Seuphor, libre comme l'art

Seuphor, libre comme l’art : « De la plume qui sert à bien des choses. »

Le blog des Chroniques du Chapeau noi poursuit la publication de « Seuphor, libre comme l’art », écrit par Claude Guibert sur la vie de l’écrivain, historien et artiste Michel Seuphor (1901-1999), de son vrai nom Fernand Berckelaers. Ce livre a été écrit en 2008 et sera publié intégralement à raison de quelques pages par publication, une fois par semaine.

Publication N° 48
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A Vevey, Alberto Sartoris n’a pas perdu son temps. Il sait combien Seuphor attire la curiosité du docteur Miéville, et lui obtient sans peine une invitation pour la Suisse. C’est fois Seuphor pourra disposer, à La Tour-de-Peilz, au bord du Léman, d’une chambre, de son temps libre pour écrire sans restriction. Enchanté par la proposition, il va pouvoir passer, en cette fin 1932, plus de deux mois au calme et se consacrer enfin à l’écriture de ce livre en gestation depuis si longtemps : « Le style et le cri ». Ambitieux, son propos n’est rien de moins que de parcourir l’histoire de l’art depuis les Grecs jusqu’à ce jour. La vocation métaphysique du propos le plonge dans un exercice ardu, intense. A travers une réflexion sur l’art, c’est l’approche de Dieu qui s’affirme.

Les dessins unilinéaires

Entamée depuis déjà quelques mois, la conversion de Seuphor se précise à travers cet hymne à l’art, cette quête de l’absolu. Au terme de journées bien remplies, le soir arrivant, la fatigue le gagne. Dans sa chambre, bientôt enfumée par un rituel cigare, sa plume traîne sur la page blanche. Il s’abandonne à un dessin presque inconscient, d’un seul trait, sans quitter le papier. Quelque chose se passe dans le calme de cette chambre au silence épaissi par la fumée du tabac. Le trait suivi, continu, folâtre, devient mer, vague, barque. Il se métamorphose, à l’occasion, en rocher, soleil, fleur. Parfois même, libre et joyeux, il se transforme en personnage, danseur, plis d’une robe. Le tracé de Seuphor, ce soir de 1932, se convertit en dessin unilinéaire point de départ décisif d’une œuvre à venir.
Sur le moment, il n’y prête guère attention. Après tout, ces moments de divagation tranquille n’ont pour but que de le reposer de l’écriture. Les dessins dorment sur la cheminée de sa chambre. C’est encore l’ami Sartoris qui, les découvrant, ne veut pas en rester là. Il trouve ces feuilles dignes d’intérêt et les emprunte à Seuphor. Quelques jours plus tard, il lui annonce que ses œuvres seront exposées à la galerie Manaserro à Lausanne, ce mois de janvier 1933, en même temps que l’architecte présente ses plans de l’église de Lourtier, réalisation qui, par sa modernité, a fait tellement scandale ! Incrédule, Seuphor voit quelques-uns de ses dessins montés sous passe-partout gris. Sa première exposition ! Venu expressément écrire un livre pour lui essentiel, la surprise est de taille. L’événement est là, sous la forme de cette toute première présentation. Pour l’invitation, Sartoris écrit un texte dont Seuphor donne le titre « De la plume qui sert à bien des choses. »
Chaque dessin sera vendu dix francs suisses. Sartoris affirme avec fierté, au terme de l’exposition, que tout a été vendu. Ce n’est que beaucoup plus tard que Seuphor apprendra de la bouche même de son ami que ce dernier en avait acheté la moitié. Qu’importe le succès ! Le directeur de revue, l’écrivain, le poète Seuphor est devenu artiste et dessinateur. Une autre histoire commence.

Dessin envisagé 1948 Michel Seuphor

Alors que Seuphor s’implique, solitaire, dans sa quête méta- physique du « Style et du cri », ne sortant de sa minuscule chambre que pour quelques promenades en montagne, tandis qu’il révèle sa vocation naissante de dessinateur, le docteur Miéville, rationaliste impliqué dans l’action de son temps, ne comprend plus son protégé. Il a gardé l’image du Seuphor de « Cercle et carré » et ne peut le suivre dans sa recherche spirituelle. Le temporel fait l’objet de toutes ses attentions. Son pays est plongé dans une crise grave. La vague déclenchée à Wall Street, ce funeste jour d’octobre 1929, a déferlé sur l’Europe et causé des dégâts considérables, abandonnant sur son passage les laissés pour compte de la crise. La Suisse n’est pas épargnée par le krach : banqueroutes du Comptoir de l’Escompte, de la Banque de Genève, de la Caisse de prêts sur gages. La longue liste de scandales et de corruptions, la misère, les camions du « Kilo du chômeur» qui ramassent kilos de farine, de pâtes ou d’autres vivres pour subvenir aux besoins de huit mille démunis à Genève, cent quatre vingts mille en Suisse, tous ces corollaires de la crise attisent l’antagonisme politique entre la gauche et la droite. Celle-ci, inspirée par le fascisme et la montée du nazisme en Allemagne, se radicalise sous la férule de Georges Oltramare, journaliste et militant fasciste dont l’organisation  adopte un cérémonial et une discipline fasciste : ses militants défilent dans les rues de Genève en chemise grise et béret basque.

