Expositions

Chroniques New-Yorkaises  (7) : au New Museum, l’art du déséquilibre

L’architecture de l’instable

Il n’est pas anodin que l’architecture du New Musuem à New York soit composée de cubes en décalage d’un étage à l’autre, donnant à l’ensemble cet aspect à première vue fragile et déséquilibré. Cette apparente instabilité donne le ton général d’un lieu d’art contemporain différent des institutions implantées avec l’assurance tranquille de représenter les valeurs acquises de l’art du temps. Cette instabilité potentielle du bâtiment annonçait la couleur de sa programmation.

Lorsque Marcia Tucker, conservatrice au Whitney Museum of American Art ( de 1967 à 1976) fonde officiellement le New museum le 1er janvier 1977, cette ouverture consacre le premier musée dédié à l’art contemporain établi à New York depuis la seconde guerre mondiale. De son poste privilégié au Whitney Marcia Tucker était arrivée à la conclusion que les œuvres de jeunes artistes trouvaient difficilement leur place dans les espaces d’expositions habituels. Positionné entre musée traditionnel et espace alternatif, le New museum ambitionnait d’engager un dialogue entre les artistes et «Un centre d’exposition, d’information et de documentation pour l’art contemporain réalisé dans un délai d’environ dix ans. » L’ objectif d’offrir un lieu aux artistes vivants n’ayant pas encore eu d’expositions personnelles majeures s’inscrivait dans ce projet novateur. Et l’exposition « Mire Lee : Black Sun » installée dans la galerie du quatrième étage du musée ne peut qu’accréditer cette tendance à l’intranquillité que dégage l’édifice.

« Black sun »

Déjà l’argument de l’exposition  donne à penser que le parcours de la scénographie ne sera pas jonché de roses. « Black sun » doit son titre au livre de 1987 de Julia Kristeva, philologue, psychanalyste et femme de lettres française d’origine bulgare. Ce livre traite des dépressions que nourrit un deuil impossible de l’objet aimé et perdu. En déniant le lien universel qu’est le langage, le déprimé nie le sens qui, pour l’être parlant, est le sens de la vie. C’est dire que ce thème est au diapason de l’œuvre de Mire Lee, jeune artiste sud Coréenne vivant aux Pays Bas dont c’est bien la première exposition personnelle en musée aux États-Unis.
Pour Lee, le processus de création de ces objets sensoriels est lui-même lié au corps, comme elle le décrit : « Je touche et je sens la matière de près, je mets mes mains dans n’importe quel espace, j’utilise mes dents pour tenir, je me plie, je m’étire et je rampe autour de l’échelle du travail. »
Son installation au New Museum est dirigée par des préoccupations concernant l’espace, l’atmosphère et les matériaux, y compris le tissu, l’acier et l’argile, pour suggérer des vides émotionnels et des tensions psychologiques.

Composées de matériaux qui comprennent des moteurs low-tech, des systèmes de pompage, des tiges d’acier et des tuyaux en PVC remplis de graisse, de glycérine, de silicone, de glissement et d’huile, les sculptures de Lee fonctionnent comme des organismes vivants et des machines biologiques. Puisant ses références dans l’architecture, l’horreur, la pornographie et la cybernétique, et évoquant les fonctions corporelles et la dégradation de l’environnement, Lee offre un moyen viscéral de décrire les propriétés qui existent entre les domaines du technologique et du corporel.
Il est tentant de rapprocher ce travail de l’œuvre de l’artiste japonais Tetsumi Kudo (1935-1990). Traumatisé par la bombe atomique, Tetsumi Kudo donnait au corps une place fondamentale dans son œuvre, traitant de la survie bio-chimique du phénomène humain et envisageant sa métamorphose organique.C’est un univers glauque que le spectateur recevait frontalement à la vision de ses sculptures et de ses performances.

L’œuvre de Mire Lee traite elle aussi du déséquilibre dans ce lieu apparemment instable. Décalage, instabilité, déséquilibre, tous ces qualificatifs s’appliquent à l’exposition de Mire Lee comme au New Museum lui-même.
On sort de cette installation en éprouvant un besoin impérieux de retrouver le soleil et de respirer à pleins poumons avant d’aller, tout près du musée, reprendre des forces devant un somptueux pastrami chez Katz Delicatessen.

Photos de l’auteur

« Mire Lee : Black Sun »
New Musuem
235 Bowery, New York

Expositions

Paris, l’art sans frontières

Quitter sont pays d’origine n’est pas un acte anodin. Les enjeux de la migration à Paris pour les artistes étrangers montrent combien les motivations peuvent à la fois trouver des origines diverses dans la décision du voyage et comparables pour les valeurs qui les attirent.

