Expositions

Au Bon Marché : Buren au carré

Depuis les années 30, après l’aventure du Bauhaus, avec le groupe Cercle et Carré de Michel Seuphor entouré de Arp, Mondrian, Van Tongerloo, Torrès-Garcia notamment, cette fascination du carré a marqué l’histoire de l’art. Pour les tenants de l’art géométrique et de l’art concret, cette vénération n’a jamais faibli. Aujourd’hui, venu d’une autre histoire, celle de BMPT (Buren, Mosset, Parmentier, Toroni) qui clamait « Nous ne sommes pas peintres ! », Daniel Buren fait de cette forme une unité de mesure qui transforme le magasin du Bon Marché en gigantesque scène dédiée à ce symbole.

Aux Beaux Carrés : travaux in situ

Le projet présenté au Bon Marché ne lésine pas sur les moyens pour les multiples installations qui occupent l’ensemble du magasin. La verrière située au cœur de ce commerce de luxe abrite cette orchestration du carré. Devant l’escalator central, les carreaux du plafond en verre construisent deux immenses œuvres composées de plus de plus de 1500 carrés en polycarbonate et adhésifs blancs d’une part, roses de l’autre, qui se déploient dans l’espace et diffractent la lumière, comme un incroyable damier en trois dimensions. Il s’agit là de l’Acte 1 déjà ambitieux qui sera suivi par un Acte 2 de fin juin au mois d’août de cette année.
A l’extérieur du magasin, rue de Sèvres, un damier de carrés blancs et colorés se dessine tout au long des huit vitrines.

Au deuxième étage, deux Cabanes éclatées, l’une jaune, l’autre bleue donnent l’occasion au visiteur de s’immerger dans cet espace complexe, trompeur, composé à la fois de ces carrés omniprésents mais également de miroirs qui décuplent la vision à l’intérieur de ce kaléidoscope géant. Assurément une telle installation nous renvoie aux beaux jours de l’art cinétique, du GRAV, Groupe de Recherche d’Art Visuel rassemblant au côté de François Morellet, Jean-Pierre Yvaral, Julio Le Parc, Horacio Garcia-Rossi, Joël Stein et Francisco Sobrino. Déjà, en ce début des années 60, c’est une notion d’art interactif qui prévalait. On ne fera pas grief à Daniel Buren d’avoir bien connu cette période de l’art du vingtième siècle. La perspective augmentée par le jeu des miroirs nous renvoie également aux expériences de Luc Peire, jouant à l’infini de la même façon avec ses créations graphiques linéaires poussées au-delà des limites.

Cet art interactif des années 60 préfigurait déjà une notion d’art relationnel. Les deux Cabanes éclatées du Bon Marché invitent à cette déambulation quelque peu hésitante au cours de laquelle le visiteur peut très vite perdre ses repères dans l’espace, au risque de se heurter à un miroirs, d’hésiter à mettre les pieds sur un sol transparent, de chercher en vain la sortie de cet étonnant piège visuel.

Buren au carré

Ce sont donc quatre propositions qui imposent une présence majeure dans l’espace intérieur du Bon marché : les deux suspensions, blanche et rose, le déambulatoire des Cabanes éclatées et l’habillage des escalators qui rappelle le travail historique de Buren avec les bandes colorées. Depuis qu’en 1965 il décide de limiter sa peinture à des rayures verticales dont la largeur sera toujours de 8,7 centimètres, Daniel Buren a placé son travail dans cette démarche inscrivant sa peinture comme un fait purement objectif. 
Buren au carré signe ici une des ses réalisations majeures dans un lieu privé.

Aux Beaux Carrés : travaux in situ 
Daniel Buren
Du 9 janvier au 18 février 2024
Le Bon Marché Rive Gauche
24 rue de Sèvres
75007 Paris

La chaîne vidéo

Benard Venet, du minimal au maximal

Article publié le 8 juin 2012

Dès le début de son activité, Bernar Venet se démarque des pratiques du moment. Les tas de charbons, les dessins de tubes industriels, les diagrammes mathématiques témoignent déjà de cette vivacité de chercheur. Art conceptuel, arrêt de la production, enseignement, écrits sur l’art, reprise de la production, angles et arcs, lignes indéterminées. On s’essouffle à vouloir suivre l’énergie créatrice de celui qui est devenu sculpteur.

New-York

C’est son ami Arman qui l’entraîne à New-York, convaincu qu’une carrière internationale passait par cette ouverture. Par solidarité avec son ami sculpteur qui avait abandonné le « d » d’Armand,  Venet lui aussi abandonne le  « d » de Bernard .
Les œuvres installées en milieu urbain se multiplient. Mais déjà, alors que cet aspect de son œuvre assure sa notoriété, Bernar Venet est reparti vers d’autres recherches.
Lors d’une rencontre, l’artiste m’exprimait la déception de s’être vu refuser un projet pour l’exposition des Champs de la Sculpture: il avait posé une ligne droite gigantesque, adossée à l’arc de Triomphe, ramenant avec humour le monument à une autre échelle.  Les champs de la sculpture l’accueillirent néanmoins avec d’autres œuvres du sculpteur, plus sagement installées dans un parc, comme si Bernar Venet pouvait rentrer dans le rang.

Le monumental

« Monument du 150e » Nice Benard Venet

Bernar Venet a besoin de porter des projets de plus en plus monumentaux.
A l’occasion du 150e anniversaire du rattachement à la France du comté de Nice qui appartenait jusqu’en 1860 au Piémont , il se voit confier la réalisation d’un monument. Baptisée « Monument du 150e », l’immense sculpture en acier de trente mètres de haut et qui pèse plus de 100 tonnes est alors érigée sur la promenade des Anglais. Les neufs arches obliques fixées sur un socle en acier et béton qui la composent et qui se rejoignent vers le ciel symbolisent l’union des neuf vallées du comté de Nice.
La course au monumental semble ne pas devoir s’arrêter. Bernar Venet reprend un projet déjà ancien : Baptisée Arc Majeur de 185,4°, cette oeuvre viendrait   envelopper l’A31. A priori à hauteur de l’aire de Thionville-Porte de France: « Il s’agit en réalité de deux arcs mais qui, virtuellement, n’en feraient qu’un, donnant ainsi l’illusion de passer sous l’autoroute. Le côté le plus haut culminerait à environ soixante mètres de haut, l’autre à environ vingt  mètres.» explique-t-il, le tout en acier Corten. »

Projet » Arc Majeur de 185,4° » image virtuelle B ernar Venet

Cette course à la monumentalité s’accompagne d’une course aux budgets, aux moyens techniques. Avec ses formes minimalistes, Bernar Venet  n’en a pas fini de  poursuivre cette quête du  monumental, pour rejoindre peut-être la lignée des bâtisseurs de pyramides, à la recherche d’une possible éternité.

