Alertes

La « Révolution des couleurs »

La peinture revient dans la rue. Non il ne s’agit pas de l’expression d’un street-art désormais devenu art officiel accueilli par les institutions, les musées, les centres d’art, les salons. La couleur qui investit la rue aujourd’hui emprunte des chemins inédits : ceux parcourus par les manifestants lors de rassemblements urbains aux motifs sociétaux et politiques récents.colorévolution
En avril dernier, la Macédoine a commencé la « Révolution de couleurs ». « Plutôt que des piquets, des flammes et des routes bloquées, les manifestants macédoniens ont décidé de s’armer de pistolets à peinture et de ballons. »
Certes la couleur participe à l’expression politique depuis fort longtemps : drapeaux, ballons, banderoles sont autant de moyens coutumiers utilisés par ceux qui revendiquent, contestent, s’opposent à un pouvoir, à des institutions. Mais avec la peinture, la couleur se voit attribuer aujourd’hui , me semble-t-il , une fonction nouvelle : devenir une arme pacifique lors des confrontations parfois violentes auxquelles les manifestations sont sujettes.
1188495370_B978755300Z.1_20160525173944_000_GJM6R9JSD.2-0En Macédoine « Les manifestants réclamaient dès lors le report des élections prévues pour le 5 juin, la démission du président  Gjorge Ivanov, et le retrait de l’amnistie. Le 18 mai, sous la pression de l’opposition, de l’ Union européenne, et sûrement un peu de la peinture de rue, le Parlement macédonien a voté le report des élections« .
La peinture n’est pas un projectile comme les autres. Sa capacité de nuisance physique ne se situe pas sur le même plan que pavés, boulons, objets divers susceptibles d’être meurtriers. La couleur de la peinture ainsi utilisée ne se contente pas de dégrader un bâtiment, tacher des représentants des forces de l’ordre. Elle marque de façon durable un mécontentement, elle désigne les objets, stigmatise les personnes auxquelles sont associés les motifs d’opposition.
Le « paintball », à la fois jeu et sport apparu dans les années 1980 consiste à éliminer les adversaires en les touchant avec des billes de peinture lancées par les joueurs. Cette version contestataire du paintball ne peut certes être assimilée à un jeu. Mais on y retrouve les caractéristiques d’un « combat pacifique » dans lequel la force symbolique doit l’emporter sur la force tout court. Ce type d’attitude s’est retrouvé dans les manifestations récentes contre les institutions en France, débordant parfois sur une dégradation de bâtiments privés.

"Eclabousse" 1977 Gérard Fromanger
« Eclabousse » 1977 Gérard Fromanger

Au moment où, à titre personnel, je suis amené à mettre en œuvre l’exposition « Annoncez la couleur! »  avec Gérard Fromanger dans la ville d’Agen en juillet prochain, je ne peux m’empêcher de relier ce phénomène avec une des séries du peintre présentée récemment dans l’exposition du Centre Pompidou à Paris. Avec la série « Questions »,
Gérard Fromanger proposait en 1977 des images visionnaires d’un monde contemporain envahi par les médias à l’affût des turbulences d’un monde dans lequel jaillissaient les couleurs de façon brutale.
Quarante ans avant les manifestations inédites de la « Révolution des couleurs« , Gérard Fromanger établissait déjà une relation entre la réalité d’un monde en mutation et la présence continue des médias, la collusion permanente entre acteurs et témoins d’une histoire en train de s’écrire devant les objectifs toujours en alerte des photographes, des cinéastes, auxquels on peut ajouter de nos jours la myriade des téléphones portables auxquels rien ne peut désormais échapper, y compris les excès de violences de toutes parts.

"Jaillit" 1976 Gérard Fromanger
« Jaillit » 1976 Gérard Fromanger

« Eclabousse », « S’embrouille », « Circule »‘, « Danse », « Jaillit », « Bourdonne », ces quelques titres de la série « Questions » de Fromanger retrouvent aujourd’hui une actualité pour décrire cette nouvelle implication de la peinture, cette complicité de la couleur dans un engagement qui n’est plus celui d’un mode de représentation du monde mais d’une présence agissante dénonciatrice, incontrôlable, insaisissable, révélant avec plus d’acuité encore sa différence avec un street-art qui a abdiqué ses valeurs de subversion au profit d’un accueil civilisé au sein des institutions.
La « révolution des couleurs » offre à la peinture une vocation inattendue  pour laquelle les peintres militants partisans d’un engagement par la peinture n’avaient encore envisagé cette aventure.