Paris et nulle part ailleurs

L’exposition Paris et nulle part ailleurs que présente le musée de l’histoire de l’immigration à Paris met en lumière cette diversité. Peut-on comparer l’arrivée en France de l’américaine Joan Mitchell rejoignant en France celui qui devient son compagnon , Jean Paul Riopelle et celle, chaotique, de la hongroise d’origine Judith Reigl ?
Cette dernière, après huit tentatives, réussit à quitter la Hongrie en mars 1950. Arrêtée en Autriche, dans la zone occupée par les Britanniques, elle est emprisonnée deux semaines dans un camp d’où elle s’enfuit. Après un voyage le plus souvent effectué à pied, en passant par Munich, Bruxelles et Lille, elle arrive à Paris le 25 juin 1950.
Au cours de l’été 1955 Joan Mitchell , pour sa part, se rend à Paris et se joint à une communauté d’artistes américains qui y vivent et y travaillent. C’est là qu’elle rencontre le canadien Jean-Paul Riopelle. Ils auront d’abord une relation à distance, elle continuant de vivre à New York, lui à Paris. Rapidement, ils emménagent ensemble dans la capitale Française.
On voit combien le mot d’émigration recouvre des histoires personnelles fort différentes, face à des réalités très contrastées. Organisé en quatre sections – l’exil, les échanges avec le pays d’accueil, la reconstitution de repères, un monde commun – le parcours de Paris et nulle part ailleurs propose un regard croisé entre art, histoire et sociologie de l’immigration.
Dès lors, la somme des œuvres présentées dans l’exposition pourrait sembler secondaire au regard de ce vécu migratoire. Pourtant, à l’évidence, c’est Paris qui détient la clef de ces mouvements. « De 1945 à 1970, aux côtés des Européens, des communau­tés de jeunes nord-américains, latino-américains, maghrébins, africains, moyen-orientaux, ex­trême-orientaux se créent, se renouvellent et facilitent la venue de nouveaux compatriotes. » Les salons et galeries d’avant-garde parisiens qui associent artistes français et non-français deviendront durablement cosmopolites grâce à ces mouvements en direction de Paris.

Joan Mitchell, A small garden, 1980. Paris, Centre Pompidou – Musée national d’art moderne – Centre de création industrielle.

Au regard de ce phénomène historique, la diversité artistique présentée dans l’exposition passe presque au second plan. De Soto à Cadéré, de Erro à Zao wouki, il faut chercher ce qui relie ces parcours si divers.
Très opportunément les documents photographiques présentés dans l’exposition témoignent de l’importance revêtue par les rencontres entre les artistes dans ces années cinquante puis soixante. Artistes de toutes origines et autochtones se réunissent régulièrement dans les ateliers, se retrouvent aussi vraisemblablement dans les cafés parisiens comme à l’époque effervescente des années 20 où Le Dôme puis la Coupole servent de point de ralliement pour Mondrian, Man Ray, Joséphine Baker et tant d’autres.
Plus tard, les artistes de l’exposition Mythologies quotidiennes réunis en juillet 1964 au restaurant Le Train bleu à Paris à l’occasion du vernissage, rassemblent dans une photo de groupe désormais historique l’espagnol Arroyo, l’allemand Klasen, l’américain Peter Saul, l’haïtien Télémaque, l’italien Récalcati, le suédois Fahlström, le suisse Tinguely, le portugais Bertholo, l’islandais Erro pour ne citer que quelques noms, autour de Rancillac, Monory notamment.
Si bien que choisir vint quatre noms parmi les centaines voire milliers d’artistes venus s’installer en France et plus particulièrement à Paris s’avère délicat. Il est vrai que Shirley Jaffe ou Sheila Hicks auraient mérité leur place dans l’exposition. Certains découvriront le peintre Sénégalais Iba N’Diaye trop peu présenté en France.
Paris et nulle part ailleurs nous parle d’une émigration source d’hybridation, de métissage, de dialogue, d’influences réciproques. Paris est devenu le centre de cette ébullition, animant les confrontations artistiques, parfois même les conflits. Comment la vie sur une frontière serait-elle autrement qu’agitée ? Paris sans frontières a symbolisé pendant plusieurs décennies cette idée de la liberté.

Photo de l’auteur

PARIS ET NULLE PART AILLEURS
MUSÉE NATIONAL DE L’HISTOIRE DE L’IMMIGRATION
Du 27 septembre 2022 au 22 janvier 2023
293, avenue Daumesnil – 75012 Paris

Commissaire de l’exposition : Jean Paul Ameline

Artistes présentés :

Shafic Abboud (Liban), Eduardo Arroyo (Espagne), André Cadere (Roumanie), Ahmed Cherkaoui (Maroc), Carlos Cruz-Diez (Vénézuela), Dado (Monténégro), Erró (Islande), Tetsumi Kudo (Japon), Wifredo Lam (Cuba), Julio Le Parc (Argentine), Milvia Maglione (Italie), Roberto Matta (Chili), Joan Mitchell (États-Unis), Véra Molnar (Hongrie), Iba N’Diaye (Sénégal), Alicia Penalba (Argentine), Judit Reigl (Hongrie), Antonio Seguí (Argentine), Jesús Rafael Soto (Vénézuela), Daniel Spoerri (Roumanie), Hervé Télémaque (Haïti), Victor Vasarely (Hongrie), Maria Helena Vieira da Silva (Portugal), Zao Wou-Ki (Chine).


Seuphor, libre comme l'art

Seuphor, libre comme l’art : le G.R.A.V.

Le blog des Chroniques du Chapeau noir poursuit la publication de « Seuphor, libre comme l’art », écrit par Claude Guibert sur la vie de l’écrivain, historien et artiste Michel Seuphor (1901-1999), de son vrai nom Fernand Berckelaers. Ce livre a été écrit en 2008 et sera publié intégralement à raison de quelques pages par publication, une fois par semaine.

