Expositions

La mort en ce jardin

« Avant l’orage »

L’exposition « Avant l’orage » présentée actuellement à la collection Pinault de la Bourse de commerce de Paris propose un cheminement articulé sur le bouleversement induit par le dérèglement climatique et l’alerte que crée cette situation sur notre planète.
«  Dans l’urgence du présent comme dans l’œil d’un cyclone, l’obscurité et la lumière, le printemps et l’hiver, la pluie et le soleil, le jour et la nuit, l’humain et le non-humain cohabitent au sein de cet accrochage inédit d’œuvres de la collection. »

Tropeaolum de Danh Vo

Tropeaolum

Dans cet oeil du cyclone, c’est à dire la rotonde de la Bourse du commerce, Tropeaolum de Danh Vo impose sa monumentale installation dans une serre de métal, de béton et de pierre évoquant un territoire mutant. Les troncs et branches d’arbres foudroyés et victimes des intempéries, issues des forêts françaises, sont inclus dans une scénographie où ces vestiges d’un monde vivant sont soutenus par des étais de bois, provenant des forêts durables de l’ homme d’affaires Craig McNamara, créateur de « Sierra Orchards », une ferme biologique située en Californie. Ce nom rappelle un autre cataclysme puisque Craig McNamara n’est autre que le fils de Robert Mc Namara, secrétaire à la Défense de 1961 à 1968 sous les présidences Kennedy et Johnson et pendant la guerre du Viêt Nam. Le rôle de Robert Mc Namara durant cette guerre du Viêt Nam fut controversé, puisque c’est sous son mandat qu’eurent lieu l’emploi de l’agent orange et l’opération Rolling Thunder, campagne de bombardements aériens intensif effectués par l’USAF, l’US Navy et la Force aérienne du Sud-Viêt Nam contre le Nord-Viêt Nam et le Laos, De plus en plus controversé McNamara remit sa démission en 1968.

Dans cet environnement délabré Tropeaolum intègre des vestiges de l’histoire comme autant de souvenirs de la culture. Ces fantômes de l’apocalypse nous obligent à envisager une survivance hypothétique dans laquelle le vivant, en mutation, s’accroche aux branches de l’après cataclysme.

Hichem Berrada « Présage » 2018

« Présages »

En parcourant ces saisons improbables qui jalonnent l’exposition, une autre installation majeure mérite d’être abordée. Hichem Berrada présente « Présages » avec une projection spectaculaire. Ce n’est pas le moindre paradoxe que l’immense écran occupant un mur entier d’une salle soit animé par une source matériellement réduite à un aquarium dans lequel différentes réactions chimiques sont activées et vont mener à la création d’un paysage. « Présages » transforme cette réaction chimique en galaxie inconnue dans laquelle le visiteur ne peut que s’immerger.
«  C’est un peu de la peinture, c’est un peu de la chimie, mais pas vraiment de la peinture et pas vraiment de la chimie. » explique l’artiste. Avec ce jeu de bascule, Hichem Berrada nous fait pénétrer dans un univers dédié à la catastrophe. Dans cet environnement où les éléments sont extrêmement toxiques, la nature est à l’œuvre, en mouvement, mais une nature uniquement composée de minéraux, rien de vivant, rien d’humain. Si bien que la première approche immédiate séduisante d’un aquarium luxuriant nous conduit à appréhender un monde infiniment plus dégradé.
Au plan formel, cette peinture qui n’en est pas une propose pourtant un paysage en image, renvoyant à la grande toile de Frank Bowling (Texas Louise » de 1971) que le visiteur découvre en tout début du parcours; mais le paysage d’Hichem Berrada présente la particularité d’être en prise constante avec le réel, image en mouvement continu, à l’évolution incertaine, semblable à un paysage réel certes mais introduisant une sourde inquiétude sur un monde voué à l’entropie.

« Avant l’orage »

LUCAS ARRUDA, HICHAM BERRADA, DINEO SESHEE BOPAPE, FRANK BOWLING, JUDY CHICAGO, TACITA DEAN, JONATHAS DE ANDRADE, ROBERT GOBER, DOMINIQUE GONZALEZ-FOERSTER, FELIX GONZALEZ-TORRES, PIERRE HUYGHE, BENOIT PIÉRON, DANIEL STEEGMANN MANGRANÉ, ALINA SZAPOCZNIKOW, DIANA THATER THU VAN TRAN, CY TWOMBLY, DANH VO, ANICKA YI

Jusqu’au 11 septembre 2023
Bourse de commerce Pinault collection
2 rue de Viarmes, 75001 Paris

Expositions·Non classé

Benoît Dutour : je t’offrirai des perles de pluie…

Larmes de joie

Il est encore possible pour quelques jours de découvrir dans l’église de la Madeleine à Paris une installation artistique de Benoit Dutour. Se décrivant comme multidisciplinaire, l’artiste aborde des domaines variés comme la peinture, la sculpture, la photographie, la vidéo, le néon ou l’installation.

