Coups de chapeau·Non classé

Chroniques New-Yorkaises (6) : l’avènement du Performing Art Center

Perelman Performing Arts Center

Dans la chaleur de Manhattan, en ce mois de septembre, aboutit un projet majeur en préparation depuis plusieurs années : le PAC, Performing Art Center. On devrait même écrire le PPAPC, Perelman Performing Arts Center. En effet, le bâtiment porte le nom de l’un des plus grands donateurs, Ronald O. Perelman, figure emblématique du monde des affaires et de l’investissement, bien connu pour posséder le Groupe Revlon. De la même façon le SHED, inauguré en 2019 dans le nouveau quartier d’Hudson Yards, est associé au nom de Michael Bloomberg, l’ancien maire de New York et homme d’affaires, qui a donné soixante quinze millions de dollars pour la construction de ce centre unique destiné à présenter un large éventail d’activités dans les arts de la scène, et des arts visuels.

Dans ce quartier de New York, chargé de la lourde histoire du 11 septembre 2001, à proximité des deux immenses bassins de marbre noir symbolisant l’absence des tours jumelles du World Trade Center, le PAC, avec sa rigueur architecturale en contrepoint, ajoute désormais une réponse positive centrée sur la vie, la création.
Encore entouré de barrières de protection, le PAC ouvrira dans une quinzaines de jours, offrant un nouveau foyer pour les artistes émergents et établis dans le théâtre, la danse, la musique, l’opéra et la performance multidisciplinaire de New York et du monde. Même s’il ne présente la spectaculaire architecture modulable du SHED, le PAC dispose de trois espaces de théâtre intimes et flexibles qui peuvent être combinés et configurés pour créer une gamme d’expériences uniques pour le public et répondre aux visions créatives des artistes. Déjà le programme de ce lieu naissant est établi jusqu’à juin 2024.

« Refuge »

D’entrée le PAC annonce la couleur avec le concert « Refuge » : « Les musiciens du pays et du monde entier ont trouvé refuge à New York, une ville avec une histoire musicale riche, des influences culturelles diverses et des possibilités infinies de collaboration et de croissance. Notre premier concert Refuge met en vedette une commande en première mondiale du compositeur lauréat du prix Pulitzer, Raven Chacon, et réunit des artistes extraordinaires de Shanghai, d’Afrique de l’Ouest, de Tunisie, du Brésil, de Jamaïque, de France, d’Arizona et de Minneapolis. qui ont tous trouvé leur foyer artistique à New York. »
Avec le SHED et le PAC, New-York dispose désormais de deux outils majeurs pour situer la ville au centre de la vie artistique du pays et confirmer sa vocation de lieu incontournable au plan international.

Perelman Performing Arts Center
251 Fulton Street
New York NY 10007

La chaîne vidéo·Pour mémoire

Guy de Rougemont : itinéraire d’un dandy rigoureux

C’est un parcours dense et contrasté qui s’est achevé avec la mort de Guy de Rougemont (1935-2021) en août dernier. Le futur artiste compte parmi ses aïeuls le général baron Lejeune, le seul peintre de batailles sous Napoléon Ier. À seize ans, il passe avec sa famille une année à Washington D.C. où son père, officier, est nommé au Pentagone dans le cadre du Pacte Atlantique.
En 1965, Rougemont participe à la Biennale de Paris. Il retourne aux États-Unis et passe un an à New-York, entre 1965 et 1966 où fait connaissance avec Andy Warhol , Robert Indiana et Frank Stella. Ces rencontres avec les artistes américains et la découverte du Minimalisme vont le conduire à la peinture acrylique grand format.

De l’atelier populaire des Beaux-arts à l’Institut

En 1967, Rougemont participe au Salon de Mai à La Havane. Lorsque survient la turbulente année 1968 en France, le peintre importe la pratique de la sérigraphie à l’Atelier Populaire de l’École des Beaux-arts à Paris qui imprime un million d’affiches. Il rencontre cette même année les peintres Eduardo Arroyo, Gilles Aillaud, Francis Biras, Gérard Fromanger notamment. C’est le même artiste, impliqué dans le mouvement contestataire de mai 68 qui, trente plus tard, sera élu à l’Académie des Beaux-arts de Paris. C’est dire le contraste qui marque cet itinéraire d’un artiste qui n’a cessé d’explorer à la fois la peinture et sa confrontation avec l’art public.

Pour l’avoir rencontré dès le début des années soixante dix dans son atelier de la rue de quatre-fils à Paris, je garde le souvenir d’un homme affable, disponible, curieux, gardant toujours, à travers son discours, une distance salutaire et souriante avec le monde. Entre la rigueur structurée de sa peinture et son allure de dandy, Rougemont donnait à voir cette image d’homme libre sans véhémence.
S’il a beaucoup impliqué son travail dans le domaine des arts décoratifs, c’est dans la voie de l’art public que sa présence s’est affirmée avec force tout au long de son parcours. Et cet investissement concerne aussi bien les ensembles HLM comme à Vitry sur Seine en 1973 que le traitement du sol du Parvis Bellechasse devant le Musée d’Orsay.

« Environnement pour une autoroute  Autoioute de l’Est

Une modernité pour l’espace public

Dans la liste impressionnante de toutes les œuvres réalisées au sein de l’espace public, je garde personnellement un souvenir privilégié pour son « Environnement pour une autoroute » qui s’étend sur les bas-côtés d’une portion de trente km de l’Autoroute de l’Est en France. Sur ce segment d’autoroute, toute une séquence de sculptures polychromes de Guy de Rougemont rythme le paysage routier : des cylindres, des sphères, des cubes, des dalles géométriques qui entraînent les automobilistes dans une forme d’art cinétique, celle que produit le spectateur par son propre déplacement.
Les Villes Nouvelles sont devenues également un espace privilégié pour mettre en œuvre cet art contemporain public : Cergy-Pontoise (sculpture monumentale au Groupe Scolaire de Croix-Petit, créée en 1974), Marne-la-Vallée (tracé au sol de la gare du RER de Noisy-le-Grand-Mont d’Est, réalisé en 1976). En 1995 il réalise l’environnement du Foyer de la Grande Arche à La Défense à Paris. Il serait impossible d’évoquer en quelques lignes la foisonnante production de l’artiste dans cet espace public qui témoigne de la richesse de sa création.