Publication N° 73

Le GRAV

Au mois de juillet 1960, apparaît sur la scène artistique une nouvelle formation de l’art cinétique, le Groupement de recherche d’art visuel. L’acte fondateur est signé par Demarco, Garcia Miranda, Garcia Rossi, Le Parc, Vera Molnar, Morellet, Mayano, Servanes, Sobrino, Stein, Yvaral. Leur objectif : considérer le phénomène artistique en tant qu’expérience strictement visuelle située sur le plan d’une perception physiologique et non émotive. Au-delà de la préoccupation plastique, le groupe ambitionne de modifier durablement la relation entre l’art et le spectateur. Le principe fondamental auquel adhèrent ses différents membres, avec plus ou moins d’enthousiasme, est la dévalorisation de « l’artiste » et du « chef-d’œuvre », au profit d’une sollicitation du spectateur. Le collectif va se resserrer autour de Garcia Rossi , Le Parc , Morellet, Sobrino, Stein et Yvaral, ce dernier suivant les traces de son père Victor Vasarely. Ils décident de continuer à signer personnellement leurs œuvres et de poursuivre un travail individuel sur des matériaux de base, tout en élaborant collégialement des problèmes esthétiques tels que l’abandon de la deuxième dimension afin d’éviter toute connivence avec l’esthétique picturale. Ainsi Sobrino opte pour le plexiglas, Yvaral pour les fils de nylon et de vinyle tendu, Le Parc pour la lumière et le plexiglas, Stein pour les trièdres et la polarisation, Garcia-Rossi pour les boîtes à réflexion lumineuse et Morellet pour la programmation des pulsions de tubes de néon.
Le GRAV, bien décidé à secouer les habitudes visuelles ainsi que les pratiques sociales dans la relation art/spectateur, recourt à l’agitation. Dans la Biennale de Paris de 1961, ils produisent un trac distribué dans la manifestation sous le titre de « Assez de mystifications ». Le ton est donné :

Le Parc, Sobrino, Yvaral, Morellet, Stein, Garcia-Rossi en 1963

Le GRAV signale

1/ la platitude et l’uniformité des œuvres exposées,

2/ la lamentable situation de dépendance de la « Jeune génération »,

3/ La soumission absolue de la « Jeune Peinture » aux peintres consacrés (Nous espérons qu’il s’agit là seulement d’une crise de croissance)

4/ L’inconséquence et  l’inconscience chez les exposants et organisateurs des caractères réels de la vie où l’homme de notre temps est plongé ». 1

Suivent de nombreuses affirmations sur les positions du groupe. Deux ans plus tard, le troisième Biennale offre une place majeure au G.R.A.V. A cette occasion, les artistes disposant du grand hall d’entrée du musée d’Art moderne, privilégient la production collective. Pour enfoncer le clou, ils accompagnent leurs propositions plastiques d’un nouveau tract en forme de profession de foi :

–  «  Nous voulons intéresser le spectateur, le sortir des inhibitions, le décontracter. Nous voulons le faire participer. Nous voulons le placer dans une situation qu’il déclenche et transforme. Nous voulons qu’il soit conscient de sa participation. Nous voulons qu’il s’oriente vers une interaction avec d’autres spectateurs. Nous voulons développer chez le spectateur une forte capacité de perception et d’action. Un spectateur conscient de son pouvoir d’action et fatigué de tant d’abus et mystifications, pourra faire lui-même la vraie  « révolution dans l’art ». Il mettra en pratique les consignes :

DÉFENSE DE NE PAS PARTICIPER

DÉFENSE DE NE PAS TOUCHER

DÉFENSE DE NE PAS CASSER » 

                               A Paris, octobre 1963 le G.R.A.V.

Le comportement provocant des jeunes artistes du G.R.A.V.  agace Seuphor. Ce qu’il considère comme de l’insolence ne se limite pas à l’attitude de jeunes artistes turbulents. Il n’accepte pas que l’on se moque de la poésie et de la métaphysique. Il se sent blessé par ce qu’il prend pour une attitude primaire. En février 1971, Yvaral lui écrit pour s’étonner de le voir refuser leur présence à ses côtés dans une brochure « Formes et couleurs » et lui propose une rencontre avec les membres du groupe.

Seuphor décline l’invitation de façon cinglante :

– « Une originalité se conquiert et, peut-être se mérite. Vous n’avez, pour l’heure, que le mérite d’être le fils de Vasarely, ce qui vous donne beaucoup d’atouts. De toute manière, un contact entre votre groupe et moi n’est pas désirable, ce qui m’est cher étant pour vous un objet de dérision (…) ». 2

1 Cité dans « Julio Le Parc » JL Pradel catalogue Severgnini 1995 p 274

2 Archives ANCV  S 59 / Galerie Denise René

La chaîne vidéo

Vidéo-magazine N°6 : Francisco Sobrino

L’Espace d’art concret de Mouans Sartoux propose actuellement une rétrospective sur l’artiste cinétique Francisco Sobrino.