Dans une église aussi prestigieuse que celle de la Madeleine, il fallait s’appuyer sur un argument en phase avec le lieu pour donner son sens à l’installation. Depuis quelques années déjà l’artiste présentait ces larmes de joie, notamment dans les Nuits blanches à Paris.
Cette année cent trois bulles de verre ruissèlent d’une ouverture de lumière située trente cinq mètres plus haut dans l’édifice religieux. En référence aux présents apportés par les Rois mages qui furent à l’époque de l’or, de la myrrhe et de l’encens, Benoît Dutour a conçu cette scénographie composée de ces « Larmes de Joie » tels des présents, plus actuels, qui tournent autour de la richesse, de la beauté et de la fragilité. Chaque larme de l’œuvre est singulière et donne à voir soit la beauté de la nature, tel les graines de pissenlits qui s’envolent, les trèfles à quatre feuilles, les papillons ou encore une Mante religieuse, soit la richesse avec les pièces, les bitcoins, l’or et même un vrai billet de cinq cents euros emprisonné dans une larme qui côtoie la fragilité tels les cendres de la Cathédrale Notre Dame. 

Dans l’atmosphère feutrée de l’église de la Madeleine où la lumière tombée du ciel participe au recueillement des fidèles, les larmes de verre installées par Benoît Dutour s’en trouvent magnifiées. Cet effet valorisant n’est pas sans rappeler l’installation de Jean-Michel Othoniel au Carré Sainte-Anne de Montpellier en 2017. « La Mandorle d’or », « Les Amants suspendus », « Le collier Alessandrita », « La vierge du jardinier », indiquaient dans l’ambiance de cette église néogothique un moment sur ce chemin de civilisation, souvenirs de voyages, de rencontres faites par l’artiste à travers le monde. Othoniel entendait faire écho aux dimensions de sacré, de spiritualité que le Carré Sainte-Anne de Montpellier offrait à ses perles de culture.
L’œuvre de Benoît Dutour présente une spécificité : l’ensemble de ces larmes de verre est animé par des changements d’intensité lumineuse, passant de cinq à dix watts et ces larmes s’éteignent par intermittence en référence au Big Bang et à l’explosion, la disparition et la création et l’origine du monde.

Au-delà de cette fusion lumineuse de l’ensemble avec la spiritualité du lieu, le visiteur attentif peut être séduit par une autre dimension de cette proposition en partant à la découverte du contenu emprisonné dans chaque bulle de verre. Car les offrandes des Rois mages évoquées plus haut, prennent des aspects contemporains inattendus. A proximité des larmes contenant les papillons ou les Monnaie du Pape, pissenlits et feuilles d’or, il est plus surprenant de découvrir la boite de Cambell’s du Pop-art, une carte du jeu de Monopoly, les dés rouge et bleu du casino, des Carambars, un Iphone…. Cette intrusion du contemporain le plus séculier présente un décalage quelque peu iconoclaste comparé à la première lecture de l’ensemble.
Par ailleurs chacune de ces larmes est en vente et sera transmise au décrochage avec un certificat d’authenticité. L’artiste ne conserve aucun bénéfice de ces ventes. L’argent sera reversé à la production, la communication, la curation et à la Madeleine.

Larmes de joie
Benoît Dutour

Du 3 février 2023 au 20 février 2023
Église de la Madeleine
Place de la Madeleine, 75008 Paris

Expositions

Gupta : les dérives d’un art ménager

La semaine du blanc (dont Aristide Boucicaut, fondateur du magasin du Bon Marché à Paris, est l’inventeur), sert d’argument au Bon Marché à Paris pour proposer chaque année à un artiste d’investir les amples espaces marchands du magasin. Depuis 2016 cette exposition à grande échelle a accueilli des artistes de toutes origines, notamment Ai Weiwei, Chiharu Shiota, Leandro Erlich, Joana Vasconcelos et Oki Sato. En 2020 le facétieux Philippe Katherine s’en était donné à cœur joie en envahissant les lieux avec son armée pacifique de « Monsieur Rose » dans l’ensemble du bâtiment.
Cette année, Subodh Gupta (né en 1964 et vivant à New Delhi), artiste contemporain de renommée internationale, investit à son tour à la fois les salles du magasin et les vitrines nombreuses qui bordent la rue de Sèvres.
Dans la capitale les installations de l’artiste Indien s’étaient déjà fait remarquer lors de l’exposition « Paris Delhi Bombay » en 2011 au Centre Pompidou et « Adda / rendez-vous » à la Monnaie de Paris.

