Expositions

Au Bon Marché : Buren au carré

Depuis les années 30, après l’aventure du Bauhaus, avec le groupe Cercle et Carré de Michel Seuphor entouré de Arp, Mondrian, Van Tongerloo, Torrès-Garcia notamment, cette fascination du carré a marqué l’histoire de l’art. Pour les tenants de l’art géométrique et de l’art concret, cette vénération n’a jamais faibli. Aujourd’hui, venu d’une autre histoire, celle de BMPT (Buren, Mosset, Parmentier, Toroni) qui clamait « Nous ne sommes pas peintres ! », Daniel Buren fait de cette forme une unité de mesure qui transforme le magasin du Bon Marché en gigantesque scène dédiée à ce symbole.

Aux Beaux Carrés : travaux in situ

Le projet présenté au Bon Marché ne lésine pas sur les moyens pour les multiples installations qui occupent l’ensemble du magasin. La verrière située au cœur de ce commerce de luxe abrite cette orchestration du carré. Devant l’escalator central, les carreaux du plafond en verre construisent deux immenses œuvres composées de plus de plus de 1500 carrés en polycarbonate et adhésifs blancs d’une part, roses de l’autre, qui se déploient dans l’espace et diffractent la lumière, comme un incroyable damier en trois dimensions. Il s’agit là de l’Acte 1 déjà ambitieux qui sera suivi par un Acte 2 de fin juin au mois d’août de cette année.
A l’extérieur du magasin, rue de Sèvres, un damier de carrés blancs et colorés se dessine tout au long des huit vitrines.

Au deuxième étage, deux Cabanes éclatées, l’une jaune, l’autre bleue donnent l’occasion au visiteur de s’immerger dans cet espace complexe, trompeur, composé à la fois de ces carrés omniprésents mais également de miroirs qui décuplent la vision à l’intérieur de ce kaléidoscope géant. Assurément une telle installation nous renvoie aux beaux jours de l’art cinétique, du GRAV, Groupe de Recherche d’Art Visuel rassemblant au côté de François Morellet, Jean-Pierre Yvaral, Julio Le Parc, Horacio Garcia-Rossi, Joël Stein et Francisco Sobrino. Déjà, en ce début des années 60, c’est une notion d’art interactif qui prévalait. On ne fera pas grief à Daniel Buren d’avoir bien connu cette période de l’art du vingtième siècle. La perspective augmentée par le jeu des miroirs nous renvoie également aux expériences de Luc Peire, jouant à l’infini de la même façon avec ses créations graphiques linéaires poussées au-delà des limites.

Cet art interactif des années 60 préfigurait déjà une notion d’art relationnel. Les deux Cabanes éclatées du Bon Marché invitent à cette déambulation quelque peu hésitante au cours de laquelle le visiteur peut très vite perdre ses repères dans l’espace, au risque de se heurter à un miroirs, d’hésiter à mettre les pieds sur un sol transparent, de chercher en vain la sortie de cet étonnant piège visuel.

Buren au carré

Ce sont donc quatre propositions qui imposent une présence majeure dans l’espace intérieur du Bon marché : les deux suspensions, blanche et rose, le déambulatoire des Cabanes éclatées et l’habillage des escalators qui rappelle le travail historique de Buren avec les bandes colorées. Depuis qu’en 1965 il décide de limiter sa peinture à des rayures verticales dont la largeur sera toujours de 8,7 centimètres, Daniel Buren a placé son travail dans cette démarche inscrivant sa peinture comme un fait purement objectif. 
Buren au carré signe ici une des ses réalisations majeures dans un lieu privé.

Aux Beaux Carrés : travaux in situ 
Daniel Buren
Du 9 janvier au 18 février 2024
Le Bon Marché Rive Gauche
24 rue de Sèvres
75007 Paris

Expositions

Les petits riens de Jean-Michel Alberola

C’est peu de dire que Jean-Michel Alberola est un artiste déroutant, intriguant, j’allais écrire épuisant. Et si ce sont bien des tableaux qui sont accrochées aux murs de la galerie Daniel Templon à Paris, l’artiste ne peut pas être réduit au statut de peintre.

« Le peintre des «surfaces »

« Quand j’étais adolescent je ne voulais pas faire de peinture, je n’ai jamais pensé faire de peinture, je voulais faire du cinéma. » confesse Alberola qui se livre depuis des années à un parcours complexe entre littérature, philosophie, peinture et finalement tous ces petits « riens » présentés dans l’exposition « Les Rois de rien et les années 1965-1966-1967 ». On ne peut ignorer que dans ces années soixante, le contexte en France est celui de Supports/surfaces, de BMPT et que Jean-Michel Alberola, « Le peintre des «surfaces », occupe une place singulière dans cette époque où règnent les groupes d’artistes.
L’accrochage des tableaux nous place très vite devant cette évidence : chaque toile n’est qu’un moment dans un ensemble en mouvement permanent. Le tableau est l’écran sur lequel se projette une réflexion en continu, élément ponctuel d’un puzzle que nous sommes invités à reconstituer. Si bien que ces « Riens » ne sont pas le néant et ne sont pas moins que rien. Il nous sera donc difficile de verbaliser ce qu’ Alberola tente de nous donner à voir, à penser. En outre l’artiste a toujours pris, je crois, un malin plaisir à refuser la plupart du temps, les interviews, refusant peut-être que la communication vienne galvauder la pensée, déprécier la tentative artistique.

