Xavier Ribas au BAL, Paris 2015

Entropie

Faudrait-il alors envisager l’histoire de l’art comme la résultante spéculative issue de la réflexion personnelle de tel ou tel concepteur plutôt que le fruit d’une aventure humaine échappant à chacun et laissant aux générations suivantes un héritage de créations disponibles pour des investigations contradictoires ? Le thème de « Dust » pourrait bien porter en lui ses propres contradictions, la poussière apparaissant comme l’élément visuel le plus symbolique de l’entropie. De la poussière aux cendres se révélerait la destinée inéluctable des productions humaines, voire de l’humanité  toute entière. L’injonction biblique  « Tu redeviendras poussière... » solderait alors l’ambition de toute histoire de l’art et même de l’histoire des hommes.

 

Dust / Histoires de poussière d’après Man Ray et Marcel Duchamp
Une proposition de David Campany
Du 16 octobre 2015 au 17 janvier 2016
Le BAL
6, Impasse de la Défense
75018 Paris

Expositions

Duchamp et avant

Duchamp roue
 » La roue de bicyclette » Marcel Duchamp 1913 dans l’exposition « La peinture, même »au Centre Pompidou 2014

« La peinture, même »

L’an passé, le Centre Pompidou de Paris aurait pu saisir l’occasion de rendre hommage au tout premier ready-made de Marcel Duchamp, cette fameuse roue de bicyclette fixée sur un tabouret, créé en 1913. Plutôt que de s’intéresser au « Duchamp et après« , l’exposition actuelle nous parle du « Duchamp et avant » cet objet dont venait tout le mal pour certains. Car « La peinture, même« , titre de cette exposition  souhaite nous montrer que Duchamp « est d’abord un peintre, et c’est dans sa peinture que l’on peut lire, dès le début, la complexité et l’extrême cohérence de son œuvre« .
Je laisse le soin aux spécialistes nombreux de Duchamp de retracer toutes les périodes et les implications de ce Duchamp  peintre.

Un ready-made peut en cacher un autre

C’est au sort de ce tout premier ready-made que je souhaite réserver ces lignes. Car cet objet non identifié surgit donc en 1913 au milieu de cette période peinture. Déjà, l’année précédente, le « Nu descendant l’escalier » a croisé les recherches d’Etienne-Jules Marey comme le montre l’exposition du Centre Pompidou. On sait combien la naissance à venir de ce Ready-made a pris  une place déterminante. Mais qu’en est-il dans ces années où la peinture reste l’occupation essentielle de l’artiste ? Composée de métal et bois peint, il s’agit d’une roue de bicyclette (sans pneu) fixée par sa fourche sur un tabouret en bois. Dès sa création, l’objet  semble porter un destin agité, au point que six versions de l’œuvre  verront le jour jusqu’en 1964.
Marcel Duchamp n’a rien fait non plus pour simplifier les choses en semant le doute au gré des entretiens et des déclarations. En premier lieu, l’artiste réfuta le terme de Ready-made pour ce premier objet improbable que l’on qualifia cependant de « Ready-made assisté« .
« Quand j’ai mis une roue de bicyclette sur un tabouret la fourche en bas, il n’y avait aucune idée de Ready made ni même de quelque chose d’autre, c’était simplement une distraction » déclarait-il à Pierre Cabanne.  L’original de l’œuvre fut perdu ou oublié par Duchamp dans son atelier de Neuilly lorsqu’il quitta la France pour les Etats-Unis en 1915, d’où la fabrication d’une seconde roue de bicyclette dans l’atelier New-yorkais en 1916.
Dans le même temps, les véritables ready-mades sont arrivés, à commencer par le Porte-Bouteilles en 1915. Si bien que l’objet précurseur conserve un statut hybride, souffrant comme un enfant mal aimé auquel ont n’aurait même pas donné un nom, manquant d’affection et d’attention. Orphelin dans l’œuvre de Duchamp, il marque pourtant une coupure qui lui donnera l’occasion de prendre sa revanche plus tard.