« Sangam»

Aujourd’hui au Bon Marché Gupta propose «Sangam». Sangam est une cascade de facettes de miroir et de sculptures formées d’objets domestiques. « Une installation qui interroge les spectateurs sur leur pèlerinage dans une société axée sur la consommation”, explique Subodh Gupta. Avec les milliers d’ustensiles de cuisine et de fragments de miroirs «Sangam» fait référence à la Kumbh Mela de Prayagraj (Allahabad), un immense pèlerinage à la confluence sacrée du Gange, de la Yamuna et de la mythique Saraswati.
Pour autant nous ne sommes plus dans l’accumulation Nouveau réaliste d’un Arman mais dans une construction cumulative destinée à générer avec cet assemblage une réalité seconde donnant à lire un autre discours.
Cette dérive d’un art ménager opère alors un métissage inattendu entre la multitude de ces objets quotidiens et l’approche quasiment sacrée de l’artiste.

« Confluences »

Le sous-titre de l’exposition « Confluences » évoque ce métissage. « Confluences car, ici, des gens du monde entier se retrouvent. On est à la confluence de différentes cultures » revendique l’artiste. Les ustensiles quotidiens pourraient banaliser cette ambition. Encore que ces ustensiles ménagers que l’on pourrait considérer comme des objets sans valeur marchande significative, représentent pour nombre de familles indiennes un vrai trésor. Leur apparence impeccable, rutilante, presque scintillante, contribue à donner à ces outils ordinaires du quotidien leur qualification de richesse inaccessible.
L’historien Lucien Febvre se livrait en 1955 dans l’avant-propos de La civilisation quotidienne, à une valorisation de ces objets ménagers si ordinaires que les historiens et les sociologues délaissaient ces témoignages d’une société. « Toutes les pièces d’une même civilisation sont solidaires parce qu’elles reflètent les mêmes tendances profondes » soulignait-il.


The Proust effect

The Proust Effect

Le « Very Hungry God », crane géant composé de centaines d’ustensiles de cuisine présenté à la Monnaie de Paris en 2018 laisse la place ici à une installation moins inquiétante avec The Proust Effect, assemblage en suspensions de ces mêmes ustensiles de cuisine, hutte fragile que le visiteur doit éviter de bousculer.
The Proust Effect, en référence à la fameuse madeleine de Proust se veut une rencontre spirituelle qu’il souhaite provoquer chez chaque visiteur, le plongeant dans sa mémoire culinaire pour y déclencher un souvenir enfoui. L’artiste explore ce lien avec la cuisine indienne dès ses premières créations, fasciné depuis l’enfance par l’aspect rutilant des ustensiles de cuisine.
On peut alors envisager plusieurs entrées pour tenter de cerner le propos de Gupta. De l’approche contemporaine post-Duchamp d’une accumulation d’objets à la cascade d’une consommation ménagère démesurée, de la civilisation matérialiste d’un art ménager quotidien à l’approche spirituelle indienne, l’oeuvre reste ouverte aux spéculations. Et si tout ce qui brille n’est pas d’art, la carte blanche offerte à Subodh Gupta ne passe pas inaperçue pour les milliers de clients qui parcourent les rayons du Bon Marché.

Subodh Gupta
« Sangam»
Du 9 janvier au 19 février 2023
Bon Marché
24 Rue de Sèvres, 75007 Paris

Expositions

Fabrice Hyber : d’un tableau, l’autre

Attention en traversant l’exposition de Fabrice Hyber « La Vallée » à la Fondation Cartier à Paris, un tableau peut en cacher un autre. Car les toiles exposées à la Fondation accèdent au statut de tableau d’école. Pour preuve ces espaces transformés en salles de classe avec les pupitres d’écoliers auxquels nous sommes conviés à prendre place.
En effet la démarche de l’artiste est assumée avec cette approche éducative « J’ai toujours considéré, explique-t-il,que mes peintures étaient comme des tableaux de classe, ceux où nous avons appris à décortiquer nos savoirs par l’intermédiaire d’enseignants ou de chercheurs. On y propose d’autres mondes, des projets possibles ou impossibles ».

Pour Fabrice Hyber le champ de l’art embrasse au-delà de la pratique du peintre tous les domaines de la pensée, de la connaissance. Biologie, neurosciences, astrophysique, histoire… Entre langage et images, les connexions s’établissent au gré des réflexions développées sur ce tableau dont on ne sait plus distinguer la toile blanche du tableau noir de l’école.