Le 9 novembre 1932, suite  à un mouvement de foule entre manifestants et contre-manifestants, les soldats ouvrent le feu. La fusillade fait treize morts et soixante-cinq blessés. Choqué par le drame du 9 novembre, le docteur Adrien Miéville se prépare à l’action politique et dans un geste spectaculaire, s’inscrit au parti socialiste vaudois. Déçu par l’évolution de Seuphor, il trouve un prétexte pour lui donner congé dès que « Le style et le cri » est achevé en février 1933. Seuphor quitte donc La Tour-de-Peilz. L’hospitalité du docteur Miéville l’a enrichi d’un livre et d’une expérience picturale inédite. En revanche la bourse est restée plate. Seuphor retrouve à Genève le poète Henri Ferrare qui se flatte de connaître par cœur certains de ses poèmes. Dans un café Genevois, le poète réunit un groupe d’intellectuels pour l’accueillir. Après cette réunion conviviale où Seuphor se voit présenté à tous, Ferrare parcourt l’assemblée avec un chapeau en invitant chacun à y déposer un peu d’argent pour que le héros de la soirée puisse continuer son voyage. Avec les soixante-cinq francs suisses recueillis Seuphor rentre en France.

1Cité dans « Itinéraire spirituel de Michel Seuphor » Francis Bernard S.P.I.E. Paris 1946

Expositions

Quentin Garel : l’impossible faune

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Peut-être serez-vous tenté, en découvrant l’exposition « Anomal » de Quentin Garel au château de Chamarande, d’envisager sous l’aspect d’une vulgarisation scientifique les œuvres accueillies dans ce cabinet des curiosités développé sur plusieurs lieux de ce vaste domaine ? Cette vertèbre géante qui accueille le visiteur dans la cour du château présente, en effet, tous les attributs d’une pièce anatomique sortie tout droit du Muséum d’histoire naturelle. Pourtant très vite le doute s’installe à la vue des ces visages simiesques postés en gardes inquiétants de part et d’autre de l’entrée du bâtiment. Le titre de l’exposition contribue également à nous mettre en garde : « Anomal : Qui présente un caractère d’irrégularité Anomal, animal, anormal, du grec anômalos, inégal. En botanique, anomal qualifie une espèce inclassable » .
Difficile pour autant de situer ces propositions comme un bestiaire fantastique. Car Quentin Garel semble mettre un malin plaisir à nous entraîner dans la vision d’un univers zoologique, anatomique, bref scientifique. Et c’ est ce jeu permanent de bascule entre une approche naturaliste et la suggestion d’une faune impossible qui nous place dans cette situation instable générée par ces propositions inclassables.
Il y a quelques années, à la Maison Européenne de la Photographie à Paris, l’artiste Joan Fontcuberta captait les visiteurs en les entraînant dans une aventure scientifique hors du commun. A la manière d’une scénographie digne d’un muséum d’histoire naturelle l’artiste nous présentait des fossiles de sirènes vieux de dix huit millions d’années. Ces êtres que l’on croyait légendaires représentaient le chaînon manquant entre l’homme et les mammifères marins. On apercevait leur silhouette anthropomorphe, leur colonne vertébrale se terminant par une queue de poisson. Mais le découvreur scientifique de ces squelettes parfaitement conservés d’ »hydropithèques » : Joseph Fontana …. n’existait pas plus que ses découvertes.

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Quentin Garel me semble appartenir à cet univers qui se joue d’un réel imaginaire, d’un fantastique corroboré par une vision qui entend conserver les attributs de la science.  » Au départ mon travail portait un regard ironique sur les trophées de chasse, explique Quentin Garel. Je dénonçais une pratique orgueilleuse de l’homme, une domination sur l’animal uniquement vu comme objet de consommation. Puis, j’ai évolué en travaillant avec des paysagistes. Je me suis mis à sculpter des animaux sous toute leur forme, dans un travail assez figuratif mais aussi anamorphosé et distant de la réalité animale.

En permanence le visiteur se voit balloté entre vision fantastique et apparence scientifique, contraint de remettre en question sa propre grille de lecture induite en erreur par ce double jeu. Les grands dessins au fusain et à la craie accrochés sans cadres aux murs des salles d’exposition replacent cependant le visiteur dans un univers libéré des exigences d’une scénographie qui se voudrait scientifique. Dans cet « Anomal » , l’artiste retrouve avec la main et le geste ses marques dans une démarche artistique assumée.