Article paru le 18 mai 2014

Le G.R.A.V. et après

GRAV

La disparition récente de Francisco Sobrino (1932-2014) ponctue l’éloignement historique d’un mouvement de l’art du vingtième siècle:  le Groupe de recherche d’art visuel (GRAV) qui réunissait Horacio Garcia Rossi, Julio Le Parc, François Morellet, Francisco Sobrino, Joël Stein, Yvaral. Seuls deux artistes du groupe témoignent encore de cette période : Julio Le Parc et François Morellet, ce dernier s’étant écarté quelque peu de la tendance dominante du groupe, l’art cinétique et lumino-cinétique, pour se diriger vers un art concret épuré qu’il présente aujourd’hui encore (tout récemment à la galerie Kamel Mennour à Paris).
Le  G.R.A.V définissait, en effet, ses « propositions sur le mouvement » en 1961 en participant à la IIe Biennale de Paris au musée d’Art moderne de la Ville de Paris. Son premier manifeste « Assez de mystifications« , jeté en tract dans l’ exposition, ambitionnait de changer le rapport du spectateur à l’art. Des positions radicales s’expriment alors : « Il s’agissait de définir des critères objectifs d’analyse pour obtenir une position théorique globale, à savoir la surestimation de l’individu et des circuit traditionnels de l’expression et de diffusion. » Mais une évolution se fait jour : on décide de conserver la signature nominale des œuvres et une spécificité individuelle dans le travail : Yvaral travaille avec les fils de nylon et de vinyle tendus, Le Parc se consacre à la lumière, Stein s’intéresse aux trièdres et la polarisation, Garcia Rossi choisit les boîtes à réflexion lumineuse et Morellet s’investit dans la  programmation des pulsions de tubes de néon. Sobrino opte, pour sa part, pour le plexiglas. Il propose des reliefs, formes plates superposées par interrelations, progressions, systématisation (Plexiglas blanc-noir et couleur), œuvres en volumes (Plexiglas transparent).

'Estructura permutacional', 1972, Paseo de la Castellana, Madrid Francisco Sobrino
‘Estructura permutacional’, 1972, Paseo de la Castellana, Madrid Francisco Sobrino

« Structures permutationnelles »

Assez vite, Sobrino explore l’utilisation de nouveaux matériaux. Il  entreprend la réalisation de « Structures permutationnelles » en aluminium. Les recherches sont les mêmes que dans les pièces en Plexiglas. L’effet miroir ajoute une interférence entre l’œuvre et son environnement : formes, mouvements et lumières sont incorporés et reflétés, l’œuvre s’intègre à l’architecture, créant ainsi des images virtuelles toujours recomposées par le déplacement du spectateur. Après la dissolution du GRAV en 1968, Francisco Sobrino poursuit, de son côté, cette recherche induite à l’époque du groupe.
On sait combien le mouvement de l’art cinétique et lumino-cinétique a traversé une longue période d’oubli avant de revenir en force notamment l’an passé avec Julio Le Parc au Palais de Tokyo à Paris et Jésus Raphael Soto  au Centre Pompidou toujours à Paris avant la somptueuse exposition « Dynamo »  au Grand Palais.
Francesco Sobrino aura bénéficié avec les autres artistes vivants de l’ancien GRAV de ce retour spectaculaire au premier plan. Dans le même temps la galerie Galerie NMarino à Paris lui consacra une exposition de ses travaux en Noir et Blanc.

Sobrino autoroute 1989
Métal peint 20 m de hauteur autoroute Madrid-Barcelone Guadalajara 1989 Sobrino

Signalétique

Avec le recul sur ces années soixante turbulentes pour les jeunes artistes du GRAV, la pérennité de l’ œuvre de Sobrino pourrait bien se trouver dans cette relation à l’architecture qu’il approfondit avec des réalisations  signalétiques, notamment sur les autoroutes espagnoles.
Entre les « Structures permutationnelles » et leur jeu d’aller-retour entre l’oeuvre et l’architecture proche et ces signalétiques monumentales, Francisco Sobrino s’est positionné à la charnière de ces préoccupations à la fois plastiques et architecturales.
Si bien que le mouvement, dans cette création, s’apparente davantage à un agencement des plans (perturbés,déclinés) qu’au jeu de lumière auquel le lumino-cinétisme nous avait sensibilisé.Francisco Sobrino aura réussi à rendre perceptible, dans cette monumentalité statique, un mouvement seulement créé par ce jeu de plans sans recourir aux procédures cinétiques ou lumineuses de ses amis du G.R.A.V.

Rétrospective Sobrino
Jusqu’au 6 septrembre 2020
Espace de l’Art Concret
Centre d’art contemporain
Donation Albers-Honegger
Château de Mouans
06370 Mouans-Sartoux

Pour mémoire

Carlos Cruz-Diez : vivre la couleur

Que Carlos Cruz-Diez soit décédé hier à quatre-vingt quinze ans ne constitue pas en soi une surprise totale. Le plus remarquable vient certainement de l’incroyable vitalité dont cet artiste a fait preuve tout au long de sa longue existence. Né au Venezuela, Cruz-Diez vivait en France, à Paris, depuis près de soixante années. Et celui qui fut un des représentants majeurs de l’art optique et de l’art cinétique a traversé les décennies avec une constance, une persévérance qui ignoraient les vicissitudes de son art, les turbulences rencontrées par son mouvement, passé de la gloire absolue dans les années soixante à l’oubli relatif avant de retrouver grâce aux yeux du public et des institutions dans les années récentes.

Dynamo

Certains, avant ce retour en force, je pense à Pol Bury, Grégorio Vardanega notamment, disparurent avant que l’imposante exposition Dynamo au Grand Palais de Paris en 2013 ne vienne remettre en lumière ce courant si dominant des années soixante. A cette occasion Cruz-Diez offrait aux visiteurs un fascinant environnement de « Chromo-saturation» et son mystère de la chambre bleue.