Bernar Venet
L’Hypothèse de la gravité
1 juillet 2021 – 10 janvier 2022
Louvre-Lens
99 rue Paul Bert – 62300 Lens

Bernar Venet dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

Photo Nice source : http://www.20minutes.fr/nice/726655-si-statue-venet-demenageait

Photo Arc majeur  source :http://www.republicain-lorrain.fr/actualite/2012/06/06/a31-le-projet-fou-de-bernar-venet#jimage=DB971FC6-D13D-4325-B3D5-B3F6FD63BDC4

Seuphor, libre comme l'art

Seuphor, libre comme l’art : Arden-Quin et MADI

Le blog des Chroniques du Chapeau noir poursuit la publication de « Seuphor, libre comme l’art », écrit par Claude Guibert sur la vie de l’écrivain, historien et artiste Michel Seuphor (1901-1999), de son vrai nom Fernand Berckelaers. Ce livre a été écrit en 2008 et sera publié intégralement à raison de quelques pages par publication, une fois par semaine.

Publication N° 63

Arden-Quin et MADI

Un renfort pour l’art concret accoste d’outre-Atlantique. En 1948, Seuphor rencontre Carmelo Arden-Quin artiste uruguayen fraîchement débarqué d’Argentine, où il a créé, le 3 août 1946, le mouvement MADI au collège français d’études supérieures de Buenos Aires, avec Blaszko, Presta, Kosice notamment. En 1935 une rencontre fondamentale met en rapport Arden-Quin avec Torres-Garcia revenu en Argentine après l’aventure de Cercle et Carré. Arden-Quin va se passionner pour toutes les avant-gardes historiques dont est issu l’art abstrait construit (futurisme, néoplasticisme, suprématisme et constructivisme). Il fréquente alors Torrès-Garcia qui lui donne accès à sa bibliothèque, aux revues d’avant-gardes qu’il reçoit du monde entier. Avec le groupe MADI, le projet de Carmelo Arden-Quin est d’en finir avec la nature statique de l’art sous toutes ses formes, en particulier l’art concret, afin d’aller vers le mouve- ment et l’intégration des moyens d’expression. Le manifeste MADI proclame la faculté de peindre des structures polygonales planes, concaves ou convexes, des plans articulés, amovibles, animés de mouvements linéaires, giratoires ou de translations; la possibilité de sculpter des solides avec des espaces vides et des mouvements d’articulation. Plus généralement, il s’agit de bannir toute trace d’expression, de représentation et de signification.

– « L’œuvre est, n’exprime pas.
     L’œuvre est, ne représente pas.
     L’œuvre est, ne signifie pas. »

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Arden-Quin se livre également à une critique de l’Art Concret.

– « L’Art Concret a péché par manque d’universalité et de cohérence organisatrice. Il a sombré en de profondes et insurmontables contradictions, tout en conservant les atermoiements et les incertitudes de l’Art ancien et celles de ses ancêtres immédiats : le suprématisme, le constructivisme, le néoplasticisme (…) » 1

Pour Arden-Quin, Seuphor incarne une figure historique en Europe, le créateur avec Torrès-Garcia de Cercle et Carré. Les deux hommes sympathisent, établissent des relations avec leurs amis respectifs. Boulevard de l’Opéra à Paris, chez Marius Bérard, trésorier du salon des Réalités nouvelles, on se réunit avec Grégorio Vardanega, déjà engagé dans une œuvre lumino-cinétique. Bérard se renseigne sur l’ Amérique latine où il veut émigrer, Arden-Quin s’informe sur le salon des Réalités nouvelles. Seuphor, s’il montre de l’intérêt pour le mouvement MADI, n’adhère pas complètement aux idées du groupe. Le changement formel du cadre du tableau ne s’accorde pas avec la rigueur d’un Mondrian auquel il marque son attachement. Pour les membres de MADI, le but est de prolonger, ici en France, le mouvement amorcé en Argentine. Les rapprochements se multiplient, notamment avec Vantongerloo et le salon des Réalités Nouvelles. En avril 1950, la galerie parisienne de Colette Allendy présente « Les Madis » avec Arden-Quin, Vardanega, Eielson et Desserprit. L’exposition est transférée au salon des Réalités Nouvelles. Pour ces artistes d’Amérique Latine et le mouvement Madi, c’est le point de départ d’un investissement. Régulièrement au salon des Réalités Nouvelles, « les madistes de Paris » proposent en 1953 des sculptures animées par des moteurs électriques de Carmelo et de Ruben Nunez, des tableaux « optiques-vibrations » de Luis Guevara et de Ruben Nunez., des tableaux polygonaux de Pierre Alexandre, Luis Guevara, Guy Lerein, et de Wolf Roitelet. L’avènement d’un art nouveau se révèle dans la recherche du mouvement.

Art d’Aujourd’hui

Si la défense de l’art abstrait géométrique est assurée par des groupes actifs, la presse doit constituer un relais. C’est ce que pense le peintre et sculpteur Edgard Pillet qui, en 1949, souhaite combler le manque de publications consacrées à l’art abstrait, plus particulièrement à l’abstraction géométrique héritière de Mondrian et de De Stijl.

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A défaut d’une vraie revue, Pillet décide avec quelques amis de créer dans un premier temps un simple hebdomadaire de quelques pages. Mais le manque de moyens financiers met rapidement un terme à l’initiative. Mis au courant, André Bloc propose à Pillet d’éditer un véritable magazine qui pourrait bénéficier de la logistique de sa propre revue L’Architecture aujourd’hui. Pillet accepte avec enthousiasme. André Bloc, « un ingénieur de l’École centrale qui lit L’Esprit nouveau », architecte, peintre, sculpteur, éditeur, est un homme  incontournable dans son domaine d’activité. Il a dirigé plusieurs périodiques et intervient partout. Edgard Pillet lui propose son idée directrice au cœur du projet: la synthèse des arts, réponse à deux idées maîtresses : la nécessité de mêler les différentes disciplines artistiques, et celle d’établir la relation entre la création contemporaine et le public. André Bloc dont la revue L’Architecture d’aujourd’hui ,qu’il a fondé en 1930, lui permet d’envisager pour le projet de Pillet un véritable fonctionnement de périodique avec des rédacteurs, une publication soignée, des illustrations, des annonceurs, donne le coup de pouce décisif. La revue s’appellera : Art d’Aujourd’hui . Une équipe se constitue autour de son directeur André Bloc et d’Edgard Pillet, secrétaire de rédaction. Elle est composée d’auteurs et de critiques en vue : Léon Degand, Julien Alvard, Roger Van Ginderteal, Pierre Guéguen, ainsi que Michel Seuphor, Charles Estienne, Georges Boudaille, Herta Wescher, Roger Bordier et l’artiste Félix Del Marle. Pillet y tient la chronique « Pour un large débat ». Cette impérieuse nécessité de mêler les différentes disciplines artistiques, et celle de rapprocher la création contemporaine du public conduisent les rédacteurs à lancer des passerelles régulières entre ces divers centres d’intérêt. A l’évidence,  Art d’aujourd’hui se positionne en instrument de combat avec pour nouveau front l’intégration des arts à l’architecture. Pendant sa courte existence, Art d’aujourd’hui présentera des couvertures dessinées par les plus grands artistes, Sonia Delaunay, Magnelli, Jean Leppien.