 

Photos 1 et 2 : Atanasowski/AFP
Photo 3/4 : Gérard Fromanger

Coups de chapeau

Rock around the Bunker

Sur les deux mille ouvrages bétonnés érigés par l’armée allemande le long du mur de l’Atlantique pendant la seconde guerre mondiale, beaucoup ont disparu. Certains subsistent encore connaissant des sorts divers. Parfois ils ont été restaurés ou abritent des musées. Sur les côtes sablonneuses d’Aquitaine de nombreux blockhaus se sont affaissés avec le temps. Une grande majorité des bunkers sont à l’abandon, maltraités par les éléments naturels. A l’occasion leurs murailles épaisses attirent les taggeurs pour quelques interventions sauvages qui ne rélèvent pas pour autant d’une démarche artistique probante. Cependant quelques exemples récents témoignent d’un intérêt porté à ces fantômes architecturaux lourds de leur histoire pour les détourner de leur mémoire militaire au bénéfice d’une appropriation artistique pacifique contemporaine.

« Réfléchir » création Anonyme 2015 (Photo : Arnaud Helary)

« Réfléchir »

En mars 2014, assisté par plusieurs étudiants en art, Anonyme, pseudonyme d’un artiste plasticien Dunkerquois de trente huit ans, se lance dans une aventure incertaine : recouvrir avec des milliers d’éclats de miroir trois cents cinquante mètres carrés du premier blockhaus de la batterie installée sur la plage de Leffrinckoucke. Aventure car l’opération financée par les seuls moyens personnels de l’artiste, sans autorisation préalable laissant la légalité de l’intervention dans un flou artistique, présentait donc quelques incertitudes sur son aboutissement. Utilisant des  chutes de  miroirs provenant de déchetteries, l’artiste a invité les particuliers à déposer tous les fragments disponibles pour parfaite l’ouvrage. Le résultat saisissant de cette opération est désormais visible.Ce ne sont pas les obus qui auront fait disparaître les murailles indestructibles de cet ouvrage de défense militaire mais le geste tranquille d’un artiste dont l’acte créatif a traversé l’épaisseur du béton en restituant à notre vision un horizon, une lumière. Avec pour titre « Réfléchir », l’œuvre désormais achevée associe la réflection changeante de ses parois à une réflexion sur l’histoire de cet objet à l’abandon porteur cependant d’une histoire encore douloureuse.

Cécé

Sur une autre plage de Basse-Normandie, Siouvilhe, un autre bunker de la seconde guerre mondiale vient de connaître lui aussi un transformation inédite. L’artiste français Cécé vient tout juste de terminer sa dernière œuvre de street-art.Cécé bunker3Un œil occupe totalement la paroi  de ce blockhaus face à la mer. A trente sept ans, le graffeur Cécé, originaire de Siouville, est revenu sur le terrain de jeux de son enfance pour célébrer à sa manière le soixante dixième anniversaire du débarquement. Mais si l’œil géant peut évoquer le regard scrutateur des soldats de l’armée allemande, c’est pourtant un trompe-l’œil historique que propose l’artiste : dans la pupille se reflète la silhouette de la centrale nucléaire de La Hague.

Muralisme

Il y a quelques mois le quartier de la Pallice à La Rochelle inaugurait la fresque qui habille le blockhaus situé au bas de l’avenue Émile-Delmas. Ce travail réalisé par le groupe Muralisme, composé des deux artistes Valérie Izzo et Julien Frenzel, illustre une évocation de l’histoire de cette zone portuaire.

La pallice blokhaus
La pallice blokhaus création groupe Muralisme 2015

Les thèmes peints ont été sélectionnés au terme de plusieurs rencontres entre les créateurs et les habitants du quartier, écoliers, adhérents du centre social, passeurs de l’histoire de l’association Paroles de Rochelais. C’est ainsi le souci d’un lien social qui anime cette initiative.
Ces quelques exemples récents révèlent combien une telle démarche artistique, loin d’être le résultat d’une réflexion globale sur le devenir de ces vestiges de notre histoire contemporaine, surgit d’initiatives individuelles, isolées, soumises aux aléas techniques et au « Laissez-faire » des autorités locales. Entre conservation mémorielle et terrain de jeu artistique, les bunkers du mur de l’Atlantique ne racontent pas tous la même histoire.

Expositions

NOMADE : Qu’est-ce qu’une performance ?