Au-delà de la trace que laisse Guy de Rougemont dans la mémoire des amateurs d’art, c’est vraisemblablement cette présence au quotidien qui restera essentielle dans cette relation au monde.

Seuphor, libre comme l'art

Seuphor, libre comme l’art : la vie de château

Le blog des Chroniques du Chapeau noir poursuit la publication de « Seuphor, libre comme l’art », écrit par Claude Guibert sur la vie de l’écrivain, historien et artiste Michel Seuphor (1901-1999), de son vrai nom Fernand Berckelaers. Ce livre a été écrit en 2008 et sera publié intégralement à raison de quelques pages par publication, une fois par semaine.

Publication N° 47

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Seuphor à La Sarraz

 Après l’imprimerie Franco-Polonaise, Seuphor trouve un nouvel emploi chez son ami poète Aloïs Bataillard. Pendant trois mois le créateur de Het Overzicht, le fondateur de Cercle et Carré convoie, en taxi, des machines à laver anglaises… épisode austère où il ne peut ni écrire ni dessiner. Embellie dans cette période sombre, une invitation miraculeuse lui parvient. Son ami Sartoris est intervenu auprès d’une comtesse Suisse pour lui obtenir une invitation au château de La Sarraz.
Épouse de l’agronome vaudois Henri de Mandrot, héritier du château de La Sarraz en Suisse, la comtesse Hélène de Mandrot sait qu’elle va pouvoir donner libre cours à ses aspirations après des études à l’École des arts industriels de Genève puis à Paris et Munich, activité peu commune à l’époque. A la mort de son mari, elle renonce à sa production artistique et à la défense des arts décoratifs régionaux pour se vouer à un nouveau rôle de mécène. La Maison des artistes qu’elle a fondé en 1922 au château de La Sarraz est devenue, dans le climat de crise et de repli des années 1930, un havre de l’avant-garde internationale et une sorte d’enclave moderniste unique en Suisse romande, accueillant des artistes et architectes réputés, Max Ernst, Le Corbusier, Gropius, Moholy-Nagy, Max Bill. Au printemps 1928, la préparation du congrès fondateur des CIAM (Congrès international d’architecture moderne) est le moment clé du futur partenariat entre Hélène de Mandrot et Le Corbusier.
La commande de sa villa du Pradet près de Toulon à l’architecte fin 1929  ouvre une période de relations mouvementées avec l’architecte. Des difficultés techniques surviennent pendant le chantier. Déjà, il a fallu à Le Corbusier faire preuve de souplesse pour accepter un compromis avec les options « moderno-rustiques » que la comtesse exprime à travers ses créations de tissus artisanaux. Ainsi la villa du Pradet associe l’avant-gardisme du tracé rigoureux , rectiligne de l’architecte et l’utilisation de la pierre apparente à l’état naturel sur ses parties extérieures. La confrontation culmine début décembre 1931 dans un violent échange. La maison prend l’eau et les relations entre les deux personnalités également.
Alberto Sartoris, né un mois avant Seuphor, a lui aussi milité au sein de l’avant-garde européenne. Italien de naissance, Suisse d’adoption, architecte de formation, peintre, il a adhéré au mouvement futuriste avant de s’impliquer dans la « splendeur géométrique ». Déjà en juin 1928, il est l’un des plus jeunes fondateurs du CIAM. Une grande partie de l’élite européenne impliquée dans l’architecture d’avant-garde jette ici les bases de l’architecture moderne. Dans ce cénacle se dessine l’avenir des sociétés industrielles, s’élaborent les « Méthodes rationnelles pour la construction des groupements d’habitation ». On s’interroge sur l’urbanisme moderne : habiter, travailler, se cultiver et surtout circuler. Le Corbusier, dans ce château de La Sarraz, prépare ce qui deviendra, un plus tard, la Charte d’Athènes .
Pour Seuphor, c’est l’aubaine. La comtesse l’invite pour six semaines de vacances au château. Il va pouvoir disposer de temps et de calme pour écrire. Sans hésiter une seconde, à la grande colère de Delaunay qui, au cours d’une réunion de la Closerie des Lilas, l’admoneste pour ce qu’il considère comme une désertion irresponsable de son travail, Seuphor, une fois de plus, fait passer la liberté avant la sécurité. Au diable la livrai- son de machines à laver ! Il s’affranchit avec fracas des réunions de Delaunay, emprunte de l’argent pour payer le voyage qui lui sera remboursé par son hôte et découvre, noyé dans ce pays de Vaud calme et verdoyant, un bâtiment simple flanqué de deux grandes tours carrées. La vie de château commence. Comblé, il envoie par souci d’apaisement une carte postale à Delaunay:

Château de La Sarraz

– «  La Sarraz: 12 août 1932, C’est un vrai château avec une vraie châtelaine et six princes charmants. Flouquet, Baumeister et Moholy-Nagy vous saluent ». 81

Une fois dans la place, il s’aperçoit que le séjour est déjà bien entamé. La comtesse part impérativement le 22 août pour sa villa du Pradet et il ne reste plus que trois semaines contraire- ment aux informations de Sartoris. Puis il apprend par la bouche de son hôte qu’il n’est pas question de s’enfermer pour écrire ou dessiner : ce sont des vacances. A soixante cinq ans, le physique robuste, la mâchoire volontaire, madame la comtesse impose facilement son autorité. Charmante mais directive, elle se montre très ferme sur ce point : on est prié de se joindre aux autres invités, de sortir, de jouer au croquet. Malgré cette relative déconvenue, c’est bien un séjour de rêve que Seuphor partage ici, retrouvant son ami Sartoris, Moholy-Nagy, Baumeister, Pierre-Louis Flouquet, le poète Follain, et quelques autres invités suisses.