1Manifeste Madi Arden-Quin Buenos-Aires 1946 cité dans : http://www.madi-art.com/fr/arden%20quin/p_arden1.htm

Seuphor, libre comme l'art

Seuphor, libre comme l’art : sur le front de l’art concret

Le blog des Chroniques du Chapeau noir poursuit la publication de « Seuphor, libre comme l’art », écrit par Claude Guibert sur la vie de l’écrivain, historien et artiste Michel Seuphor (1901-1999), de son vrai nom Fernand Berckelaers. Ce livre a été écrit en 2008 et sera publié intégralement à raison de quelques pages par publication, une fois par semaine.

Publication N° 61

Les Réalités Nouvelles

L’année suivante, le groupe Abstraction-Création dont Cercle et Carré fut à l’origine, se transforme en salon des Réalités Nouvelles. Le choix de substituer à Abstraction-Création le nom de Réalités Nouvelles présente un intérêt majeur : il met un terme à la polémique de l’art concret tout en permettant de se prémunir contre toute attaque consistant à dévaloriser l’art abstrait par rapport à sa relation au réel. Mieux encore, il facilite la présence des différents courants de l’art non-figuratif.
Le premier salon des Réalités Nouvelles. Art abstrait, Concret, Constructivisme, Non figuratif, s’ouvre au Palais des Beaux-Arts de la Ville de Paris en juillet 1946. L’exposition est dédiée à la mémoire de Robert Delaunay, Théo Van Doesburg, Duchamp-Villon, Eggeling, Otto Freundlich, Kandinsky, Lissitzky, Matevitcti, Mondrian, Rossiné,Sophie Taeuber-Arp, Georges Valmier, et du critique Ivanhoé Rambosson, tous disparus.
Le temps a passé depuis Cercle et Carré, depuis  Abstraction-création, et cependant il s’agit toujours de militer, de défendre l’art abstrait contre les attaques venues de tous bords. Réalités Nouvelles trouve sa véritable identité lors de ce salon doté d’un comité directeur constitué cette fois-ci essentiellement d’artistes,   Frédo Sidès pour président-fondateur, tandis qu’Auguste Herbin et Félix Del Marle y exercent les fonctions de vice-président et de secrétaire général. Jean Arp, Sonia Delaunay, Jean Dewasne, Albert Gleizes, Jean Gorin et Antoine Pevsner soutiennent le mouvement. Afin que la crédibilité de la manifestation et d’une manière plus générale celle de l’art abstrait, ne soit entamées, on décide que ne pourront devenir membres sociétaires uniquement les artistes en mesure de prouver « trois années successives de fidélité dans les arts non figuratifs ».
La profession de foi du salon prend position pour l’abstraction :

– « Depuis trente ans, les œuvres abstraites sont éliminées systématiquement de toutes les manifestations officielles, en France et à l’étranger, la Biennale de Venise de 1948 est le dernier en date de cet escamotage.(…) Falsifier l’histoire, nous supprimer purement et simplement du nombre des artistes vivantes comme on a pu le constater tout récemment encore dans certaine presse et dans une préface éditée par une galerie, tout cela n’a aucun rapport avec ce qui peut être considéré comme « La Critique », comme les droits de la critique et son devoir ». 1

De façon plus radicale encore, l’abstraction défendue fait la part belle à la géométrie :

– « La valeur émotive du message résultera nécessairement et uniquement de la valeur intrinsèque des lignes, des plans, des surfaces, des couleurs, dans leurs rapports réciproques et des plans, des pleins, des vides exaltant la lumière. Cette valeur est essentiellement plastique et éminemment universelle »

Le manifeste provoque immédiatement l’hostilité des partisans de l’abstraction gestuelle, de l’abstraction lyrique et de l’art informel. Hartung, Schneider et Soulages signent une lettre de protestation commune:

– « Tout conglomérat de mots tendant à définir d’une façon précise une manifestation de sensibilité sera toujours quelque chose de navrant. Une telle définition serait en outre prématurée pour un mouvement en pleine évolution. »  

Jean Dewasne, de son côté, adresse une lettre de démission au comité du salon.

« Le dit salon a été crée pour défendre l’art abstrait mais non pour défendre des conceptions idéalistes ou spiritualistes contre des conceptions matérialistes, ni des théories esthétiques comme celle de l’art pour l’art à l’exclusion de tout autre ; et réciproquement d’ailleurs. Je ne puis accepter cette réduction de ma liberté de pensée au sein de notre association ainsi que celle d’autres membres de la société. » 2

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Pour Seuphor, réapparaître dans la vie artistique parisienne après quatorze années de retraite à Anduze, n’est pas une tâche aisée. A Paris, le milieu artistique ne l’a pas attendu pour évoluer, se déployer. A Saint-Germain des prés, le librairie éditeur Jacques Povolozky est décédé trois ans plus tôt, renversé par un camion boulevard Saint-Germain. De nouveaux venus occupent les places dans la presse, l’édition, les galeries, les institutions. Seuphor reste un inconnu pour beaucoup. L’appréhension ne fait que croître lorsque, montant l’escalier qui mène au salon des Réalités Nouvelles de 1948, il aperçoit, en haut des marches, les silhouettes campées à l’entrée du palais : Nelly Van Doesburg et Sonia Delaunay. L’attitude des deux femmes que Seuphor perçoit immédiatement en Cerbères, n’a rien d’accueillante. Cependant, la surprise joue pour lui. Après quatorze années d’éloignement , de silence, il est le recours historique pour les tenants de l’abstraction géométrique. Où était-il ? Que faisait-il ? N’était-il pas mort ? L’aura de son passé artistique fait de lui la référence que l’on désigne aux jeunes artistes. Seuphor représente la mémoire de l’art géométrique, celui qui a connu Mondrian, le créateur de Cercle et Carré. Il fallait qu’il redevienne celui qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être : le militant de l’avant-garde géométrique. Il revoit Pevsner, entre en relation avec Max Bill. Les retrouvailles de Seuphor avec le milieu artistique, apparaissent, à cet instant, cordiales, chaleureuses même.