Le Festival culturel NOMADE va se déployer dans le 3eme arrondissement à Paris  sous le signe de le performance. Il regroupe sous cette appellation des actions d’artistes plasticiens, des propositions théâtrales, des créations musicales. C’est dire combien ce terme, s’il peut être fédérateur de l’expression artistique, recouvre également des objectifs très divers. Le mot  même de performance qui fait florès de nos jours peut aussi bien désigner le happening, l’ actionnisme, l’ art de rue, le  théâtre total,  la poésie sonore que la danse ou le chant. Dans NOMADE, il rassemble dans le même évènement Action writing, performance de Marie Gossard sur la disparition annonce du geste de l’écriture,  Les Soliloques, performances sonores d’Adrianna Wallis, Paradiso, le déjeuner sur l’herbe de Romina de Novellis,  O comme Opéra de Lyricomédiae, ou encore Le Live painting musical de Vladimir Kara pour ne citer que quelque exemples.
Aussi la mise en perspective historique de ces expressions peut fournir des points de repères aux visiteurs peut-être quelque peu désorientés par ce bouillonnement artistique éclaté dans toutes les directions.

L'art est inutile, rentrez chez vous !  Ben
L’art est inutile, rentrez chez vous ! Ben

La parole est d’Art

La parole est d’Art, avec le témoignage des artistes historiques de la performance, permet de resituer les axes majeurs de ce mouvement indocile. Il y a quelques mois, au sujet du livre « Interviewer la performance« , j’évoquais cet art d’attitudes qui se développait dans les années soixante et soixante dix, époque où se révélaient les créations théâtrales comme le Living theater de Judith Malina  et Julian Beck ou le Bread and Puppet Theater de Peter Schumann , période où  la rue allait connaître une primauté politique.
Les témoignages vidéo présentés dans le cadre de La parole est d’Art au sein du festival NOMADE  rappellent ces  lignes de forces : Benjamin Vautier découvre à New-York le mouvement Fluxus et va devenir, en France, le promoteur de cette approche d’un art total. Jean-Jacques Lebel rapportera des Etats-Unis; le Happening dont il sera le vecteur en Europe, avec entre autres son  Festival de la Libre Expression.  Les artistes de la seconde génération Lettriste, à commencer par Roland Sabatier, perpétuent, avec opiniâtreté, les propositions d’Isidore Isou avec notamment les actions déjà engagées dans les années cinquante. Fred Forest  créateur de l’Art sociologique, art vidéo, art interactif  signait son inoubliable action en 1973 à Sao Polo, « Le blanc envahit la ville « , les manifestants brandissant des pancartes… blanches, intolérables par le régime militaire en place.

Jean Jacques Lebel, Happening – 19 novembre 1966, Bordeaux SIGMA
Jean Jacques Lebel, Happening – 19 novembre 1966, Bordeaux SIGMA

Définir la performance

Tous ces témoignages historiques décrivent le parcours de ce mouvement indomptable. Le festival NOMADE tentera, lors d’une rencontre sur la performance avec des théoriciens, critiques, historiens et philosophes et artistes  d’évaluer les enjeux de définition  « de cette pratique singulière qui traverse de façon protéiforme toute la modernité artistique. » Peut-ou ou non mettre sur le même plan l’acte contestataire de l’artiste plasticien et la proposition artistique du danseur ?  La notion d’art total sa rattache-t-elle ou non à un mélange des disciplines ?
Sans préjuger des conclusions de ces réflexions, on peut envisager qu’un mot clef soit le fil rouge de ces expressions si diverses et tellement  réfractaires à la définition : liberté. Celle-ci, au-delà même de la valeur institutionnelle de liberté publique, revendique haut et fort à travers la performance, son exigence libératrice de tous les formatages de la pensée.

Photos: BEN : Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain
LEBEL : http://sigma.hypotheses.org

 

La parole est d’Art
Vidéo des artistes de la performance: Ben, Gérard-Philippe Broutin, Fred Forest, Jacques Halbert, Jean-Jacques Lebel, François ,Poyet, Roland Sabatier, AlainSatié,
Conception et réalisation : Claude Guibert, Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain
Festival NOMADE Paris 3eme
samedi 13 et dimanche 14 juin de 14 h à 18 h
Galerie Laure Roynette
20 rue de Torigny
75003 Paris

 