L’artiste semble nous dire « Débrouillez vous ! ».
A nous donc de discerner dans ce rien cette relation au monde, de suivre autant que possible ce fil  d’Ariane. Et si les tableaux de l’exposition se fédèrent dans un tout, ce sont quarante années de cheminement artistique qu’il faudrait prendre en compte pour appréhender la stratégie de l’artiste. Davantage encore qu’un fil d’Ariane, c’est vraisemblablement une démarche arachnéenne qui rapproche les toiles du peintre de celles de l’araignée.

1965-1966-1967 
L’accent mis sur ces trois années 1965-1966-1967  mérite une attention particulière :
« Une époque charnière qui annonce l’explosion politique des années 1970 , ces trois années sont encore libres, alors que dans la fin des années 60 l’argent infiltre les domaines culturels de l’industrie musicale et cinématographie. »
C’est aussi l’occasion de rappeler que 1965-1966-1967  précèdent 1968, comme si les travaux des artistes en général, et celui de Jean-Michel Alberola en particulier, étaient les signes avant-coureurs d’un séisme culturel. Ce symptôme artistique mériterait peut-être une étude approfondie. La Roue de bicyclette de Marcel Duchamp en 1913 précède 1914.

Jean-Michel Alberola
Les Rois de Rien et les années 1965-1966-1967
6 janvier – 24 février 2024
Paris – Grenier Saint Lazare

Expositions

Hantaï : abstraction faite

« L’exposition du centenaire »

Neuf ans après la rétrospective Hantaï au Centre Pompidou de Paris, « L’exposition du centenaire » consacrée au peintre à la Fondation Louis Vuitton offre une panorama impressionnant sur le parcours de l’artiste d’origine hongroise. Dans la ville où il fit ses études d’art, Budapest, l’œuvre d’Hantaï fut paradoxalement absente pendant des années. Au grand centre d’art contemporain de la capitale hongroise, le Ludwig Museum, une seule toile faisait partie des collections permanentes. Ce n’est qu’en 2014 qu’une rétrospective significative fut proposée aux visiteurs.
Il est vrai que le peintre était arrivé à Paris en 1948, laissant derrière lui son pays, portant peut-être douloureusement les séquelles de la seconde guerre mondiale (il fut arrêté par les Croix fléchées pour une harangue anti-allemande qu’il lança à l’École des Beaux-Arts en 1944, et contraint de séjourner dans un camp pour artistes).
A la Fondation Vuitton plus de cent trente toiles surexposent le parcours d’un homme davantage habitué à la discrétion pour ne pas dire au repliement.

Toutes le périodes de son œuvres ( Peintures à signes, Monochromes, Mariales, Catamurons, Panses, Meuns, Études, Blancs, Tabulas, Peintures polychromes, Sérigraphies, Laissées) permettent d’appréhender ce qui constitue la nature à la fois d’un protocole de travail et d’une réflexion.

Qu’est-ce que peindre ?

Dès 1960, les Mariales font entrer l’œuvre d’Hantaï dans un univers à défricher : les Mariales font appel à la pliure de la toile avant de la peindre. Après le passage « à l’aveugle » de la peinture, la toile est dépliée et les parties non touchées par le première passage de la peinture sont a leur tour peintes. Une question décisive hantera son parcours : qu’est-ce que peindre ? Cette interrogation lancinante, d’autres que lui la reprendront à leur compte, notamment en France avec les groupes BMPT et Supports-Surfaces. Et cet éclairage sur l’œuvre d’Hantaï mérite que l’on s’y arrête.
Le groupe Supports-Surfaces qui a partir du milieu des années soixante s’attaque à une démarche élémentaire, sorte de retour aux origines de la peinture, recouvrant une grande diversité des pratiques, pose avec force cette question : qu’est-ce que peindre ? La toile se prête au pliage, au froissage, à l’enroulement, au collage, à la couture. Avec la revue Peinture-Cahiers théoriques, elle-même nourrie de la pensée dominant la revue Tel Quel marquée à la fois par le structuralisme, le freudisme et le maoïsme, les membres de Supports-Surfaces reconnaissent Simon Hantaï comme un défricheur dans cette recherche. Le peintre Jean-Michel Meurice, proche de Supports-Surfaces, réalise des films avec Hantaï. Pierre Buraglio, également associé au mouvement Supports/Surfaces, a introduit dans certaines de ses œuvres des « chutes » d’œuvres qu’Hantaï lui a données.


Avec le groupe BMPT la relation s’établir de façon plus personnelle. C’est vers 1963 que Daniel Buren commence à fréquenter l’atelier de Hantaï, voisin du sien à la cité des Fleurs. Début 1966, il lui fait rencontrer Michel Parmentier, qui, lui aussi, deviendra un proche.
Les membres du groupe BMPT (Buren, Mosset, Parmentier, Toroni) à l’occasion du Salon de la Jeune peinture de 1967 au musée d’art moderne de la ville de Paris clament « Nous ne sommes pas peintres ! » et se positionnement dans ce « degré zéro de la peinture ». La Fondation Vuitton évoque cette relation. Une intervention in situ inédite de Daniel Buren, intitulée Mur(s) pour Simon, travaux in situ et en six mouvements et conçue comme un hommage à Hantaï, est située dans le parcours de l’exposition. Par ailleurs, dans l’exposition voisine « La couleur eu fugue » présente le travail de Toroni.