Movimento Arte Concreta

En Italie, la situation de l’art abstrait présente d’autres facettes. Après la guerre, des initiatives se développent dans différentes directions. Le Mouvement est né à Milan en 1948, lors de l’exposition à la librairie d’art Salto, composée de douze gravures des peintres : Dorazio, Gillo  Dorfles, Fontana, Garau, Mino Guerrini, Mazzon, Monnet, Munari, Perilli, Soldati, Ettore Sottsass et Luigi Veronesi.
Ces artistes reprennent les recherches des avant-gardes de l’entre-deux guerres. Dorfles, un des animateurs du groupe, à la fois peintre et critique d’art, publie, à son tour, un texte « Art abstrait, art concret ». Le Movimento Arte Concreta, tout en s’intéressant aux recherches de leurs voisins suisses, dont Max Bill,  manifeste un intérêt pour les recherches des artistes d’Amérique latine. L’art concret argentin, notamment, est exposé à la librairie Salto un an plus tard. Sans sectarisme, le groupe accueille des artistes tels que Burri, Baj, Jorn, Perilli, mais également l’ancien futuriste Prampolini. Le MAC est né à Milan et se propage rapidement en Italie: à partir de 1951 s’étend à Florence, Turin, Gênes, Rome, Naples et Catane. Seuphor est sollicité pour collaborer au numéro 4 de la revue Spazio (juin 1951). L’ami des années de jeunesse, Prampolini, reste, vingt cinq ans plus tard, son correspondant privilégié.

1Extrait du document original du salon

2Archives des Réalités Nouvelles, 1949, pièce 28

La chaîne vidéo

Vera Molnar : un rigoureux désordre

« Promenades au carré »

Le Museum Riiter à Waldenbuch en Allemagne présente l’exposition « Promenades au carré » de Vera Molnar. Le vidéo-magazine revient sur cette oeuvre entièrement consacrée à l’art construit avec le témoignage personnel de l’artiste recueilli lors de son entretien dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain en 1996. A la manière de François Morellet qui se décrit comme « rigoureux, rigolard », Vera Molnar sait mélanger la rigueur et l’humour, l’exigence et la distance. D’une manière générale, les artistes comme les deux cités mettent un malin plaisir à jouer avec le spectateur entre précision mathématique et hasard, aléatoire et acte prédéterminé.
« La méthode, sans cesse renouvelée, est celle de l’interrogation des possibles picturaux influencée par la rigueur et le systématisme d’une procédure quasi-scientifique. L’objectif consiste à demeurer dans le domaine spécifique de la vision et du système perceptif sans chercher à faire signifier quoi que ce soit à l’œuvre. »
Sa carrière d’artiste débuta dès ses études d’art en Hongrie, puis à Paris où elle arrive en 1947, avec une bourse. Elle participe en 1961 à la création du G.R.A.V. (groupe de recherches d’art visuel) avec son mari mathématicien François Molnar, Morellet et Le Parc: elle y était la seule femme. Le groupe  comprendra ensuite Garcia-Rossi, Sobrino, Yvaral et Vera Molnar n’en fera plus partie.

Vera Molnar soumet depuis plus de quarante ans la ligne, le quadrilatère ou l’ovoïde aux lois de la répétition, de la symétrie-dissymétrie, de l’équilibre-déséquilibre) ou encore mathématiques ( modulor, nombre d’or, suite de Fibonacci …)
Depuis le début des années 1990,   Véra Molnar a trouvé un nouveau jeu : l’ordinateur. Elle fabrique ainsi des images de toute sortes, en les composant de manière entièrement subjective, à la main et avec une totale liberté modale de facture. Puis seulement ensuite, elle programme l’ordinateur pour qu’il puisse reconstruire exactement ce qu’elle a fait mais aussi toutes les variations et possibilités d’images proches de celle du départ.

Le travail de Vera Molnar  n’est pas seulement dédié à une approche d’un art géométrique ou art concret. Cette ligne qu’elle soumet à toutes les perturbations est également celle de l’écriture. Elle développe notamment  le travail d’une imitation de l’écriture de sa mère dans un  « livrommage » investigation qui s’achève en 1990. Entre écriture, ordinateur et dessin, Vera Molnar aura fait de cette ligne le fil conducteur de son oeuvre.
Après plus de soixante ans consacrés à ce cheminement empreint de précision, d’exigence, Vera Molnar n’a rien perdu de son humour aussi bien dans son œuvre que dans sa personne pour mieux nous entraîner dans son rigoureux désordre.

Vera Molnar
Promenades au carré

Museum Ritter
Waldenbuch Allemagne
Exposition provisoirement fermée pour cause de confinement sanitaire.

Seuphor, libre comme l'art

Seuphor, libre comme l’art : le manifeste de l’Art Concret

Le blog des Chroniques du Chapeau noir poursuit la publication de « Seuphor, libre comme l’art », écrit par Claude Guibert sur la vie de l’écrivain, historien et artiste Michel Seuphor (1901-1999), de son vrai nom Fernand Berckelaers. Ce livre a été écrit en 2008 et sera publié intégralement à raison de quelques pages par publication, une fois par semaine.

Publication N° 42

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La revue Cercle et Carré

Après tant de discussions, tensions, oppositions, polémiques, le premier numéro de la revue Cercle et carré voit le jour, en date du 15 mars 1930. Cette fois, pour Seuphor, il n’est plus question de la délirante typographie de Het Overzicht. La sobriété domine et la composition de l’en-tête laisse la place maximum à l’écrit. Le graphisme de Daurat devient lecture avec ses seules formes géométriques. Seuphor, reconnaissant à Torrès-Garcia d’être le véritable initiateur du groupe, attend de lui qu’il rédige l’article de tête pour ce premier numéro. Toujours hésitant sur l’écriture du texte, Torrès-Garcia, pressé par le temps, lui demande de rédiger un texte à partir de ses écrits adressés depuis des mois. Seuphor s’exécute mais assume finalement l’exposé d’ouverture.

« Pour la défense d’une architecture » devient ce texte de garde.

– « Relativités. Le temps n’est plus aux petites chapelles et
aux cénacles clos. L’époque que nous vivons favorise les idées larges et productives (généreuses), non stagnantes, mais passibles de se développer et de se divertir. L’époque demande des idées-mères qui portent en elles les divers aspects d’une conception nouvelle très simplifiée (et en même temps très complétée) du monde.
» 1

Écriture serrée, présentation sévère, réflexions de fond, la revue n’a rien d’un pamphlet anti-surréaliste ni d’une envolée provocatrice. Les auteurs affirment leur foi dans les idées, dans leur conviction absolue de la nécessité de leur démarche et estiment que la gesticulation n’ajouterait rien au bien fondé de leur entreprise.