Photos de l’auteur

Quentin Garel: « Anomal »
25 Janvier – 29 mars 2020
Domaine de Chamarande
Chamarande Essonne

Expositions·Moments privilégiés

Sous la plage, les pavés…

Depuis le début de cette année, les évocations n’auront pas manqué pour commémorer la turbulente année 1968. A Paris comme en province, les expositions, émissions de télévision, colloques, débats ont décliné ce cinquantenaire de mai 68 sous tous ses aspects politiques, culturels, artistiques.
C’est cependant une petite musique particulière que fait entendre l’exposition de la médiathèque Michel Crépeau à La Rochelle en ces mois d’été.
« Sous la plage, les pavés », prend comme argument l’oeuvre du dessinateur de presse Tetsu (1913-2008) pour nous faire (re)vivre la France à la veille de mai 68.
De 1955 aux années quatre vingt, cet ancien peintre devenu dessinateur a multiplié ses créations dans de nombreux titres de presse (Ici paris, France Dimanche, Jours de France, VSD etc..). Mais, au-delà de cette exposition monographique, c’est plus encore l’évocation des années soixante que nous fait entendre cette petite mélodie de la nostalgie pour ceux qui ont baigné dans cette ambiance sommes toutes empreinte d’une certaine insouciance.
Cette « psychanalyse du banal », expression appliquée à l’oeuvre de Tetsu, s’entoure ainsi des décors de ces années dont la jeune génération n’a pas connu les pénuries, les rationnements. La guerre d’Algérie est finie et les attentats sporadiques de l’O.A.S. n’ont pas encore induit un univers sécuritaire comparable à celui de nos années actuelles.

« C’est la vie . Il faut se contenter du bonheur que l’on trouve’.

C’est au cours de ces années soixante, alors que les pavés n’ont pas encore surgi sous le sable, la classe moyenne, brocardée sans agressivité par Testu, peut rêver aux vacances dans un pays en croissance, au chômage réduit. Les rapports entre les femmes et les hommes ne sont pas vus comme un affrontement sans merci et la séduction des jeunes femmes n’est pas perçue comme un coupable asservissement à la domination masculine.
Avec le recul, et au-delà du regard nostalgique sur les objets mythiques de ces années (dont le fameux Teppaz sur lequel on découvre le rock puis ses succédanés européens), ce qui frappe, me semble-t-il, c’est la non visibilité des secousses qui  bouleverseront la société française très bientôt. Les signes avant-coureurs de mai 68 ne deviennent sensibles qu’au début de cette année référence. Comment est-on passé de la tranquille insouciance (du moins apparente) exprimée par les dessins de Testu à la contestation radicale d’une société trop sereine, trop sûre de ses valeurs ?
L’exposition de la médiathèque Michel Crépeau relate ce mélange singulier entre les témoignages d’une société qui n’affronte pas encore les tensions et les remises en question et l’apparition de ce qui reste, aujourd’hui encore, comme la trace ineffaçable de sa critique.

La génération de l’après-guerre, qui a fait exploser la courbe démographique dès 1946, a ainsi fourni à la société française à la fois les composantes de ses valeurs de consommation triomphante et les germes de sa propre contestation.

Photos de l’auteur

« Sous la plage, les pavés »

2 juillet-29 septembre 2018
Médiathèque Michel Crépeau
Avenue Michel-Crépeau
La Rochelle

Coups de chapeau

Jérôme Zonder : à la recherche de Garance

« Des homos Sapiens »

Pourquoi privilégier un tableau en particulier dans l’exposition « Des homos Sapiens » que présente Jérôme Zonder à la galerie Nathalie Obadia à Paris ? Ce gros plan sur « Portrait de Garance #50 «  (2018) donne l’occasion d’approcher ce qui singularise la pratique de cet artiste quadragénaire qui se consacre exclusivement au dessin. Cette pièce est à l’image d’une œuvre dans laquelle la couleur se trouve bannie, le monde se lit en noir et blanc comme le personnage d’Arletty dans le film Les Enfants du paradis de Marcel Carné. Garance n’existe pas ou plutôt vit au travers des multiples croisements entre des souvenirs et des faits relevant de l’actualité et inspiré par la photographe, commissaire d’exposition et militante féministe Julia Javel, qui fut la figure de proue du mouvement des Femen en France.

« Portrait de Garance » #50 « 
Poudre de graphite, poudre de fusain sur papier 77X57 cm

Les dessins de Jérôme Zonder réalisés avec de la poudre de graphite et de la poudre de fusain entretiennent l’incertitude sur la notion de représentation, sur la nature de cette image produite avec les touches répétitives d’empreintes digitales, formant avec ce pointillisme d’un nouveau genre une trame inédite pour donner au portrait de Garance cette apparence fantomatique. La pratique de Jérôme Zonder pourrait aussi bien nous renvoyer à la surface sensible des premières photographies, aux tentatives hésitantes de ces pionniers de l’image tentant avec plus ou moins de succès de fixer un réel toujours fuyant. « Avec l’omniprésence, dit Zonder, de la circulation entre dedans/dehors, projection de la personne imaginaire et représentation physique de la personne. Et puis la démarche qui entreprend d’étaler la matière grise, ce que j’ai commencé à faire en recherchant une équivalence entre le texte et l’image »
La démarche de l’artiste renvoie à une enquête pour arriver à cette somme narrative des éléments constitutifs du personnage : des images d’archives personnelles de Julia – la jeune fille qui lui a servi de modèle –, des photos prises d’elle et que Zonder associe à des éléments extraits de l’histoire de l’art, d’archives historiques, et des media (quotidiens, magazines).
Nous avons tous, lorsque nous étions enfants, joué à ce jeu consistant à révéler avec un crayon à papier, le dessin d’une pièce de monnaie cachée sous la feuille blanche. Cette montée à la surface du papier d’une image semblait quelque peu magique. Elle n’était pas le fruit de notre geste de dessinateur mais davantage la révélation due au passage rapide de la mine de graphite sur cette surface perturbée par le relief de la pièce. Le toucher répétitif de l’empreinte digitale de Zonder sur le papier révèle lui aussi cette forme préexistante, non pas physiquement derrière la feuille, mais dans la construction mentale que l’artiste a fait naître au terme de cette enquête sur Garance.
L’image produite au terme de ce processus en corps à corps avec la surface du papier n’a donc pas vocation à se substituer à l’image photographique. Elle tend à générer, me semble-t-il, une nouvelle forme de pigmentation sans couleur  incluant les valeurs de gris de la photographie avec une trame nourrie par cette empreinte digitale. L’identité du personnage ainsi créé se compose, au fil du dessin, grâce à cette marque elle aussi identitaire de l’artiste. Celui-ci n’a pas retrouvé Garance, il l’a fait naître.