Tabula (1976)

Abstraction faite

Ce terme de travail est d’ailleurs à prendre au premier degré et nous renvoie à Hantaï. Depuis un demi-siècle, même s’il décline à l’infini ce jeu autour de ce pinceau N° 50, Toroni ne peint pas un même tableau, il trace un sillon indélébile  et, avec un pied de nez au manifeste de BMPT, assène:  « Je suis peintre! ». Cette définition de la peinture par le travail, toute l’exposition d’Hantaï témoigne, me semble-t-il, de cet investissement acharné. Entre l’acte répétitif d’un Toroni et l’application absolue d’Hantaï dans la réalisation des  Tabulas , la peinture se révèle comme un labeur impérieux. Le travail s’inscrit dans la toile qui en exprime la trace dans la durée. La peinture d’Hantaï n’est pas seulement un abstraction, c’est une abstraction faite. Je serais presque tenté de rapprocher cette démarche de celle d’un Roman Opalka pour cette tentative d’une peinture du temps.
Après la biennale de Venise de 1982, Hantaï décide de se retirer du monde de l’art. Peint-il encore ? Pendant quinze ans son retrait est complet : il refuse toute proposition d’exposition ne s’exprime plus publiquement. Lorsque je le rencontre dans son atelier en 1996, la peinture habite pourtant toujours son espace. La Fondation Vuitton montre pour la première fois au public ces travaux de l’après 1982.

Simon Hantaï, l’exposition du centenaire
Fondation Louis Vuitton
du 18 mai au 29 août 2022
8 avenue du Mahatma Gandhi, Bois de Boulogne
75116, Paris,

Seuphor, libre comme l'art

Seuphor, libre comme l’art : « the responsive eye »

Le blog des Chroniques du Chapeau noir poursuit la publication de « Seuphor, libre comme l’art », écrit par Claude Guibert sur la vie de l’écrivain, historien et artiste Michel Seuphor (1901-1999), de son vrai nom Fernand Berckelaers. Ce livre a été écrit en 2008 et sera publié intégralement à raison de quelques pages par publication, une fois par semaine.

Publication N° 76

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« The responsive eye » à New-York

New York prend donc la main et redistribue les cartes. L’abstraction géométrique, le néoplasticisme de Mondrian, le suprématisme de Malevitch, ces aventure européennes du vingtième siècle ont engendré un courant très actif : l’optical-art, s’adressant essentiellement au mouvement virtuel, celui de l’œil humain. Au début des années soixante, cette école a débordé du terrain artistique pour se propager dans la décoration et la mode. Apothéose pour le mouvement rétinien, une exposition emblématique à lieu au Museum of Moderne Art de New York en 1965 : « The Responsive eye ». Autour de ce thème de « L’œil sensible », on présente, d’Albers à Vasarely, toute la chaîne des artistes qui ont compté pour révéler cette tendance de l’art du temps, parmi lesquels Agam, Carlos Cruz-Diez, François Morellet, Bridget Riley. Le succès public de l’événement confirme l’engouement pour cette forme d’art ludique si bien acceptée au quotidien.
Pour Vasarely, au sommet de la notoriété, la manifestation à laquelle Denise René a été associée conforte sa gloire. On le désigne sous le terme de « pape de l’art optique ». Art cinétique et optical-art, malgré leur connivence, ne font pas toujours bon ménage. Les susceptibilités de personnes, les querelles de dates agitent parfois ce groupe d’artistes Jésus Raphaël Soto, pour sa part, renonce à participer à « The Responsive eye » car il estime qu’on veut le faire passer pour un suiveur de Vasarely: :

– « Je ne pouvais accepter que ceux qui « patinaient » encore dans l’art optique passent comme des maîtres de quelque chose à quoi ils ne s’étaient jamais résolus. » 1

Soto, conscient de la valeur de son travail, ne veut pas passer pour le disciple d’un courant. Toute son œuvre s’efforce de créer une passerelle entre l’art cinétique et l’optical-art. Dans ses réalisations, mouvement physique et mouvement rétinien sont étroitement associés. Il s’emploie à révéler« l’immatériel » moment de grâce où l’effet obtenu se détache de l’objet fabriqué.

Le centre du monde

Depuis près d’un demi-siècle Seuphor est le témoin de la lutte sourde qui oppose art géométrique et surréalisme. Depuis quarante ans, il déploie son énergie pour que les valeurs du néoplasticisme, de l’art concret ne soient pas englouties par l’agitation d’un mouvement qui provoque tellement de turbulences et ne cesse en outre de s’agiter de l’intérieur. Salvador Dali, exclu du mouvement par André Breton en 1938, a développé sa méthode paranoïaque.

–  « Une méthode spontanée de connaissance irrationnelle, basée sur l’objectivation critique et systématique des associations et interprétations délirantes ».2

Aux récits de rêves et à l’écriture automatique des surréalistes, il ajoute l’objet irrationnel à fonctionnement symbolique. Dans les années Soixante, Dali, porté par sa notoriété, joue sur l’excentricité, la mise en scène, voire le scandale. Toutes les occasions sont bonnes pour associer peinture et événement médiatique. Animé par le goût du spectacle lié à une perception exhibitionniste du surréalisme doublé de la méthode paranoïa critique, il affirme avoir eu une vision à l’intérieur de la gare de Perpignan, le 19 septembre 1963 :

–  « J’ai vécu une expérience d’extase cosmique, plus puissante que les précédentes. J’ai eu une vision précise de la constitution de l’univers. »