Plus loin, sous le titre Vouloir construire, il résume les idées de Torrès-Garcia suivant la demande du peintre. Enfin, dans un éditorial, Seuphor vide « l’abcès Van Doesburg ». Il cite des extrait de la lettre venimeuse qu’il a reçu :

– « Je vous déclare que ce périodique est vraiment honteux, non seulement pour les collaborateurs, mais tout pour les idées d’un art nouveau. Votre groupe a donné aux ennemis de l’art
« abstrait » (peintres, critiques d’art dont vous aussi êtes le dupe) une belle documentation contre « l’art abstrait » et j’en suis sûr que M. Terrade, Ozenfant, Camille Mauclair, Maurice Reynal, Zervos, Basler etc.en profiteront…et avec raison. Vous comprendrez donc bien que ce journal sorti d’un esprit vulgaire me forcera d’agir et j’en suis sûr de trouver chez quelques amis de « l’autre côté » une même intention ».

En dépit des difficultés, malgré la violente attaque de Van
Doesburg, la revue, à leur grande surprise, connaît un bon accueil et les mille deux cents exemplaires mis en vente dans quelques librairies de Montparnasse, disparaissent rapidement. Simultanément, pour apporter une réponse immédiate à Cercle et Carré, Van Doesburg se hâte de publier, en avril, son « numéro d’introduction » de la revue Art Concret qui sera le premier et dernier numéro.

Il y proclame son Manifeste de l’Art Concret:

  • L’art concret n’est pas un dogme, pas un « isme », il est l’expression d’une pensée intellectuelle. Il connaît une pluralité de langages.
  • L’art concret est déterminé par le résultat, par la visualisation d’une pensée et non d’une méthode.
  • L’art concret est le reflet de l’esprit humain pour l’esprit humain.
  • L’art concret s’oppose au sentimental, s’oppose au mysticisme.
  • L’art concret n’est pas une interprétation, une illustration, un symbole. Il est le réel.
  • L’art concret n’est pas une transposition de la nature.
  • Il n’est pas une abstraction.
  • L’art concret n’est pas narratif, littéraire. Il est proche de la musique.
  • L’art concret prend forme avec l’aide de la couleur, de l’espace, de la lumière, du mouvement. C’est ainsi qu’il se concrétise.
  • L’art concret ne témoigne pas du privé. Il confirme l’universel.
  • L’art concret est lié à l’architecture, au dessin industriel.
  • L’art concret englobe le monde artificiel. il ne différencie pas l’Art de l’art appliqué. La différence se situe dans la fonction.
  • L’art concret veut mobiliser notre sens esthétique, notre créativité, notre conscience sociale.
  • L’art concret veut clarifier, participer à l’harmonisation de notre monde artificiel». 2

Le groupe Art concret ne parvient à rassembler que les artistes Otto Gustav Carlsund, Jean Hélion, Léon Tutundjian et Marcel Wantz.

L’exposition Cercle et Carré

Pendant ce temps, le groupe Cercle et carré se mobilise pour son projet phare : l’organisation de son exposition. On a trouvé un lieu: la galerie 23 qui, au 23 rue de la Boétie, jouxte la galerie de Paul Rosenberg. Voilà un atout pour assurer la visibilité de leur manifestation près d’une galerie prestigieuse qui présente Braque, Picasso. Affaire conclue et contrat signé avec madame Fridberger. Comme il faut bien assumer les frais, les organisateurs demandent 125 francs à chaque artiste. Tout cela ne se passe pas sans difficultés ni grincements de dents. On gère la situation au mieux en offrant gracieusement les cimaises aux plus pauvres. Le groupe décide que chacun pourra exposer soit trois petits tableaux, soit deux de taille moyenne ou une seule grande toile. Tout s’engage ainsi dans l’optimisme, la perspective du succès de l’exposition et des ventes possibles. L’affiche, en effet, est alléchante : une cinquantaine d’artistes figurent notamment Arp, Baumeister, Marcelle Kahn, Charchoune, Daura, Gorin, Huszar, Kandinsky, Le Corbusier, Léger, Mondrian, Ozenfant, Pevsner, Prampolini, Russolo, Sartoris, Schwitters, Stazewski, Tauerber, Torrès-Garcia, Voerdemberge Gildewart, Vantongerloo, Werkmann et Seuphor.

Exposition Cercle et Carré Paris 1930

On pénètre dans une première salle où le cadre général est fixé. Des paysages et natures mortes stylisés de Ingebörg H. Bjarnason et Wanda Wolska et de la Machine en gris de Baumeister sur le mur de gauche aux œuvres rigoureusement abstraites de Buchheister, Daura et Gorin sur le mur de droite, le visiteur connaît l’étendue du propos. Plus avant dans la galerie, la deuxième salle propose les œuvres les plus abstraites. Se côtoient les tableaux de Vordemberge-Gildewart, Vantongerloo et Arp. Face à eux, répondent celles de Mondrian, Huszar, Stazewski, Sophie Taeuber et Werkman. Le visiteur découvre, dans une troisième salle, les œuvres de Marcelle Cahn, Fernand Léger et une très grande toile d’Ozenfant, puis les œuvres de Torrès-Garcia, Vera Idelson, Pevsner et Foltyn.
Alors que le sous-sol est réservé aux projets d’architecture, maquettes de théâtre et au tableau-poème de Mondrian et Seuphor, c’est pourtant au centre de cette dernière salle que les projets d’aéroports de Vantongerloo occupent l’espace. Sur les piliers de la galerie, Cuteo place ses masques et dirige le visiteur vers le dernier espace où paraissent les œuvres de Francisca Clausen, Ayda et Otto Van Rees. Sur des tables, on n’a pas manqué de proposer au visiteur nombre de revues, brochures, ouvrages sur les mouvements représentés.Le vernissage se déroule dans l’euphorie, alimentée par un tonnelet de vin et enfiévrée par une altercation suivie d’une bousculade opposant Vantongerloo et Van Doesburg venu perturber la manifestation. Mais, passée cette mémorable soirée, les visiteurs se font rares. Les organisateurs cherchent avec peine des traces d’informations dans la presse. Dans L’Amour de l’art, rien ! Dans Coemedia, rien ! Dans Beaux-arts, rien ! Dans Formes, rien ! La seule presse qui évoque l’exposition se montre railleuse. Maurice Raynal, dans L’intransigeant du 25 avril 1930 assène :

–  « En réaction contre ce que ses apôtres appellent la « dépravation surréaliste », le groupe Cercle et Carré s’attache à remettre en vigueur le thème de l’hygiène artistique dont le purisme avait flétri les déliquescences des suiveurs du cubisme. Tâche difficile et ingrate entre toutes puisque la thèse du nouveau groupe tente d’agir à la façon d’une médecine qui peut être salutaire mais ne saurait guère conquérir plus de sympathie qu’on ne peut accorder à un médicament.(…) Il semble que la néo-plastique soit surtout le revenant d’une tentative que l’on croyait morte depuis longtemps. Il faut croire qu’à Paris l’on a  la mort bien dure. » 1

