Seuphor, libre comme l'art

Seuphor, libre comme l’art : le G.R.A.V.

Le blog des Chroniques du Chapeau noir poursuit la publication de « Seuphor, libre comme l’art », écrit par Claude Guibert sur la vie de l’écrivain, historien et artiste Michel Seuphor (1901-1999), de son vrai nom Fernand Berckelaers. Ce livre a été écrit en 2008 et sera publié intégralement à raison de quelques pages par publication, une fois par semaine.

Publication N° 73

Le GRAV

Au mois de juillet 1960, apparaît sur la scène artistique une nouvelle formation de l’art cinétique, le Groupement de recherche d’art visuel. L’acte fondateur est signé par Demarco, Garcia Miranda, Garcia Rossi, Le Parc, Vera Molnar, Morellet, Mayano, Servanes, Sobrino, Stein, Yvaral. Leur objectif : considérer le phénomène artistique en tant qu’expérience strictement visuelle située sur le plan d’une perception physiologique et non émotive. Au-delà de la préoccupation plastique, le groupe ambitionne de modifier durablement la relation entre l’art et le spectateur. Le principe fondamental auquel adhèrent ses différents membres, avec plus ou moins d’enthousiasme, est la dévalorisation de « l’artiste » et du « chef-d’œuvre », au profit d’une sollicitation du spectateur. Le collectif va se resserrer autour de Garcia Rossi , Le Parc , Morellet, Sobrino, Stein et Yvaral, ce dernier suivant les traces de son père Victor Vasarely. Ils décident de continuer à signer personnellement leurs œuvres et de poursuivre un travail individuel sur des matériaux de base, tout en élaborant collégialement des problèmes esthétiques tels que l’abandon de la deuxième dimension afin d’éviter toute connivence avec l’esthétique picturale. Ainsi Sobrino opte pour le plexiglas, Yvaral pour les fils de nylon et de vinyle tendu, Le Parc pour la lumière et le plexiglas, Stein pour les trièdres et la polarisation, Garcia-Rossi pour les boîtes à réflexion lumineuse et Morellet pour la programmation des pulsions de tubes de néon.
Le GRAV, bien décidé à secouer les habitudes visuelles ainsi que les pratiques sociales dans la relation art/spectateur, recourt à l’agitation. Dans la Biennale de Paris de 1961, ils produisent un trac distribué dans la manifestation sous le titre de « Assez de mystifications ». Le ton est donné :

Le Parc, Sobrino, Yvaral, Morellet, Stein, Garcia-Rossi en 1963

Le GRAV signale

1/ la platitude et l’uniformité des œuvres exposées,

2/ la lamentable situation de dépendance de la « Jeune génération »,

3/ La soumission absolue de la « Jeune Peinture » aux peintres consacrés (Nous espérons qu’il s’agit là seulement d’une crise de croissance)

4/ L’inconséquence et  l’inconscience chez les exposants et organisateurs des caractères réels de la vie où l’homme de notre temps est plongé ». 1

Suivent de nombreuses affirmations sur les positions du groupe. Deux ans plus tard, le troisième Biennale offre une place majeure au G.R.A.V. A cette occasion, les artistes disposant du grand hall d’entrée du musée d’Art moderne, privilégient la production collective. Pour enfoncer le clou, ils accompagnent leurs propositions plastiques d’un nouveau tract en forme de profession de foi :

–  «  Nous voulons intéresser le spectateur, le sortir des inhibitions, le décontracter. Nous voulons le faire participer. Nous voulons le placer dans une situation qu’il déclenche et transforme. Nous voulons qu’il soit conscient de sa participation. Nous voulons qu’il s’oriente vers une interaction avec d’autres spectateurs. Nous voulons développer chez le spectateur une forte capacité de perception et d’action. Un spectateur conscient de son pouvoir d’action et fatigué de tant d’abus et mystifications, pourra faire lui-même la vraie  « révolution dans l’art ». Il mettra en pratique les consignes :

DÉFENSE DE NE PAS PARTICIPER

DÉFENSE DE NE PAS TOUCHER

DÉFENSE DE NE PAS CASSER » 

                               A Paris, octobre 1963 le G.R.A.V.