Livres

Quand les attitudes deviennent paroles

Regards sur la scène française depuis les années soixante

Interviwer la performanceCes  » Regards sur la scène française depuis les années soixante  » dessinent les contours d’un pan de l’art de notre temps, d’un courant particulièrement indocile, indomptable, difficile à cerner et même à définir. Car le terme de performance recouvre à l’évidence des pratiques diverses, se présentant sous des noms variés : happening, actionnisme, art de rue, théâtre total,  poésie sonore…. Ces appellations indiquent combien cette notion de performance ne s’en tient pas aux arts plastiques mais dépasse les frontières en direction du spectacle, du théâtre notamment. Dans son introduction, l’ouvrage n’élude pas la question en précisant qu’on ne peut se satisfaire d’une seule définition de la performance. Soulignant ce « Renouvellement des stratégies d’indiscipline », les auteurs décrivent ( avec Eric Mangion ) la performance comme « un terme générique qui englobe toutes les typologies d’actions définies à travers le temps, à savoir happening, event, body art, art action ou interventions plus conceptuelles« .
On observera avec les entretiens réalisés auprès d’une douzaine d’artistes que ceux-ci adoptent parfois des appellations diverses, confirmant leur sensibilité réfractaire à toute tentative de classement réducteur.
L’introduction de cette investigation resitue dans les années soixante le contexte dans lequel cette notion de performance s’inscrit. Cet art d’attitudes se développe dans une époque ou coexistent les expressions publiques, où se révèlent les créations théâtrales comme le Living theater de Judith Malina  et Julian Beck ou le Bread and Puppet Theater de Peter Schumann et ou la rue connaîtra une primauté politique.  Les noms de Ben et Jean-Jacques Lebel, s’ils sont évoqués, ne font pas partie des artistes interviewés, pourtant tous deux acteurs majeurs de cette histoire, Ben pour avoir contribué à l’arrivée du mouvement Fluxus en France et et Jean-Jacques Lebel pour l’importation du happening en Europe. Un peu surpris également de ne pas voir citer une seule fois les noms de Jean Mas proche de Fluxus  et ses nombreuses « PerforMas » ou encore de Roland Sabatier, membre moteur de la deuxième génération lettriste.
Chaque entretien, réalisé entre 2011 et 2012, a fait l’objet d’une retranscription en concertation avec chaque artiste qui a validé ensuite le texte final.
C’est donc un témoignage vivant sur un art bien vivant qui rassemble de Julien Blaine à Jean-Luc Verna les composantes de cette pratique artistique décidée à se tenir à l’écart des formats institutionnels et marchands.
Le corps apparaît comme l’outil primordial de cette expression, qu’il s’agisse d’un corps engagé dans un art relationnel avant la lettre où d’un corps matériau soumis à toutes les contraintes comme chez Orlan.

"Le déjeuner sur l'herbe" Groupe Untel intervention non officiel Salon des artistes Français  Galeries nationales du Grabnd Palais 8 avril 1975
« Le déjeuner sur l’herbe » Groupe Untel intervention non officiel Salon des artistes Français Galeries nationales du Grand Palais 8 avril 1975

Untel

Cas particulier dans cette liste d’artistes, celui du seul groupe présent, Untel. Le groupe Untel fut un collectif d’artistes créé en 1975 à Paris par Jean-Paul Albinet, Philippe Cazal et Alain Snyers. Ces copains étudiants d’écoles d’art ont eu pour objectif pendant cinq ans d’aborder «La vie quotidienne en milieu urbain». Dans cet univers que le sociologue américain David Riesman appelait «La foule solitaire», c’est un groupe formé d’individus innommables qui s’en prend aux médias, au marché, au tourisme, à la publicité pour mieux toucher du doigt les maladies de la vie sociale urbaine.
Aujourd’hui la performance aurait-elle acquis droit de cité au sein des institutions comme le Street-art a pris place entre les murs des musées ? Dans les deux cas, c’est l’identité même de cette pratique, marquée par ses valeurs subversives, qui serait en question.

Interviewer la performance
Mehdi Brit, Sandrine Meats
Manuella éditions
Octobre 2014
ISBN : 978-2-917217-61-0

Expositions

Romina de Novellis : messe pour le temps présent

Evoquer le titre d’une chorégraphie de Maurice Béjart au sujet de Romina de Novellis pourrait paraître singulier si l’on ne précisait pas immédiatement que cette artiste a consacré des années de sa jeunesse à la danse. Ceci n’est pas le moins surprenant venant d’une performeuse  dont la biographie signale sa qualité de doctorante en anthropologie et sociologie à l’EHESS avec une thèse en anthropologie.
Une fois posés les termes de ce profil particulier, il faut  inclure dans la réflexion sur sa démarche tout un faisceau d’indices : rituel, célébration, cérémonial. Dans des temps reculés, on y aurait vraisemblablement ajouté ceux de sorcellerie, diablerie, envoûtement.  Heureusement, aujourd’hui, on ne retiendra de l’envoûtement que le charme et la beauté de l’artiste qui se livre à notre regard dans ses performances.