La vision de 1963 sera suivie d’une peinture de la gare de Perpignan exposée le 18 décembre 1965, à New York. Structurée en forme de croix de Malte, la toile monumentale montre une projection du célèbre couple de « L’Angelus» de Millet, disposée autour d’une tête lumineuse du Christ crucifié. Au-dessus de cette explosion mystique, le peintre a reproduit un curieux fourgon ferroviaire. Pour Dali la gare de Perpignan est le centre de l’univers qui commencerait à converger dans cette gare.
Le 27 août 1965, invités par le peintre catalan Felip Vila, Dali et Gala entreprennent leur fameux voyage au « Centre du monde». Perpignan entre dans l’histoire. Ce fameux 27 août 1965, rassemble un monde fou. Venu de Céret, le maître, accompagné de Gala, sa muse, débarque à la gare à bord d’un wagon à bestiaux, où il a fait installer deux fauteuils. Accueilli par une foule en liesse brandissant des cartons de lessive Génie Dali, flanqué du capitaine Moore, son secrétaire, et d’un ocelot vivant, prononce, à propos de la gare, un discours « scientifique». Après une traversée de la ville en calèche, affublé de lunettes blanches figurant des yeux de mouche, Dali se rend au mas Sant-Vicens. Là, en costume d’amiral, assis sur un trône digne d’un roi africain, il éructe, l’air inspiré, de mystérieuses onomatopées avant d’assister à des sardanes endiablées!

BMPT

Seuphor qui, quarante ans plus tôt, avançait au cœur des avant-gardes, voit aujourd’hui cette frontière agitée de nouveau en mouvement. Des recherches radicales inédites surgissent avec la volonté affichée de remettre à plat la question de la peinture. Après l’encombrante proposition lettriste, l’émergence du groupe Zéro en Allemagne, c’est à Paris qu’une nouvelle radicalité s’exprime.
Le 3 janvier 1967 dans le cadre du salon de la Jeune Peinture au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, quatre jeunes artistes , Daniel Buren, Olivier Mosset, Michel Parmentier et Niele Toroni présentent un travail qui pose une nouvelle radicalité dans l’art. Ils annoncent leur position dans un tract polémique :

« Puisque peindre c’est un jeu.
Puisque peindre c’est accorder ou désaccorder des couleurs.
Puisque peindre c’est appliquer (consciemment ou non) des règles de composition.
Puisque peindre c’est valoriser le geste.
Puisque peindre c’est représenter l’extérieur (ou l’interpréter, ou se l’approprier, ou le contester, ou le présenter).
Puisque peindre c’est proposer un tremplin pour l’imagination.
Puisque peindre c’est illustrer l’intériorité.
Puisque peindre c’est une justification.
Puisque peindre sert à quelque chose.
Puisque peindre c’est peindre en fonction de l’esthétisme, des fleurs, des femmes, de l’érotisme, de l’environnement quotidien, de l’art, de dada, de la psychanalyse, de la guerre au Vietnam. 
»

NOUS NE SOMMES PAS PEINTRES.

Constatez-le, le 3 janvier 1967, 11, avenue du Président Wilson.

Les quatre artistes se partagent les formes spécifiques de leur démarche : Daniel Buren utilise une bande verticale alternée blanche et colorée de 8,7 cm qui raye verticalement ses toiles. Olivier Mosset répète des cercles noirs identiques sur des fonds blancs. Michel Parmentier peint à la bombe sur une toile pliée toute la surface exposée pour ensuite la déplier produisant ainsi des bandes horizontales de couleur s’alternant aux bandes blanches de la réserve du pli. Niele Toroni exécute des empreintes de pinceau n° 50, espacées régulièrement tous les trente centimètres. sur la toile cirée à intervalle régulier.

Le groupe formé le 24 décembre 1966 se produira lors de quatre manifestations jusqu’en décembre 1967. A l’occasion du second événement, en juin, ils proposent dans une salle de conférences accrochées, au-dessus de la scène, sur deux rangées, quatre toiles de même forme.

1 Entretien avec Ivan González, Imagen Caracas, n° 32,Sept.1968, p 9/10

2 Oui. La révolution paranoïaque-critique, l’archangélisme scientifique, Salvador Dalí, Éditions Denoel 2004

Coups de chapeau

Portrait de Daniel Buren en Arlequin

« Nous ne sommes pas peintres

Buren Vuitton2 (1) copie

« Nous ne sommes pas peintres » scandaient en choeur en 1967 les trublions de BMPT (Daniel Buren, Olivier Mosset, Michel Parmentier, Niele Toroni), jetant là les bases d’une critique radicale de la peinture et de la situation de l’artiste. Depuis le temps de ces postures désormais historiques, Daniel Buren a reconsidéré la pratique de son art au profit notamment d’une approche de la couleur utilisée en fonction du lieu qui s’offre à lui. Ce qu’il signe aujourd’hui à la Fondation Vuitton à Paris marque de façon spectaculaire le dernier état visible de ce travail « In situ », épousant dans sa totalité l’architecture de Frank Ghery. Ami de l’architecte depuis plus de quarante ans, Daniel Buren a bénéficié de la complicité  de celui qui, après avoir délivré sa création au regard du public, se sentait désormais prêt à la voir accaparée par la démarche du plasticien. Daniel Buren pouvait alors investir les voiles de ce vaisseau immobile avec toute l’expérience acquise sur ce travail lumière/couleur dans d’autres lieux d’art réputés, à commencer par « Around the Corner »  au Solomon R. Guggenheim Museum de New York (2005).
»

Buren Vuitton (8) copie
Buren Fondation Vuitton vue intérieure

La mise en œuvre d’un tel projet a déjà constitué un challenge impressionnant : les douze voiles de verre de la Fondation Vuitton, chacune de forme et de courbure différente, sont composées de plus de trois mille huit cents panneaux sérigraphiés. Daniel Buren a appliqué sur de damier transparent des filtres colorés (un rectangle de verre sur deux) sur chacune des voiles entourant le bâtiment. Treize couleurs interviennent pour composer cet habit d’Arlequin. L’équipe d’opérateurs à travaillé en nocturne pendant cinq semaines pour mener à bien l’installation de ces filtres colorés, tous de formes et de tailles différentes.