Expositions

Debré et après : le corps et l’espace

Si l’oeuvre du peintre Olivier Debré a accédé à une notoriété internationale, on sait moins que c’est l’architecture qui attirait le très jeune étudiant à l’École des Beaux Arts. C’est pourtant à dix sept ans qu’il aborde cette discipline avant de rencontrer bientôt Le Corbusier. Et quand la peinture devient son univers privilégié, l’espace reste tout au long de son itinéraire la référence majeure.
Pour le centenaire de sa naissance, le Centre de Création Contemporaine Olivier Debré à Tours propose une exposition ambitieuse : « Etendue, corps, espace.Olivier Debré et les artistes-architectes ».

Debré, le corps et l’espace

L’exposition donne un éclairage sur cette préoccupation du peintre avec notamment les carnets remplis de croquis d’architecture et quelques maquettes illustrant ses expériences dans ce domaine. Mais le meilleur témoignage de sa relation à l’espace c’est avec la peinture qu’il en donne la preuve. Les immenses toiles qui s’imposent au corps du peintre en l’immergeant dans la couleur donnent la mesure de cette volonté d’embrasser l’espace au-delà des limites conventionnelles de la création de tableaux.

Olivier Debré CCCOD Tours

Pour autant Olivier Debré ne se voulait pas paysagiste : « Je me défends d’être un paysagiste, je traduis l’émotion qui est en moi devant le paysage, mais pas le paysage » . Cette immersion dans la toile s’exprime davantage encore lorsqu’en 1987, l’artiste reçoit du ministère de la culture la commande de peindre le rideau de scène de la Comédie Française. C’est dans un hangar du Bourget que se déroule pendant six mois la réalisation de cette immense toile de neuf mètres sur treize, engloutissant le peintre au cœur de l’œuvre en gestation.

Artistes-architectes et architectes-artistes

En rapportant cette mémoire aux artistes-architectes contemporains, l’exposition propose un « après » ambitieux au travers d’œuvres de seize artistes de toutes générations et nationalités. Si bien que le fil conducteur reliant ces artistes-architectes et ses architectes-artistes nous guide dans ces recherches qui, tout en exprimant des préoccupations très variées, n’en sont pas moins solidaires dans cette réflexion sur l’espace et le corps.

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Larissa Fassler Place de la Concorde

Larissa Fassler

Pour preuve la démarche séduisante de l’artiste canadienne Larissa Fassler. Ses grands dessins proposent des cartographies subjectives de sites urbains choisis : Alexanderplatz à Berlin, Place de la Concorde à Paris etc… Le résultat de ses longues heures d’observations révèle les déplacements, les flux les comportement humains dans de grands dessins. L’expression graphique de ses travaux n’a pas strictement valeur scientifique; cependant elle éclaire, avec le geste de l’artiste, cette confrontation réelle entre l’espace, l’architecture et le vivant. L’architecture ne serait donc pas véritablement au service d’une « cité radieuse » chère à Le Corbusier mais assume sa part de responsabilité dans la gestion politique des sociétés humaines.

Peter Downsbrough

La présence de Peter Downsbrough dans l’exposition s’imposait et propose au visiteur un regard toujours en décalage. Architecte de formation, plasticien, l’artiste a hérité du minimalisme cette rigueur épurée et, entre espace et langage, poursuit une œuvre empreinte de discrétion qui lui donne force et efficacité.

Peter Downsbrough  » SA,IF,TO » CCCOD Tours 2020

Si le mouvement de pensée structuraliste a germé sur le terrain de la linguistique, on sait combien il a irradié tant d’autres champs de la pensée.  Peter Downsbrough apparait aujourd’hui comme un des représentants les plus pertinents dans cette pensée appliquée aux arts plastiques.  Photos d’espaces urbains, films, montages plasticiens, tout nous convie à nous interroger sur ce que Claude Levi-Strauss  désignait sous le terme de « structure inconsciente, sous-jacente  » .
C’est tout l’intérêt et l’ambition de cette exposition : au-delà de ce qui aurait pu ressembler à une présentation de projets architecturaux, le CCCOD de Tours nous guide dans une réflexion sur la relation entre les hommes et l’espace construit, révélatrice des valeurs d’une civilisation.

Etendue, corps, espace.
olivier debré et les artistes-architectes

16 octobre 2020 – 28 mars 2021
Exposition collective : Robert Breer, Bernard Calet, Chanéac, Jordi Colomer, Olivier Debré, Peter Downsbrough, Larissa Fassler, Yona Friedman, Isa Genzken, Pascal Haüsermann, Georg Herold, Thomas Huber, Rémy Jacquier, Antti Lovag, Eva Nielsen, Claire Trotignon, Raphaël Zarka
Commissaires : Isabelle Reiher et Marine Rochard

CCCOD Tours

Seuphor, libre comme l'art

Seuphor, libre comme l’art : Mies van der Rohe

Le blog des Chroniques du Chapeau noir poursuit la publication de « Seuphor, libre comme l’art », écrit par Claude Guibert sur la vie de l’écrivain, historien et artiste Michel Seuphor (1901-1999), de son vrai nom Fernand Berckelaers. Ce livre a été écrit en 2008 et sera publié intégralement à raison de quelques pages par publication, une fois par semaine.