 

Jérôme Zonder
« Des homos sapiens »
6 avril – 27 mai 2018
Galerie Nathalie Obadia
3 rue du cloître Saint-Merri
75004 Paris

Pour mémoire

Fred Deux : lignes de vie

Fred Deux, décédé il y a quelques jours, a pendant près d’un siècle traversé son époque au rythme de ses pas, ceux de cette itinérance patiente et opiniâtre sur le papier, passant du dessin à l’écriture, cherchant dans cet espace intermédiaire entre le langage et la forme la source d’une narration inédite. Né en 1924, l’ancien apprenti-électricien a rencontré un jour la littérature dans une librairie, fait connaissance avec les surréalistes. Il commence alors, avec de la peinture laque pour bicyclette, à réaliser ses premières «taches» sur papier.

La GanaLa Gana

Il y a quelques années, au détour d’un rayon d’une des librairies Mona Lisait parisiennes, aujourd’hui disparues, un trésor pour deux euros avait éclairé ma journée : « La Gana » d’un certain Jean Douassot. Les dessin de Fred Deux présents dans le livre, le texte autobiographie de Douassot/Fred Deux exprimaient encore cette double vocation  écrit/dessin,  cette dualité d’un artiste qui s’appelait « Deux ». « Regarde toujours ton nombril et dis-moi ce que tu en penses, me demandait mon oncle« . Cette première phrase de La Gana ouvrait la porte sur la vie incroyable de celui qui, né dans une famille ouvrière très pauvre de Boulogne-Billancourt, portait en lui cette enfance vécue dans une cave.
Dès 1966, Fred Deux commence à prendre des notes sur la feuille qui protège son dessin en cours. » Ces notes et dessins tenaient du journal par l’assiduité avec laquelle j’écrivais de courtes phrases sur mes feuilles, mais elles ne décollaient d’aucun évènement quotidien. L’écriture fut comme enserrée par le dessin, chacun cherchant ,à se dégager de l’autre, contraint à affûter davantage son outil, le même pour nous trois : le crayon « .
Dès lors, dessiner et écrire participent au même destin de son crayon : donner à sa création la lenteur nécessaire à son cheminement, la respiration indispensable à son déroulement.
Parfois édité sous le nom de Jean Douassot, parfois sous celui de Fred Deux, les écrits se suivent : Sens inverse (1963), La Perruque (1969) et Nœud coulant (1971) constituent quelques repères dans cette œuvre double. Cette communion de l’écriture et du dessin sera à l’origine des « Livres uniques » comme La Malemort (1980), La Matrice ou La Règle.

Veillées

Le recevant il y a une vingtaine d’années pour un entretien vidéo, je garde le souvenir encore captivé par le récit de cet homme. Nous n’étions plus dans une interview, il fallait oublier les questions préparées pour ne s’attacher qu’a ce moment exceptionnel qu’offrait le conteur. Fred Deux aurait pu se confier ainsi des heures. Il ne venait pas répondre à un entretien, il vous conviait à une veillée tout au long de laquelle le seul ton de sa voix suffisait à créer un climat de confidence, dans cette remontée tranquille du cours de sa vie.

Fred Deux_(1995)
Fred Deux_(1995)

On ne peut donc pas s’étonner  que l’artiste ait enregistré son autobiographie sonore en vint quatre cassettes couvrant trente années de vie.
Fred Deux laisse une œuvre de dessinateur et d’écrivain. Mais peut-être  était-il avant tout cet extraordinaire conteur. La voix, le ton confidentiel, la respiration, le rythme, les silences de Fred Deux participaient aux tonalités d’une œuvre discrète voire secrète.
Fred Deux était fait pour la radio et la télévision. Peut-être le savait-il? Mais cet univers n’était pas fait pour lui. Fred Deux avait besoin de calme, de silence, d’un atelier préservé où pendant de longues années, il pointait comme un bon ouvrier à huit heures du matin, soutenu par sa compagne Cécile Reims qui grava ses œuvres durant des années. Cet engagement personnel, celui d’une vie entière, passait par ce trait tracé par la pointe fine d’un crayon parcourant cette feuille en y laissant un réseau inextricable.
Dans l’ouvrage décrivant le bilan de son parcours de 1949 à 1995, Fred Deux concluait cette expérience jointe entre écriture et dessin : « La vie est une feuille de papier« . Dans ces récentes années, l’artiste avait perdu la vue et abandonné son atelier. Ses lignes de mots et ses lignes de formes témoignent aujourd’hui de l’itinérance rare d’un artiste double.