Car se pose la question de savoir quand l’effet Ready-made prendra véritablement son sens ?  Et cette question nous ramène à cette exposition du peintre Duchamp, dans laquelle l’objet roue de bicyclette, présent mais discret, semble attendre son heure. L’objet orphelin est-il à l’époque perçu également comme une des toutes premières (sinon la première) œuvres cinétiques tandis que Naum Gabo, dans son usine désaffectée dans la
banlieue ouest de Berlin, à Licherfelde-Ost, n’a pas encore inventé sa première pièce cinétique ?
Entre la période des nus, la curiosité pour les cubistes, la séduction pour les machines, le Grand verre, l’enfant caché de Duchamp, ce Ready-made assisté à nul autre pareil devra attendre encore pour symboliser tout ce qui sera produit au nom de Duchamp dans cet « après » prometteur.

Photo de l’auteur

Marcel Duchamp. La peinture, même

24 septembre 2014 – 5 janvier 2015
Centre Pompidou, Paris

Expositions

Jeff Koons : un roi à New York

Alors que le MOMA et le Guggenheim de New-york préparent actuellement l’installation de nouvelles expositions temporaires, c’est le Whitney Museum qui rafle la mise et génère en ce moment les files d’attente avant les heures d’ouvertures de la rétrospective Jeff Koons.

Koons à tous les étages

Car au Whitney actuellement , c’est Koons à tous les étages. Seul Edward Hopper conserve sa citadelle au cinquième niveau de ce bâtiment conçu par Marcel Breuer il y a près de cinquante ans. La rétrospective Koons sur la presque totalité des espaces du musée permet, en effet, de suivre l’itinéraire d’un enfant gâté de l’art contemporain.

"Lifeboat" Jeff Kons  bronze
« Lifeboat » Jeff Kons bronze

Outres les œuvres visibles un peu partout à travers le monde, le Whitney retrace le parcours d’un artiste controversé peut-être pas un succès encombrant qui, en partie, occulte l’identité de l’ œuvre. L’origine, les méthodes, le positionnement de l’artiste dans le monde de l’art ne sont pas étrangers à l’agacement sous-jacent au regard porté sur la démarche de celui qui, ancien courtier en matières premières à Wall Street, se comporte en manager d’une équipe d’une centaine d’assistants dans le quartier de Chelsea. Après Wharol, l’entrepreneur Koons assume le statut de l’artiste mondialisé, confirmé par les critères de la spéculation internationale et l’adoubement de ceux qui  partagent ses valeurs et se disputent ses pièces. Pourtant, dans l’imposante expositions du musée, quelques oeuvres plus modestes semblent rappeler que Koons a pu faire entendre parfois une petite musique plus discrète, comme ce jeu de miroirs avec quelques éponges synthétiques de couleur. Dans un univers où se croisent et se bousculent Duchamp, Claes Oldenburg et Warhol pour ne citer que les références les plus ancrées, ce jeu avec l’objet se charge d’une mise en valeur dans l’univers de la consommation et des images culturelles qui l’accompagnent. L’artiste ne s’est pas privé de ce jeu photographique, notamment avec son ancienne épouse l’actrice porno Ilona Anna Staller, dite Cicciolina
Pour le Whitney museum, cette rétrospective Koons s’apparente à un bouquet final. En effet, il s’agit de la dernière exposition avant l’ouverture au printemps 2015 du tout nouveau Whitney museum créé par Renzo Piano et situé entre la High Line et l’ Hudson River, sur Gansevoort street.

“Split rocker”

Mais il fallait plus d’un musée, même totalement consacré à la dévotion Koons, pour traduire l’engouement mondialisé, la  frénésie mercantile qui s’attachent à cet activisme artistique. New York, désormais dominé par le One World Trade Center, permet à Jeff Koons de se situer comme le roi de la ville. Au pied du Rockfeller center, sur la cinquième avenue, la plus grande œuvre monumentale de Jeff Koons (près de douze mètres de haut, d’un poids de deux cents cinquante tonnes et  composée de  cinquante mille fleurs vivantes en pot alimentées par  un système d’arrosage très perfectionné) semble damer le pion au symbole Rockfeller jailli dès après la crise de 1929.