« La Vallée »

Un autre champ, physique celui-là, est à prendre en compte dans ce rapport au réel. « La Vallée », titre de l’exposition désigne une forêt que l’artiste fait pousser depuis les années 1990 au cœur du bocage vendéen dont il est originaire. Dans l’ancienne ferme de ses parents, éleveurs de moutons, il a semé trois cent mille graines d’arbres issues de centaines d’essences différentes. Cette forêt de plusieurs dizaines d’hectares est devenue une œuvre. Le parallèle avec l’œuvre s’ opère lors de cette croissance organique du vivant.

Ce fil rouge dans l’œuvre de Fabrice Hyber commence en 1981 par : « Un mètre carré de rouge à lèvres« , un tableau  entièrement recouvert de rouge à lèvres, entouré d’un cadre doré. C’est le point de départ de ce jeu sans fin dans lequel la pensée se développe sans hiérarchie, en rhizome qui renvoie à la théorie philosophique de Gilles Deleuze et Félix Guattari.

Rhizomes de la réflexion et rhizomes de « La forêt » participent à cette stratégie de la pensée d’un artiste qui déclare ne pas produire des peintures mais des tableaux. Nous voilà revenus à ce tableau de la classe validé par la scénographie de l’exposition. Le visiteur se prête à cette mise en scène voulue par le peintre et la position d’écolier conforte sa disposition à appréhender ce déroulement de la pensée sur la tableau. Les grandes toiles sont autant de supports sur lesquels s’associent les idées, les hypothèses, les mots, les formes, les couleurs, cheminement  dans lequel «  les mots sont des déclencheurs d’images, et les images des déclencheurs de mots, sans aucune hiérarchie ni préséance des unes sur les autres« .

Lors de son exposition 2716,43795 m2 au Centre Régional d’Art Contemporain de Sète en 2015, Fabrice Hyber mettait en œuvre ce protocole à grande échelle. « Je fais toujours de la peinture, mais ce qui me porte dans la peinture, ce n’est pas le fait de faire de la peinture. C’est le comportement qui m’amène à en faire. Les glissements, les erreurs, les constructions.. »
Acceptez de retrouver le chemin de l’école en découvrant l’exposition de la Fondation Cartier. Le tableau de la classe n’est plus noir. Il n’est pas blanc non plus. Il est riche de tout ce qui relie la pensée au monde. Dans l’exposition du C.R.A.C de Sète une œuvre de 1998 portait comme titre « De fil en aiguille ». A vous de remonter le fil de cette histoire sans fin.

Fabrice Hyber La Vallée
Du 8 décembre 2022 au 30 avril 2023
Fondation Cartier pour l’art contemporain
261 boulevard Raspail
75014 Paris

Expositions

Fabrice Hyber, l’homme de Bessines

Il serait trompeur de regarder « L’Homme de Bessines » qui vient de faire irruption sur le bassin du Palais Royal à Paris comme la dernière exhortation d’une commande publique susceptible d’engendrer les débats contradictoires sur la vocation de l’art contemporain dans l’espace collectif. Car cette apparition ne peut être évaluée qu’à l’aune de la stratégie globale de l’artiste Fabrice Hyber. De quoi s’agit-il ?
Répondant à une commande publique initiée en 1991 pour la commune de Bessines (Deux-Sèvres), Fabrice Hyber entreprend de disperser six hommes de bronze peints en vert dans le village. D’une hauteur de 87 cm, soit la moitié de la taille de l’artiste, chaque sculpture est percée par onze orifices d’où jaillissent des filets d’eau. En lien avec la notion de mutation traitée par l’artiste en 1986, l’Homme de Bessines est également « une œuvre virale » en ceci qu’elle est prévue pour être diffusée de manière illimitée. Ainsi, depuis la première installation à Bessines en 1991, la sculpture a été diffusée à plusieurs centaines d’exemplaires, de tailles et d’apparences variables, sur l’ensemble de la planète (Shanghai, Lisbonne, Tokyo, Londres…).

Pour ses trente ans et dans le cadre de Lille 3000, l’Homme de Bessines s’installe également à Lille en mai 2022 : Au Tri Postal avec la fondation Cartier où l’artiste expose un ensemble de 100 hommes verts peints et d’un homme de terre. A l’Hospice Comtesse, 5 prototypes de l’Homme/Femme de Bessines seront présentés. A Lasécu, espace d’art contemporain à Lille, un ensemble de prototypes sera proposé autour de l’homme de Bessines En octobre, le 1er Homme de Bessines géant sera installé à Marfa (Texas).