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« Observatoire de la lumière« 

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Daniel Buren 10 mai 2016 à la Fondation Vuitton

Aujourd’hui pour la première présentation de cet « Observatoire de la lumière« , un invité de marque manquait à l’appel : le soleil. Son absence fut regrettée. Mais déjà, en dépit de ce manque de savoir vivre, le soleil n’a pu empêcher de laisser entrevoir combien l’architecture complexe, tourmentée de Frank Ghery offrait à Buren un jeu sans limite de couleurs, reflets, ombres colorées, du sol au plafond, sur tous les plans intérieurs du bâtiment. Sous un soleil éclatant, le stratagème d’Arlequin imaginé par Daniel Buren ne peut que se déployer dans cette mise en scène précise et pourtant livrée aux fantasques manifestations de la transparence, des jeux de cette lumière naturelle changeant au fil des jours.
Et comme un Arlequin peut en cacher un autre  Daniel Buren nous surprend avec l’installation à côté de la Fondation Vuitton d’un « Buren Cirque ». Créée au début des années 2000 par l’artiste, en association avec les pionniers du cirque contemporain Dan et Fabien Demuynck, cette expérience pluridisciplinaire accueillera le public au sein de trois cabanons-lampions, pour trois représentations exceptionnelles.
Daniel Buren troque avec cette double initiative le costume rigoureux de l’artiste théoricien exigeant pour cet habit d’Arlequin extravagant auquel la Fondation Vuitton abandonne la maîtrise de son image. Sur cette scène inédite pendant des mois les pièges de la lumière et des couleurs n’en finiront pas d’attirer des milliers de photographes à la recherche de leur cliché d’exception.

Photos: de l’auteur

L’Observatoire de la Lumière de Daniel Buren
Fondation Louis Vuitton.
8 avenue du Mahatma Gandhi, Bois de Boulogne
Paris 16e.
A partir du 11 mai 2016.

Daniel Buren dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

Pour mémoire

François Ristori : la règle du jeu

Exposition Ristori, galerie Jean Brolly Paris 2015
Exposition Ristori, galerie Jean Brolly Paris 2015

C’est seulement cette semaine que j’apprends le décès de l’artiste François Ristori en janvier dernier, cette disparition n’ayant fait l’objet à ma connaissance d’aucune information publique notable. Après avoir été présenté plusieurs fois par la galerie Yvon Lambert, le travail  de cet artiste discret semble avoir traversé une période de relatif oubli. L’exposition de la galerie Jean Brolly à Paris redonne aujourd’hui à l’itinéraire exigeant de François Ristori une place légitime.
Exigeant paraît même un mot faible lorsque l’on examine le parcours de l’artiste. Car il faut remonter aux années qui précèdent et annoncent les travaux de Supports/Surfaces et du groupe BMPT (Buren, Mosset, Parmentier, Toroni)  pour saisir dès 1967 le point de départ d’un protocole dont ne s’est jamais écarté celui qui avait très tôt fixé les règles de son travail :

Traces-/formes

« Traces-/formes hexagonales s’engendrant les unes les autres, alternativement en bleu, en rouge, en blanc, jusqu’à occuper la totalité d’une surface, obtenues l’une après l’autre, à partir d’un hexagone d’une trame préalablement établie, en intervenant systématiquement sur chacun des côtés, selon une méthode qui consiste à réitérer un même acte-tracé qui s ‘ effectue toujours selon un même processus et suivant des principes déterminés, entre deux points de repère situés près de chaque extrémité de ces côtés, tantôt à l’extérieur tantôt à l’intérieur de l’hexagone. » (1970)

Ristori 2
Travail au sol François Ristori 1976

Alors qu’il n’a pas été invité à participer à la Biennale de Paris en 1969, Daniel Buren et Niele Toroni se retirent pour lui céder leur place. A cette occasion, il montre  ses premières Traces-/formes.  A la différence des peintres de Supports/Surfaces ou de BMPT, François Ristori est resté un homme seul ce qui lui a peut-être nui alors que les artistes en groupe ont vu leur notoriété se développer au fil des années. Ristori était un homme réservé voire secret, réticent même lorsque je le rencontrai à me communiquer les règles écrites, véritables tables de la loi de sa démarche. Heureusement dans mes archives figurait le bulletin sur son exposition dans les années soixante dix chez Ben Vautier avec les précieuses informations. Cette véritable règle du jeu établie très tôt dans son œuvre a engagé durablement la vie de François Ristori , règle de travail mais également gouverne de vie, proche d’un jansénisme ingrat.
L’exposition de la galerie Jean Brolly retrace ainsi de 1965 à 2013 un parcours d’une exigence absolue. Après avoir travaillé avec quatre couleurs, le peintre s’est limité au bleu et au rouge : « le bleu et le rouge avec le blanc forment un ensemble immédiatement visuel et renvoient à un certain anonymat déjà vulgarisé.« 
C’est au prix d’une vie totalement vouée à ce projet que l’œuvre a conservé ce qui pourrait apparaître comme le résultat d’une contrainte rigide. Ce questionnement radical sur la peinture a traversé les années et l’ensemble des toiles de Ristori atteste cette rigueur proche de l’austérité. Comment se débarrasser des notions de don, de talent, d’inspiration, d’expression, de vision intérieure ? François Ristori a voulu libérer sa peinture de tout message. C’est bien seulement de toiles, de châssis, de pinceaux, de pigment qu’il est question. Ce cheminement solitaire imprime au bout du compte une empreinte singulière à côté des artistes dont il était proche conceptuellement. François Ristori qui avait prévu cette exposition et choisi plusieurs œuvres marquantes, laisse sur plus de quarante années de ses Traces-/formes, les témoignages d’une rigueur irréductible.