Jeff Koons, Split-Rocker 2000 acier inoxydable, sol, toile géotextile, système d'irrigation interne, et des plantes à fleurs en direct
Jeff Koons, Split-Rocker 2000
acier inoxydable, sol, toile géotextile, système d’irrigation interne, et des plantes à fleurs en direct

Ce  “Split rocker” a d’abord été exposée en France au Palais des Papes à Avignon en 2000, puis au Château de Versailles (2008) et à Fondation Beyeler (2012).
Cette œuvre bicéphale, trouve encore sa source dans le clin d’œil à l’objet. La création du “Split rocker” vient en effet de l’idée de combiner deux chevaux à bascule d’enfant. ( Une partie “Dino” correspondant à la tête d’un dinosaure, personnage de bandes dessinées, et une partie “Pony” correspondant à la tête d’un poney). Koons, nous dit-on, aime l’idée qu’avec ces éléments végétaux naturels, rien ne garantit la survie des plantes malgré toutes les précautions techniques. Cette notion de perte de contrôle semble pourtant aux antipodes des critères mis en permanence en avant pas Koons : assurer une gestion efficace, productive, contrôlée et rentable de l’entreprise artistique. Dans peu de mois il sera possible au Centre Pompidou de Paris, de mettre en balance ces deux faces de l’artiste Janus : créateur et entrepreneur. A l’image de son Split rocker, Jeff Koons bascule inlassablement entre ces deux positions instables : entrepreneur et créateur.

Photos: de l’auteur

Rétrospective Jeff Koons
Whitney Museum
945 Madison avenue at 75 th street
New York
Jusqu’au 19 Octobre 2014
puis en novembre au Centre Pompidou à Paris

 

Médias

La Beat generation de Jean-Jacques Lebel

Arte vient de diffuser cette semaine le passionnant documentaire de Jean-Jacques Lebel : « Beat generation ».
Jean-Jacques Lebel, commissaire de l’exposition « Beat Génération / Allen Ginsberg » qui se tient au Centre Pompidou-Metz  a conçu ce remarquable récit retraçant la durable amitié entre Jack Kerouac, Allen Ginsberg et William Burroughs,  point de départ au mouvement littéraire de la  Beat Generation . Cette aventure est celle d’une route américaine que Kérouac a immortalisé dans le «Sur la route» publié en 1957 .

La Remington sur laquelle Jack Kerouac a écrit « Sur la route »

Jean-Jacques Lebel rencontre pour la première fois Allen Ginsberg rue Saint-André des arts à Paris en 1958. Sa proximité avec la Beat generation remonte donc aux sources du mouvement. Pendant un an et demi il assurera la traduction en français du poème « Howl » de Ginsberg, restant en relation constante avec l’écrivain. Le mérite du film est de nous donner à voir cette histoire croisée entre Jack Kerouac, Allen Ginsberg et William Burroughs, en l’étayant de nombreux documents d’archives, le témoignage personnel de Ginsberg, l’évocation  de l’Amérique des années cinquante où la turbulence de ces jeunes artistes et écrivains est observée avec défiance voire hostilité.
La « fureur de vivre » de ces trublions ne ressemble pas au mythe de James Dean dans le film de Nicolas Ray. La contestation est ici plus profonde, elle touche aux valeurs d’une société américaine dans laquelle les jeunes écrivains ne se retrouvent pas. Elle s’exprime à la marge à travers les excès en tous genres.

Lecture de Jack Kerouac

On sait peut-être moins que cette histoire passe aussi un peu par la France et par Paris. Le film de Jean-Jacques Lebel revient sur les pas de cette histoire au cœur du quartier latin. En 1957-58, Ginsberg, Orlowsky, Corso et William Burroughs occupent un hotel sans nom qui deviendra historiquement le « Beat Hotel. » Celui-ci est situé « au 9, rue Gît-le-Cœur, une étroite ruelle médiévale qui descendait vers la Seine, reliant la rue Saint-André-des-Arts au Quai des Augustins, dans la partie la plus ancienne du Quartier Latin.. » . Le film revisite les lieux exigus où vécurent les écrivains. On est loin, certes, de l’impressionnant Chelsea Hôtel de New-York, lieu emblématique de cette génération et des suivantes.
Jean-Jacques Lebel, sans être aucunement présent à l’écran, révèle ainsi sa propre histoire à travers cette remise en cause. Ses premiers happenings (dont le tout premier en Europe : l’enterrement de la Chose, en 1960 à Venise), son implication dans les soubresauts du mouvement du 22 mars puis de mai 68,  son amitié avec Deleuze et Guattari, tout cela  a construit la personnalisé du jeune Lebel  qui a côtoyé très jeune Marcel Duchamp. A sa façon, Lebel  a fait partie des répliques de la Beat genération en France. Son refus épidermique du pouvoir, de toute hiérarchie est profond. Il revendique les valeurs d’une société dans laquelle les animaux sont l’égal de l’homme dans le respect de leur identité et de leur vie. Irréductible, Jean-Jacques Lebel fait remonter à la surface, dans ce documentaire, les forces telluriques qui agitent ses propres refus.