A Paris, les trente sculptures mises en scène sur le bassin du Palais Royal doivent donc être appréhendées comme un « moment » de cette performance inscrite dans l’espace et le temps. Et plutôt que de résumer ces « petits hommes verts » à de quelconques avatars échappés d’un film de science fiction, il faut chercher ailleurs l’origine de cette proposition. Pour l’artiste, vendéen d’origine, le vert de ces silhouettes puise sa source dans une mémoire personnelle : « Je m’étais imaginé à l’âge de soixante ans. Je voulais rendre hommage aux maraîchers qui ont fait la beauté du marais poitevin. Et aussi signaler l’engagement écologique et la responsabilité de chacun dans le respect de la nature ».

Au-delà de cette description ponctuelle, il faut découvrir dans la démarche de Fabrice Hyber ce qui anime une telle énergie dans la profusion sans fin de ces personnages.

En 2015 au C.R.A.C. de Sète, l’artiste révélait de façon spectaculaire cette volonté d’embrasser toute la pensée du monde avec un accrochage de près de trois cents œuvres révélant la chronologie d’un itinéraire artistique « sur les 2716,43795 m2 du Centre régional d’art contemporain de Sète ». Ce fil rouge commençait en 1981 par : « Un mètre carré de rouge à lèvres« , un tableau  entièrement recouvert de rouge à lèvres, entouré d’un cadre doré. Ce fut le point de départ de ce jeu sans fin dans lequel la pensée se développe sans hiérarchie, en rhizome qui renvoie à la théorie philosophique de Gilles Deleuze et Félix Guattari. Si bien que la prise en compte de la totalité des tableaux présentés prenait alors le pas sur chacun d’eux. C’est donc alors à un travail d’enquête qu’il fallait se livrer pour tenter de relier les fils visibles ou souterrains que l’artiste tisse à l’intérieur même d’une toile ou d’une toile à la suivante pour aboutir à cet ensemble présenté dans l’ intégralité du lieu et parfois sur la hauteur entière des murs. De la peinture à la sculpture, cet « Homme de Bessines » témoigne de cette même volonté d’englober, d’un lieu à l’autre, le regard sur le monde. De formation scientifique avant d’entrer à l’École des Beaux-Arts de Nantes, l’artiste a conçu son œuvre sous la forme de ce gigantesque rhizome reliant la pratique du dessin et de la peinture, tout en investissant les autres modes d’expression. Si bien que cet Homme de Bessines, en mutation permanente, pourrait bien être l’artiste lui-même projeté dans cette production sans fin qui ambitionne de baliser ce lieu géométrique d’une réflexion planétaire.

Photos de l’auteur

Fabrice HYBER fête les trente ans de l’Homme de Bessines
du 4 avril au 30 mai 2022
au Palais Royal à Paris
AVEC LE CMN (Centre des Monuments Nationaux)

Coups de chapeau

Chroniques New-yorkaises(1) : le SHED est sur les rails.

Le Shed

Avant même son ouverture en haut de la High Line dans Manhattan, le SHED avait déjà acquis une notoriété due à l’incroyable audace architecturale qui fait accéder cet équipement culturel au niveau d’une prouesse technique innovante. En effet, ce bâtiment ne se contente pas de mettre à la disposition des artistes des salles immenses. Il offre surtout une conception totalement modulable disposant d’une partie mobile sur rails, une sorte de soufflet géant qui modifie la structure du bâtiment et s’adapte à toutes les possibilités de manifestations, spectacles, expositions etc…

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Équipé d’immenses roues à taille humaine qui rendent possibles ces transformations, c’est peu de dire que le SHED est sur les rails. Mais au-delà de la prouesse technique, c’est davantage encore, me semble-t-il, l’approche multidisciplinaire qui caractérise ce nouvel équipement au cœur de Manhattan.
Il ne faut pas, en effet, s’attendre à visiter dans ce lieu des expositions comme au MOMA ou au Whitney muséum. Ce qui prévaut au SHED c’est la conjugaison des disciplines, la création d’événements qui concourent à proposer un résultat supérieur à la somme de ses éléments constitutifs.

