La chaîne vidéo

Vidéo magazine N°4 : Jean-Jacques Lebel

Baigné dans l’art dès sa jeunesse, Jean-Jacques Lebel a fréquenté de nombreux artistes dont Marcel Duchamp . Inlassablement, Lebel a transgressé les pratiques artistiques. Il est l’auteur, en 1960, à Venise, de  » L’ Enterrement de la Chose  » , le premier happening européen. Il publie, sur le mouvement des happenings à travers le monde, le premier essai critique en français. À partir de cette date, il produit plus de soixante-dix happenings, performances et actions, sur plusieurs continents, parallèlement à ses activités picturales, poétiques et politiques. Ce besoin permanent de nous montrer que l’art et la vie ne doivent faire qu’un , cette révolte viscérale contre ce qui pourrait apparaître comme un métier, voilà ce que Jean Jacques Lebel ne cesse d’agiter.

A l’occasion de l’exposition ARCHIPEL au musée d’Arts de Nantes, le vidéo magazine N°5 consacre ce gros plan à Jacques Lebel.
« Tel un archipel, l’exposition Archipel, Fonds de dotation Jean-Jacques Lebel propose des groupements d’œuvres d’artistes, de courants, de mediums, de techniques, de provenances et statuts variés, formant un tout cohérent. Ce reflet de l’incroyable Fonds de dotation Jean-Jacques Lebel aborde ainsi plusieurs volets de l’histoire de l’art du 20e siècle.« 

Le rencontrant à Montreuil il y a quelques années pour son interview dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain, nous croisons sur notre chemin la rue de la Révolution. Hilare, Jean-Jacques Lebel exige que je le prenne en photo devant la plaque de la rue. Le happening continue…

Expositions

NOMADE : Qu’est-ce qu’une performance ?

Le Festival culturel NOMADE va se déployer dans le 3eme arrondissement à Paris  sous le signe de le performance. Il regroupe sous cette appellation des actions d’artistes plasticiens, des propositions théâtrales, des créations musicales. C’est dire combien ce terme, s’il peut être fédérateur de l’expression artistique, recouvre également des objectifs très divers. Le mot  même de performance qui fait florès de nos jours peut aussi bien désigner le happening, l’ actionnisme, l’ art de rue, le  théâtre total,  la poésie sonore que la danse ou le chant. Dans NOMADE, il rassemble dans le même évènement Action writing, performance de Marie Gossard sur la disparition annonce du geste de l’écriture,  Les Soliloques, performances sonores d’Adrianna Wallis, Paradiso, le déjeuner sur l’herbe de Romina de Novellis,  O comme Opéra de Lyricomédiae, ou encore Le Live painting musical de Vladimir Kara pour ne citer que quelque exemples.
Aussi la mise en perspective historique de ces expressions peut fournir des points de repères aux visiteurs peut-être quelque peu désorientés par ce bouillonnement artistique éclaté dans toutes les directions.

L'art est inutile, rentrez chez vous !  Ben
L’art est inutile, rentrez chez vous ! Ben

La parole est d’Art

La parole est d’Art, avec le témoignage des artistes historiques de la performance, permet de resituer les axes majeurs de ce mouvement indocile. Il y a quelques mois, au sujet du livre « Interviewer la performance« , j’évoquais cet art d’attitudes qui se développait dans les années soixante et soixante dix, époque où se révélaient les créations théâtrales comme le Living theater de Judith Malina  et Julian Beck ou le Bread and Puppet Theater de Peter Schumann , période où  la rue allait connaître une primauté politique.
Les témoignages vidéo présentés dans le cadre de La parole est d’Art au sein du festival NOMADE  rappellent ces  lignes de forces : Benjamin Vautier découvre à New-York le mouvement Fluxus et va devenir, en France, le promoteur de cette approche d’un art total. Jean-Jacques Lebel rapportera des Etats-Unis; le Happening dont il sera le vecteur en Europe, avec entre autres son  Festival de la Libre Expression.  Les artistes de la seconde génération Lettriste, à commencer par Roland Sabatier, perpétuent, avec opiniâtreté, les propositions d’Isidore Isou avec notamment les actions déjà engagées dans les années cinquante. Fred Forest  créateur de l’Art sociologique, art vidéo, art interactif  signait son inoubliable action en 1973 à Sao Polo, « Le blanc envahit la ville « , les manifestants brandissant des pancartes… blanches, intolérables par le régime militaire en place.