1« Cercle et carré »  Marie-Aline Prat  L’âge d’homme p 83

1Cercle et carré M Seuphor Ed Pierre Belfond p 40, 41

2http://fr.wikipedia.org/wiki/Art_concret

Seuphor, libre comme l'art

Seuphor, libre comme l’art : Cercle et Carré

Le blog des Chroniques du Chapeau noir poursuit la publication de « Seuphor, libre comme l’art », écrit par Claude Guibert sur la vie de l’écrivain, historien et artiste Michel Seuphor (1901-1999), de son vrai nom Fernand Berckelaers. Ce livre a été écrit en 2008 et sera publié intégralement à raison de quelques pages par publication, une fois par semaine.

Publication N° 38

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Cercle et Carré

Seuphor et Torres-Garcia

– « Hannover den 8.1.29

Cher monsieur Seuphor,

Pour Seuphor, à Paris, les initiatives s’enchaînent. Déjà, il faut organiser cette exposition du peintre Vordemberge-Gildewart, projet engagé quelque temps plus tôt sur la sollicitation du peintre. Comment refuser une aide à un membre de De Stijl et de Der Sturm ? Seuphor a une solution: l’entresol de la librairie tenue par Jacques Povolozky dans le quartier Saint-Germain. Campée à l’angle de la rue Bonaparte et de la rue des Beaux-Arts, la boutique occupe déjà une place significative dans l’actualité artistique parisienne. Jacques Povolozky, originaire de Russie, développe une incessante activité d’éditeur de livres et de revues : Les Cahiers idéalistes, La Revue de l’Époque, La Vie des Lettres et des Arts. Le lieu se voit enrichi d’une galerie, sous le nom de La Cible où Picabia y a exposé dès 1920. La librairie s’impose comme un lieu incontournable où tous les noms de l’art participent : de Pierre Albert-Birot, Nicolas Beauduin, Blaise Cendrars, Robert Delaunay à  Ivan Goll, Philippe Soupault, Paul Dermée ou Albert Gleizes, le 13 de la rue Bonaparte constitue une référence.
Affaire conclue. On convient d’une exposition en mars 1929. Vordemberge-Gildewart se mobilise.

Merci de votre lettre, vous avez raison, il vaudra mieux que je vienne à Paris pour vous assister, mais d’abord je vous enverrai mes plus grands tableaux à la fin de ce mois. Quant au catalogue je voudrais bien une introduction et une reproduction. Est-ce qu’une dizaine d’affiches suffit pour Paris ? Ne sachant pas si vous voulez avoir les affiches pour les colonnes ou pour les galeries, il vaudrait peut-être mieux que c’est vous qui chargerez de l’impression? »Vordemberge-Gildewart1

A côté des projets créatifs, un lancinant problème d’intendance resurgit : le logement. Seuphor finit par trouver un petit trois-pièces au cinquième étage d’un immeuble neuf à Vanves, au 5 rue Kléber. Avec Ingibjörg il bénéficie d’un loyer assez modeste dans cet appartement de banlieue sans ascenseur. Friedrich Vordemberge-Gildewart leur vient en aide. Car l’artiste n’est pas seulement un peintre abstrait issu de De Stijl, il se montre habile bricoleur. On trouve quelques caisses chez un épicier du quartier et Friedrich assume tout. Il fabrique de ses mains une table, un bahut, une penderie, une bibliothèque, l’ensemble avec des moyens et des outils fort limités. Le vingt mars, le vernissage de Vordemberge-Gildewart a lieu comme prévu dans la librairie de Jacques Povolozky. Familier des artistes du Bauhaus, Grimbergen a côtoyé Van Doesburg, Arp. Avec Kurt Schwitters et Carl Buchheister il a formé le « groupe abstrait Hanovre » en 1927. L’exposition ne déplace pas les foules, n’enrichit pas le peintre. Elle provoque cependant une rencontre décisive.
Vordemberge-Gildewart et Seuphor, entrant un jour dans la galerie, aperçoivent un visiteur dans la salle. L’homme à la peau ridée et aux cheveux blancs observe avec attention les toiles. Pour en savoir davantage sur le peintre exposé, il s’adresse à Seuphor qui lui présente Vordemberge-Gildewart. L’inconnu décline à son tour son identité : Joaquin Torrès-Garcia. Seuphor ne connaît pas encore le peintre. Pourtant tous deux sympathisent immédiatement. Face au jeune Seuphor de vingt-huit ans, Torrès-Garcia, à cinquante cinq ans, paraît plus vieux que son âge. Ils ont beaucoup à apprendre l’un de l’autre. Torrès-Garcia a rencontré Van Doesburg quelque temps plus tôt.

-« Si vous avez vu Van Doesburg, vous connaissez Mondrian? »
s’enquiert Seuphor. Le nom n’évoque rien à Torrès-Garcia. Pour sa part, Seuphor ne connaît pas cet artiste aux cheveux blancs, pourtant à la tête d’un groupe d’artistes d’Amérique Latine installés à Paris. Il ne sait pas non plus par quel parcours mouvementé le peintre est arrivé jusqu’à Paris. Né d’une mère uruguayenne et d’un père catalan, débarqué à dix-sept ans à Barcelone, où il s’initie à la peinture murale, Torrès-Garcia part ensuite pour la Belgique et la France, avant de revenir à Barcelone. Le périple continue. Il retourne en Uruguay dans sa ville natale, puis s’installe pendant deux ans à New York, avant de repartir, en 1922, pour Madrid, Bruxelles et d’autres capitales européennes. En Italie, il découvre le futurisme, avant de se poser, en 1925 à Paris. De Miro à Max Weber, de Duchamp à Edgar Varèse, de Man Ray à Stella, Torrès-Garcia a, lui aussi, beaucoup fréquenté les avant- gardes.
Il apparaît très vite aux deux hommes qu’ils partagent, malgré leur différence d’âge et d’origine, beaucoup de curiosités communes. Seuphor lui rend visite dans son atelier de la rue Marcel-Sembat. Au vu des toiles, les discussions reprennent. Figuration, abstraction…

– « C’est difficile l’abstrait, ce n‘est pas pour moi! » lâche Torrès-Garcia.