Jean-Jacques Lebel dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

Photos extraites du documentaire

Le film Beat Generation : Kerouac, Ginsberg, Burroughs de Jean-Jacques Lebel et Xavier Villetard a été réalisé par ce dernier, en coproduction Arte France, la Compagnie des Phares et Balises, le Centre Pompidou. Il peut être vu encore quelques jours sur les rediffusion ARTE.

« Beat Génération / Allen Ginsberg »

L’exposition du Centre Pompidou Metz est prolongée jusqu’au 6 janvier 2014

Expositions

La vie après Duchamp

Difficile de se mettre à la fenêtre pour se voir passer dans la rue. C’est donc avec cette avertissement en tête que ces ligne seront consacrées à l’exposition « Duchamp et après… » dont je suis le concepteur et que l’APACC de Montreuil a bien voulu accueillir.

Déjà  abordé récemment,( « Marcel Duchamp 1913 : et pourtant elle tourne ! ») le centenaire du tout premier Ready-made de Marcel Duchamp offre l’occasion d’ évoquer cette histoire singulière : comment un geste artistique apparemment anodin selon son auteur a finalement occupé une place centrale dans l’art à la fois par la conviction de ses défenseurs et la vigueur de ses opposants.

Un siècle plus tard, on ne peut que constater combien ce geste a  généré une fracture décisive dans l’art de notre temps, heureuse pour les uns, désastreuse pour les autres.
Pour trois artistes de trois générations différentes : Mark Brusse, Daniel Nadaud et Arnaud Cohen, la vie après Duchamp a pris des voies personnelles diverses.

Mark Brusse 

« La fente fertile » 2012 Mark Brusse

Dès le début des années soixante où il réalise des assemblages d’objets en bois de récupération et divers métaux trouvés dans la rue, Mark Brusse se retrouve tout naturellement en relation avec les artistes du Nouveau réalisme, groupe auquel il ne sera pas associé. Sa proximité avec Daniel Spoerri ou  Raymond Hains ne doit rien au hasard. Mais à la différence des artistes du nouveau réalisme, les productions de Mark Brusse donnent  vite naissance à des objets non identifiés, fort loin du détournement d’objets réels du nouveau réalisme. Il se lie avec le groupe Fluxus connu pour son attachement au caractère événementiel et éphémère de l’œuvre, ce qui conduit Brusse à participer à plusieurs happenings et surtout à collaborer avec le musicien John Cage.
« Je voudrais faire des  choses, mais des choses… » explique Mark Brusse, marquant ainsi à la fois sa volonté d’artiste et sa difficulté à définir un tel itinéraire.

Daniel Nadaud

« D’un seul élan » 1993 Daniel Nadaud

Avec calme et tranquillité, Daniel Nadaud a pourtant pris assez vite une position radicale : en 1982-1983, il trouve la peinture, la sienne, suspecte. Il prend la décision d’y échapper, de briser le châssis, de peindre sur d’autres horizons, et puis de ne plus peindre. Cet homme tranquille, paisible, récolte autour de lui les traces dévaluées d’une activité laborieuse, les regarde à sa façon et nous donne à voir , à revoir ce réel déchu. Le sort des objets devient le centre de sa préoccupation. Plus qu’un détournement de l’objet, il s’agit là d’une seconde vie pour des objets arrachés à l’oubli. « Le débris m’intéresse beaucoup » affirme Daniel Nadaud . Son autopsie du monde agricole en perdition a occupé un temps de son oeuvre.

Arnaud Cohen

« The Kiss » 2008 Arnaud Cohen

Né en 1968, l’année de la mort de Duchamp, Arnaud Cohen est donc doublement post-Duchamp. « Arnaud Cohen invente des dispositifs constitués d’objets et de mots, volés à la société de consommation et subvertis. Assemblages luxueux en bronze chromé d’objets archétypaux simplement agrandis, collages, ready-mades où la seule intervention réside dans une immersion partielle dans un bain de peinture bleue ou rose layette, campagnes d’affichages aux contenus démagogiques et provocateurs« .
Le détournement apparaît ainsi comme la stratégie essentielle de son travail. Arnaud Cohen prend l’art contemporain en otage avec un pistolet en plastique et l’amène là où il l’a décidé: sur un territoire inconnu où il libère ses passagers des formatages qui nous contraignent chaque jour.