Jean Jacques Lebel, Happening – 19 novembre 1966, Bordeaux SIGMA
Jean Jacques Lebel, Happening – 19 novembre 1966, Bordeaux SIGMA

Définir la performance

Tous ces témoignages historiques décrivent le parcours de ce mouvement indomptable. Le festival NOMADE tentera, lors d’une rencontre sur la performance avec des théoriciens, critiques, historiens et philosophes et artistes  d’évaluer les enjeux de définition  « de cette pratique singulière qui traverse de façon protéiforme toute la modernité artistique. » Peut-ou ou non mettre sur le même plan l’acte contestataire de l’artiste plasticien et la proposition artistique du danseur ?  La notion d’art total sa rattache-t-elle ou non à un mélange des disciplines ?
Sans préjuger des conclusions de ces réflexions, on peut envisager qu’un mot clef soit le fil rouge de ces expressions si diverses et tellement  réfractaires à la définition : liberté. Celle-ci, au-delà même de la valeur institutionnelle de liberté publique, revendique haut et fort à travers la performance, son exigence libératrice de tous les formatages de la pensée.

Photos: BEN : Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain
LEBEL : http://sigma.hypotheses.org

 

La parole est d’Art
Vidéo des artistes de la performance: Ben, Gérard-Philippe Broutin, Fred Forest, Jacques Halbert, Jean-Jacques Lebel, François ,Poyet, Roland Sabatier, AlainSatié,
Conception et réalisation : Claude Guibert, Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain
Festival NOMADE Paris 3eme
samedi 13 et dimanche 14 juin de 14 h à 18 h
Galerie Laure Roynette
20 rue de Torigny
75003 Paris

 

Coups de chapeau

Serge Oldenbourg : au risque de se perdre

Dans trois semaines à Paris 3eme arrondissement, le festival Nomade se déroulera sous le signe de la performance.

lIVRE OPLDENBOURGC’est l’occasion de mettre en perspective l’expérience ultime d’un artiste du happening décédé il y a une quinzaine d’années et dont le parcours, mal reconnu de son vivant, a laissé une trace unique concernant l’engagement personnel et la prise de risque. Serge Oldenbourg (1927-2000), sous le nom d’artiste de Serge III, était le frère de l’écrivain Zoé Oldenbourg. En février 1962, sans avoir encore entendu parler de happening, il propose, pour 1 Franc, son âme à Ben Vautier. Il est précisé dans le contrat d’achat que Ben est libre d’en disposer de la manière qui lui convient en tant qu’œuvre d’art. Puis Oldenbourg détruit  toutes les peintures, paysages et natures mortes réalisés auparavant. En juiIlet 1963, George Maciunas passe à Nice et avec Ben, organise des pièces Fluxus de rue et un concert à l’Hôtel Scribe. Entre autres pièces, Ben réalise le « Violon Solo de Nam June Palk » et brise le violon sur une table. C’est le coup de foudre et une révélation. Serge III fait dédicacer un morceau de violon par Ben. Au début 1964, avec Ben et d’autres artistes, il réalise deux concerts Fluxus à Nice puis avec Ben monte à Paris pour le Festival de la Libre Expression organisé par Jean-Jacques Lebel.

Performance à haut risque

pistolLe happening prend alors chez Oldenbourg une tournure extrême lors de ce festival.. L’artiste ne mesure plus seulement son rapport à l’art, il joue avec sa vie : « Concert Fluxus dans lequel je joue à la roulette russe avec un vrai revolver et une vraie balle. Deux amis voulaient m’empêcher de le faire et j’ai été obligé de leur dire que le revolver ne serait pas chargé. D’où le bruit qui courut comme quoi le revolver n’était pas chargé. Il l’était, et Robert Filliou, qui devint un de mes amis les plus chers en a toujours témoigné, parce qu’il m’avait vu tout de suite après ma performance. »
L’implication de sa vie personnelle restera une composante déterminante de sa démarche artistique. En octobre 1966, toujours avec l’inséparable Ben, il se rend à à Prague pour présenter des happenings et concerts Fluxus. L’ambiance est pesante et les conditions de séjour difficiles. Ben décide brusquement de partir. Oldenbourg donne son passeport et un costume à un soldat qui s’enfuit en Autriche. Dénoncé à la police l’artiste est arrêté, condamné à trois ans de privation de liberté. Après quatorze mois de prison il est échangé contre un espion tchèque.