Publication N° 40

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Parfois, les considérations d’ordre éthique émergent.

– « mercredi 26

Mon cher Seuphor,

J’ai reçu une lettre très enthousiaste d’Ozenfant, et 100 fr. pour 5 abonne­ments à la revue qui sont expédiés. J’ai reçu une autre lettre de Doesburg où il ….. et se moque de notre revue sans pitié. L’attaque est ….. directe contre vous. Pour s’il faut donner compte avec groupe de cette lettre ou non, est nécessaire de se voir avant 5 h de demain. Je serai chez moi jusqu’à 4 h. Si vous ne venez pas chez moi, voyez au café Voltaire une demi-heure avant la séance. Si vous voyez Vantongerloo vous pouvez le prier de venir? Avec vous

Torres-Garcia. » 1

Vantongerloo, pour sa part, s’exprime avec fougue. Dans cette ambiance surchauffée, seul Mondrian conserve un flegme imperturbable. Avec sa cinquantaine de membres, le groupe doit impérativement déménager. Ils se retrouveront désormais au cabaret Voltaire, place de l’Odéon. Singulier clin-d’œil au cabaret Zurichois des Dadaïstes, celui de l’Odéon est un lieu de rencontre de peintres et d’écrivains, d’hommes politiques et de journalistes. C’est l’endroit « où l’on boit, où l’on cause, où l’on rêve. » Il est permis d’y fumer le cigare d’y jouer, de passer des heures avec une consommation et on y trouve les omelettes les plus réputées de Paris. On les accepte pour des réunions au premier étage, le samedi. Seuphor se voit confier la tâche ingrate de rédiger, au terme de chaque séance, un compte-rendu et il lui faut faire preuve d’imagination pour trouver une synthèse à la cacophonie des rencontres. Parfois il s’emporte parfois puis se repent :

« Vanves 31 janvier 1930 à J. Torrès-Garcia

Mon cher Ami,


(…)Je vous prie d’excuser la façon dont hier soir je me suis éclipsé: j’étais dans un état de nervosité excessive. Je regrette l’absence de Daura, j’espère que ce n’est pas une défection. Moi personnellement je tiens beaucoup à sa participation.
En attendant de vos nouvelles, mes plus vives amitiés à vous et aux vôtres. » 2
Bientôt, à la fermeture du café Voltaire, ils doivent migrer chez Lipp.

Mies van der Rohe

L’architecte allemand, Ludwig Mies van der Rohe qui a retenu les leçons du constructivisme russe et du groupe De Stijl et a participé à l’exposition organisée par Van Doesburg à la galerie Rosenberg en 1923, commence à réaliser ses dessins innovateurs mêlant acier et verre. Il a connu Walter Gropius avant la création du Bauhaus. Déjà ses projets pour un gratte-ciel à ossature d’acier avec parois de verre et pour un immeuble de bureaux à ossature en béton, en 1922, illustrent les premières expressions d’une conception architecturale de l’espace intérieur continu. Il défend ses préceptes dans la revue « G» qu’il publie, dans la mouvance de De Stijl.

– « Nous rejetons toute spéculation esthétique, toute doctrine et tout formalisme. Je ne m’oppose pas à la forme, mais seulement à la forme comme but. La forme sera ce que la feront les tâches à accomplir avec les moyens de notre époque. » 3

Reconstruction du pavillon de l’Allemagne de 1929 à Barcelone

À l’occasion de l’Exposition internationale de Barcelone, en 1929, Mies van der Rohe construit le pavillon de l’Allemagne. L’innovation frappe les visiteurs : murs porteurs remplacés par une ossature de poteaux en acier, espace intérieur compartimenté selon un plan de circulation librement déterminé par des écrans orthogonaux. L’ensemble présente un caractère de dépouillement absolu. Son credo « Less is more » trace la voie de cette architecture minimaliste. Le « Moins est plus », en cette fin des années Vingt, marque l’aboutissement de ces années de combat pour atteindre l’essentiel à travers des formes simples, rigoureuses, allégées, capables de défier le temps. Pour Seuphor, c’est l’aboutissement architectural de la recherche d’un Mondrian qui, de 1914 à 1917, réalisait, sur le thème Jetée et Océan avec des signes noirs + et – sur fond blanc, une série dont l’apogée Composition avec lignes de 1917 proposait des horizontales désignant les ondes de la mer et des lignes de la plage tandis que les verticales symbolisent les jetées et les brise-lames. Sous le nouveau titre de Plus et moins à cause des signes abstraits discontinus qui résument le paysage, Mondrian venait de trouver là le véritable point de départ de son œuvre, qu’il présenta à Seuphor comme les premiers tableaux à rompre avec le tragique .4 Pour Mondrian, lorsqu’on ne représente pas les choses, il reste de la place pour le divin. La vie se trouve ainsi résumée:

-« Le principe masculin étant représenté par la ligne verticale, un homme reconnaîtra cet élément (par exemple) dans les arbres montants d’une forêt. Son complément, il le verra (par exemple) dans la ligne horizontale de la mer. La femme se reconnaîtra plutôt dans les lignes étendues de la mer et verra son complément dans les lignes verticales de la forêt, celle-ci représentant l’élément masculin . » 5

Mies van der Rohe rejette toute doctrine mais compte néanmoins sur l’architecture pour résoudre les problèmes de la société par l’industrialisation de l’architecture. Cette idée imprègne son œuvre, idée intimement liée à celle de la continuité dans la recherche architecturale.

 – « Si nous réussissons à promouvoir une telle industrialisation, alors tous les problèmes, d’ordre social, scientifique, technique et même artistique, seront faciles à résoudre. »

 Le pavillon allemand de l’exposition internationale de Barcelone devient la référence architecturale qu’il peut alors promouvoir au Bauhaus dont il accède au poste de directeur à la suite de Gropius.

