« Renverser ses yeux »
Sous le titre « Renverser ses yeux » l’exposition du Jeu de Paume à Paris remonte le temps d’un courant artistique, l’Arte povera, né en Italie, en privilégiant un aspect moins connu de cette pratique : le recours aux images fixes et animées. De 1961 à 1971, l’Arte povera trouve ses racines à Rome et à Turin. Les artistes de ces deux villes proposent une attitude rebelle marquée par un héritage artistique qui leur est propre, un art simple, «une expression libre liée à la contingence, à l’événement, au présent », rapprochant l’art et la vie. L’expression « Arte Povera » est utilisée pour la première fois en 1967 par le critique d’art Germano Celant pour intituler une exposition présentée à Gênes. Elle emprunte l’expression « pauvre » à une pratique théâtrale expérimentale. L’artiste doit idéalement renoncer au besoin d’un équipement lourd qui le rend dépendant de l’économie et des institutions culturelles. La pauvreté de l’art fait appel à une richesse théorique pour avancer dans sa pratique.

Une guérilla culturelle
L’exposition de Jeu de Paume repose sur le recours à toutes les formes mécaniques de l’image par les tenants de ce courant artistique. Photographie, film, vidéo constituent les instruments, voire les armes, de cette guérilla culturelle livrée par Germano Celant et ceux qui l’entourent. Le critique en définit ainsi les contours, en 1967 : « Il s’agit d’une nouvelle attitude qui pousse l’artiste à se déplacer, à se dérober sans cesse au rôle conventionnel, aux clichés que la société lui attribue pour reprendre possession d’une “réalité” qui est le véritable royaume de son être. »Les matériaux utilisés habituellement par les artistes de l’Arte Povera, c’est à dire la pierre, les objets végétaux, les fruits et légumes, affirment cette volonté d’un art s’opposant à la production de masse, aux valeurs d’une société marquée par l'(empreinte de l’American way of life. Toute l’originalité de l’exposition de Jeu de Paume est de dessiner ce parcours historique avec le recours aux images média que ces artistes vont retourner contre les valeurs auxquelles ils s’opposent.

Dans le contexte politique et social italien extrêmement troublé, marqué, à la fin des années 1960, par des grèves et par le mouvement étudiant, puis, dans les années 1970, par une violence politique, ces artistes adoptent une attitude artistique à l’échelle de la ville. La mappemonde, boule de journaux poussée sous les arcades de Turin par Michelangelo Pistoletto et filmée par Ugo Nespolo, le rouleau photographique déployé par Mario Cresci dans les rues de Rome, l’utilisation par Franco Vaccari du Photomaton pour créer un portrait collectif de l’Italie, les interventions politiques et perturbantes de Michele Zaza ou de Gianni Pettena dans l’espace public déterminent avec force la volonté de donner à l’art une dimension politique avec les moyens de l’image. En France, une démarche de cet ordre se retrouve dans la pratique collective du groupe UNTEL à partir de 1975. Jean-Paul Albinet, Philippe Cazal et Alain Snyers s’approprient les signes et messages du monde urbain pour les détourner de façon critique. Images et performances se confortent dans cette confrontation aux valeurs imposées par le système que l’Arte Povera désavoue. Les richesses de l’Arte Povera s’inscrivent désormais dans l’Histoire.