Le comportement provocant des jeunes artistes du G.R.A.V.  agace Seuphor. Ce qu’il considère comme de l’insolence ne se limite pas à l’attitude de jeunes artistes turbulents. Il n’accepte pas que l’on se moque de la poésie et de la métaphysique. Il se sent blessé par ce qu’il prend pour une attitude primaire. En février 1971, Yvaral lui écrit pour s’étonner de le voir refuser leur présence à ses côtés dans une brochure « Formes et couleurs » et lui propose une rencontre avec les membres du groupe.

Seuphor décline l’invitation de façon cinglante :

– « Une originalité se conquiert et, peut-être se mérite. Vous n’avez, pour l’heure, que le mérite d’être le fils de Vasarely, ce qui vous donne beaucoup d’atouts. De toute manière, un contact entre votre groupe et moi n’est pas désirable, ce qui m’est cher étant pour vous un objet de dérision (…) ». 2

1 Cité dans « Julio Le Parc » JL Pradel catalogue Severgnini 1995 p 274

2 Archives ANCV  S 59 / Galerie Denise René

Expositions

Iván Navarro : Albers plus l’électricité

II sera dit que rien n’aura résisté cette année à la vague lumino-cinétique à Paris. La  galerie Daniel Templon  cède à son tour à l’irrésistible déferlement et présente Iván Navarro. Artiste Chilien né en 1972 à Santiago, Iván Navarro a grandi sous la dictature de Pinochet. Il est installé depuis 1997 aux Etats-Unis.

 

Murio La Verdad 2013 Ivan Navarro

Hommage au carré

« Les fenêtres-tableaux lumineux d’Iván Navarro, échos aux Hommage to the Square d’Albers, soumettent les carrés démultipliés à l’infini à un clignotement programmatique implacable. Des mots se détachent sur chacune des compositions : Amarga presencia (Présence amère), No llegan a tiempo (Ils n’arrivent pas à temps)… »

Enjeu politique ?

Iván Navarro  reprend les boites à lumière programmées que Grégorio Vardanega créait il y a un demi-siècle. A l’époque, Vardanega s’intéressait au jeu à la fois lumineux et sonore pour ses créations dans une recherche plastique qui prolongeait celles du groupe Arte Concreto-Invencion dont il était membre en Argentine avant d’arriver en France. Iván Navarro a pour ambition de reprendre les formes d’Albers pour mettre en jeu une réflexion et un engagement qui dépasse le simple jeu optique.
On connait l’itinéraire mouvementé d’Albers qui émigre aux États-Unis après la fermeture du Bauhaus en 1933 par les nazis et enseigne au Black Mountain College jusqu’en 1949. Après son départ pour les Etats Unis il s’intéresse aux effets psychiques qu’engendre l’interaction de deux couleurs voisines. Cette recherche fondamentale n’a pas de frontières ni de régime politique. Quand bien même Albers et son épouse ont souffert du nazisme au point de devoir fuir l’Allemage, ce n’est pas une approche politique qui surgit dans l’ oeuvre de l’ancien directeur du Bauhaus.

C’est en cela que la démarche d’ Iván Navarro tranche singulièrement dans cet hommage à Albers par une volonté d’inclure dans l’oeuvre  un paramètre politique marqué. Avec leur programmation, leur animation, les carrés lumineux d’Iván Navarro induisent, en effet, un espace peut-être infini pouvant renvoyer à des notions d’enfermement, de contrainte.