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1Seuphor, Fonds Mercator SA , Anvers, Paris   p 90

2Seuphor, Fonds Mercator SA , Anvers, Paris    p 91

3Pierre Granveau, Encyclopædia Universalis © 2000 cité dans : http://journal3.net/spip.php?article52

4 Piet Mondrian, Michel Seuphor,(1956),Paris, éd. Garamont p. 8

5 Piet Mondrian, Michel Seuphor,(1956),Paris, éd. Garamont p 94,95

Seuphor, libre comme l'art

Seuphor, libre comme l'art : maintenant, il faut construire le monde !


Le blog des Chroniques du Chapeau noir poursuit la publication de « Seuphor, libre comme l’art », écrit par Claude Guibert sur la vie de l’écrivain, historien et artiste Michel Seuphor (1901-1999), de son vrai nom Fernand Berckelaers. Ce livre a été écrit en 2008 et sera publié intégralement à raison de quelques pages par publication, une fois par semaine (accès aux publications précédentes dans la catégorie éponyme du blog).

Publication N°19

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L’exposition internationale de 1925

Cette année 1925 connaît son apogée avec l’Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes. Là, deux mondes s’opposent. Une époque s’achève. La fantaisie du début du siècle connaît son chant du cygne. Apothéose pour Jacques-Émile Ruhlmann avec l’hôtel des collectionneurs conçu par Pierre Patout : avancée arrondie côté jardin, frises ornées de bas reliefs, salle du salon ovale, colonnes simplifiées. L’ensemble, massif, lourd, protège la mémoire de cet art finissant. Ruhlmann s’est entouré d’artistes et d’artisans pour la décoration intérieure, luxueuse, élégante, de grande qualité, les pièces encombrées de meubles, d’objets raffinés et précieux, inspirés du style du dix-huitième siècle : cette console de Raymond Subes, en fer forgé, ce vase en porcelaine de Sèvres de Ruhlmann, ce paravent et ce bronze animalier d’Edgar Brandt. Le public rassuré est ravi, le succès confirmé. L’ère nouvelle s’annonce avec Le Corbusier, que Seuphor a rencontré deux ans plus tôt. L’architecte crée la sensation avec « La villa de l’Esprit Nouveau ». Reçue fraîchement par le public, mal vue des pouvoirs publics, sa réalisation ne doit son salut qu’à Henry Frugès, riche mécène bordelais, propriétaire d’une raffinerie de sucre qui se passionne pour l’art. Frugès, qui a découvert Le Corbusier à travers sa revue  L’esprit nouveau, se veut artiste, architecte, peintre, sculpteur, écrivain. Il le sollicite pour des logements sociaux, rêve avec l’architecte et finance le pavillon de l’Esprit nouveau. La plus pauvre de l’exposition, cette construction met en œuvre les principes défendus dans la revue, établit une correspondance et une adéquation entre fonction et esthétique. Le bâtiment est entièrement construit avec des éléments standards, préfabriqués, pensés et conçus par rapport à leur fonction d’usage.


Pavillon de l’Esprit Nouveau Le Corbusier exposition internationale de 1925

Seuphor, enthousiaste, a souvent évoqué l’architecte dans Het Overzicht. Nous y sommes. Maintenant, il faut construire le monde ! A Berlin déjà, il a senti ce souffle se lever : Gropius, le Bauhaus, les frères Luckhardt, Moholy-Nagy, Herwarth Walden du Sturm, tous engagés dans cette révolution nécessaire. Architecture, Beaux-arts, vie quotidienne ne doivent faire qu’un. Avec son cousin Pierre Jeanneret, Le Corbusier réalise également l’ensemble du mobilier qu’il nomme « équipement », casiers standards, incorporés aux murs ou modulables. À l’intérieur du pavillon, on présente des œuvres picturales de Léger, Ozenfant, Juan Gris, Pablo Picasso et Le Corbusier (Nature morte de l’Esprit Nouveau).
Le Corbusier fait table rase : assez des décors d’or, de nacre, d’ivoire, d’argent. Fabriquons des « machines à habiter ».
– « Pour le mobilier, assène-t-il, je me réfère à 1924 avec le souhait de fabriquer des meubles standardisés fonctionnels pour l’industrie et le commerce, sans rajout d’effet ou de rappel artistique ou historique par un quelconque décor chargé d’intention »

Paviloon du tourisme Mallet-Stevens exposition international de 1925

Plus loin, le pavillon du tourisme de Mallet-Stevens visible de partout avec sa flèche immense, porte le flambeau de cette architecture rigoureuse qu’il complète par ses « arbres cubistes ». Si l’exposition a offert à Le Corbusier une tribune pour mettre en œuvre les idées défendues dans L’Esprit nouveau, la publication va néanmoins cesser de paraître. Après quelques numéros de la revue fondée en 1921 par Paul Dermée, Ozenfant et Le Corbusier, ces deux derniers orientent l’édition essentiellement vers les questions d’architecture, soutenus par les industriels. Dermée voyait une revue plus libre et plus ouverte sur l’art. Il se retrouve écarté. Revendiquant la propriété du titre, il part avec. L’intérêt que porte Dermée aux avant-gardes internationales, sa proximité de Dada, son attrait pour les revues littéraires, sa volonté d’indépendance vis-à-vis des idées de L’Esprit nouveau, sa conception de la liberté, tout cela plaît à Seuphor. Déjà il lui a offert les colonnes de Het Overzicht  pour une rubrique « Les Arts à Paris ». Avec cet homme là, Seuphor se voit bien initier des projets. Pourquoi pas une nouvelle revue ?