Romina de Novellis Marseille juillet 2013

La mise au premier plan du corps définit le plus souvent  la nature des performances artistiques. C’était le cas d’un Michel Journiac, lorsque, travesti en prêtre dans la galerie Daniel Templon à Paris en 1969, il célébrait à sa façon  une messe en latin. C’était le cas également d’une Gina Pane exécutant devant un public au premier rang exclusivement féminin une «Azione sentimentale», à Milan en 1973. Là, avec un bouquet de roses rouges, puis un bouquet de roses blanches, elle passait de la station debout à la position fœtale, exécutant  un mouvement de va-et-vient avec le bouquet, avant de se griffer le bras avec les épines d’une rose et se mutiler la main avec une lame de rasoir.

Un mémorial sacrificiel

Chez Romina de Novellis, on ne retrouve pas la nature provocante d’un Michel Journiac ni la violence auto-destructrice d’une Gina Pane. Si le simulacre religieux d’un Journiac n’est pas avéré, l’artiste met pourtant en scène nombre de caractéristiques propres à ce cérémonial.

« La veille » Romina de Novellis 2013

Le Baptême, procession d’un baptême d’un corps, en 2011, donnait le ton de ce climat propre au simulacre religieux.  » L’APE » , à Marseille en juillet dernier, accentuait encore, par sa mise en scène, cette théatralisation de la procession. Les actions plus récentes ne démentent pas ce positionnement de l’artiste, toujours placée au centre  de ce mémorial sacrificiel. Comme dans une messe où ce rituel  est associé à la communion,  la performance de Romina de Novellis  nous place d’emblée,  si nous acceptons d’accompagner dans la durée son épuisante action répétitive, dans une attitude de communion avec son acte.

D’une aliénation à l’autre

Avec ses performances les plus récentes, La Veglia La Pecora ,La Gabbia, (où, enfermée nue dans une cage grillagée au milieu d’un jardin, elle en recouvre peu à peu les parois de roses blanches ) il a été beaucoup souligné combien l’artiste interrogeait ce statut de l’enfermement. Mais comme cet enfermement n’est pas toujours physique mais peut être social, soit parce qu’il touche particulièrement au statut de la femme soit parce qu’il concerne l’être humain en général, c’est davantage encore la notion d’aliénation qui me semble le mieux désigner ces actions. C’est alors l’ensemble des sources d’aliénation, sociales, politiques, culturelles, spirituelles qui peut constituer le champ dans lequel s’ exercent par ces simulacres les performances de Romina de Novellis.
Cette dépossession de l’individu au profit d’une autre force (individu, groupe ou société en général) constitue la nature même de cette situation dont l’ultime symptôme pourrait être celui de l’aliénation mentale.
Toute la tâche de Romina de Novellis  consisterait donc, d’une performance à une autre, à  nous mettre face à ces dangers pour mieux nous aider à briser ces chaines invisibles qu’elle suggère par quelques fils tendus au gré de ses gestes artistiques. Cette messe profane n’est pas dite.

 

Photos: Galerie Laure Roynette

Romina de Novellis
« Wool and roses »

10 octobre-26 Novembre 2013
Galerie Laure Roynette
20 rue de Torigny
75003 Paris

 

Alertes

Détruire ! disent-ils (2)

Suite à l’article précédent sur la destruction d’œuvres d’art, pour motivations diverses ou vandalisme basique sans mobile apparent, je reviens sur un des aspects de cette violence : l’autodafé. Si le terme s’applique à la destruction par le feu de livres, les œuvres d’art n’échappent pas à ce risque majeur.

Rencontres internationales d’art contemporain de La Rochelle, rue du Temple 1973

Autodafé

Exemple à grande échelle de cet autodafé sur les œuvres d’art dont j’ai personnellement effectué le constat  sur place dans les années soixante dix : dans le cadre des Rencontres internationales d’art contemporain de la Rochelle en 1973, la rue du Temple, centrale dans la vieille ville, avait été investie par de nombreux artistes : de Viallat au groupe 70, Pierre-Alain Hubert à Jalabert ou encore le groupe Textruction, cette occupation pacifique de la rue proposait un ensemble ludique. Les énormes structures gonflables de Christian Soucaret investissaient  tout le volume de la rue jusqu’aux étages des immeubles.