Avec ces trois artistes, l’exposition « Duchamp et après.. »  donne quelques repères dans ces propositions qui tentent d’attribuer un nouveau statut à l’objet, loin de la seule vocation marchande à laquelle notre société a réduit notre regard.

« Duchamp et après.. »
Avec les artistes :
Mark Brusse, Arnaud Cohen et Daniel Nadaud
Du 31 mai  au 9 juin 2013 ouverture samedi et dimanche de 15h à 19 h
APACC
19 rue  Carnot
93100 Montreuil

<p align= »LEFT »><span style= »color: #800000; »><span style= »font-family: Tahoma,sans-serif; »><span style= »font-size: small; »><span style= »font-size: medium; »></span></span></span></span>

Expositions

Marcel Duchamp 1913 : et pourtant elle tourne !

« Roue de bicyclette » 1913

Il peut paraître bien téméraire  de vouloir évoquer ici le centième anniversaire du premier Ready-made de Marcel Duchamp « Roue de bicyclette » créé en 1913. Cent ans après, le sujet reste sensible, coupe le monde en deux : ceux de l’avant et ceux de l’après. Il est le lieu de fixation de toutes les polémiques, a généré une littérature impressionnante de spécialistes. Il connaît ses défenseurs les plus déterminés comme ses détracteurs les plus farouches, ces derniers basculant parfois, pour les cas limites, dans un poujadisme navrant.

Ready-made « assisté »

« Roue de bicyclette » version 1964 Marcel Duchamp Sculpture
Dimensions : 63 x 127 x 28 cm

Marcel Duchamp n’a rien fait, non plus, pour simplifier les choses en semant le doute au gré des entretiens et des déclarations. En premier lieu, l’artiste réfuta le terme de Ready-made pour ce premier objet improbable que l’on qualifia cependant de « Ready-made assisté ».

« Quand j’ai mis une roue de bicyclette sur un tabouret la fourche en bas, il n’y avait aucune idée de Ready made ni même de quelque chose d’autre, c’était simplement une distraction »

déclarait-il à Pierre Cabanne.  L’original de l’oeuvre fut perdu ou oublié par Duchamp dans son atelier de Neuilly lorsqu’il quitta la France pour les Etats-Unis en 1915, d’ où la fabrication d’une seconde roue de bicyclette dans l’atelier New-yorkais en 1916.
Et là, la machine se met à marche, produit du sens, des discours, des textes. Les Ready-made bruts Porte bouteilles (1914), Fontaine (1917)  ont pris le relais dans la remise en cause de l’art, de la situation de l’artiste, de la signature, de la condition d’auteur, autant de notions qui agitent  toujours l’art de notre époque un siècle plus tard.
Cette roue de Duchamp a marqué avec bonheur ou malédiction selon les uns ou les autres, une rupture à laquelle je laisse prudemment à d’autres le soin de dire si elle fut volontaire ou non, si elle fut le fruit d’une réflexion visionnaire ou d’un opportunisme de dandy.
Car ce qui s’est passé avec la roue de Duchamp lui a échappé, ne lui appartient plus et les artistes se sont appropriés une question lancinante, encombrante, détestable ou lumineuse.
Nier l’importance du phénomène serait, me semble-t-il, faire preuve d’autant de clairvoyance que le tribunal de l’Inquisition face à Galilée défendant la rotondité de la terre.
Pour autant, cet anniversaire, en 2013 en France, ne suscite pas un engouement significatif, ne déclenche pas des manifestations à la hauteur du symbole. Seul le LAAC à Dunkerque propose « Poétique d’objets » en revisitant l’objet post-Duchamp. Je n’évoquerai pas davantage cette exposition que je n’ai pas eu encore l’occasion de voir.

« Duchamp et après..« 

Plus modestement , l’APACC de Montreuil présente avec « Duchamp et après.. » dans les prochains jours, une mise en perspective de la roue de Bicyclette de Duchamp  avec les oeuvres de trois artistes de générations différentes: Mark Brusse, Arnaud Cohen et Daniel Nadaud. Disparue puis réapparue, toujours présente et actuelle, la roue de Duchamp, dans nos têtes, n’a pas fini de tourner.