Untitled (Twin Towers) Ivan Navarro

Twin Towers

Par ailleurs,  reprenant les mêmes formes minimales, une autre oeuvre lumineuse évoque les tours jumelles de New York. Les néons reflétés recréent en profondeur dans le sol la hauteur de ces gratte-ciels, effet que l’artiste revendique comme «un anti-monument au pouvoir économique des Etats-Unis, chargé de son propre trauma social ».
Au regard de l’ensemble du mouvement lumino-cinétique tel qu’il est remis en lumière dans l’exposition DYNAMO au Grand Palais ou l’exposition Le Parc au Palais de Tokyo à Paris, c’est cette ambition politique qui tranche. Les artistes historiques de ce mouvement, héritiers de l’art construit et de l’art concret se situaient dans une recherche plastique . Et lorsque Julio Le Parc, pour sa part,   s’est engagé dans une démarche politique et militante, il eut recours à d’autres moyens que les outils lumino-cinétiques.

Photos:Galerie Daniel Templon

Ivan Navarro
Where is the next war ?
25 avril – 1 er juin 2013
Galerie Daniel Templon
30 rue Beaubourg
75003 Paris

 

 

 

Expositions

Dynamo : pendant l’art contemporain, l’art cinétique continue.

Voilà plusieurs semaines, depuis le début de l’année, que l’occasion se présente de signaler et rappeler la vague cinétique qui déferle sur Paris  (Art cinétique , retour en force). Julio Le Parc au Palais de Tokyo, Jésus Rafael  Soto au Centre Pompidou, les mêmes dans les galeries Denise René, Sobrino à la  galerie Nmarino…
L’exposition Dynamo au Grand Palais à Paris marque une étape essentielle de ce retour en grâce de l’art cinétique et lumino-cinétique. Assurément cette exposition imposante permettra à un public jeune qui peut ne pas connaître ce mouvement singulièrement délaissé depuis vingt ans, de mettre à jour sa connaissance.

Retour aux sources

L’exposition présente les racines de l’art cinétique… en fin d’exposition. Difficile d’éviter l’encombrant Marcel Duchamp qui, dès 1913, proposait le tout premier Ready-made composé d’un tabouret et d’une roue de bicyclette, cinétique donc… C’est bien le même Duchamp qui, en 1920, dans « Rotative, plaques, verre » créait une œuvre animée électriquement, motorisée, aux effets optiques novateur. C’est peut-être avant tout à Num Gabo, peintre, sculpteur et architecte, venu de Moscou, qui  s’est installé dans une usine désaffectée dans la banlieue ouest de Berlin, à Licherfelde-Ost, que l’on doit une véritable préoccupation cinétique. L’auteur avec son frère Pevsner du «Manifeste réaliste » s’oppose à « l’erreur millénaire héritée de l’art égyptien, qui voyait dans les rythmes statiques les seuls éléments de la création plastique », Gabo, dans cet atelier de la périphérie de Berlin, est en train d’inventer l’art cinétique. Le jeune écrivain belge Michel Seuphor, en visite dans l’atelier de Gabo en 1922, aperçoit, sur une table, dans l’encombrement de travaux en cours, « une sorte de tige dressée sur un pied et ça bougeait » .
D’ Amérique Latine, aux sources de l’art concret avec Carmelo Arden-Quin, une école de l’art cinétique et lumino-cinétique naîtra et débarquera en France.

Une place dans l’Histoire

« Chromo-saturation » Carlo Cruz-Diez

Il est ainsi satisfaisant de voir reconnus pour l’histoire des artistes si bien délaissés depuis vingt ans. Certains sont morts (Vardanega, Bury ). J’entends encore leur témoignage personnel, leurs regrets de cet oubli, pour tout dire leur déception. D’autre, âgés, profitent de cette mise en lumière. Ainsi Cruz-Diez dont les chromo-saturations n’ont pas vieilli depuis  un demi-siècle : « Ces œuvres sont liées à l’idée qu’à l’origine de toute culture se trouve un évènement primaire comme point de départ. Une situation simple qui engendre tout un système de pensée, une sensibilité, un mythe, etc. ».
D’autres encore ont conservé une actualité pour une recherche qui se développait sur d’autres terrains, notamment François Mollet qui connaît la part belle pour son oeuvre personnelle et sa participation au G.R.A.V. dont le labyrinthe est reconstitué au grand Palais.