Serge  piano2
Auto-stop avec un piano – 13 juin 1969, Cros de Cagnes

Lorsque je rencontre personnellement Serge Oldenbourg à Nice dans le courant des années soixante dix, c’est l’occasion de rappeler avec lui une action mémorable et cette fois moins risquée :
« En juin 1969 Ben et Merino organisent le Festival Non-Art. Ben m’avait dit que je-ne-sais-quel-type de Fluxus avait écrit un livre avec toutes les pièces possibles et imaginables pour piano. Je lui ai répondu qu’il pouvait en ajouter deux, auto-stop et navigation en piano. » Serge III loue un piano et s’installe au bord de la nationale 7 en direction de Paris. Personne ne prendra en charge cet encombrant auto-stoppeur.

Contestation et subversion

Selon cet artiste incontrôlable la distinction doit être faite entre contestation et subversion. La contestation, selon lui, est une protestation directe et partisane contre un état de choses, la subversion suggère un processus de pensée qui pourrait aboutir à la protestation. Autrement dit, la contestation est l’aboutissement d’un processus, alors que la subversion en est le point de départ. En 1970 invité à l’exposition « Environs Il » à Tours, Serge III achète un pistolet à amorces. Il prévient les organisateurs et la presse, monte dans un bus, braque le chauffeur et lui ordonne de rejoindre la bibliothèque où se déroulait l’événement. Mais la police l’intercepte. En 1973 il lave et repasse le drapeau français en public. La suite de son parcours sera à l’image de cette vie qui fut, a-t-on déjà écrit, un happening qui dura soixante treize ans.

Source photos : http://alainamiel.com/S%20III/performances.html

Médias

La Beat generation de Jean-Jacques Lebel

Arte vient de diffuser cette semaine le passionnant documentaire de Jean-Jacques Lebel : « Beat generation ».
Jean-Jacques Lebel, commissaire de l’exposition « Beat Génération / Allen Ginsberg » qui se tient au Centre Pompidou-Metz  a conçu ce remarquable récit retraçant la durable amitié entre Jack Kerouac, Allen Ginsberg et William Burroughs,  point de départ au mouvement littéraire de la  Beat Generation . Cette aventure est celle d’une route américaine que Kérouac a immortalisé dans le «Sur la route» publié en 1957 .

La Remington sur laquelle Jack Kerouac a écrit « Sur la route »

Jean-Jacques Lebel rencontre pour la première fois Allen Ginsberg rue Saint-André des arts à Paris en 1958. Sa proximité avec la Beat generation remonte donc aux sources du mouvement. Pendant un an et demi il assurera la traduction en français du poème « Howl » de Ginsberg, restant en relation constante avec l’écrivain. Le mérite du film est de nous donner à voir cette histoire croisée entre Jack Kerouac, Allen Ginsberg et William Burroughs, en l’étayant de nombreux documents d’archives, le témoignage personnel de Ginsberg, l’évocation  de l’Amérique des années cinquante où la turbulence de ces jeunes artistes et écrivains est observée avec défiance voire hostilité.
La « fureur de vivre » de ces trublions ne ressemble pas au mythe de James Dean dans le film de Nicolas Ray. La contestation est ici plus profonde, elle touche aux valeurs d’une société américaine dans laquelle les jeunes écrivains ne se retrouvent pas. Elle s’exprime à la marge à travers les excès en tous genres.

