« L’exposition du centenaire »
Neuf ans après la rétrospective Hantaï au Centre Pompidou de Paris, « L’exposition du centenaire » consacrée au peintre à la Fondation Louis Vuitton offre une panorama impressionnant sur le parcours de l’artiste d’origine hongroise. Dans la ville où il fit ses études d’art, Budapest, l’œuvre d’Hantaï fut paradoxalement absente pendant des années. Au grand centre d’art contemporain de la capitale hongroise, le Ludwig Museum, une seule toile faisait partie des collections permanentes. Ce n’est qu’en 2014 qu’une rétrospective significative fut proposée aux visiteurs.
Il est vrai que le peintre était arrivé à Paris en 1948, laissant derrière lui son pays, portant peut-être douloureusement les séquelles de la seconde guerre mondiale (il fut arrêté par les Croix fléchées pour une harangue anti-allemande qu’il lança à l’École des Beaux-Arts en 1944, et contraint de séjourner dans un camp pour artistes).
A la Fondation Vuitton plus de cent trente toiles surexposent le parcours d’un homme davantage habitué à la discrétion pour ne pas dire au repliement.

Toutes le périodes de son œuvres ( Peintures à signes, Monochromes, Mariales, Catamurons, Panses, Meuns, Études, Blancs, Tabulas, Peintures polychromes, Sérigraphies, Laissées) permettent d’appréhender ce qui constitue la nature à la fois d’un protocole de travail et d’une réflexion.
Qu’est-ce que peindre ?
Dès 1960, les Mariales font entrer l’œuvre d’Hantaï dans un univers à défricher : les Mariales font appel à la pliure de la toile avant de la peindre. Après le passage « à l’aveugle » de la peinture, la toile est dépliée et les parties non touchées par le première passage de la peinture sont a leur tour peintes. Une question décisive hantera son parcours : qu’est-ce que peindre ? Cette interrogation lancinante, d’autres que lui la reprendront à leur compte, notamment en France avec les groupes BMPT et Supports-Surfaces. Et cet éclairage sur l’œuvre d’Hantaï mérite que l’on s’y arrête.
Le groupe Supports-Surfaces qui a partir du milieu des années soixante s’attaque à une démarche élémentaire, sorte de retour aux origines de la peinture, recouvrant une grande diversité des pratiques, pose avec force cette question : qu’est-ce que peindre ? La toile se prête au pliage, au froissage, à l’enroulement, au collage, à la couture. Avec la revue Peinture-Cahiers théoriques, elle-même nourrie de la pensée dominant la revue Tel Quel marquée à la fois par le structuralisme, le freudisme et le maoïsme, les membres de Supports-Surfaces reconnaissent Simon Hantaï comme un défricheur dans cette recherche. Le peintre Jean-Michel Meurice, proche de Supports-Surfaces, réalise des films avec Hantaï. Pierre Buraglio, également associé au mouvement Supports/Surfaces, a introduit dans certaines de ses œuvres des « chutes » d’œuvres qu’Hantaï lui a données.
Avec le groupe BMPT la relation s’établir de façon plus personnelle. C’est vers 1963 que Daniel Buren commence à fréquenter l’atelier de Hantaï, voisin du sien à la cité des Fleurs. Début 1966, il lui fait rencontrer Michel Parmentier, qui, lui aussi, deviendra un proche.
Les membres du groupe BMPT (Buren, Mosset, Parmentier, Toroni) à l’occasion du Salon de la Jeune peinture de 1967 au musée d’art moderne de la ville de Paris clament « Nous ne sommes pas peintres ! » et se positionnement dans ce « degré zéro de la peinture ». La Fondation Vuitton évoque cette relation. Une intervention in situ inédite de Daniel Buren, intitulée Mur(s) pour Simon, travaux in situ et en six mouvements et conçue comme un hommage à Hantaï, est située dans le parcours de l’exposition. Par ailleurs, dans l’exposition voisine « La couleur eu fugue » présente le travail de Toroni.

Abstraction faite
Ce terme de travail est d’ailleurs à prendre au premier degré et nous renvoie à Hantaï. Depuis un demi-siècle, même s’il décline à l’infini ce jeu autour de ce pinceau N° 50, Toroni ne peint pas un même tableau, il trace un sillon indélébile et, avec un pied de nez au manifeste de BMPT, assène: « Je suis peintre! ». Cette définition de la peinture par le travail, toute l’exposition d’Hantaï témoigne, me semble-t-il, de cet investissement acharné. Entre l’acte répétitif d’un Toroni et l’application absolue d’Hantaï dans la réalisation des Tabulas , la peinture se révèle comme un labeur impérieux. Le travail s’inscrit dans la toile qui en exprime la trace dans la durée. La peinture d’Hantaï n’est pas seulement un abstraction, c’est une abstraction faite. Je serais presque tenté de rapprocher cette démarche de celle d’un Roman Opalka pour cette tentative d’une peinture du temps.
Après la biennale de Venise de 1982, Hantaï décide de se retirer du monde de l’art. Peint-il encore ? Pendant quinze ans son retrait est complet : il refuse toute proposition d’exposition ne s’exprime plus publiquement. Lorsque je le rencontre dans son atelier en 1996, la peinture habite pourtant toujours son espace. La Fondation Vuitton montre pour la première fois au public ces travaux de l’après 1982.
Simon Hantaï, l’exposition du centenaire
Fondation Louis Vuitton
du 18 mai au 29 août 2022
8 avenue du Mahatma Gandhi, Bois de Boulogne
75116, Paris,