Un art contemporain

L’exposition offre, avec des artistes plus jeunes, un regard sur une création actuelle : Ann Veronica Janssens , Saâdane Afif ou Philippe Decrauzat apportent un sang neuf dans ce mouvement. La mise en perspective avec le minimalisme américain est-elle aussi bien justifiée ? Lorsque l’exposition « The Responsive Eye » à New-York en 1965 consacre le mouvement cinétique , les artistes du minimalisme sont-ils influencés ?  Dan Flavin, bien représenté dans l’exposition, permet de poser la question.

Dan Flavin Grans Plais

Cette confrontation a le mérite de replacer le mouvement de l’art lumino-cinétique dans une perspective  où cet art retrouve sa validité contemporaine, qualité qui lui était pourtant bien contestée depuis un certain nombre d’années.

 

 

Photo Cruz-Diez et Dan Flavin:de l’auteur

 

« Dynamo, un siècle de lumière et de mouvement dans l’art 1913-2013 ».

Commissaire d’exposition: Serge Lemoine
Grand Palais, Paris 7e. Jusqu’au 22 juillet.

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Expositions

Julio Le Parc, d’une révolution à l’autre

Pénétrables

Pénétrable Julio Le parc entrée exposition Palais de Tokyo Paris 2013

C’est la même idée scénographique qui préside à l’ouverture des expositions Soto au Centre Pompidou et Julio Le Parc au Palais de Tokyo à Paris actuellement. Dans les deux cas, il faut passer par un pénétrable pour accéder à la suite de l’exposition. Cette idée est juste car elle oblige le visiteur à se mettre en condition pour accepter de voir ses sens perturbés dans chaque parcours. Pour autant, l’exercice n’est pas exactement du même ordre dans les deux cas. Pour Soto, tant bien que mal en avançant à l’aveugle, on sort sans difficulté de l’obstacle. Pour Julio Le Parc, ce pénétrable constitué de lamelles larges réfléchissantes comme des glaces n’aboutit qu’à une seule sortie possible, tout le reste étant fermé. Je dois avouer , à ma grande confusion, avoir un fait un tour pour rien avant de retrouver (grâce à l’aide bienveillante d’un gardien) la sortie libératrice. Je veux croire, par fierté, que beaucoup d’autres ont subi la même humiliation.

« Sphere rouge » de Julio Le Parc au Palais de Tokyo 2013

Il faut donc mériter l’accès à l’exposition Le Parc qui vaut bien cet effort. Beaucoup de ces œuvre sont connues et ont été montrées dans diverses circonstances. En France, il est possible que cela remonte néanmoins à l’exposition  à l’espace Electra (EDF) en …  1995.

Assurément l’exposition Le Parc est la plus imposante actuellement à Paris dans la surprenante vague cinétique qui déferle et le restera au plan monographique même si, dans son importance, la très prochaine exposition Dynamo au Grand Palais sera concurrente.

La révolution du GRAV

Julio Le Parc a participé au sein du G.R.A.V à  l’ ambition révolutionnaire du groupe, dès 1961,  de modifier structurellement les relations à l’art. : transformer le rapport artiste-société, modifier le rapport oeuvre-oeil, dépasser les valeurs plastiques traditionnelles. Ce même groupe devait hausser le ton lors de la troisième biennale de Paris en 1963 :  « Assez de mystifications » lançaient ces artistes, estimant que l’on ne sortait pas d’un circuit bouclé de l’art, cercle vicieux dans lequel il n ‘y avait pas d’ouverture possible.
Julio Le Parc a  participé activement à cette ambition transformatrice. Les oeuvres cinétiques de ces années illustrent cette vocation

L’autre révolution

Mais Julio Le Parc n’ a jamais perdu de vue un autre militantisme, directement politique celui-là. Grand prix de la biennale de Venise en 1966,  Il est expulsé de France en 1968 pour avoir participé à l’atelier populaire des Beaux-Arts qui créait les affiches de mai 68, expulsion maintenue malgré l’émotion suscitée auprès  d’autorités culturelles (Anthonioz, Lassaigne, voire Malraux). De retour en France, il conserve son potentiel de contestation. Ainsi, il fait partie des artistes qui refusent de participer à l’exposition 72/72 au Grand Palais, en 1972, exposition considérée comme caution du pouvoir. Ses participations à la Brigade des artistes antifascistes (  Pour le Chili Athènes, 1975, Pour l’Amérique Latine Nancy, 1977, Pour le Salvador Paris, 1981)  jalonnent cet itinéraire militant.