« Reich Richter Pärt »

Au lendemain de l’inauguration il m’a été possible d’assister à l’un de ces « évents ». Dans « Reich Richter Pärt », deux spectacles en immersion,(l’un conçu par le compositeur Steve Reich et le peintre Gerhard Richter, l’autre par Richter et le compositeur Arvo Pärt), explorent le langage sensoriel commun de l’art visuel et de la musique. Le partenariat Richter/Pärt s’appuie sur un concept développé à l’origine par Alex Poots et Hans Ulrich Obrist pour le Festival International de Manchester et met en vedette la composition chorale envoutante de Pärt avec la nouvelle œuvre de Richter incluant papier peint et trois tapisseries jacquard. La collaboration entre Steve Reich et Gerhard Richter (une initiative du SHED) repose sur la série « Patterns » du peintre et les structures musicales rigoureuses et répétitives de Steve Reich

Reich Richter part

Cette osmose, créée en collaboration avec Corinna Belz et mettant en vedette la première mondiale d’une nouvelle composition de Steve Reich, s’exprime dans une salle immense habitée par la création du peintre sur les murs et la projection durant l’événement de la série « Patterns » dans laquelle Richter divise et reflète à plusieurs reprises une image d’ordinateur d’une peinture abstraite pour animer l’œuvre. Certes l’association d’œuvres d’un peintre avec une création musicale ne constitue pas une nouveauté.
Ce qui prend ici une dimension particulière vient de l’échelle à laquelle cet environnement est créé, espace dans lequel le spectateur et auditeur se trouve en effet immergé, enveloppé par cette proposition sensorielle. La musique de Steve Reich, dont le caractère répétitif peut sembler parfois ingrat, m’est apparue, dans ce contexte, luxuriante, colorée et son association avec le travail sur ordinateur des œuvres de Richter n’a rien d’artificiel. Musique et structures colorées se fondent remarquablement.
La seconde création associant les toiles de Richter avec la composition d’Arvo Pärt offrait au spectateur/auditeur une autre forme d’immersion : celle des choristes se mêlant à la foule des visiteurs pour mieux les inclure dans cet évènement d’une grande pureté musicale.
Le SHED n’en est encore qu’à ses débuts et on peut imaginer tout le parti qui peut être tiré d’un tel outil. Au bout de cette High line sur laquelle l’ancienne voie ferrée est encore présente, le SHED entreprend à son tour un voyage prometteur.

Photos de l’auteur.

« Reich Richter Pärt »
6 avril – 2 juin 2019
The SHED
545 West 30th Street
New YorK

Expositions

André Cadere : un art vagabond

Au début des année soixante dix, à Paris, une silhouette, devenue familière dans les galeries, les musées, déambule dans les rues du quartier Latin. Ce promeneur nonchalant est identifiable par un bâton de pèlerin quelque peu énigmatique qu’il promène immanquablement sur tous ses itinéraires.

André Cadere, rue Mazarine Paris 1973

Que fait là ce personnage singulier tenant à la main cet objet étrange, mal identifié ? André Cadere, depuis 1967, a quitté sa Roumanie natale pour Paris. Il fréquente alors Isidore Isou et le cercle des Lettristes. Il aurait pu rester un artiste parmi les autres qui, après s’être adonné à une peinture proche de l’Op art, propose des tableaux-reliefs composés de demi-baguettes colorées. Mais, en ce début des années soixante dix, Cadere a franchi un pas décisif. Ce n’est pas seulement le produit de son travail qui compte mais sa posture personnelle.
L’objet lui-même, ce bâton dont il ne se sépare jamais, répond pourtant déjà à des règles précises : « Une barre de bois rond est immuable, toute pièce étant à chaque fois différente l’une de l’autre, l’ensemble du travail étant une constellation. Cette constellation étant strictement limitée. D’un autre côté, mon activité n’a pas de suite, ni d’avenir. Il n’y a pas d’évolution, une barre de bois rond est. » écrit-il au galeriste Yvon Lambert en 1978. »
Si l’on creuse un peu dans ce protocole, on découvre que les séquences de couleur y sont organisées selon des combinaisons mathématiques. Et chaque barre devient unique grâce à l’introduction d’une erreur dans la permutation des segments colorés.

« Héros »

Mais l’essentiel tient davantage, me semble-t-il, à cette posture que Cadere n’hésite pas à qualifier de « Héros » : « On pourrait dire qu’un héros est au milieu des gens, parmi la foule, sur le trottoir. Il est exactement un homme comme les autres. Mais il a une conscience, peut-être un regard, qui, d’une façon ou d’une autre, permet que les choses viennent presque par une sorte d’innocence« .
L’artiste a décidé que le bouleversement de la notion d’exposition passe par ce qui, bien plus qu’un geste, devient une attitude permanente, quotidienne : sillonner les circuits des galeries, des institutions, s’immiscer en visiteur lambda au cœur des expositions, des vernissages, porter avec lui comme un étendard modeste ce bâton coloré qui, peu à peu, fait partie du paysage artistique, faire corps avec cette œuvre dont on ne sait pas si elle est acceptée ou seulement tolérée dans les manifestations d’art. A cette époque où d’autres artistes ont, eux-aussi, beaucoup contribué à remettre en question la notion d’œuvre, de production artistique, les pérégrinations de Cadere interpellent davantage encore sur le statut même de l’artiste.
J’avais eu l’occasion de rencontrer André Cadere dans ces années soixante dix, de le voir flâner à l’époque au quartier Latin, respectant à la lettre un circuit qu’il s’était fixé et que l’on pouvait vérifier sur un tract distribué aux intéressés. Cet homme à la voix un peu traînante, occupait un atelier qui paraissait d’autant plus immense que ses bâtons colorés occupaient une place minuscule. Mort jeune, à quarante quatre ans, on aurait pu imaginer que son protocole éphémère tomberait aux oubliettes de l’histoire de l’art.