Copyright Claude Guibert 2008

Seuphor, libre comme l'art

Seuphor, libre comme l’art : Le Corbusier




Le blog des Chroniques du Chapeau noir poursuit la publication de « Seuphor, libre comme l’art », écrit par Claude Guibert sur la vie de l’écrivain, historien et artiste Michel Seuphor (1901-1999), de son vrai nom Fernand Berckelaers. Ce livre a été écrit en 2008 et sera publié intégralement à raison de quelques pages par publication, une fois par semaine (accès aux publications précédentes dans la catégorie éponyme du blog).

Publication N°12

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De Stijl à Paris

Ces réflexions sur l’art et l’architecture jaillissent au cœur d’une exposition parisienne. Accueilli par la galerie de Léon Rosenberg, rue de Baume, le mouvement De Stijl investit Paris. Le 15 octobre 1923, les architectes du groupe De Stijl, Théo Van Doesburg, C van Eesteren, Huszar, W van Leusden, JJ P Oud, G Rietveld, Mies van der Rohe, Wils exposent leurs conceptions. Dans les salles de la galerie, des maquettes trônent sur des tables ou des guéridons suivant leur volume, au mur des plans, des schémas composent une présentation austère. Trois projets présentés : une maison galerie pour Rosenberg, une maison particulière et une maison atelier. La démarche théorique accompagne l’ensemble. Van Doesburg, polémiste, militant infatigable, profite de la circonstance pour promouvoir ses idées novatrices. Animés par le désir de changer la réalité de leur époque, de modifier radicalement le regard et la pensée, les architectes de De Stijl prennent le relais du peintre pour travailler à la dimension de la cité.

Le Corbusier

Un architecte et peintre suisse, Charles-Edouard Jeanneret, a visité l’exposition de la galerie  Léon Rosenberg et en est ressorti fortement impressionné. Il y a « fait ses études ». Sous le nom de Le Corbusier, l’architecte jette  dans « Vers une architecture ». les bases d’une transformation majeure pour la vie des hommes. A partir de ce texte, le regard sur l’architecture change radicalement.

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Le Corbusier

Trois ans déjà que Le Corbusier milite pour ses idées à travers cette revue L’esprit nouveau dont il a emprunté le titre à une conférence donnée en 1917 par Apollinaire et qu’il a créé avec Amédée Ozenfant et Paul Dermée. Trois ans qu’il agite le drapeau de cette révolution à venir à travers des articles de critique artistique, littéraire et musicale, d’esthétique, d’architecture, parfois de politique générale, de science, des comptes rendus, une revue des revues, des listes de livres et de revues. Trois ans, enfin, qu’il prône, sous le terme de purisme la rigueur des formes, la simplicité du dessin, l’économie de la couleur, révélant une esthétique à résonance morale et rationnelle.
Le Corbusier et Ozenfant s’entendent alors pour concrétiser leurs idées, en s’impliquant personnellement. Le Corbusier va construire, à Paris, la maison d’Amédée Ozenfant. Au 53 de l’avenue Reille, ils conçoivent une maison d’angle avec atelier. L’appartement se situe au premier étage. Le deuxième étage forme un vaste atelier éclairé par une large verrière d’angle. De cet espace, le visiteur jouit d’une vue panoramique exceptionnelle sur le boulevard et sur le petit square Montsouris, lové dans l’angle du bâtiment. La lumière inonde les pièces. La toiture est composée de deux sheds à versants vitrés, la terrasse aménagée, tout dénote rigueur, simplicité. La maison semble née de quelques traits, d’un tracé élémentaire évident, indiscutable.

Copyright Claude Guibert 2008

Seuphor, libre comme l'art

Seuphor, libre comme l’art : Mallet-Stevens


Le blog des Chroniques du Chapeau noir poursuit la publication de « Seuphor, libre comme l’art », écrit par Claude Guibert sur la vie de l’écrivain, historien et artiste Michel Seuphor (1901-1999), de son vrai nom Fernand Berckelaers. Ce livre a été écrit en 2008 et sera publié intégralement à raison de quelques pages par publication, une fois par semaine (accès aux publications précédentes dans la catégorie éponyme du blog).

Publication N°11

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Mallet-Stevens

Sur le front des avant-gardes, d’autres aventures surgissent. Entre peinture et architecture , Seuphor assiste en témoin privilégié au  dialogue qui culmine dans ces années 1923 1924, lorsque domine la vision d’un art total intégrant les disciplines. De la peinture murale extérieure vouée à la définition de la masse de l’édifice à la peinture murale intérieure, l’émulation, la compétition, voire la concurrence animent les échanges entre peintres et architectes.
En 1923, l’architecte Mallet-Stevens apporte sa contribution  au mouvement de l’architecture nouvelle. L’occasion majeure qui se présente, c’est le couturier Paul Poiret qui lui offre. Au début des années 1920, Poiret achète un vaste terrain dans les Yvelines pour y installer sa résidence principale, destinée à sa retraite future. L’architecte prend position face à son époque : « Ce ne sont plus quelques moulures qui accrochent la lumière, c’est la façade entière. L’architecte sculpte un bloc énorme, la maison. » (1)

Villa Paul Poiret

Sur huit cents mètres carrés habitables, le projet de la villa Paul Poiret s’apparente à une composition géométrique, un tableau cubiste, synthèse formelle des tendances modernes de son époque. Un vaste hall, passage obligé au centre de la maison, éclairé par deux grandes baies vitrées offre un panorama imprenable sur les méandres de la Seine et, par beau temps, la tour Eiffel, le mont Valérien. Le chantier ouvert en 1922 doit s’arrêter en juin 1923, alors que seul le gros œuvre sort de terre. Le couturier rencontre des difficultés financières. Provisoirement, il habite la maison du gardien en attendant des jours meilleurs pour achever les travaux. Mais Poiret voir monter l’étoile de Coco Chanel avec ses créations soigneusement étudiées, ses tenues pratiques, une concurrente qu’il accuse de transformer les femmes en « petites télégraphistes sous-alimentées ». Mallet-Stevens devra attendre encore. Hélas, la maison du couturier fera faillite quelques années plus tard, et Poiret n’habitera jamais sa maison rêvée.
Que devient le peintre dans cet univers ? Fernand Léger, qui collabora avec Mallet-Stevens, témoigne sur ce malaise :« J’ai collaboré à des motifs architecturaux, je me contentais alors d’être ornemental, les volumes étant donné par l’architecture et les personnages évoluant autour. Je sacrifiais le volume à la surface, le peintre à l’architecte, n’étant qu’enlumineur de surfaces mortes »(2)