« Salle de jeux » de Julio Le Parc, au Palais de Tokyo, des punching balls à l’effigie du patron, du curé, de l’intellectuel, du juge ou du professeur

Dans l’exposition du Palais de Tokyo, une salle propose un immense jeu de punching balls invitant à cogner des figures d’autorité, militaire, père, prêtre, patron, juge. Un jeu de fléchettes suggère de « choisir ses ennemis« , de l’ »impérialiste » à l’ »intellectuel neutre » en passant par le « capitaliste » ou le « militaire ».

Et si l’artiste propose tout un jeu de lunettes à grilles variables pour voir le monde autrement, cette intention ne se limite pas à la vision optique. Julio Le Parc entend nous entrainer dans un déformatage à la fois du regard et de la pensée.
« D’une manière générale, par mes expériences, j’ai cherché à provoquer un comportement différent du spectateur (…) pour trouver avec le public les moyens de combattre la passivité, la dépendance ou le conditionnement idéologique, en développant les capacités de réflexion, de comparaison, d’analyse, de création, d’action. »

Cette révolution là reste présente dans les préoccupations de ce  jeune artiste indocile de quatre-vingt cinq ans.

 

Julio Le Parc dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

Photos de l’auteur.
Julio Le Parc, Palais de Tokyo
13 avenue du Président Wilson, Paris 16e
Du 27 février au 20 mai 2013
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Expositions

Francisco Sobrino en noir et blanc

Cinéma

Francisco Sobrino

Pour rafraichir la mémoire sur le mouvement de l’art cinétique et de l’op-art  il faut, paradoxalement, rechercher le plus souvent dans des documents filmés en noir et blanc. C’est le cas notamment des films d’archives du G.R.A.V. auquel a participé Francisco Sobrino. Cette actualité de l’artiste espagnol est  en phase avec le phénomène évoqué dans des articles récents : l’étonnante vague d’expositions sur l’art cinétique qui déferle sur Paris, du Palais de Tokyo( Le Parc) au Centre Pompidou (Soto) en attendant l’imposante exposition « Dynamo » au Grand Palais. Cette convergence des grands lieux d’exposition parisiens en direction d’un courant si bien oublié  depuis un bon nombre d’années  ne cesse de surprendre. Quel est le grand ordonnateur de ce phénomène ?  A défaut de trouver un acteur unique à cet engouement, constatons que le mouvement est accompagné par des galeries parisiennes dont c’est la vocation, notamment la galerie Denise René, la galerie Lelia Murdoch et donc, avec Sobrino, la galerie Nmarino.
D’origine espagnole, Francisco Sobrino se retrouve dès l’âge de dix sept ans à Buenos-Aires où il entre à l’école nationale des Beaux-arts. C’est encore à Buenos Aires que les contacts se nouent avec Le Parc, De Marco, Garcia-Rossi. Ces rencontres orientent durablement l’avenir de cet artiste qui, peu de temps après son arrivée à Paris, fait partie des fondateurs de ce fameux « Groupe de recherche des arts visuels » où les Français Morellet, Stein et Yvaral s’associent à l’aventure.

Le temps du GRAV

Au départ de cette association, les positions radicales s’expriment : « Il s’agissait de définir des critères objectifs d’analyse pour obtenir une position théorique globale, à savoir la surestimation de l’individu et des circuit traditionnels de l’expression et de diffusion. »

Mais une évolution se fit jour : on décida donc de conserver la signature nominale des œuvres et une spécificité individuelle dans le travail : Yvaral travailla avec les fils de nylon et de vinyle tendus, Le Parc se consacra à la lumière, Stein s’intéressa aux trièdres et la polarisation, Garcia Rossi choisit les boîtes à réflexion lumineuse et Morellet s’investit dans la  programmation des pulsions de tubes de néon. Sobrino opta, pour sa part,  pour le plexiglas Il proposa des reliefs, formes plates superposées par interrelations, progressions, systématisation (Plexiglas blanc-noir et couleur), œuvres en volumes (Plexiglas transparent).