« Chromo-saturation » Carlos Cruz-Diez « Dynamo » Grand Palais 2013

Les sculptures meurent aussi…

Depuis tant d’années, pour sa part, il œuvrait toujours avec la même opiniâtreté, faisant fi des aléas, voire même de l’oubli qui donna lieu à cet incident en Vendée en 2014 : « L’œuvre, une colonne de six mètres, avait été commandée dans le cadre du 1% artistique à l’artiste vénézuélien, résidant à Paris, Carlos Cruz-Diez pour le collège des Gondoliers à la Roche-sur-Yon en 1972. Elle était estimée à 200 000 €. Jamais entretenue, cette colonne Chromo-interférente avait été laissée à l’abandon et menaçait à tout moment de s’effondrer.(…) . L’œuvre est déménagée et quitte le collège pour … la déchetterie.  » . Les sculptures meurent aussi…
Heureusement les œuvres publiques de Cruz-Diez restent durablement en place dans le monde entier. Ses  « Physichromies » ont été réalisées à une échelle spectaculaire dans l’architecture et la ville, notamment au Venezuela.
Avec l’ordinateur, l’artiste s’était inventé de nouveaux jeux, de nouveaux moyens pour faire en sorte que l’art lumino-cinétique ne soit pas seulement un mouvement qui a vécu. Pour rendre visite à l’artiste, dans son atelier parisien, il fallait pénétrer par… une boucherie qui avait conservé son aspect d’origine. Là cet homme témoignait de toute son énergie et d’une vivacité entièrement dédiée à l’art lumino-cinétique après tous les grands noms disparus : Victor Vasarely, Jésus Rafael Soto , Pol Bury…).

Vivre la couleur

Tout au long de sa vie, Cruz-Diez nous a montré que la couleur, au-delà son immédiate perception visuelle, pouvait être éprouvée, devait être vécue. Son œuvre témoigne de cette vocation de la couleur à travers les environnements, les architectures, les scénographies, les installations temporaires ou pérennes. Au moment où Carlos Cruz-Diez disparait, l’art lumino-cinétique, après tant de gloire et d’oubli, fait désormais partie de l’histoire de l’art et son dernier représentant historique a maintenu sa présence vivante jusqu’en ces années du nouveau siècle.


Photo exposition Dynamo : de l’auteur

Expositions

Vasarely, le siècle d’après

« Le partage des formes »

Dans l’art cinétique et l’Optical art, les premiers auront été les derniers. Entre les artistes disparus et les artistes oubliés, le contingent s’était singulièrement réduit. Même si des lieux de résistante entretenaient une présence de l’art cinétique, notamment Denise René dans ses galeries, le mouvement avait vécu ses heures de triomphe. Après le long purgatoire dans lequel se sont trouvés ces créateurs, on a vu, depuis quelques années, revenir dans la lumière ces noms qui avaient partagé la gloire. En 2013 se sont ouvertes simultanément deux grandes expositions consacrées à des artistes cinétiques : Julio Le Parc au Palais de Tokyo à Paris et Jésus Raphael Soto au Centre Pompidou toujours à Paris. L’exposition Dynamo en 2013, également au Grand Palais à Paris, a marqué une étape essentielle dans ce retour en grâce de l’art cinétique et lumino-cinétique.
Victor Vasarely, qui fut le premier d’entre, eux restait pourtant bien absent des institutions quand bien même la Fondation Vasarely à Aix en Provence entretenait la flamme.

« Il faut maintenant construire le monde! »

L’exposition du Centre Pompidou de Paris replace Vasarely en perspective dans l’histoire de ce mouvement en donnant à voir comment l’artiste puise ses racines dans le Mühely  fondé à Budapest en 1928. C’est le temps de Het Overzicht fondé par Michel Seuphor. Het Overzicht (Le Panorama) va souffler l’esprit nouveau partout. « Il faut maintenant construire le monde! » clame Seuphor.

Tournage avec Victor Vasarely en 1970 à Annet sur Marne;

A peine plus jeune que Seuphor, Victor Vasarely, est entré en 1929 au « Muhëly » (« Petit Bauhaus ») connu comme étant l’équivalent du Bauhaus à Budapest. L’école, créée sur le modèle du Bauhaus de Dessau, reprenait les enseignements de Gropius, Kandinsky, Klee ou Albers Cette influence se révèle considérable dans l’oeuvre de Vasarely. Là, il s’initie aux tendances du constructivisme et découvre l’art abstrait. Il rêve de fonder une école où toutes les disciplines artistiques seraient réunies. C’est pourquoi il souhaite, en 1944, exposer le fruit de ses recherches graphiques. Tout le café de Flore, où se sont rencontrés Vasarely et sa nouvelle compagne Denise Bleibtreu, soutient le projet et la presse le suit. L’atelier de couture de Denise Bleibtreu devient la galerie Denise René.
C’est le début de cette aventure qui aboutira à l’extraordinaire influence de l’Op-art et de l’art cinétique non seulement dans le domaine de l’art mais en envahissant comme un Tsunami tous les domaines : architecture, spectacles vivants, cinéma, mode, design ….au point de devenir en quelque sorte l’art pompier des années soixante et soixante dix. C’est aussi l’époque où Nicolas Schoeffer rêve de sa Tour cybernétique qui devait devenir la nouvelle Tour Eiffel du vingtième siècle et qui finalement ne verra pas le jour.
Aujourd’hui, dans le siècle d’après, Vasarely revient au premier plan à l’occasion de cette exposition du Centre Pompidou. Bien discret dans un angle des cimaises, le « Manifeste Jaune » (1955), texte fondateur du projet de l’artiste, témoigne de ce point de départ historique. Dommage que la si décisive époque de la galerie Denise René soit quelque peu occultée dans l’exposition. Des « Zèbres » de 1938 jusqu’à la série des « Vega », ce parcours témoigne de la rigueur de l’oeuvre à l’image de celle de l’homme lorsque je le rencontrai au début des années soixante dix dans son atelier et domicile d’Annet sur Marne.
Avec le recul, ce qui s’inscrivait dans la seconde moitié du vingtième siècle comme la pointe avant-gardiste d’un mouvement qui voulait changer le monde, apparaît aujourd’hui comment un moment d’histoire. La modernité  n’est plus ce qu’elle était.