Après une ou deux journées de cette confrontation joyeuse avec le public, les échanges allaient bon train entre artistes et visiteurs curieux, parfois intrigués. Une mauvaise surprise attendait pourtant les acteurs de cette fête. Dans la nuit, les œuvres réparties sur toute la longueur de cette rue du Temple furent détruites et brûlées. Sans preuve ni compte rendu de presse ou de police il ne fut pas possible de désigner les coupables de ces actes. Certains artistes émirent l’hypothèse que les marchands du Temple, dérangés dans leur activité commerciale, auraient pu être à l’origine de ce vandalisme.

autodafé la rochelle 3

Annihiler

Sur le fond de l’acte, on peut s’interroger sur la véritable nature de cet autodafé. La démarche de ces artistes jeunes, méconnus du grand public, dérangeait-elle à ce point la vie matérielle des riverains irrités ? Dérangeait-elle aussi par l’incompréhension suscitée ?
Le sentiment qui dominait chez les victimes de cet acte de vandalisme à grande échelle était que, au-delà même de la destruction des œuvres manifestant une colère, l’éradication totale par le feu assurait  l’annihilation de toute interrogation sur l’art, de tout « risque » de poser une question.

autodafé la rochelle (2)

L’autodafé, vraisemblablement initié par un groupe même informel pour obtenir un résultat sur une telle quantité d’œuvres, pouvait être lu comme une réponse collective à une autre démarche collective elle aussi, cette dernière cherchant à mettre dans la rue la question de l’art.
En ce début des années soixante dix, l’art dans la rue était-il  perçu comme une réplique contestataire après les tremblements de mai 1968 ? Aucune revendication ne fut faite de ces actes, aucune explication ou  tentative de « justification » ne se manifesta. Difficile d’envisager un acte de vandalisme basique pour cette attaque décidée à cette échelle. La multitude des oeuvres dispersées sur la totalité de cette longue rue au centre ville  impliquait une volonté organisée de destruction.
Cet exemple n’illustre qu’un aspect de ces attaques contre les oeuvres d’art.
J’ai signalé dans un récent article sur Gina Pane, l’étonnant vandalisme dont une de ses oeuvres fut l’objet: le vol d’une vitrine puis sa restitution dans une forme totalement modifiée (voir Gina Pane à l’aune du sacré).
Si l’exemple des rencontres d’art contemporain de La Rochelle en 1973  donne le sentiment d’une destruction faite pour éradiquer toute interrogation sur l’art; le second vandalisme voulait, quant  à lui, délibérément intervenir dans la démarche de l’ artiste. Dans les deux situations, c’est la liberté de l’artiste et le respect de son identité qui en restent les victimes.

Photos de l’auteur.

Coups de chapeau

Le « Crowd art » de Spencer Tunick

L’artiste américain Spencer Tunick réalise en 1992 sa première photographie avec des modèles nus dans les rues de New York, puis, devant le succès, poursuit dans d’autres grandes villes américaines. La renommée de Spencer Tunick grandissant, il réalise ses œuvres dans quelques grandes capitales à travers le monde : Londres, Melbourne, Montréal, São Paulo et Vienne. Si la photographie constitue la trace ultime de son travail,  Tunick revendique pleinement son statut d’artiste au travers d’installations. Ce matériau humain composé de volontaires bénévoles (seulement récompensés par un tirage photo de l’œuvre réalisée), Spencer Tunick le  met en scène avec chaque fois davantage d’ambition.

« L’anneau des Nibelungen »

Festival d'Opéra de Munich 2012 Spencer Tunick

Plus de mille sept cents hommes et femmes nus ont participé à une exposition de Spencer Tunick pour marquer le début du Festival d’Opéra de Munich 2012. Le Bayerische Staatsoper a invité l’artiste Spencer Tunick à créer des installations inspirées par l’oeuvre maîtresse de Richard Wagner, « L’anneau des Nibelungen ». Peint rouge et d’or, les personnages nus ont recréé des scènes de l’opéra de Richard Wagner.

Festival d'Opéra de Munich 2012 Spencer Tunick

 

Cette scénographie a pris parfois l’aspect de record à battre si l’on se réfère à l’incroyable mise en place eu Mexique en 2007 : A l’origine, Spencer Tunick voulait réaliser cette mise en scène près des pyramides de Teotihuacan au nord de Mexico. Les autorités Mexicaines ne l’ont pas autorisé à s’y rendre mais lui ont cependant offert la possibilité d’utiliser la place Zocalo, au cœur de Mexico où se trouvent la mairie et le Palais national, siège officiel du gouvernement, orné de fresques du peintre Diego Rivera. Et c’est là que Spencer Tunick rassemble près de dix huit mille personnes nues.