Photo : portrait Fred Deux  extrait de l’Encyclopédie, audiovisuelle de l’art contemporain

Expositions

Stephen Schultz : Défricher les arcanes du tracé

Une exposition, le plus souvent, signale un moment sur la route d’un artiste. Ce qui nous est présenté aujourd’hui à la galerie Fatiha Selam à Paris constitue à l’évidence dans l’itinéraire du peintre Stephen Schultz un exemple significatif de ce que peut représenter cette avancée dans une œuvre, peut-être même marquer ici un aboutissement. Pourquoi évoquer un tel dénouement ?

De la palette chromatique à l’avancée diatonique

Stephen Schultz Galerie Fatiha Selam Paris
Stephen Schultz Galerie Fatiha Selam Paris

Stephen Schultz a parcouru le chemin d’un peintre tout au long de ces années, recourant directement à la peinture sur la toile, établissant dans sa confrontation au réel un rapport à la figure sans pour autant basculer dans un réalisme immédiat. «  Les tableaux, dit-il, ne visent pas à être une fenêtre vers le monde réel, mais plutôt à décrire un pas de ce monde vers un autre à l’action et au temps suspendus, de la même manière qu’une pièce de théâtre, plutôt que de refléter la vie, l’amplifie  ».
Le peintre ne fait pas appel à un modèle dans son atelier. Il attend de ses personnages qu’ils témoignent d’une présence, ne cherche pas à identifier tel ou tel qui pourrait être indifféremment  homme ou femme. Ces personnages sont inventés de toutes pièces dans leur morphologie comme dans leurs attitudes même si le peintre s’inspire parfois de l’approche de quelques uns de ses amis pour capter le sens d’une gestuelle. Le recours à la couleur s’est effectué dans la retenue, avec une économie ondulatoire propre à donner aux scènes cette douceur particulière.
Plus récemment quelque chose s’est passé. Le peintre a délaissé la palette de couleurs pour ne conserver que le noir et le blanc toujours au service d’une peinture dans laquelle la dramaturgie s’accentue. « Le noir et blanc, explique-t-il,, est devenu le médium provocant et mystérieux du récit ». Ce choix réducteur révèle déjà une volonté de dépouillement formel, laissant derrière lui le trop plein du jeu chromatique pour se confronter à cette seule possibilité binaire.

Le trait contemporain

Aujourd’hui, Stephen Schultz fait encore un pas en avant en direction d’une recherche de l’absolu. De la palette de couleur du peintre à la peinture restreinte au noir et blanc, jusqu’au dessin, il nous indique le chemin à la recherche des origines de l’art, pour cette quête d’un essentiel, d’un mystère plus que jamais actuel.  Pierre-Yves Trémois, autre dessinateur réputé, témoignait de cette fascination :
« Le trait est « contemporain ». Il n’a que vingt-cinq mille ans. Lascaux c’était hier, ce sera demain. (…) Aujourd’hui le trait est l’expression d’un avant-gardisme auquel peu d’artistes osent se confronter.».
History 20145 Stephen SchultzPartir à la recherche du dessin, tenter de pénétrer les arcanes du tracé, c’est avancer en terre inconnue où se découvrent, à chaque pas, les indices de cette pratique millénaire : empreinte, marque, ombre, sillage, sillon, tache, trace, cicatrice.
« Un simple trait de crayon sur la surface blanche du papier est déjà une blessure  » nous dit Gérard Titus Carmel. Dessinateur et graveur, Pierre Courtin, fils de paysan, voyait dans l’acte de dessiner la transposition du laboureur creusant son sillon.
Dans l’œuvre de  Stephen Schultz, le dessin n’est pas au service préparatoire de la peinture. L’artiste a décidé de se libérer de la lenteur que lui impose la progression du peintre sur la toile pour savourer la liberté que lui procure cette légèreté vivante et rapide du dessin. Son tracé semble ignorer l’effacement, marque l’empreinte de son passage sans repentir comme la rémanence du geste, preuve graphique d’un mouvement qui vient à la fois de la main créatrice et des personnages nés de ce geste. Le tracé de Stephen Schultz maintient sa présence au-delà du trait nécessaire, refuse de disparaître et semble doubler la scène dessinée par un plan diffus sous-jacent, témoignage de la course libre de ce sillon presque ininterrompu. En outre, par son format, c’est le dessin qui s’impose à l’artiste immergé dans ce plan de travail qui le domine.
Cet aboutissement du dessin apparaît, me semble-t-il, comme l’ultime étape de cette recherche dans laquelle il faudrait se débarrasser de trop de moyens disponibles, abandonner sur la route la diversité chromatique et même la simplification diatonique pour accéder au secret d’un trait, tracé à la fois apparemment si simple et, de fait, si complexe.
Faut-il en conclure que le dessin est l’avenir du peintre ? En accédant à ce point primordial, Stephen Schultz me semble réunir dans une même préoccupation le geste ancestral et le regard contemporain, confirmant, s’il en est besoin, cette constance immémoriale de l’artiste dans son interrogation du réel.