Sans titre 1970 Francisco Sobrino

Si Sobrino a beaucoup travaillé avec la couleur, on peut redécouvrir, dans l’exposition actuelle de la galerie NMarino, ses oeuvres jouant sur un contraste saisissant entre noir et blanc.
Il y a quelques années, l’artiste m’expliquait qu’il concevait sa démarche comme un travail de laboratoire, avec rigueur et précision. Les pièces noir et blanc n’ont rien perdu de leur force et de leur présence. C’est un privilège des oeuvres de cet art construit : résister au temps. Sur un demi-siècle, le travail de Sobrino conserve cette même aptitude à accaparer le regard que des oeuvres de la génération suivante. L’op-art et l’art cinétique vérifient dans cette actualité chargée à Paris leur capacité de survivre à l’oubli.

Francisco Sobrino dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

Photos Galerie NMarino
Francisco Sobrino
Noir et blanc
Du 21 mars au 11 mai 2013
Galerie NMarino
8 rue des Coutures Saint Gervais
75003 Paris

Expositions

La virtuosité immatérielle de Jesús-Rafael Soto

« Volume virtuel » 1979 Centre Pompidou Paris Jesus Rafael Soto

Le hall du Centre Pompidou après son ouverture en 1977  a vécu sous le signe de l’art cinétique et de l’op-art. Déjà le portrait de Georges Pompidou créé par Victor Vasarely personnalisait  l’entrée du centre. Puis c’est l’artiste Jesús-Rafael Soto qui bénéficia d’un emplacement privilégié dans ce hall avec un Volume virtuel  réalisé par la suspension de tiges colorées. Au fil des années, ce volume, suivant la disposition des tiges, prenait une forme ou une autre. Puis l’œuvre disparut du hall.
Aujourd’hui Soto fait l’objet d’une exposition personnelle alors que dans Paris une vague cinétique déferle sur les lieux d’art : Julio Le Parc au Palais de Tokyo et à la galerie Denise René du Marais, exposition Soto donc au Centre Pompidou et à la galerie Denise René Saint-Germain, Francisco Sobrino à la galerie Nmarino dans le marais et bientôt la grande exposition « Dynamo » au Grand Palais. Ce retour fracassant de l’art cinétique à Paris contraste avec le silence assourdissant qu’à subi ce courant artistique pendant de nombreuses années.

Vertus du pénétrable

Dans l’exposition actuelle du Centre Pompidou, le visiteur doit franchir l’obstacle du pénétrable de Soto. Cet aspect bien connu du travail de l’artiste Vénézuélien montre combien, dès les années soixante, ce type de réalisation établissait un nouveau mode de communication entre le visiteur et l’art. Expérience à la fois corporelle, sensorielle et visuelle, le pénétrable de Soto nous implique dans une relation physique et mentale à l’oeuvre.

Pénétrable de Soto au Centre Pompidou 2013

Au-delà de l’abandon même du tableau et du plan, il décrit un espace-temps. Nous ne somme plus observateurs passifs d’un objet peint, mais acteurs d’un « moment » . Le visiteur, mobile à l’intérieur de cet espace, fournit lui-même les critères d’un art à la fois cinétique  et  relationnel.  Des artistes de génération plus récente comme Yann  Kersalé ont prolongé cette recherche dans la voie  du pénétrable.