Lecture de Jack Kerouac

On sait peut-être moins que cette histoire passe aussi un peu par la France et par Paris. Le film de Jean-Jacques Lebel revient sur les pas de cette histoire au cœur du quartier latin. En 1957-58, Ginsberg, Orlowsky, Corso et William Burroughs occupent un hotel sans nom qui deviendra historiquement le « Beat Hotel. » Celui-ci est situé « au 9, rue Gît-le-Cœur, une étroite ruelle médiévale qui descendait vers la Seine, reliant la rue Saint-André-des-Arts au Quai des Augustins, dans la partie la plus ancienne du Quartier Latin.. » . Le film revisite les lieux exigus où vécurent les écrivains. On est loin, certes, de l’impressionnant Chelsea Hôtel de New-York, lieu emblématique de cette génération et des suivantes.
Jean-Jacques Lebel, sans être aucunement présent à l’écran, révèle ainsi sa propre histoire à travers cette remise en cause. Ses premiers happenings (dont le tout premier en Europe : l’enterrement de la Chose, en 1960 à Venise), son implication dans les soubresauts du mouvement du 22 mars puis de mai 68,  son amitié avec Deleuze et Guattari, tout cela  a construit la personnalisé du jeune Lebel  qui a côtoyé très jeune Marcel Duchamp. A sa façon, Lebel  a fait partie des répliques de la Beat genération en France. Son refus épidermique du pouvoir, de toute hiérarchie est profond. Il revendique les valeurs d’une société dans laquelle les animaux sont l’égal de l’homme dans le respect de leur identité et de leur vie. Irréductible, Jean-Jacques Lebel fait remonter à la surface, dans ce documentaire, les forces telluriques qui agitent ses propres refus.

Jean-Jacques Lebel dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

Photos extraites du documentaire

Le film Beat Generation : Kerouac, Ginsberg, Burroughs de Jean-Jacques Lebel et Xavier Villetard a été réalisé par ce dernier, en coproduction Arte France, la Compagnie des Phares et Balises, le Centre Pompidou. Il peut être vu encore quelques jours sur les rediffusion ARTE.

« Beat Génération / Allen Ginsberg »

L’exposition du Centre Pompidou Metz est prolongée jusqu’au 6 janvier 2014

Coups de chapeau

« 123 gouttes de Cage plus une cuillère de Duchamp… »

La Fondation du Doute

Déjà évoqué dans ce blog, le musée de l’Objet à Blois a fermé ses portes en 2011 et le lieu renaît aujourd’hui dans le projet de la Fondation du Doute. « Créer c’est douter et douter c’est créer » écrit Ben Vautier en frontispice de ce nouveau lieu de questionnement et de création qu’il installe à Blois. L’artiste annonce ainsi le projet :

Ben Vautier « Fluxus, c’est la vie »

« La Fondation du doute n’est pas que Fluxus, mais du Fluxus, du non-Fluxus, de l’Anti-Fluxus, de là Bas Fluxus et du Post-Fluxus. La Fondation du Doute, c’est du désordre qui change le monde. Il y aura un étage consacré à Fluxus et un étage consacré à tout ce qui est art vivant, doute, création, tout ce qui est dérangeant, vivant dont les racines contiennent du Duchamp et du John Cage. »
En 1962, Ben rencontre George Maciunas à Londres et découvre le groupe Fluxus qu’il décide de rejoindre. En 1963, a lieu un concert Fluxus à Nice créé par George Maciunas, en 1964 Ben rencontre George Brecht à New York. Ben diffuse alors les idées et l’esprit Fluxus en France et devient le défenseur d’un art d’attitude.

Mur des mots à Blois Ben

Le mur des mots

Déjà le site de Blois constituait un lieu privilégié dans lequel Ben avait installé un nid propre à faire naître ses projets. Sur la façade de l’école des Beaux-arts de Blois a été inauguré en 1995  le « Mur des mots » de Ben   : 300 plaques émaillées fixées au mur de l’école d’art, constituent une rétrospective des célèbres tableaux-écritures de l’artiste, depuis les années 60. Déjà aussi l’ancien musée de l’ Objet présentait des collections lettristes (Isou, Sabatier, Poyet, Wolman), mouvement souvent invisible dans la plupart des musées français. De Ben aux Lettristes, de Jean-Jacques Lebel aux anciens membres du groupe Untel (Albinet, Cazal, Snyers) ou encore Jacques Halbert, la Fondation du Doute devrait permettre de revisiter la mouvance Fluxus.
On sait que le mot « Fluxus » (flux, courant) a été choisi en 1961, par George Maciunas pour désigner ce nouveau courant auquel il donne un manifeste, Manifesto, distribué au festival Fluxus de Dusseldorf en1963. À la fin des années 1950, de jeunes artistes influencés par les enseignements de Marcel Duchamp et de John Cage rejoignent le groupe rassemblé autour de Maciunas et de la galerie qu’il crée à New York en 1961. Expositions, happenings, concerts de John Cage, Dick Higgins ou La Monte Young animent ce lieu.