Le peintre souffre des difficultés qu’il rencontre à Paris. Dès le mois de juin 1927, il a exposé la galerie Carmine des œuvres proches du cubisme, de nouvelles toiles aussi à la galerie d’Art de Montparnasse. Deux ans après son arrivée, il veut participer au Salon d’automne ; ses œuvres sont refusées, avec celles de Jean Hélion et de trois autres peintres, dont Daura. Jean Hélion aidé de Daura et de Torres-García, déclenche la riposte au refus du Salon d’automne, à grand renfort de publicité. Une exposition des Refusés a lieu en novembre 1928, à la galerie Marck. Face à ces oppositions, Torrès-Garcia s’emporte :

1Seuphor, Fonds Mercator SA , Anvers, Paris    p 79

– « Les beaux quartiers se méfient des métèques, des cubistes, des bolchevistes, des dadaïstes et autres sortes de boches » !

La chaîne vidéo

Vidéo-magazine N°8 Olivier Mosset

A l’occasion de l’exposition que lui consacre le MAMCO de Genève, le blog des Chroniques du chapeau noir dédie son vidéo-magazine à Olivier Mosset.

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Article paru en 2013

Olivier Mosset : la radicalité en peinture (1)

Au Musée Régional d’Art Contemporain Languedoc-Roussillon à Sérignan vient de s’ouvrir l’exposition consacrée exclusivement à Olivier Mosset  sur la totalité de ce lieu imposant.
Pas de demi-mesure possible avec un artiste aux positions radicales et qui attire, selon qu’il est admiré ou détesté, des attitudes tout aussi absolues.

La peinture est un concept

Les artistes du groupe BMPT, soit Buren, Mosset et Tonori, même s’ils émettent aujourd’hui des réserves sur le moment de ce qu’ils préfèrent ne pas appeler un groupe, ont cependant dès 1967 posé les bases d’un positionnement  fondamental.
Refuser que la peinture soit un jeu, qu’elle puisse consister à accorder ou désaccorder des couleur, qu’elle puisse valoriser le geste, représenter l’extérieur ou illustrer l’intériorité, refuser que  « peindre c’est peindre en fonction de l’esthétisme, des fleurs, des femmes, de l’érotisme, de l’environnement quotidien, de l’art, de dada, de la psychanalyse, de la guerre au Vietnam. » bref affirmer haut et fort « Nous ne sommes pas peintres », voilà la base de départ de ces artistes radicaux.
Et pour mieux affirmer ce refus d’être peintre, ils se sont servis …. de toiles, de pinceaux et de couleurs.
C’est donc que, pour se référer à l’incontournable coupure de Duchamp, la peinture après lui ne répondait plus à ces paramètres qui ont accompagné l’histoire de l’art.
Pour en revenir particulièrement à Olivier Mosset, la peinture apparaît comme un concept.
Ce n’est plus l’œuvre d’un artiste avec son aptitude personnelle à réaliser, ce n’est pas davantage l’expression d’un monde intérieur, sanctionné par une signature  que nous devons  prendre en compte.

Loin de l’abstraction géométrique

Pour ces raisons, mettre en relation le travail d’Olivier Mosset avec l’histoire  de l’abstraction géométrique serait,  je crois,  une erreur.  Les peintres de cette abstraction, elle aussi radicale, s’inscrivaient, me semble-t-il, dans l’histoire de la peinture avec cette volonté de la pousser dans ses retranchements, en quête d’un absolu. J’entends encore Aurélie Nemours m’évoquer sa démarche Janséniste et son évolution irrésistible d’une figuration vers son abstraction intransigeante. J’entends encore Luc Peire me décrire comment sa peinture glissait progressivement de la figuration à l’abstraction, s’imposant presque à son corps défendant pour aboutir à ce verticalisme abstrait vertigineux.
L’absolu vers lequel tendaient ces peintres n’était pas le fait d’un position radicale de principe et de départ, mais le glissement irrésistible d’une histoire de la peinture.

Le degré zéro de la peinture

C’est donc de bien autre chose qu’il s’agit lors du Salon de la Jeune peinture de 1967 au musée d’art moderne de la ville de Paris. Buren, Mosset, Parmentier et Toroni déterminent alors  le degré zéro de la peinture.  A l’instar du zéro absolu des températures, ce point est théorique et inaccessible. C’est donc bien sur des positions théoriques, conceptuelles, voire virtuelles que se situe un Olivier Mosset qui nous propose une peinture sans peintre. Il ne fallait pas moins que les 2700 mètres carrés du MRAC de Sérignan pour démontrer cette contradiction.

Olivier Mosset dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

Seuphor, libre comme l'art

Seuphor, libre comme l’art : l’envol





Le blog des Chroniques du Chapeau noir inaugure la publication de « Seuphor, libre comme l’art », écrit par Claude Guibert sur la vie de l’écrivain, historien et artiste Michel Seuphor (1901-1999), de son vrai nom Fernand Berckelaers. Ce livre a été écrit en 2008 et sera publié intégralement à raison de quelques pages par publication, une fois par semaine.

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L’envol

Table rase ! Faire le vide, ne rien devoir à personne, repartir à zéro. Vendre la bibliothèque, tout bazarder, absolument tout. Fernand Berckelaers exulte. Être libre enfin ! Derrière lui l’école des Jésuites, les dictionnaires latins et grecs, en revenir à la langue vivante. Lutter jusqu’à ce qu’il ne reste rien du passé, pas une trace, aucune indulgence. Dante, Pétrarque, Saint-Augustin, mais également Pascal, même Romain Rolland.

« Il faut maintenant construire le monde ! »

Terminées les tentatives bricolées de gazettes : De Klauwaert à dix huit ans, Roeland à dix neuf. En 1921, avec huit cents francs en poche, on doit pouvoir payer les frais d’impression d’une publication littéraire et politique pour quatre ou cinq numéros. Het Overzicht va naître. Directeur de revue à vingt ans, une vie nouvelle commence. Chapeau noir, redingote impeccable, col blanc net, nœud papillon, Fernand Berckelaers compose déjà sa silhouette future. L’espoir s’ouvre sur cette page blanche. Vertige de cette liberté chèrement acquise, de cette si soudaine et impérieuse nécessité, Fernand, passé le souffle d’orgueil de cette situation inédite, mesure-t-il l’immensité de la tâche ? Tout est ouvert, rien n’est impossible. Anvers, la Flandre, l’Europe, le Monde s’offrent à lui, anéantis par cette guerre. La dernière, plus jamais ça.