Photos de l’auteur.

Vasarely
Le partage des formes
6 février 2019 – 06 mai 219
Centre Pompidou Paris

 

 

Expositions

Fondation Martell : la part des anges

« L’ombre de la vapeur »

Depuis à peine plus d’une année, la Fondation d’entreprise Martell a ouvert au coeur de la ville de Cognac un espace dédié à l’art contemporain. Dans ce vaste site (près de 900 m2), l’objectif est de commander à un artiste ou à un collectif une oeuvre destinée à créer un environnement « total et immersif ». La ligne directrice à respecter impose une relation avec les grandes thémathiques et les matériaux chers à la fondation :« le voyage, le temps, les sens, les matières, la nature, la lumière ». Pour cette présentation inaugurale, la compagnie Adrien M et Claire B a signé un environnement inédit : « L’ombre de la vapeur ». Cette compagnie Adrien M & Claire B, co-dirigée par Claire Bardainne et Adrien Mondot, crée des productions allant du spectacle aux installations dans le champ des arts numériques et des arts vivants. Leur démarche ambitionne de placer l’humain au centre des enjeux technologiques et le corps au coeur des images, avec comme spécificité le développement sur-mesure de ses outils informatiques. Ils poursuivent la recherche d’un numérique vivant: mobile, artisanal, éphémère et sensible.

Fondation d’entreprise Martell à Cognac

Assurément, l’approche des artistes se devait de prendre en compte la spécificité de l’entreprise qui les conviait. L’histoire du cognac qui concerne à la fois celle de l’entreprise Martell et toute une région a offert à cette compagnie un argument de départ : le « Torula ». Ce Torula est une espèce de champignon microscopique. Il se développe lors de l’évaporation des alcools que l’on nomme « la part des anges » dans le cognaçais.Le Torula se nourrit des composés organiques volatils pour recouvrir, en les noircissant, les parois avoisinantes. Avant les travaux de rénovation de la Fondation, le bâtiment était ainsi tapissé de ce champignon.
L’installation de la compagnie Adrien M & Claire B se déploie sur l’ensemble du volume grâce à un fin voile de métal formant des nuages suspendus sur lesquels sont projetées des particules blanches en mouvement. Organisme sonore et plastique, l’oeuvre devient interactive car modulée par les visiteurs au rythme de leurs déambulations, de leurs gestes et de leurs haltes. Le compositeur Olivier Mellano a créé un environnement sonore spécifique pour cette installation.

La part des anges

Pour le visiteur, en effet immergé dans cet environnement fluide, changeant, imprévisible, le ressenti évoque, me semble-t-il, plutôt que la noirceur parasite du champignon que l’on cherche à éradiquer, davantage l’impalpable fantôme de cette « part des anges » que le producteur de cognac voit disparaître de ses fûts au profit de ces anges, îvres j’imagine, bienheureux héritiers du précieux nectar.
Dans cet environnement visuel et sonore, il ne manque plus que la dimension olfactive pour parachever la proposition.
Depuis l’époque triomphante de l’art cinétique, la technologie a considérablement évolué et nombre de ces artistes rêvant, dans les années soixante, d’environnements lumino-cinétiques interactifs, découvriraient avec enthousiasme, je pense, ce que l’informatique notamment permet d’obtenir aujourd’hui. Les artistes n’ont vraisemblablement pas cette préoccupation historique mais leurs formations diverses témoignent cependant de ce mélange des genres que les cinétiques historiques recherchaient avec l’ambition d’un art total.
L’émergence, à Cognac, de ce projet ambitieux d’art contemporain  mérite d’être signalée et il faudra peut-être encore un peu de temps pour que le public se presse dans l’espace d’art comme il le fait plus naturellement pour la visite historique du cognac. La part des anges deviendra alors celle de la création contemporaine.

Photos de l’auteur

Adrien M et Claire B
« L’ombre de la vapeur »
30 juin – avril 2919

Fondation Martell
Cognac

 

Expositions

Zimoun met une fleur à sa bétonnière.

L’art cinétique bouge encore. Rien de désobligeant dans ce constat pour qualifier le renouveau d’un courant artistique dont l’apogée remonte aux années soixante. Mais comme l’artiste Suisse Zimoun est né en 1977, c’est une voie originale que trace cet artiste tout en recourant aux techniques déjà utilisées par ses aînés d’un mouvement qui a connu un engouement spectaculaire dans ces années soixante et soixante dix. Plus encore que ceux qui, dans le passé, utilisaient le son dans leur oeuvre cinétique, Zimoun accorde une place centrale à cette dimension sonore. Depuis son enfance l’artiste joue de plusieurs instrument, tout en pratiquant le dessin, l’animation et la photographie. Autodidacte, il a développé depuis le  début des années 2000 un travail de sculptures sonores qui renouvelle l’approche du son dans les oeuvres cinétiques.