La nudité au service d’une cause

La démarche de Spencer Tunick s’associe parfois à une cause : Green peace, lui propose une collaboration. Il fait poser six cents personnes sur un glacier suisse pour attirer l’attention sur le réchauffement climatique et la fonte des glaciers. En 2009, c’est au milieu des vignes de Macon que sept cents modèles se retrouvent pour dénoncer les effets du réchauffement climatique sur la production de vin.

Cette nudité dans un espace public, au vu des photographies disponibles, semble disparaître avec le nombre et  se fondre dans cet envahissement collectif. Dans ses interventions récentes, telle celle de Munich,  Spencer Tunick  « habille » ses modèles nus d’une couleur monochrome, jouant ici sur deux couleurs pour composer son tableau vivant.
Entre body art, land art, il faudra peut-être inventer  un nouveau terme pour décrire ce mouvement artistique créé par Tunick. Cette sorte de « crowd art »  n’ a pas dit son dernier mot.

Photos source : http://intermezzo.typepad.com/intermezzo/2012/06/knickers-off-spencer-tunick-pictures-munich-naked.html

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Portraits

Sur les traces de François Bouillon

En prenant ses distances avec la peinture, François Bouillon s’est engagé sur un chemin vierge ; on pourrait même penser qu’il n’y pas de chemin du tout et que l’artiste défriche, lui-même, une voie d’accès pour avancer dans une recherche difficile où la découverte surgit à chaque pas.

François Bouillon

Voilà comment, avec le dessin, la photographie, les installations, les bouts de ficelles et les éléments les plus divers, l’artiste interroge sa propre production.
Tout jeune, François François Bouillon, autodidacte, au lieu de fréquenter les écoles des Beaux-arts, participe aux «ballets de la grimace» organisé par Isidore Isou, pape du Lettrisme.
« Ma vision de l’art s’en est trouvée singulièrement élargie » souligne-t-il.
C’est en prolongeant ce cheminement hors des institutions que l’artiste s’engage sur cette voie où l’interrogation des signes traverse les sociétés et les civilisations, où une plume, une brique et un morceau de bois vont servir à décrire un rituel, interpeller le sens. Traces, symboles et signes caractérisent cette oeuvre imprégnée d’une pensée primitive qui s’est notamment nourrie de la culture Inuit.  Il faut se résoudre à envisager l’oeuvre de cet artiste comme un parcours semé de questions auxquelles il faut répondre pour poursuivre le chemin.Ou encore, admettre que cette oeuvre se présente comme un puzzle pour lequel nous devons nous armer de patience, sachant que toutes les pièces de ce puzzle ne sont pas encore fabriquées. L’utilisation de matériaux rudimentaires, d’origine naturelle – terre-pierre-feu – ou organique – plume-os révèle son attirance forte pour les arts premiers. Les installations, constituées d’objets «rituels» avoisinent parfois la performance et sont toujours le résultat de longs processus d’élaboration qu’il décrit ainsi: «L’installation mise en place, il n’apparaît sans doute pas grand-chose du processus qui m’a guidé. D’ailleurs, cela n’a sans doute pas beaucoup d’intérêt. Ce qu’on montre, c’est le reste d’une manipulation mentale».
Je ne prendrai qu’un exemple de sa recherche. François François Bouillon se sert du Y, cette lettre de l‘alphabet, signe qu’il va soumettre à toutes les questions : symbole pubien, fourche, lance-pierre, empennage de flèche, idéogramme chinois de l’homme, mais aussi signe de la victoire ou symbole de paix suivant sa position. Ainsi dessiné, sculpté, installé, ce signe servira à François François Bouillon comme véhicule privilégié pour nous dire que l’art sert aussi à mettre les points sur les Y.

François Bouillon dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

Photo Wikipédia

 

 

Expositions

La Fondation du doute

 Après le musée de l’objet

Il y a quelques mois, j’évoquais le sort du musée de l’objet à Blois, actuellement fermé. Le prêt de la collection d’objets contemporains réunis par Eric Fabre au Musée de l’Objet arrivait à son terme et la destination de ce musée remarquable (notamment pour ses collections Lettristes qui faisait de ce lieu un des rares endroits où ce mouvement était honorablement représenté) restait incertaine.