Cette même année 1923, Van Doesburg défend d’autres propositions sur le terrain de la peinture et de l’architecture : l’abandon de la figuration et de la représentation perspective au début du vingtième siècle , ouvre la voie en limitant la peinture murale à des a-plats de couleur  à une fonction inédite de l’œuvre abstraite qui s’inscrit alors sur la surface du mur sans en bousculer la perception, sans induire un ordre spatial autre que celui de l’espace matériel où elle se situe. Elle ne figure pas un espace fictif, elle se contente de manifester la surface du mur. (3)
Pour Mondrian l’approche conceptuelle est autre. Seuphor a compris en visitant  son atelier comment ses toiles, en établissant des rapports de couleurs et de proportions par le biais de plans colorés monochromes, les portes, les fenêtres, les meubles et les objets peints eux aussi suivant ces principes  participent à cette volonté : c ‘est la peinture qui met en cause l’espace architectural. La recherche fondamentale du peintre sur le tableau doit irradier l’espace environnant :
–         « Si les personnes sympathisantes laissaient composer leurs intérieurs selon la Nouvelle Plastique,la peinture de chevalet pourrait progressivement disparaître. Et la nouvelle plastique serait, de la sorte, bien plus réellement vivante autour de nous »(4)

Copyright Claude Guibert 2008

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1P. Mondrian, « Natuurlijke en abstracte real time », De Stijl,  1918 traduit par M.  Seuphor in Mondrian, op. cit. sous le titre « Réalité naturelle et réalité abstraite » p. 245.

2« L’esthétique de la machine, l’ordre géométrique et le vrai », mise en forme d’une conférence faite le 1er juillet 1923 au Collège de France, publié dans Fonctions de la peinture, rééd. Folio, p. 104-105.

3 Anne-Marie Châtelet. « L’art et le mur. Les relations entre peintres et architectes au début des années vingt». principal, Actes du Ve congrès national d’archéologie et d’histoire de l’art. 1999

4 P. Mondrian, « Natuurlijke en abstracte real time », De Stijl,  1918 traduit par M.  Seuphor in Mondrian, op. cit. sous le titre « Réalité naturelle et réalité abstraite » p. 245.

Expositions

Katinka Bock : mémoires de cuivre

« Ressac »


« Machine à exposer »

Le lieu d’art Lafayette Anticipations dans le Marais à Paris ne ressemble à aucun autre centre d’art. Cette étonnante « Tour d’exposition » équipée de quatre planchers mobiles superposés est insérée dans l’emprise de la cour du bâtiment. Grâce à leur moteur embarqué, les planchers se déplacent indépendamment le long de crémaillères et peuvent être stationnés dans l’alignement des niveaux existants. Ce jeu de plates-formes permet, au fil des expositions, de modifier l’espace en quarante neuf configurations différentes. Cette « machine à exposer » vient compléter l’autre composante fondamentale de Lafayette Anticipations : son centre de production situé au sous-sol, où sont fabriquées les œuvres conçues par les artistes invités. L’utilisation simultanée de ces deux dispositifs permet la création d’œuvres inédites, conçues pour une configuration d’exposition idoine.

« Tumulte à Higienopolis »

L’artiste Katinka Bock, nommée cette année pour le prix Marcel Duchamp au Centre Pompidou de Paris, a pu, dans ce contexte très particulier, concevoir une œuvre monumentale spécifique pour le lieu et donner corps au concept de son exposition : « Tumulte à Higienopolis« . Haute de neuf mètres et lourde d’une tonne et demie, la sculpture, intitulée « Ressac » donne à voir un immense structure verte constituée de feuilles de cuivre.
Une fois que l’on a capté la vision de cette pièce sous les angles les plus variés, du rez-de chaussée jusqu’au troisième niveau, tout reste à faire pour le spectateur. Car ce regard n’a de sens que si l’on replace cette impressionnante masse recouverte de plaques de cuivre dans le contexte mémoriel de sa création.

Le Anzeiger-Hochhaus à Hanovre

Katinka Bock est partie d’un bâtiment emblématique de la ville de Hanovre, le Anzeiger-Hochhaus, l’un des premiers gratte-ciel d’Europe construit entre 1927 et 1928 apparaissant alors comme l’un des édifices marquants de la ville. Ce grand bloc rectangulaire de briques rouges surmonté d’un dôme de douze mètres de diamètre recouvert d’un cuivre verdi par le temps abrite à l’époque plusieurs journaux dont Der Spiegel, et permet la diffusion des premiers films sonores dans son cinéma sous l’impulsion de son propriétaire le puissant mécène August Madsack.