L’immatériel

A l’époque où Victor Vasarely dominait la scène artistique à la fois pas son oeuvre et  son implication dans la galerie Denise René, Soto se tenait à distance respectueuse. Il renonce à participer à « The Responsive eye » exposition emblématique qui a lieu au Museum of Moderne Art de New York en 1965 :  Autour de ce thème de « L’oeil sensible », on présente, d’Albers à Vasarely, toute la chaîne des artistes qui ont compté pour révéler cette tendance de l’art du temps, parmi lesquels Agam, Carlos Cruz-Diez, François Morellet, Bridget Riley. Soto estimait  qu’on voulait le faire passer pour un suiveur de Vasarely :
– « Je ne pouvais accepter que ceux qui « patinaient » encore dans l’art optique passent comme des maîtres de quelque chose à quoi ils ne s’étaient jamais résolus« .
En effet, Soto développa le concept d ‘ »immatériel » dans ses oeuvres. Dépassant l’objet physique, réalisé à partir de différents matériaux, cet immatériel transcende l’oeuvre et crée une vision virtuelle tout à fait nouvelle à l’époque.
L’ancien guitariste virtuose qui se produisait à l’Escale à Paris pour gagner de quoi subsister dans la capitale, était devenu un artiste majeur auquel le Centre Pompidou rend hommage alors que symétriquement le  Palais de Tokyo présente Julio Le Parc.

Jésus Soto dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

Photos volume virtuel : éditions IMAGO
Photo pénétrable : de l' »auteur

 

Jesús-Rafael Soto

Du 27 février 2013 au 20 mai 2013
Centre Pompidou Paris

 

Expositions

Art cinétique : retour en force

Robe expérimentale de Paco Rabanne années soixante

Dans les années soixante, les artistes de l’art cinétique  et de l’Op-art occupaient une place prédominante dans l’art de leur époque, se déployaient dans les galeries, l’architecture, la mode, les spectacles, le cinéma où Henri-Georges Clouzot mettait en valeur ces créateurs   dans « La Prisonnière« .   Le gigantesque projet de tour cybernétique de Nicolas Schoeffer devait même surpasser la tour Eiffel mais ce rêve ne verra pas le jour.

Aux sources de l’art cinétique

Au début des années Vingt, Naum Gabo, peintre, sculpteur et architecte, venu de Moscou, s’est installé dans une usine désaffectée dans la banlieue ouest de Berlin, à Licherfelde-Ost. Figure historique du constructivisme Russe, l’auteur avec son frère Pevsner du «Manifeste réaliste » s’oppose à « l’erreur millénaire héritée de l’art égyptien, qui voyait dans les rythmes statiques les seuls éléments de la création plastique », Gabo, dans cet atelier de la périphérie de Berlin, est en train d’inventer l’art cinétique. Le jeune écrivain belge Michel Seuphor, en visite dans l’atelier de Gabo en 1922, aperçoit, sur une table, dans l’encombrement de travaux en cours, « une sorte de tige dressée sur un pied et ça bougeait » raconte-t-il .
Mais si véritablement cet art se développe dans les années cinquante, le terme d’art cinétique n’apparaîtra qu’en 1960 dans un musée de Zurich.

« The Responsive eye ».

Apothéose pour le mouvement rétinien, une exposition emblématique à lieu au Museum of Moderne Art de New York en 1965 : « The Responsive eye ». Autour de ce thème de «L’oeil sensible », on présente, d’Albers à Vasarely, toute la chaîne des artistes qui ont compté pour révéler cette tendance de l’art du temps, parmi lesquels Agam, Carlos Cruz-Diez, François Morellet, Bridget Riley. Le succès public de l’événement confirme l’engouement pour cette forme d’art ludique si bien acceptée au quotidien.
Après  cette vague impressionnante de l’art cinétique et de l’optical-art, d’autres mouvements ont relégué cet art dominant  au second plan. Entre les artistes disparus et les artistes oubliés, le contingent s’était singulièrement réduit. Même si  des lieux de résistante conservaient la flamme cinétique, notamment Denise René dans ses galeries, le mouvement avait vécu ses heures de gloire.