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Un paramètre supplémentaire personnalise sa démarche : la notion d’accumulation d’un même élément ajoute une dimension particulière a ces œuvres qui, installées ici au 104 à Paris, occupent totalement les espaces impressionnants du centre d’art. Associée à cette accumulation c’est la répétition d’un mouvement unique sur chaque pièce qui donne à ces étranges concerts leur spécificité. « Ce que vous voyez est ce que vous entendez » précise Zimoun pour mieux souligner l’osmose qui s’établit entre l’accumulation répétitive des poièces installées et la production d’un son résultat à la fois d’un programme mécanique et d’un aléatoire pourtant provoqué.
L’artiste construit des systèmes simples utilisant des matériaux basiques (boites en carton le plus souvent, pièces de bois) qui se mettent ensuite à générer quelque chose de plus complexe : « Un aspect de ma pratique est l’étude de microstructures vibratoires. L’œuvre explore le rythme et le flux mécaniques de dispositifs préparés. À la fois sonores et visuelles, des unités d’intense activité forment la base des compositions, dont la durée et les contours sont déterminés in situ. »
De fait chaque installation visible au 104 donne au visiteur le sentiment de découvrir une sorte d’Hydre envahissante composée elle-même de centaines de micro-organismes possédant sa vie propre et donnant à l’ensemble cette apparence quelque peu monstrueuse. Dans cet espace visuel singulier l’environnement sonore créé par l’animation de chaque élément indépendant des autres souligne  davantage encore l’accumulation de ces pièces faites de matériaux « pauvres ». Parfois même l’accumulation prend l’allure d’un pénétrable dans lequel il est déconseillé de pénétrer, chaque barre verticale émettant en heurtant le sol un son multiplié à la mesure du pénétrable. Dans tous les cas, le visiteur enveloppé dans la monumentalité de l’installation perçoit pleinement les effets de ces propositions visuelles et sonores.

49 prepared concrete mixers, 2017 Zimoun 104 Paris 2017

Zimoun accentue ce principe d’accumulation dans une installation extérieure qui se distingue de toutes les autres. Quarante neuf bétonnières rutilantes, soigneusement alignées à la manière d’un défilé militaire, toutes en action, transforment, là encore, chaque machine en fantassin d’une armée inquiétante au service d’on ne sait trop quel objectif caché.
Cette fois l’art cinétique de Zimoun est objectivé par la fonction technique de chaque bétonnière tournant cependant à vide, inutile et superbe au service d’un artiste qui a décidé de « mettre une fleur à sa bétonnière » dirait Jacques Prévert.

Photos de l’auteur

Zimoun : « Mécaniques remontées »
Le Cent Quatre-Paris
Du 25 mars au 6 août 2017
5 rue Curial, 75019 –

Expositions

Roger Vilder : l’art en partage

« Défense de ne pas toucher »

Dans les années soixante en France le G.R.A.V., Groupe de recherche d’arts visuels, édictait comme principes : « Défense de ne pas toucher » et  « Défense de ne pas participer ». Pour Roger Vilder qui expose actuellement à la galerie NMarino à Paris, ces injonctions retrouvent aujourd’hui toute leur valeur. Pour cet artiste qui a partagé sa vie entre le Canada et la France, les travaux sur l’art construit conjointement à ceux sur le mouvement le rapprochent de cette histoire écrite par les tenants de l’art cinétique. Car c’est un itinéraire d’une cinquantaine d’années qui aboutit aujourd’hui avec cette proposition d’ « Algorithme tactile ». Les premières recherches numériques de Roger Vilder remontent à 1971. En 1973 il réalise des dessins par ordinateur au centre météorologique du Canada.

Algorithme Roger Vilder
Algorithme tactile 4 carrés couleur

Désormais pour Roger Vilder cette volonté d’associer la création dans le domaine des arts plastiques avec la technologie informatique se concrétise avec ces dessins en noir et blanc ou en couleur animés par des algorithmes, les tableaux devenant en permanence modifiés par des mouvements aléatoires ou répétitifs. Le plan du tableau est alors asservi par l’ordinateur au bénéfice d’une œuvre en changement permanent.

« Algorithme tactile »

Le  « Défense de ne pas toucher » des artistes du G.R.A.V. trouve ici une nouvelle application avec l’utilisation par Roger Vilder d’écrans tactiles qui perturbent singulièrement le statut à la fois de l’œuvre et celui de l’artiste. Désormais, le collectionneur prend sa part de création pour chaque œuvre initiée par l’artiste. Le spectateur du tableau a pouvoir de décision en intervenant sur le plan tactile: il peut alors déplacer l’image, agrandir une forme, la réduire, modifier le rapport géométrique des formes et des couleurs.
Dans ces conditions, ce n’est pas seulement la nature de l’œuvre qui change en se voyant attribuer un acteur supplémentaire dans l’acte de création, c’est le statut même de l’artiste qui s’en trouve bouleversé. En mettant à la disposition du spectateur ce pouvoir de décision, Roger Vilder met en situation un tandem inédit qui, d’une certaine façon, désacralise le rôle du créateur, la prééminence incontestée de l’artiste. Imaginerait-on un tableau de Mondrian modifié au gré des humeurs du collectionneur ? Qu’en aurait pensé Mondrian lui-même ? Comment se définit alors la notion d’auteur ? Avec cette proposition  d’ « Algorithme tactile », Roger Vilder remet sur l’ouvrage la question du rapport à l’art que les artistes du G.R.A.V. posaient il y a un demi-siècle. Parmi ses membres, Julio Le Parc déclarait dès 1961 : «L’art d’ailleurs ne nous intéresse pas en tant que tel. Il est pour nous un moyen de procurer des sensations visuelles, un matériel mettant en valeur vos dons. Tout le monde est doué, tout le monde peut devenir partenaire. Et ce sera parfait si l’œuvre vous fait oublier le tableau, ‘l’œuvre d’art’».