 

Photos: Galerie Fatiha Selam

Stephen Schultz
Twicetoldtales Twicetoldtales
part II

Galerie Fatiha Selam
14 mars-30 avril 2015
Vernissage le samedi 14 mars de 16H à 21H
58 rue Chapon
75003 Paris

Expositions

Oscar Muñoz : Improbables rémanences

Protographies

En jouant sur les mots avec le terme de protographie  (un néologisme qui évoque l’opposé de la photographie, le moment antérieur ou postérieur à l’instant où l’image est fixée pour toujours), l’artiste Colombien Oscar Muñoz  présente au Jeu de Paume à Paris un parcours personnel autour de l’image dans ce qu’elle a  de volatil, d’éphémère, inlassable préoccupation de tous ceux qui, dans l’histoire de la photographie, n’ont cessé de s’interroger sur ce phénomène instable, indocile : la captation du réel sur une surface sensible.
A la confluence du dessin, de la gravure, de la photographie, c’est à une double mémoire que l’artiste fait référence. Oscar Muñoz a mis ses pas dans ceux des premiers conquérants de l’illusion, ces inventeurs décidés à mettre la caméra obscura des peintres au service de ce projet audacieux : graver le réel. Ce moment incertain où la photographie n’est pas encore la photographie et ou la peinture n’est plus vraiment la peinture, ce rêve fou de mettre en boite enfin ce que voit l’observateur  reste peut-être le temps le plus captivant dans cette relation  au monde.

"Rideaux de douche" 1985-1986 'Oscar Munoz
« Rideaux de douche » 1985-1986 ‘Oscar Munoz

Rémanences

Oscar Muñoz  n’hésite pas à jouer avec les moyens les plus inattendus pour rendre sensible cet entre-deux. Plutôt que de s’en tenir au papier, au dessin, à la gravure, l’artiste recourt à des rideaux de douche en plastique  sur lesquels il « capte » au pochoir et à l’aérographe ces silhouettes fugitives sur  ce support insolite. Ce procédé singulier pour évoquer le phénomène rémanence, cette persistance fugitive d’une source lumineuse sur un support, nous renvoie au plus fondamental de la vision. Notre perception du mouvement passe, notamment, par cette rémanence dans notre œil. Sans persistance rétinienne, pas de cinématographe, pas de télévision, pas de notion de mouvement dans notre appréhension du monde, d’où la fragilité de notre vision, assujettie à ce miracle permanent.
L’image fixe, elle-même, dans sa reproduction contemporaine à travers l’imprimerie ou la télévision, passe par cette illusion : ce ne sont que des points lumineux que notre cerveau traduit sous forme d’image du réel. Oscar Muñoz, là encore, surprend avec sa façon que l’on pourrait qualifier d’iconoclaste d’évoquer ce phénomène. Dans Pixels (1999-2000),  sur neuf panneaux, les pixels de l’image sont matérialisés avec  des morceaux de sucre carrés imbibés de café, révélant un visage aux yeux clos.

Pixels (1999-2000)

Double mémoire donc à travers ces improbables rémanences : celle du réel fugitif, instable, reconstruit par notre vision et notre cerveau, mais celle également de cette histoire folle : l’invention des images fixes et mobiles L’image fixe n’est qu’une série de points, l’image animée n’est qu’une série d’images fixes. Nous reproduisons, à partir de cette illusion, un monde fait de conventions, toujours à la poursuite d’un réel dont nous n’aurons que ces traces pour nous convaincre de l’avoir capté.
Avec ses procédés décalés, Oscar Muñoz , depuis le collodion de Niepce,  revisite cette aventure historique, redécouvre ce passage évanescent entre le réel et sa représentation,  miracle que nous fait perdre de vue la profusion sans cesse accrue des images.

 

Photos: Jeu de Paume

Oscar Muñoz
« Protographies »

Jusqu’au 21 septembre 2014
Jeu de Paume
1 place de la Concorde
75008 – Paris

 

Expositions

La ville, un rêve en bleu

la ville bleue affiche« La ville bleue »

Un duo d’artistes composé d’une photographe et d’un dessinateur est à l’origine d’une œuvre commune, évolutive : « La ville bleue ». Carole Sionnet, photographe et PieR Gajewski, dessinateur, commencent dès 2008 à installer entre eux un dialogue graphique inédit entre photographie et dessin. « Cette approche singulière et complémentaire propose une rencontre poétique et visuelle autour de « La ville bleue ». Cette ville évolutive est matérialisée par des couples d’images et par un plan. Elle est constituée, à ce jour, de seize quartiers : quartier Admsterdam, quartier Angoulême, quartier Barcelona, quartier Berlin, quartier Hambourg, quartier Istanbul, quartier Japon, quartier Laplac, quartier La Rochele, quartier Lisboa, quartier New Rochelle, quartier New York, quartier Rochefort, quartier Séoul, quartier Vert et quartier Venezia. La ville s’étend au gré de leurs déambulations. Chaque « ville réelle » explorée lors de voyages ou de résidences d’artistes, devient un quartier de « La ville bleue ». Chaque nouveau quartier se greffe à ceux déjà existants. » Tout récemment le quartier Rochefort est venu s’annexer à la mappemonde de ce pays en devenir.
Pour ces deux artistes Rochelais, la ville inventée prend ainsi le pas sur le réel pour autoriser tous les vagabondages urbains. La constante dans ce jeu à quatre mains se révèle à travers l’humain toujours présent dans la ville bleue.