"Fondation du doute" par Ben 2012

Aujourd’hui, le projet de la Fondation du doute fait suite au Musée de l’Objet. Ce nouveau programme, conduit par Benjamin Vautier, autrement dit Ben,  aura pour centre d’intérêt le mouvement Fluxus  et donc également Ben. C’est pourquoi la Fondation du doute ne sera pas un musée Ben mais plutôt un lieu d’échanges et de réflexions. L’artiste a donné son accord pour prêter une collection de plus de quatre cent  pièces constituée au fil du temps auprès de ses amis grâce à ses innombrables relations dans le domaine artistique
Cette approche de Ben ne doit rien au hasard puisque l’artiste a mis en place , pour l’école des Beaux-arts de Blois, attenante à l’ancien musée de l’objet, une de ses réalisations  les plus importantes. Le « mur des mots »  de Ben occupe la grande façade de l’école des Beaux-arts avec  de très nombreux tableaux de ses écritures.

Fluxus

Benjamin Vautier années soixante

Le mouvement Fluxus doit son nom à George Maciunas: c’est lui qui choisit le nom Fluxus en 1961 et qui rédige le Manifeste Fluxus. Il crée une galerie en 1961 et organise des concerts de musique contemporaine, ainsi que des expositions de ses amis (John Cage, Dick Higgins ou La Monte Young) avant de s’installer en Allemagne. En septembre 1962, il organise le premier concert Fluxus, le Fluxus Internationale Festspiele neuester Musik, qui marque les débuts du mouvement. Bientôt des dizaines d’artistes des cinq continents s’y associent et trouvent dans cette pratique  l’espace de liberté qu’ils recherchaient.

« On est tous ego »

En France, Ben, qui est allé découvrir Fluxus aux Etats-Unis, revient à Nice en militant de cette posture vis à vis de l’art. L’artiste, qui a su, si malicieusement faire de « l’Ego » un champ d’analyse… et de promotion, est également resté le militant des années soixante. Récemment encore, en 2006, il fut l’initiateur de la manifestation « Le tas d’esprit » qui, pendant quelques temps, a investi le quartier latin. S’interrogeant sur les limites de l’art, il a offert à de nombreux artistes souvent ignorés des institutions et des galeries, une vitrine joyeuse, remuante, dans l’esprit Fluxus.
La Fondation du doute, dont l’ouverture est prévue pour octobre de cette année, aura, j’imagine, à faire vivre ce mouvement corrosif, iconoclaste, pour faire de ce doute  le ferment de la liberté.

Photo: Benjamin Vautier

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Expositions

Jef Aérosol : les fantômes de la liberté.

Depuis qu’Allan Kapprow, initiateur du happening à établi que« l’art s’est déplacé de l’objet spécialisé en galerie vers l’environnement urbain réel. », le Street art  à conquis la planète. À la manière du poème d’ Eluard, les personnages de Jef Aérosol, parmi d’autres, se sont répandus sur les murs des villes, sur les palissades des chantiers. Ils ont  conquis leur liberté loin des espaces réglementés, institutionnels, marchands. Ils apparaissent là ou on ne les attend pas, disparaissent au gré de leurs humeurs. Depuis trente ans, Jef Aérosol  tente de suivre ses créatures éphémères, illustres ou inconnues. À la collégiale Saint Pierre le Puellier à Orléans, il a tendu un piège pour capter cette population indocile et rassembler  la foule de ses créations.
Une scénographie très réussie a été inventée pour amadouer les silhouettes fugitives des murs de la ville et les attirer en douceur dans ce que l’on appelle une exposition. Une grande  palissade occupe la travée centrale de la collégiale. Il n’en fallait pas davantage pour que les personnages de Jef Aérosol se passent le mot pour investir le monument piège. Bien alignées sur les cimaises de la collégiale, trônant sur la palissade officielle, les créatures du Street art ont oublié quelque chose du monde libre. Contestataires, provocatrices à l’occasion, les créatures de pochoirs se tiennent à carreau sur les cimaises de la collégiale.

À l’extérieur du bâtiment , une silhouette oubliée ou réfractaire  attend solitaire que ses complices retrouvent leurs esprits et s’échappent nuitamment, à la manière des personnages du film “ La nuit au musée” pour retrouver la nature même de leur existence : la liberté.

 

Photo de l’auteur

Exposition

« Jef Aérosol, 30 ans de pochoirs »
Collégiale Saint-Pierre-le-Puellier
Place du cloître St-Pierre-Le-Puellier
45000 Orléans

Du 2 juin au 15 juillet 2012