Photos Galerie Jean Brolly

André Morain : photo ext. rue

Quentin Lefranc: exposition galerie

François Ristori – « peintures : 1965-2013 »
du 19/06/2015 au 31/07/2015
Galerie Jean Brolly
16 rue de Montmorency
75003 Paris

François Ristori dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

Livres

La crise de l’art abstrait ?

Le titre de cette thèse de doctorat d’Hélène Trespeuch , « La crise de l’art abstrait , 
Récits et critique en France et aux Etats-Unis dans les années 1980″, cerne l’interrogation sur un moment de l’histoire de l’art. Le retour de la peinture figurative, l’avènement du post-moderne, la mutation du marché de l’art tant au plan national qu’international, toutes ces composantes ont changé la donne pour un art abstrait connu comme l’avancée la plus significative de la peinture. Il s’agit dont de revisiter cette période pour réévaluer son importance, sa place, son évolution.crise art abstrait

L’histoire d’une histoire

Dès l’instant que l’on précise que cette étude repose sur des sources multiples telles que les manuels d’histoire de l’art, des revues d’art majeures (Art press, October), ainsi que des catalogues d’expositions références, on comprend que ce n’est pas seulement l’histoire de l’art abstrait qui est en question mais  peut-être surtout l’histoire de l’histoire de l’art abstrait. Car le premier symptôme décrit par l’auteur concerne « Les années 1960 : les débuts d’une crise historiographique« .
L’histoire de l’art abstrait qui nous était racontée (inventée?) provenait en effet, jusque-là, surtout des artistes eux-mêmes avant que les critiques s’emparent de cette narration. Dans les années cinquante, Clement Greenberg aux Etats-Unis, Léon Degand, Charles Estienne, Michel Ragon, Michel Seuphor et Michel Tapié dessinent les contours de cette récriture. Lorsqu’aux Etats-Unis le Pop-Art  manifeste une rupture avec l’abstraction de l’école de New-York et, quand en France le Nouveau réalisme prend lui aussi ses distances avec la seconde école de Paris, on ne peut éluder la réflexion sur cette évolution.  En France, au-delà du raz de marée cinétique et lumino-cinétique, la véritable remise à plat de l’art abstrait sera davantage le fait de Supports-Surfaces et du groupe BMPT. Si on y ajoute le rejet plus général de la peinture, on comprend que l’évocation d’une crise n’est pas illégitime. Mais comme la mort de la peinture est toujours reportée au lendemain, il faut bien s’interroger alors sur la véritable place de l’art abstrait.

Au centre de l’art abstrait

Lorsque je rencontrai Michel Seuphor dans les années soixante dix, son appartement de l’avenue Emile Zola à Paris pouvait se revendiquer à l’époque comme le centre névralgique de l’art abstrait. Celui qui avait été l’ami proche et l’historiographe de Mondrian  apparaissait, avec son statut à la fois d’écrivain, de critique d’art, d’artiste, de commissaire d’expositions, comme le grand témoin de l’art abstrait. Déjà le  marchand et galeriste Aimé Maeght l’avait mis au pied du mur avec une proposition ferme:  » Les journaux ne disent que des imbécillités, on ne sait pas ce qui s’est passé, c’est vous qui le savez. Vous allez écrire un ouvrage sur l’histoire de l’art abstrait telle que vous la connaissez, telle que vous l’avez vécue. Je vous donne carte blanche, vous pouvez écrire ce que vous voulez. Liberté totale…Je vous donne trois minutes pour réfléchir et trois mois pour le faire. ».
Dans les années quatre-vingt et quatre-vingt dix ce temps est révolu. D’autres écrivains abordent sur un plan plus théorique l’art de leur temps.L’existence de la revue Tel Quel, l’apparition de noms comme ceux de Philippe Sollers, Marcelin Pleynet  entrainent une réévaluation de cette histoire. Il faut se plonger dans l’ouvrage d’Hélène Trespeuch pour appréhender tous les aspects de cette réécriture de l’histoire de l’art abstrait.

La crise d’une histoire

Au-delà du sujet évoqué dans cet ouvrage dense, il reste que la question peut-être décisive reste la suivante : qu’est-ce que l’histoire de l’art ?  Est-elle le fait des artistes eux-même? On pourrait trouver saugrenu que la réponse soit non. Les artistes créent des œuvres, font avancer le questionnement sur la peinture et l’art en général. Pourtant tout semble indiquer que l’Histoire se constitue comme une narration produite par d’autres acteurs. A l’évidence les critiques d’art ont leur part à travers leurs textes analytiques et théoriques sur la production des artistes. Mais également les commissaires d’exposition qui conçoivent des expositions destinées à éclairer les visiteurs sur  tel mouvement produisent un travail de réflexion participant à l’écriture de cette histoire. L’auteur rappelle l’exposition « La couleur seule, l’expérience du monochrome » à Lyon en 1988 qui, de Malevitch à Robert Ryman, retrace un pan important de ce mouvement aux contours mouvants.
Si bien que la crise de l’art abstrait, vue à travers le prisme de ses médiateurs, s’apparente à la crise d’une histoire que les hommes construisent pour tenter de donner un sens à la vie de l’art à travers le temps. C’est alors davantage la crise de l’histoire de l’art abstrait qui serait en cause.