New rochelle
New Rochelle

Un Nouveau monde

La ville de La Rochelle abrite le musée du Nouveau Monde, installé dans un hôtel particulier du XVIIIe siècle. Dans cet édifice emblématique des liens privilégiés entre La Rochelle les Antilles, les collections évoquent les relations du vieux continent avec le Nouveau Monde. Elles explorent les rêves et illusions que chaque siècle s’inventera et font de ce musée, unique en son genre, un lieu d’interrogation sur les civilisations.

Japon
Japon

Les deux jeunes artistes photographe et dessinateur prolongent à leur manière ce rêve de lien civilisateur en créant leur propre Nouveau Monde. Ce ne sont pas seulement des carnets de croquis ou des albums photographiques qui dialoguent. Le résultat exposé révèle cette tentative d’établir une relation personnelle à la ville au travers d’un « entre-deux »  qui crée une narration photographie/dessin. La juxtaposition, le montage des deux points de vue nous entrainent dans la naissance d’un regard supérieur à la somme de ses composantes. Les villes sont toutes fascinantes pour la capacité qu’elles nous offrent de s’y égarer sans jamais s’y perdre. Au point même d’y retrouver ses racines comme les deux artistes photographe et dessinateur établissant le pont entre La Rochelle et New Rochelle, dans la banlieue de New York, cette « Nouvelle Rochelle » fondée au dix septième siècle par les réfugiés huguenots notamment Rochelais, fuyant les persécutions exercées en France. Là, le montage n’est plus seulement plastique, il devient historique et ajoute à l’approche photographique et au dessin ce lien supérieur de la mémoire.

Jardin des retours

A Rochefort où exposent également les artistes, existe près de la Corderie Royale le « Jardin des retours«   où les navires revenant de leurs expéditions débarquaient une cargaison de plantes inconnues. Revenant de leur voyage dans la « Ville bleue », Carole Sionnet et PieR Gajewski constituent eux aussi ce jardin des retours, témoignage de leurs découvertes.

Carole Sionnet, photographe et PieR Gajewski

« La ville bleue ».

Du 1er juillet 2014 au 30 septembre 2014
Médiathèque d’agglomération Michel-Crépeau
La Rochelle

Exposition quartier Rochefort

Du 16 mai 2014 au 30 septembre 2014
Restaurant Les Longitudes de la Corderie Royale
Rochefort

Expositions

Cy Twombly, à fleur de mots

« On paper« 

Le dessin et l’écriture ne sont pas indifférents l’un à l’autre. Cela commence par le papier. L’exposition « On paper » de la galerie Karsten Greve présente un aspect de l’oeuvre de Cy Twombly : ses dessins réalisés à partir de la fin des années cinquante.  Mais à la frontière de l’expression écrite et du dessin, où se situe Cy Twombly ?  Plongé dans l’activité artistique tumultueuse de New York de l’après-guerre, où il fréquente John Cage, Franz Kline, Robert Motherwell, Robert Rauschenberg notamment, pouvait-il échapper aux expressions  les plus puissantes, les plus radicales  pour seulement laisser courir sur le papier un trait à peine perceptible et donner naissance à une création emprunte de légèreté ?

Dessin années cinquante, Cy Twombly
Dessin années cinquante, Cy Twombly

Les papiers de Cy Twombly  délivrent les éléments d’une énigme : graffitis, mots, chiffres, signes, paroles fragmentées figées sur le support, ratures. D’une pièce à l’autre, l’opinion varie, les certitudes vacillent. Au point de s’interroger sur le mouvement créé par ces apparitions. Ces signes semblent parfois s’engloutir dans le plan du papier, parfois apparaître à sa surface. Ces dessins-écritures, ou le contraire, sont-ils en état de construction ou de décomposition ?
En  passant en revue les dessins de la galerie Karsten Greve,  j’ai eu le sentiment  de pister une ébauche à une autre, comme si l’obsession de Cy Twombly  se manifestait pour une recherche inaboutie  d’un dessin au suivant.

Dessin Cy Twombly
Dessin Cy Twombly

Impossible, par ailleurs, de cerner la nature de ces signes disparates, ne répondant pas une  formalisation unique. Ici l’espace du plan détermine une scène sur laquelle l’artiste libère une écriture désintégrée disponible pour tenter de révéler une pensée, voire une narration, à la manière d’un Basquiat, mais apaisé. Ces traces ne hurlent pas, elles chuchotent.