 « Une Saison Roumaine« 

André Cadere exposition Centre Pompidou Paris 2019

Le Centre Pompidou de Paris, dans la grande exposition « Une Saison Roumaine« , redonne à Cadere une place significative dans la mémoire de l’art de ces années soixante dix. A la manière de Cadere, ce n’est pas une salle qui lui est réservée. Même si l’homme n’est plus là, ses bâtons colorés se promènent au gré des espaces du Centre Pompidou, se retrouvent posés ici et là, dans un couloir anodin, près d’une œuvre, fixés en haut d’un mur …
C’est peut-être le paradoxe auquel André Cadere n’a pas échappé : se situer délibérément en marge des institutions, du circuit marchand et  cependant « coller » en permanence avec ces institutions, ces lieux du marché de l’art, avec ses rites (vernissages, foires d’art et c…).
Au point que l’existence même de son protocole ne pouvait se révéler qu’à cette condition : adhérer physiquement en permanence avec le monde qu’il remettait en question. Entre production artistique et performance, l’artiste a signé et coloré à sa manière cette époque des années soixante dix. Au Centre Pompidou, les allées du musées témoignent de cette mémoire.

Photos Rue Mazarine : @ Jean François Riviere/imago
Centre Pompidou  : de l’auteur

Une saison Roumaine
André Cadere « Pas  à pas »
A partir du 28 Novembre 2018
Centre Pompidou Paris

 

Expositions

Mémoires d’abjection

« Regards d’artistes »

Ouvrir à l’art contemporain un lieu de mémoire porteur d’autant de souffrances, de drames qu’est le Mémorial de la Shoah à Paris présente pour les artistes invités un défi de taille. Comment éviter de basculer dans une commémoration tragique qui sera toujours en deçà de la réalité monstrueuse à laquelle elle se réfère ? Comment trouver une approche qui, sans trahir la raison d’être d’une œuvre, puisse se hisser à la hauteur de ce qui échappe encore à toute raison humaine ?

Sylvie Blocher, accompagnée par Gérard Haller : « Nuremberg 87 » film 16 mm 9mn

« Regards d’artistes » est assurément un titre bien faible pour situer la valeur attendue dans la démarche d’un artiste choisi pour aborder une telle épreuve. Sylvie Blocher (avec Gérard Haller), Arnaud Cohen, Natacha Nisic, Esther Shalev-Gerz, accompagnés par une proposition de l’historien Christian Delage ont accepté de se confronter à ce défi.
Bien sûr c’est de mémoire qu’il est question et chaque intervenant a proposé sa propre voie pour rendre visible, sensible cette recognition nécessaire. Deux propositions seront évoquées ici.

« Nuremberg 87 »

Sylvie Blocher, accompagnée par Gérard Haller, présente « Nuremberg 87 ».
Le film parcourt l’enceinte du stade actuel de Nuremberg qui accueillait chaque année le congrès du parti nazi au cours duquel Hitler prenait la parole et où se déroulaient les défilés hitlériens. Alors qu’un long et lent travelling décrit le stade figé dans cette mémoire, la voix de l’actrice allemande Angela Winkler énonce les prénoms des personnes assassinées dans les centres de mise à mort. Replaçant la parole du génocide dans ce symbole de l’idéologie nazi, le film opère ainsi dans le même temps un raccourci historique avec le Nuremberg de 1945-1946 marqué par le procès contre les hauts responsables nazis.