Le Parc et Soto à Paris

Julio Le Parc (avec le G.R.A.V) Biennale de Paris 1963

Depuis quelques temps déjà, certains signes précurseurs annoncent un changement. Des œuvres de Julio Le Parc sont apparues dans une exposition temporaire(Centre Pompidou de Metz) ainsi que lors de la dernière Nuit Blanche à Paris. Le Off de la FIAC vient de proposer  dans les jardins des Tuileries des œuvres de Carlos Cruz-Diez. Le musée en Herbe à Paris propose également « Vasarely vous a à l’oeil« .
Aujourd’hui, en 2013,  vont s’ouvrir simultanément deux grandes expositions consacrées à des artistes cinétiques : Julio Le Parc au Palais de Tokyo à Paris et Jésus Raphael Soto  au Centre Pompidou toujours à Paris. Ce retour en force de l’art cinétique dans deux lieux institutionnels nationaux n’est pas anodin.
Julio Le Parc, grand prix de la Biennale de Venise en 1966 occupe une position centrale dans ce mouvement, à la fois pour son oeuvre personnelle et pour sa participation au Groupe de Recherche d ‘Art Visuel avec Morellet, Stein, Yvaral, Garci-Rossi, Sobrino.

Jesús-Rafael Soto

Jesús-Rafael Soto a développé une recherche unique autour du concept d' »immatériel » exprimé au travers de ses réalisations. Ces deux expositions vont permettre de porter à nouveau un regard sur ce mouvement avec deux oeuvres majeures.

 

 

 

 

 

Julio Le Parc
27 février 2013 – 20 mai 2013
Palais de Tokyo Paris

Jesus Raphael Soto
Du 27 février 2013 au 20 mai 2013 –
Galerie du Musée
Centre Pompidou Paris

Photos Paco Rabanne  http://www.live2times.com/1966-paco-rabanne-teste-de-nouveau-materiaux-e–9720/
Le Parc: site de l’artiste

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Pour mémoire

Hommage à Horacio Garcia-Rossi

L’artiste Horacio Garcia-Rossi est décédé le 5 septembre dernier. Cofondateur du GRAV (Groupe de recherche d’art visuel, 1960-1968) avec Julio Le Parc, François Morellet, Francisco Sobrino, Joël Stein et Jean-Pierre Yvaral, son travail s’était affirmé autour de la «couleur-lumière». Après le récent décès de Joel Stein il y a quelques semaines, c’est encore un membre de ce célèbre G.R.A.V. qui disparaît.

J’avais évoqué, il y a quelques mois, (Horacio Garcia-Rossi, les années lumière) l’itinéraire de cet artiste lumino-cinétique qui retrouva le chemin de la peinture toujours au service de la lumière. Avec le récent décès de la galeriste Denise René, c’est tout un pan de l’art cinétique qui est touché alors que l’inscription de cette tendance dans l’histoire se vérifie : La Réunion des musées nationaux du Grand Palais organisera au printemps 2013 une exposition intitulée Lumineux ! Dynamique ! Espace et vision dans l’art, de nos jours à 1913 qui sera présentée dans les Galeries Nationales du Grand Palais à Paris.

Composition A 51 1983 Horacio Garcia-Rossi

Argentin, Horacio Garci-Rossi s ‘est rapidement trouvé au centre des préoccupations de l’art cinétique naissant : c’est à Buenos Aires que les contacts se nouent avec Le Parc, De Marco, Sobrino ; ce sont donc déjà certains des artistes du futur groupe du G.R.A.V. qui se destinent à venir en France où, peu de temps après son arrivée à Paris, Garcia-Rossi fait partie des fondateurs de ce fameux « Groupe de recherche des arts visuels » où les Français Morellet, Stein et Yvaral participent à l’aventure. Car c’est bien une aventure mémorable qui commence.
Art relationnel avant l’heure, la recherche du GRAV a marqué son époque. Dans ce groupe turbulent, Garci-Rossi a apporté son ton personnel :

«Horacio a été le sage du GRAV, il avait l’intelligence, le calme et l’humour nécessaires pour bien tenir ce rôle. Il n’avait pas envie comme d’autres, moi-même par exemple, d’agresser le spectateur ou de s’encombrer de lampes et de néons», écrivait François Morellet en 2010.

Horacio Garcia-Rossi dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

Photo Composition A 51 1983 Catalogue Drouot

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