L’effacement

L’effacement fait partie de ce jeu. Le peintre et dessinateur Gérard Titus-Carmel a superbement écrit sur ce recours au gommage dans le dessin :
« Ces coups de gomme viennent toujours à point nommé, non pour effacer ou atténuer, ni même pour introduite quelque effet de sfumato, mais bien plutôt pour ouvrir des trouées nécessaires par où faire entrer l’air et la lumière au sein de la matière opaque  et grise de la mine de plomb, sans quoi le dessin risquerait d’étouffer ; autrement dit, pour ménager des circulations et des couloirs – des issues, par où l’on peut à  tout moment reprendre son souffle et laisser en cette brèche une place nouvelle pour le doute. »

Chez Cy Twombly  un entre-deux semble caractériser l’oeuvre. Mais sommes-nous entre deux dessins successifs, entre mots et chiffres, entre traces et lettres, entre rature et effacement ?  Un sentiment d’inachevé perdure, la sensation que l’oeuvre n’est pas fixée ici sur ce dessin mais quelque part en attente, en devenir.
Chez un autre peintre, Antoni Tapiès, les « Hiéroglyphes »  s’apparentent  assez facilement à un mur de graffitis que l’on aurait pu découvrir dans un univers sub-urbain, donnant le sentiment d’avoir été réalisés dans une urgence émotionnelle, loin de tout souci de composition et d’agencement. Entre écriture et pictogramme, ce geste de Tàpies  nous renvoie à une préoccupation qui, si elle remonte aux peintres rupestres, accompagne l’histoire de la peinture et de l’écriture jusqu’à la culture urbaine du Street art.
Chez Cy Twombly, il faut y retrancher la violence du trait au bénéfice de la légèreté, dans cet entre-deux sans fin entre trace et écriture, toujours à la surface du papier, à fleur de mots.

Photos: Galerie Karsten Greve

Cy Twomby
« On paper »

du 12 octobre 2013 au 1er février 2014
Galerie Karsten Greve
5 rue Belleyme
75003 Paris

Expositions

Claude Parent : dessiner l’utopie

Pour un homme de quatre-vingt neuf ans à la vie et l’œuvre tellement riches et pleines, Il pourrait paraître une gageure que d’évoquer un tel parcours en quelques lignes. La présentation des dessins de Claude Parent à la  galerie Yvon Lambert à Paris offre pourtant l’occasion de rappeler l’itinéraire impressionnant de l’architecte.

L’Architecture  Aujourd’hui

Revue Architecture Aujourd'hui N°286

Sa rencontre avec André Bloc engage une collaboration de dix ans, qui produira notamment la réalisation de la Maison expérimentale au Cap d’Antibes 1959 et celle de la Maison de l’Iran à la Cité universitaire de Paris en 1962. Grâce à la revue «L’Architecture  Aujourd’hui » dont il est devenu collaborateur, Claude Parent est confronté aux mouvements artistiques d’avant-garde – néo-plasticisme, abstraction géométrique, synthèse des arts, architecture-sculpture.

 

Le  groupe Espace

Dès le début des années cinquante, le groupe Espace auquel il participe constitue un foyer de recherche et d’innovation. Avec la parution en 1951 d’un manifeste, les vingt-trois signataires plasticiens ainsi que des architectes revendiquent l’intégration ou la synthèse des arts avec des techniques contemporaines, dans une expression non figurative qui intervient directement sur la communauté. La création plastique doit être fonctionnelle, s’inscrire dans un « espace réel ». Ils veulent promouvoir  » un art devenu spatial par la pénétration de la lumière dans l’oeuvre, un art dont la conception et l’exécution s’appuient sur la simultanéité des aspects dans les trois dimensions non suggérées, mais tangibles« .

Cette mission ambitieuse reçoit la caution des plus grands créateurs de l’époque : Fernand Léger, Sonia Delaunay, Victor Vasarely, Jean Dewasne, Jean Leppien, Jean Gorin, Richard Neutra, Henri Zehrfuss, Jean Prouvé s’associent au mouvement. A côté de la cinquantaine d’architectes s’engagent des peintres, sculpteurs, mosaïstes, tapissiers, verriers, céramistes. Pour autant, la volonté de mélanger les disciplines ne débouche pas aussi facilement sur une synthèse des arts. Les architectes font-ils appel à des artistes pour décorer leurs constructions ? La sculpture peut-elle devenir architecture ? Le groupe Espace, s’il a le mérite de poser la question, ne peut, à lui seul, bouleverser les pratiques.

« Avec l’intervention de la « fonction oblique » Parent devient l’un des plus importants utopistes sociaux dans l’histoire récente de l’architecture, avec des étudiants comme Jean Nouvel. Parent est proclamé comme héros de la déconstruction, comme l’un des premiers à appliquer la théorie de Derrida en architecture : un système existant est désassemblé et réassemblé en un nouveau, une manière moins structurée.professionnelles, les contraintes industrielles. »

Dessin Claude Parent

 

Dessiner l’utopie

Aujourd’hui, Claude Parent propose ces dessins qui, au-delà de la poursuite d’une architecture oblique qui constitue sa marque depuis un demi-siècle, nous racontent une histoire sans parole, quelque peu énigmatique où des populations poursuivent leur migration dans un univers urbain inconnu, apparemment sans frontières. Mise en perspective avec l’article précédent sur le « Promised Land » de Nikolaj B.S Larsen à la galerie Vanessa Quang à Paris, cette migration là  donne le sentiment d’être porteuse d’espoir, d’avenir. Voilà bien l’utopie dessinée de Claude Parent.

Photos Galerie Yvon Lambert Paris

Claude Parent
Entre utopie et réalité

21 juin – 28 juillet, 2012
Galerie Yvon Lambert
108 rue Vieille du temple
75003 Paris

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