« Défense de ne pas participer »

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Algorithme tactile 15×20 Carrés Noir et Blanc

Roger Vilder, avec ses « Algorithmes tactiles » installe ainsi cette relation nouvelle dans la création artistique. La mutation de l’œuvre d’art ne tient pas d’abord, me semble-t-il, à l’avancée technologique mais bien davantage à ce statut nouveau : le tableau au mur n’est pas un objet fini, définitif, il devient un élément interactif, modifiable, soumis à la volonté de son propriétaire, lui même détenteur de cette part de créativité. Le rêve des artistes du G.R.A.V. de voir naître une nouvelle relation entre l’artiste et le spectateur prend forme aujourd’hui  avec cet art du partage.

Photos: Galerie NMarino

Roger Vilder
« Algorithmes tactiles »
8 Octobre – 26 Novembre 2016
Galerie NMarino
8 rue des Coutures Saint-Gervais
75003
Paris

Expositions

François Morellet : le facétieux stratagème du hasard

Depuis plus de soixante années, l’indocile jeune homme presque nonagénaire François Morellet traverse l’art de son temps en s’employant à nous convaincre que la création n’est pas une affaire d’ego, de monde intérieur, de signature. A l’époque de l’art cinétique triomphant, il participe, dans les années soixante, au « G.R.A.V. »  (Groupe de recherche d’art visuel) qu’il fonde avec Hugo De Marco, Horacio Garcia-Rossi, Julio Le Parc, Francisco Sobrino, Joël Stein et Yvaral avec l’ambition de promouvoir un art collectif débarrassé de sa vocation d’auteur. Lorsqu’il se dirige vers un art concret où le recours au hasard est déterminant, ce «rigoureux, rigolard», comme il aime à se décrire,  trace alors un itinéraire personnel qu’il n’a pas quitté depuis.

Seven corridors

Seven corridors » François Morellet MAC VAL 2015

Aujourd’hui, le MAC VAL à Vitry sur Seine met à sa disposition un espace imposant  pour donner libre cours à cet inépuisable besoin de proposer de nouveaux développements à sa méthode. « Seven corridors » résulte une fois encore de ce recours au hasard comme moteur de l’œuvre : ici quatorze lettres pour dessiner sept couloirs selon le principe des lignes au hasard à partir des lettres de deux alphabets répartis autour d’un carré. Sept couloirs, quatorze entrées/sorties. Cette procédure, coutumière chez Morellet, prend donc une dimension inédite en plaçant le visiteur non plus devant un tableau mais en l’absorbant dans une oeuvre-sculpture, un environnement qui n’est pas précisément un labyrinthe  mais propose des parcours à l’intérieur d’un ensemble monumental. Il n’est pas impossible, me semble-t-il, de rapprocher cette imposante construction des tentatives du G.R.A.V des années soixante lorsque le visiteur se voyait invité à éprouver physiquement un parcours jalonné de plans instables préfigurant, quarante ans à l’avance, les idées d’un art relationnel.

« Ma musée »

Déjà en 2007 l’artiste proposait « Echappatoire » au MAC  de Lyon, distribuant l’ensemble de ses œuvres de la collection à la manière d’une trame, puis expérimentait dans « Ma musée » au musée des Beaux-arts de Nantes un tel environnement en agrandissant dans le patio central du musée un de ses tableaux constitué de lignes, créant ainsi autant de couloirs menant à des œuvres choisies. Au MAC VAL l’œuvre ne se limite pas à cette construction envahissant presque la totalité des mille trois cent mètres carrés de la salle, elle investit également l’intégralité du sol et tous les murs du volume avec le déploiement de lignes noires elles aussi issues de ce jeu de hasard initié avec le plus souvent comme point de départ un argument relevant de l’absurde. Certes Morellet n’a pas inventé le recours au hasard dans l’art. Jean Arp, avant lui, dans la mouvance de Dada dès 1916, créait un collage « selon les lois du hasard ». Mais il échafaude avec malice des règles improbables qui vont mettre en scène ce paramètre indomptable dans ses tableaux.
Une fois encore François Morellet s’échappe par l’humour de tout enfermement  dans une définition contraignante ou réductrice de sa démarche : «Les œuvres d’art sont des coins à pique-nique, des auberges espagnoles où l’on consomme ce que l’on apporte soi-même».

Libre à chacun de nous de penser ou non que l’œuvre est également le fruit de notre propre regard, de notre capacité à apporter une contribution à la lecture de cette structure énigmatique. L’espiègle descendant de Mondrian, François Morellet, feignant de n’intervenir sur rien, de laisser ce facétieux stratagème du hasard intervenir dans « Seven corridors », semble nous dire :  » Débrouillez-vous ! « . Plus d’un visiteur, au MAC VAL, tente de s’y retrouver dans la documentation disponible sur place, cherche à découvrir un sens à cet étrange objet non identifié placé là comme un défi.
François Morellet, j’imagine, doit bien jubiler de ce bon coup perpétré aux dépends de notre approche rationnelle d’une œuvre muséale, nous abandonnant à notre perplexité devant ce labyrinthe qui n’en est pas un, face à cette sculpture qui n’en est pas une.

François Morellet dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

Photos : de l’auteur

François Morellet
Seven Corridors
24 octobre-6 mars 2016
Vitry-sur-Seine. Mac/Val