Het Overzicht N°14

Jeunesse Flamande

Faire table rase de sa culture à vingt ans n’efface pas l’histoire d’un homme, ses racines, son enfance. Il ne plonge pas dans l’oubli le souvenir d’Eugène Berckelaers, ce père malade de tuberculose, décédé à trente-six ans, qu’il a si peu connu, ni celui de Caroline Mariën, sa mère, fille unique d’un riche entrepreneur retiré des affaires, jeune femme cultivée, férue de littérature française. Fernand ne peut pas oublier l’enfant Berckelaers né ce 10 mars 1901, au 105 chaussée de Turhout à Anvers, dans cette maison construite par son grand-père maternel, simple maçon rapidement enrichi grâce à l’essor du bâtiment. La rupture avec Anvers suffit-elle pour gommer définitivement l’éducation rigide que sa mère donne à cet enfant solitaire dans cette somptueuse maison bourgeoise au goût encombrant ?
Lorsque madame Berckelaers se remarie en 1912 avec Charles Van Riel, le 79 rue de la Balance à Anvers devient le cadre nouveau dans lequel s’impose encore davantage la rigueur et la discipline sur le jeune Fernand. Le collège des Jésuites qu’il subira jusqu’en 1918 ne favorise pas davantage son épanouissement.Ses origines flamandes, la promesse faite au père sur son lit de mort, que son fils suivrait ses traces se sont-elles évanouies ? C’est bien le jeune Berckelaers qui, engagé dans le militantisme à dix neuf ans, publiait déjà une feuille flamingante « L’homme à la griffe ». C’est lui encore qui s’est retrouvé dans le tumulte de ce rassemblement sur la grand place d’Anvers le onze juillet 1920. Ce jour funeste, une manifestation flamingante a pris forme pour commémorer la Bataille des Éperons d’Or remportée à Courtrai, en 1302, par les Flamands sur les troupes du roi de France. Les Flamands luttent pour la reconnaissance des droits linguistiques et une Université. Hermann van den Reeck, le très jeune étudiant ami de Seuphor et fer de lance du mouvement flamand est touché mortellement. Seuphor s’en tire avec la blessure d’un coup de sabre à la tête. Faut-il appeler hasard ce livre de l’archéologue Salomon Reinach posé sur sa table de travail quand il a seize ans ? « Orpheus, Histoire générale des religions », publié quelques années plus tôt compte parmi ses lectures du moment. On sollicite Fernand, en cette fin d’année 1917, pour une feuille clandestine dirigée par d’anciens élèves. La couverture est devant ses yeux, ORPHEUS. Ces sept grosses lettres l’interpellent. Ce sera donc SEUPHOR

Copyright Claude Guibert 2008

Pour mémoire

Les trois vies de Gottfried Honegger

Honneger affiche omega« Il faudrait deux ou trois vies.. »

Le dix sept janvier dernier disparaissait Gottfried Honegger  au terme d’une vie dont on ne mesure peut-être pas encore totalement l’amplitude et la richesse. Son amie Aurélie Nemours, lorsque je l’interrogeais sur son propre itinéraire lui aussi d’une incroyable densité, me confiait : « Il faudrait deux ou trois vies... ». Aurélie Nemours aura vécu quatre vingt quinze années d’une aventure totalement dévouée à l’art concret. Gottfried Honegger, décédé à quatre-vingt dix huit ans, lui aussi totalement impliqué dans la voie de l’art concret, a vraisemblablement vécu les trois vies enviées par Aurélie Nemours.
Sa première vie commence en Suisse où il est né. A travers l’Europe, dans les années d’après-guerre, de nouveaux signes de vitalité confortent  le mouvement de l’abstraction géométrique. Sur le terreau de l’art concret Zurichois poussent des idées nouvelles. Gottfried Honegger fréquente à Zurich les artistes du groupe Allianz. Intéressé par les recherches de Max Bill, Richard Paul Lohse, Joseph Albers sur des systèmes déterminés, il prend cependant ses distances, quelque peu ennuyé par ce qu’il estime constituer un résultat connu d’avance. Mais cette première vie l’engage définitivement dans cette recherche ou, si la rigueur est la règle, elle ne prend pas, chez Honegger, l’aspect de l’austérité comme parfois chez son amie Aurélie Nemours. L’homme à besoin de bouger, jouer, découvrir, expérimenter.
Et cette deuxième vie sera celle d’un infatigable voyageur. Venu en France, puis aux Etats-Unis, puis en France, puis en Suisse, il a dû épuiser ceux qui ont voulu le suivre à la trace. Après une carrière de graphiste publicitaire, il ne se consacre vraiment à la peinture qu’à partir de son séjour à New York en 1958. Il rencontre Miro, Le Corbusier, Arp, Hans Richter, Sam Francis, Barnett Newmann, Franz Kline, Mark Rothko, Alexandre Calder, Michel Seuphor…
L’importance déterminante de l’aléatoire qu’il a découvert à travers le livre de Jacques Monod Le Hasard et la Nécessité en 1970 influence non seulement son œuvre mais également sa vie, au point qu’il se promène en permanence avec un jeu de dés dans sa poche pour animer les choix du quotidien. Lorsque j’ai le privilège de rencontrer Gottfried Honegger en 1995, c’est un jeune homme qui s’exprime, toujours habité par la passion pour sa création, convaincu que la vie doit être un jeu.

L’Espace de l’art concret

La troisième vie de Gottfried Honegger prendra forme avec sa vocation de collectionneur passionné et militant.  Plutôt que de se construire un cénotaphe majestueux, Honegger a préféré donner du sens à la promotion de l’art concret qui a animé sa vie. Sybil Albers sa compagne et Gottfried Honegger ont fait des choix de collectionneurs durant leur vie entière. Ils ont voulu rendre leur collection accessible au public. Mise en dépôt auprès de la ville de Mouans-Sartoux dans un premier temps, cet ensemble a fait l’objet d’une donation à l’état français en 2000. Six cents œuvres regroupant cent quatre vingt artistes de multiples nationalités ont constitué ce fond exceptionnel. .

Gottfried_Honegger en 1995
Gottfried_Honegger en 1995

L’Espace de l’art concret inauguré en 1990 à Mouans-Sartoux a fêté en 2014 les dix ans d’existence de son bâtiment référence. Devenu Fonds National d’Art Contemporain, l’Espace de l’Art Concret en juin 2004 inaugurait un bâtiment manifeste : la Donation Albers-Honegger destinée à conserver et présenter le fonds d’œuvres concrètes données à l’État français par Sybil Albers, Gottfried Honegger, Aurelie Nemours et la Browstone Foundation.
Il aura fallu attendre ses quatre-vingt dix sept ans pour que Gottfried Honegger obtienne l’année passée une exposition personnelle au Centre Pompidou de Paris. Là encore la communion avec son amie Aurélie Nemours se vérifie, elle aussi accédant à une exposition monographique au Centre Pompidou pour ses quatre-vingt quatorze ans.

 

Gottfried Honegger dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

« Alpha Oméga »
Exposition posthume de Gottfried Honegger
Du 24 janvier au 22 mai 2016
Espace de l’art concret
Château de Mouans
06370 Mouans-Sartoux