Anzeiger-Hochhaus Hanovre 1928

Le tumulte évoqué dans le titre de l’exposition renvoie à l’interdiction par le parti national socialiste de projeter le nouveau film de Dziga Vertov “La Symphonie du Donbass”. Le film, révolutionnaire pour son objectif politique (à la gloire de la collectivisation et du bond en avant industriel de l’URSS) , l’est aussi pour sa nouveauté technique : avec un procédé révolutionnaire d’enregistrement du son, il exalte à partir des sons industriels et de la musique de Chostakovitch et Timoféiev, l’effort des mineurs du Donbass. De nombreux artistes appartenant à ce phalanstère du Anzeiger-Hochhaus (Moholy-Nagy, Bertolt Brecht..) réagissent à l’interdiction du parti national socialiste.
Le bâtiment a survécu à la Seconde Guerre mondiale. Cependant, lors de l’un des derniers raids aériens du 25 mars 1945, le dôme a brûlé. Après la guerre, le gratte-ciel d’ Anzeiger-Hochhaus continua à servir de maison de presse, notamment pour les magazines Der Spiegel (1947) et Stern (1948).
C’est à l’occasion de la restauration de ce lieu mythique que Katinka Bock a pu récupérer une partie des plaques de cuivre de sa coupole. Cette récupération n’a donc pas seulement une valeur technique pour l’utilisation d’ un matériau facilement disponible. C’est bien la mémoire de ces feuilles de cuivre qui donnent à l’œuvre sa véritable richesse : une carapace portant les stigmates du passé. Ces feuilles de cuivre conservent la mémoire des « impacts des bombes qui ont transpercé [les feuilles de cuivre], leurs réparations, les dégradés de couleurs selon l’orientation est-ouest ou nord-sud, la pollution, les griffures de générations d’oiseaux, les impacts de grêle ».

Aujourd’hui, Anzeiger-Hochhaus fait partie du Media Center Hannover, qui comprend plusieurs bureaux de rédaction pour la radio et la télévision.
La sculpture créée par Katinka Bock nous oblige à cet effort : celui de reconnaître dans son matériau , au-delà de ses propriétés visuelles immédiates, sa spécificité historique chargée de tensions, de turbulences, de violence . La mémoire du cuivre hante cette production contemporaine avec cette peau métallique réhabilitée par l’artiste.

Photo : Lafayette anticipations

 » Tumulte à Higienopolis »
Du 9 octobre 2019 au 5 janvier 2020
Lafayette Anticipations
9 Rue du Plâtre
75004 Paris 4

Expositions

Chroniques Romaines (2) : le MAXXI ne s’est pas fait en un jour.

MAXXI Rome

MAXXI, musée national de l’art du vingt et unième siècle

Quelque peu excentré de la Rome hantée par son histoire depuis l’Antiquité, le MAXXI, musée national de l’art du vingt et unième siècle, assume la charge redoutable de porter le flambeau d’un art contemporain dans la capitale Italienne. Rien n’a été négligé cependant pour jeter les bases d’une institution majeure : une construction nouvelle de trente mille mètres carrés dédiée à l’art vivant et à l’architecture contemporaine. Débarrassé de ses anciens baraquements militaires, l’espace libéré a offert la possibilité à l’architecte Zaha Hadid de créer un bâtiment contemporain disposant de vastes salles destinés aux expositions temporaires et d’une architecture intérieure claire, très ouverte, à la circulation facile en direction des modules: auditorium, bibliothèque, cafétéria. La naissance d’un tel projet ne s’est pas faite sans douleurs. En 2010, le journaliste de Libération envoyé pour l’inauguration, lançait dans un article lapidaire : « MAXXI, le tout à l’ego » . « L’édifice est maudit dès sa conception. Il aura fallu douze ans pour parvenir à ce pachyderme bossu, signé de la superstar britannique d’origine irakienne, Zaha Hadid ».

MAXXI collection permanente

Loin de ce jugement à l’emporte pièce davantage animé par l’intention polémique que par la rigueur journalistique, j’ai apprécié au contraire, dans ces salles contemporaines, la fluidité d’accès, la lumière favorable aux œuvres, ainsi qu’une échelle adaptée aux installations majeures.

« Tenendo per mano il sole – Maria Lai (1919-2013) »

Les salles d’expositions temporaires sont actuellement consacrées à une artiste italienne récemment décédée Maria Lai. « Tenendo per mano il sole – Maria Lai (1919-2013) » propose les oeuvres créées depuis 1960 : la cosmogonie de ses géographies évoquées par le soleil prend place dans un jeu où langage et parole tissent un remarquable ensemble de pièces.

Maria Lai (1919-2013)

La présentation de cette rétrospective occupe plusieurs salles et permet de mieux appréhender comment l’artiste relie métier à tisser, tissage, texture, textes, langages, mots, écrits, livres… Cette approche relie dans le même temps son œuvre à la terre, au cosmos, aux planisphères.
Avec ses atouts, le MAXXI doit maintenant montrer dans la durée sa capacité à attirer dans cette ville si particulière qu’est Rome, un public en direction de l’art de l’époque. Quand le Colisée, la Villa Borghèse ou la fontaine de Trévi, parmi tant d’autres monuments, attire des foules considérables, le MAXXI reste un havre de paix au public clairsemé. On peut imaginer que le temps des polémiques est maintenant passé. L’accueil houleux de son architecture, les difficultés financières des années récentes sont souvent le lot de créations contemporaines mal acceptées à leur début. Depuis presque une dizaine d’années, l’institution tient le cap et la collection permanente présente à la fois les artistes italiens contemporains comme Francesco Clemente, Giuseppe Penone, Alighiero Boetti, Mario Merz, Maurizio Cattelan notamment mais aussi des artistes internationaux parmi lesquels Gerhard Richter, Anish Kapoor, , Gilbert & George, Yayoi Kusama .

Face à la Rome millénaire, la jeunesse du MAXXI constitue vraisemblablement à la fois un avantage et un handicap. Rome ne s’est pas faite en un jour, le MAXXI non plus.

Photos de l’auteur

MAXXI – Musée national des arts du 21e siècle,
Via Guido Reni 4A
00196 Rome

Maria Lai. Tenendo per mano il sole
Maxxi, Rome
19 Juin 2019 – 12 Janvier2020