Photo source: http://www.artactuel.com/artiste-contemporain-confirme/duchamp-marcel-15/oeuvres/roue-de-bicyclette-220.html

« Duchamp et après.. »
Avec les artistes :
Mark Brusse, Arnaud Cohen et Daniel Nadaud
Du 31 mai (vernissage 18h) au 9 juin 2013
APACC
19 rue  Carnot
93100 Montreuil

 

 

Expositions

Simon Boudvin : le double héritage

L’espace de la galerie Jean Brolly à Paris connaît actuellement une occupation  pour le moins encombrante. Avant même d’envisager les motifs de cette intrusion, considérons ces objets pour ce qu’ils sont : six cuves à mazout, parallélépipèdes en tôle, aux tailles et couleurs différentes, parfois rouillées. Ces cuves ont été vidées du combustible qu’elles contenaient, puis fermées par un bouchon en laiton.

Simon Boudvin Galerie Jean Brolly Paris, 2013

Premier constat : ces objets  industriels n’ont subi aucune transformation. Ils ne figurent pas dans un service technique de maintenance ni dans un musée consacré à l’industrie du vingtième siècle. Ces cuves sont posées là objectivement dans une galerie qui se destine à l’art contemporain. C’est donc avec cet éclairage qu’il est possible d’aborder le geste artistique de Simon Boudvin.

Duchamp et après..

On ne peut pas ne pas rappeler que cette année 2013 marque le centenaire du tout premier Ready made de Marcel Duchamp qui proposait en 1913  la Roue de bicyclette sur son tabouret. Il s’agissait certes d’un Ready made « assisté ». Il faudra attendre l’année suivante pour que le Porte-bouteilles de Duchamp s’impose comme Ready made brut. Les cuves à mazout présentées par Simon Boudvin  illustrent ce premier héritage de Duchamp, déclinaison actuelle d’un processus très largement utilisé depuis le geste de historique de Duchamp.
Même si l’aspect minimaliste de ces objets, surtout dans cette scénographie elle aussi minimale d’une galerie, permettrait d’envisager la comparaison avec les artistes de ce mouvement, c’est davantage le décalage entre la fonction technique de ces objets et leur « inutilité » dans ce lieu qui me semble prédominer. Cette question de la fonctionnalité amène à considérer le second héritage évoqué par l’artiste.

« Legs »

Le titre de l’exposition « Legs » évoque délibérément cet autre héritage: celui d’un monde industriel  en voie d’extinction sur lequel l’artiste nous incite à porter le regard.

« Château d’eau  (Le Blanc-Mesnil) », 2010 Simon Boudvin

Second temps de l’exposition: face à ces encombrants témoignages industriels déchus, l’artiste propose une série de photographies.  » Intitulée Châteaux d’eau il est ici question d’un legs architectural qui a subi une transformation pour investir de nouvelles fonctions : le monument censé contenir de l’eau se trouve reconverti en habitat domestique. »

Au-delà de la démarche du couple allemand Bernd et Hilla Becher dont les « typologies » recensaient dans un protocole de neutralité très étudié des ensembles industriels (usines, mines, châteaux d’eau…) le plus souvent abandonnés, Simon Boudvin propose ses documents sur cette dénaturation de l’architecture. Entre la carpe et le lapin, l’objet photographié offre une structure hybride, singulière, étonnante. Plasticien et architecte, l’artiste, à la croisée de ces regards, nous entraine dans cette altération des catégories.  Il n’est pas nouveau de voir des lieux industriels transformés pour d’autres usages. L’intérêt particulier ici tient à la curiosité visuelle que ce changement engendre.
La mutation dans la fonction d’un lieu industriel ou commercial , voilà bien une aptitude à laquelle l’art contemporain s’est familiarisée depuis nombre d’années : les Abattoirs de Toulouse, le Confort moderne à Poitiers, le château d’eau de Bourges, l’Arsenal de Metz, la piscine de Roubaix, la Criée à Marseille …

Photos Galerie Jean Brolly

Simon Boudvin « Legs »
Du 16 février au 16 mars 2013
Galerie Jean Brolly
16 Rue de Montmorency
75003 Paris

<p align= »LEFT »><span style= »color: #800000; »><span style= »font-family: Tahoma,sans-serif; »><span style= »font-size: small; »><span style= »font-size: medium; »></span></span></span></span>