La crise de l’art abstrait ,
Récits et critique en France et aux Etats-Unis dans les années 1980

Hélène Trespeuch
Presses Universitaires Rennes 2014

Expositions

Olivier Mosset, la radicalité en peinture (2)

Toiles en quête d’auteur

Une fois établi le postulat d’une peinture sans peintre, d’une exposition personnelle aux auteurs en partie inconnus, le site du Musée régional d’art contemporain de Sérignan prête ses murs à cette démarche singulière dont le responsable désigné reste Olivier Mosset :
« un ensemble de onze toiles de grand format (300 x 300 cm) recouvertes chacune d’une couleur différente comme une grande variation colorée. Ces peintures, réalisées par d’autres, des « fakes », ou considérées comme « ratées » destinées à disparaître, des « failures », sont finalement conservées.  À l’étage (…) un grand mur monochrome jaune, un mur d’aluminium clin d’oeil aux murs de la Factory de Warhol, une autre reprenant un motif trouvé au Cuartel de Zapata au Mexique, enfin un mural inversé gris et blanc. À leurs côtés, une série de monochromes blancs et un ensemble de monochromes noirs, réalisés à la peinture polyuréthane, sont installés en écho. »

Salle Olivier  Mosset au MRAC de Sérignan 2013

On a bien intégré le fait que l’artiste remet en cause la forme rectangulaire des toiles. Cette remise en cause n’est pas nouvelle, elle  est bien connue, ne serait-ce que par les tenants du mouvement MADI autour de Carmelo Arden-Quin. Mais ici, c’est d’une plus vaste interrogation directe sur l’espace qu’il s’agit. Ces immenses monochromes déterminent un rapport à l’espace qui plonge  obligatoirement le regardeur dans une relation revisitée à l’art, au musée, à la peinture.

Salle Olivier Mosset MRAC de  Sérignan 2013

Le théâtre du tableau

Le visiteur n’est plus un acteur maître du jeu, dominant la situation face à des cimaises où il choisit, privilégie un regard plutôt qu’un autre. Ici, ce visiteur est impliqué dans un espace au sein duquel la vision, le déplacement, les sensations physiques sont à la merci de cet agencement de formes et de couleurs. Ce n’est plus l’artiste qui soumet son tableau à la bonne bonne grâce du visiteur.  C’est lui qui détermine la scène générale au sein de laquelle nous devons interroger notre propres capacité à appréhender ce réel. Au théâtre, le tableau est le nom donné à certaines divisions d’une pièce, qui ne suspendent pas l’action comme le font les actes et entractes. Les tableaux sont marqués par un changement à vue de lieu et de décoration. C’est peut-être cette définition théâtrale du tableau qui conviendrait le mieux pour décrire cette mise en scène de la peinture.

Du zéro à l’infini

Sans titre 1970 Olivier Mosset

Quelque part, au fond d’une des salles, une toile tranche par sa taille modeste. Il s’agit de cette forme qu’on lira comme O ou zéro. Ce cercle noir peint au centre d’un toile carrée blanche  met en perspective l’ensemble de ces monochromes développés sur la totalité du centre d’art. Olivier Mosset, entre 1966 et 1972 a peint quelque deux cents toiles avec ce motif comme s’il tournait lui-même à l’infini dans ce cercle soupçonné d’être le degré zéro de la peinture. Après le Le Degré zéro de l’écriture de Roland Barthes, l’ambition du peintre n’est pas moindre.
Olivier Mosset continuera à séduire ou irriter selon que l’on voudra ou non entrer dans le jeu de cette radicalité dont ne ne peut nier que son auteur tient le cap avec opiniâtreté depuis près d’un demi-siècle.

 Olivier Mosset dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

Photos de l’auteur

Voyage à l’invitation du MRAC de Sérignan

Olivier Mosset

Du 9  mars au 12 juin 2013

Musée régional d’art contemporain
146 avenue de la Plage
34410 Sérignan

Expositions

Olivier Mosset : la radicalité en peinture (1)

Au Musée Régional d’Art Contemporain Languedoc-Roussillon à Sérignan vient de s’ouvrir l’exposition consacrée exclusivement à Olivier Mosset  sur la totalité de ce lieu imposant.
Pas de demi-mesure possible avec un artiste aux positions radicales et qui attire, selon qu’il est admiré ou détesté, des attitudes tout aussi absolues.

La peinture est un concept

Les artistes du groupe BMPT, soit Buren, Mosset et Tonori, même s’ils émettent aujourd’hui des réserves sur le moment de ce qu’ils préfèrent ne pas appeler un groupe, ont cependant dès 1967 posé les bases d’un positionnement  fondamental.
Refuser que la peinture soit un jeu, qu’elle puisse consister à accorder ou désaccorder des couleur, qu’elle puisse valoriser le geste, représenter l’extérieur ou illustrer l’intériorité, refuser que  « peindre c’est peindre en fonction de l’esthétisme, des fleurs, des femmes, de l’érotisme, de l’environnement quotidien, de l’art, de dada, de la psychanalyse, de la guerre au Vietnam. » bref affirmer haut et fort « Nous ne sommes pas peintres », voilà la base de départ de ces artistes radicaux.
Et pour mieux affirmer ce refus d’être peintre, ils se sont servis …. de toiles, de pinceaux et de couleurs.
C’est donc que, pour se référer à l’incontournable coupure de Duchamp, la peinture après lui ne répondait plus à ces paramètres qui ont accompagné l’histoire de l’art.
Pour en revenir particulièrement à Olivier Mosset, la peinture apparaît comme un concept.
Ce n’est plus l’œuvre d’un artiste avec son aptitude personnelle à réaliser, ce n’est pas davantage l’expression d’un monde intérieur, sanctionné par une signature  que nous devons  prendre en compte.