 » Nouvelle société »  1977 Roland Sabatier

Certes depuis les années soixante marquées par l’esprit Fluxus  Ben a parfois cédé aux sirènes du marchandising. Sur mes cahiers d’écolier, sur mes agendas et mes timbres, sur mes tee-shirts j’écris ton nom, Ben ! Mais l’artiste, bien qu’adoubé par les institutions (notamment en  2010, sa grande rétrospective «Ben, strip-tease intégral» au Musée d’art contemporain de Lyon),  n’a rien perdu de sa capacité parfois épuisante à secouer le joug et à garder un oeil lucide sur l’art de son temps. L’intention affichée de Ben est d’éviter de créer un musée pour au contraire promouvoir un lieu d’agitation. Dans sa dernière lettre Ben écrit :
«  Quand Blois et la Fondation me prennent la tête  et que je me sens découragé  Je me dis : stop Ben  il suffit de voir clair La fondation c’est l’occasion rêvé de semer le doute en art le moment et l’endroit pour produire un autre son de cloche il faut faire de la Fondation et du Centre Mondial du Questionnement quelque chose de totalement différent et nouveau poser d’autres questions douter de tout  Rappelle-toi le Bateau lavoir  Rappelle-toi le Cabaret Voltaire  »

Comme cocktail de la Fondation du doute, l’hôte prévoit : « 123 gouttes de Cage plus une cuillère de Duchamp plus une pincée de Zen, plus un verre de constructivistes polonais et russes, plus un grog, le tout secoué très fort et servi sans glace. » Pour agiter le shaker de la Fondation du Doute, Ben peut compter assurément  sur les artistes invités, notamment les Lettristes. Sur ce point, je n’ai aucun doute.

Photo Fluxus et Sabatier : Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain
Photo Blois: de l’auteur

Inauguration de la Fondation du doute
vendredi 5 avril 2013
Fondation du Doute
rue de la Paix
Administration : 6 rue Franciade
41000 Blois

Ben Vautier dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

 

Coups de chapeau

Eugène… un pastiche !

« La liberté guidant le peuple » d’Eugène Delacroix 1830

L’agression que vient de subir « La liberté guidant le peuple » d’Eugène Delacroix au Louvre de Lens semble se terminer heureusement sans grand dommage pour l’œuvre. L’incident est à ajouter à la longue liste des dégradations en tous genres subies par les œuvres d’art présentées au public.

Astérix – Tome 34 L’anniversaire d’Astérix et Obélix Uderzo et Goscinny, Edition Albert-René

De façon plus légère, c’est l’occasion de rappeler combien les œuvres emblématiques attirent  très souvent le regard d’autres artistes à des fins moins belliqueuses : le pastiche . S’ agissant de Delacroix,   « La liberté guidant le peuple »  a  inspiré plus d’un iconoclaste. Peinture, bande dessinée, publicité  ont rivalisé d’imagination pour se servir de l’oeuvre de Delacroix. Des aventures d’Astérix par Goscinny et Uderzo au peintre chinois Yu Mijun, le tableau Delacroix a été décliné sous  les formes les plus inattendues.

A l’origine, la scène se passe à Paris. L’oeuvre, réalisée en 1830, inspirée de la révolution des Trois Glorieuses montre une foule d’émeutiers qui franchit une barricade.  Un ouvrier ou un paysan blessé, foulard noué sur la tête, émerge des décombres, le corps et le regard tendus vers une femme du peuple, coiffée d’un bonnet phrygien. Celle-ci  brandit  un drapeau tricolore.

Le pastiche sous toutes ses formes soumet l’évocation historique aux assauts d’intérêts fort variables.