Loin de l’abstraction géométrique

Pour ces raisons, mettre en relation le travail d’Olivier Mosset avec l’histoire  de l’abstraction géométrique serait,  je crois,  une erreur.  Les peintres de cette abstraction, elle aussi radicale, s’inscrivaient, me semble-t-il, dans l’histoire de la peinture avec cette volonté de la pousser dans ses retranchements, en quête d’un absolu. J’entends encore Aurélie Nemours m’évoquer sa démarche Janséniste et son évolution irrésistible d’une figuration vers son abstraction intransigeante. J’entends encore Luc Peire me décrire comment sa peinture glissait progressivement de la figuration à l’abstraction, s’imposant presque à son corps défendant pour aboutir à ce verticalisme abstrait vertigineux.
L’absolu vers lequel tendaient ces peintres n’était pas le fait d’un position radicale de principe et de départ, mais le glissement irrésistible d’une histoire de la peinture.

Le degré zéro de la peinture

C’est donc de bien autre chose qu’il s’agit lors du Salon de la Jeune peinture de 1967 au musée d’art moderne de la ville de Paris. Buren, Mosset, Parmentier et Toroni déterminent alors  le degré zéro de la peinture.  A l’instar du zéro absolu des températures, ce point est théorique et inaccessible. C’est donc bien sur des positions théoriques, conceptuelles, voire virtuelles que se situe un Olivier Mosset qui nous propose une peinture sans peintre. Il ne fallait pas moins que les 2700 mètres carrés du MRAC de Sérignan pour démontrer cette contradiction. A suivre.

Olivier Mosset dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

Voyage à l’invitation du MRAC de Sérignan

Olivier Mosset

Du 9  mars au 12 juin 2013

Musée régional d’art contemporain
146 avenue de la Plage
34410 Sérignan

Portraits

Niele Toroni : l’absolu en peinture

Niele Toroni, prix Meret-Oppenheim

Le prix Meret-Oppenheim est décerné chaque année par l’Office fédéral suisse de la culture. Il s’agit de l’une des rares distinctions expressément destinée à des artistes moins jeunes. L’âge minimal des lauréats est de quarante ans. Il y a quelques jours le peintre Niele Toroni vient d’être l’un des heureux bénéficiaires de ce prix.

Niele Toroni au travail.

Niele Toroni appartient à une génération d’artistes suisses qui ont quitté leur pays pour aller vivre à Paris. Dans la capitale française depuis 1959, il  a développé en 1967 une conception artistique radicale dont il ne s’est depuis pas éloigné d’un pouce Il n’est ni banal ni facile de consacrer quarante ans de son travail à l ’exigeante démarche qui consiste à poser des «  Empreintes de pinceau n°50 répétées à intervalles réguliers de 30 cm. ».

Le temps de BMPT

Cette radicalité n’a pas été, sur le moment, le fait d’un artiste solitaire mais au contraire, le fruit d’une démarche collective exigeante, voire intransigeante : le Groupt BMPT bien connu, qu’il partage avec Daniel Buren, Olivier Mosset, et Michel Parmentier.
Lorsque l’on rencontre Niele Toroni, il faut se faire à l’idée que le peintre entretient avec constance une attitude délibérément détachée, apparemment  revenue de tout et décrivant son travail comme celui d’un peintre se rendant chaque matin au travail à la façon de tout autre travailleur. Niele Toroni passe très vite sur la moment collectif de BMPT. François Morellet se définit comme « rigoureux, rigolard ». Cette définition, me semble-t-il, conviendrait parfaitement à la personnalité de Toroni toujours prêt à prendre ses distances avec le discours, les commentaires. Lorsque l’on évoque  BMPT, l’artiste  passe assez rapidement sur cette période collective. Il faut dire que le manifeste de BMPT clamait en 1967:
« Puisque peindre c’est un jeu.
Puisque peindre c’est accorder ou désaccorder des couleurs.
Puisque peindre c’est appliquer (consciemment ou non) des règles de composition.
Puisque peindre c’est valoriser le geste.
Puisque peindre c’est représenter l’extérieur (ou l’interpréter, ou se l’approprier, ou le contester, ou le présenter).
Puisque peindre c’est proposer un tremplin pour l’imagination.
Puisque peindre c’est illustrer l’intériorité.
Puisque peindre c’est une justification.
Puisque peindre sert à quelque chose.
Puisque peindre c’est peindre en fonction de l’esthétisme, des fleurs, des femmes, de l’érotisme, de l’environnement quotidien, de l’art, de dada, de la psychanalyse, de la guerre au Vietnam.  

NOUS NE SOMMES PAS PEINTRES ! »

Exposition Niele Toroni à la galerie Yvon Lambert à Paris en 2006

Je suis peintre !

C’est pourtant bien de peinture qu’il s’agit chez Niele Toroni, d’une position radicale, absolue. Une peinture « réduite » à l’essentiel ? Peut-être devrait-on écrire accédant à l’essentiel. Depuis un demi-siècle, même s’il décline à l’infini ce jeu autour de ce pinceau N° 50, Toroni ne peint pas un même tableau, il trace un sillon indélébile  et, avec un pied de nez au manifeste de BMPT, assène:  » JE SUIS PEINTRE ! ».

 

Niele Toroni dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

Photos :
– Toroni au travail source : http://www.poptronics.fr/Les-muses-inspirent-Paul-Armand
– Exposition Galerie Yvon Lambert : de l’auteur.

 

La remise des prix Meret-Oppenheim aura lieu le 7 novembre 2012 à 18 heures au G27, Grubenstrasse 27, à Zurich.