Pastiche involontaire

J’aurai personnellement un faible pour une autre évocation de « La liberté guidant le peuple »  de  Delacroix, qui n’est pas une peinture, ni une bande dessinée, ni une publicité. Cette évocation est involontaire. Ses auteurs n’ont pas fait référence à Delacroix, ne se sont pas mis en situation fictive (comme le fait Gérard Rancinan  dans ses mises en scènes photographiques avec des figurants).
Lors de la manifestation du 13 mai 1968 à Paris, l’artiste Jean-Jacques Lebel porte sur ses épaules une jeune femme, Caroline de Bendern tenant à bout de bras l’étendard de la révolte. La référence à Delacroix sera le fait de la presse, notamment de la presse étrangère. Cet acte non prémédité aura des conséquences redoutables pour l’actrice spontanée de cet acte.

Photographie de JP Rey in Paris Match numéro du 24 mai 1968


« Quand il découvrit la photo dans la presse internationale, le comte de Bendern eut un choc effroyable. Là, juchée sur les épaules d’un inconnu, sa petite-fille Caroline, son héritière et son espoir, bafouait son rang, son titre et les valeurs que, en vain, il lui avait fait enseigner dans les meilleurs collèges anglais. Là, brandissant un drapeau, impériale et splendide, elle s’exhibait scandaleusement dans les rues de Paris, telle une fille du peuple, une Marianne issue des barricades, une égérie de la révolution. Elle était grave, ardente, elle avait l’air d’y croire, entourée de hippies, d’anarchistes, de minables. La sotte ! Il en tremblait de rage. Comme elle l’avait trahi, lui et cette aristocratie européenne au sein de laquelle il la prédestinait à un mariage royal ! Et comme elle l’humiliait dans ce cliché inouï que certains commentateurs comparaient au tableau de Delacroix, La Liberté menant le peuple [sic], et qui officialisait l’outrage. C’était pire qu’une provocation. C’était impardonnable. Alors le vieil aristocrate viennois, dont François-Joseph avait fait un baron, la reine Victoria un Anglais, Churchill un ami, la Chambre des communes un député et le prince du Liechtenstein un comte, reprit avec furie son testament. De sa fortune, de ses titres, de ses demeures splendides éparpillées en Europe, Caroline la rebelle ne verrait jamais rien. Il la deshérita
.”.

Photo Delacroix source: Wikipédia

 

 

Portraits

Jean-Jacques Lebel, l’irréductible

En 2009, partant comme toujours en guerre contre la société capitaliste, Jean-Jacques Lebel lançait :
« Aujourd’hui j’ai 73 balais et je les emmerde. A pied, à cheval, en Spoutnik. »
Il serait vain de vouloir enfermer Jean-Jacques Lebel dans une image réductrice, celle pourtant qui le poursuit depuis plus de quarante ans, cette image où, lors des manifestations de mai 1968, il porte sur ses épaules une jeune femme tenant à bout de bras l’étendard de la révolte. Cette image a fait le tour du monde et on s’étonne de ne pas trouver la statue de ce couple immortalisé dans le bronze comme témoignage de ce moment d’histoire.

 

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Mais Jean-Jacques Lebel est avant tout homme de liberté et cette vision emblématique il la verrait plutôt érigée en chocolat pour mieux la dévorer. L’itinéraire de l’artiste manifeste à chaque moment ce besoin de liberté, cette volonté farouche d’échapper aux catégories, aux classifications . Baigné dans l’art dès sa jeunesse, Jean-Jacques Lebel a fréquenté de nombreux artistes dont Marcel Duchamp . Inlassablement, Lebel a transgressé les pratiques artistiques. Il est l’auteur, en 1960, à Venise, de « L’ Enterrement de la Chose« , le premier happening européen. Il publie, sur le mouvement des happenings à travers le monde, le premier essai critique en français. À partir de cette date, il produit plus de soixante-dix happenings, performances et actions, sur plusieurs continents, parallèlement à ses activités picturales, poétiques et politiques. Ce besoin permanent de nous montrer que l’art et la vie ne doivent faire qu’un , cette révolte viscérale contre ce qui pourrait apparaître comme un métier, voilà ce que Jean Jacques Lebel ne cesse d’agiter. Le rencontrant à Montreuil il y a quelques années, nous croisons sur notre chemin la rue de la Révolution. Hilare, Jean-Jacques Lebel exige que je le prenne en photo devant la plaque de la rue. Le happening continue…

Jean-Jacques Lebel dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

Photo de l’auteur. Tous droits réservés.

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