« Dansez sur moi » (Détail)  Arnaud Cohen 2017

« Dansez sur moi »

Arnaud Cohen, pour sa part, propose « Dansez sur moi «  qui «puise son inspiration dans le passé collaborationniste de mon atelier. » explique-t-il. Ces « fausses » tombes sont celles de personnages historiques : Maurice Rocher, propriétaire de nombreuses usines dans l’Ouest, Jean Bichelonne le polytechnicien en charge avec Speer d’intégrer les usines françaises au complexe militaro-industriel du Reich, et Wernher Von Braun, inventeur et client final pour son usine secrète de montage des fusées V1 et V2. » Arnaud Cohen intègre cette mémoire dans une interaction contemporaine. Lors d’une fête dans son atelier, les invités ont eux aussi dansé sur les tombes fictives de ces personnages « grands rouages  politiques, économiques mais aussi artistiques de la collaboration active autant française qu’allemande ». Le film des caméras vidéo de surveillance qui ont fixé cet évènement  participe à l’installation du Mémorial de la Soah. et l’artiste recrée avec « Dansez sur moi » l’ambiance …de cette soirée festive.

« Dansez sur moi » Arnaud Cohen 2017

Lors de sa présentation précédente  au Rosa Luxemburg Platz Kunstverein de Berlin, cette œuvre fut remarquée par le cinéaste Wim Wenders qui entraina Arnaud Cohen dans sa danse.
Le travail photographique de Natacha Nisic, s’attachant à une image qui s’est imposée à elle face à l’eau stagnante d’un réservoir situé à côté des rails d’Auschwitz, accède lui aussi, avec ce détour par le contemporain, à cette tentative d’appréhender l’indicible au travers de cette mémoire de recognition.

Photos de l’auteur

« Regards d’artistes »
Sylvie Blocher (avec Gérard Haller), Arnaud Cohen, Natacha Nisic, Esther Shalev-Gerz, accompagnés par une proposition de l’historien Christian Delage
12 décembre 2018 au 10 février 2019
Mémorial de la Shoah
17, rue Geoffroy l’Asnier
75004 Paris

Pour mémoire

Jacques Tissinier : la civilisation est une route

Il m’aura fallu attendre quelques mois pour évoquer ici la disparition de l’artiste Jacques Tissinier (1936-2018) avec lequel j’entretenais une relation amicale depuis quarante cinq ans. Cette disparition trop discrète mérite de rappeler combien l’itinéraire de l’artiste n’a cessé de se confronter à l’art public.

Tissinier (7) copie
Jacques Tissinier Centre Pompidou Paris 1977

Peintre puis sculpteur, Jacques Tissinier a voué son œuvre à un destin signalétique. Sous un prétexte utilitaire, il signe d’abord un abribus au début des années soixante dix. Puis, pendant quarante ans, les autoroutes, bâtiments publics ont accueilli ses œuvres qui rivalisent de force, d’élan, signes incontournables placés au carrefour de notre quotidien.

«Artiste public numéro un» 

Être montré du doigt comme «Artiste public numéro un» n’est pas donné à tout le monde. C’est pourtant ce qui est arrivé à Jacques Tissinier, à l’initiative de Jacques Séguéla.
Car le signe et le sens vont de concert dans ses œuvres. La sculpture doit s’inscrire dans l’espace, dans une architecture, mais également dans la mémoire collective que ce soit le tragique souvenir cathare, la lancinante douleur de la mémoire indienne ou la symbolique d’une terre, avec un T comme Tissinier . On doit y ajouter les «Tissignalisations » , clin d’œil habile qui désigne ou qui « design » pourrait dire l’artiste toujours préoccupé d ‘allier la forme et la fonction.
L’art public n’est pas, pour autant, un océan de tranquillité pour les artistes. Jacques Tissinier eut l’occasion de s’en apercevoir il y a quelques années. A Pamiers, sous un prétexte technique surprenant, une fontaine dédiée au bicentenaire de la Révolution française a dû laisser la place à une chape de béton, cédant le terrain à la primauté de l’espace marchand sur l’espace mémoriel. Peut-être êtes-vous passé sans le savoir  près d’une de ses scultures monumentales, sur une aire d’autoroute, sur une place urbaine ?

Hommage au massacre de Maillé en aout 1944 (aire d’autoroute de Maillé).

Quelques mois avant sa mort, ses créations des année soixante dix rentraient officiellement dans les collections du musée des arts décoratifs à Paris.
Pendant plus de quarante ans j’ai suivi l’œuvre de Jacques Tissinier au gré des rencontres, des visites dans l’atelier. L’homme n’était pas avare de paroles sur son travail, toujours prêt à expliquer, décrire le pourquoi et le comment de sa démarche. Peintre et sculpteur, tout le ramenait au bout du compte à cet art public qu’il a servi tout au long de son parcours.

Dès l’ouverture du Centre Pompidou à Paris, son crayon signait sur les flans du Centre la phrase hommage à Eluard :  « J’écris ton nom Liberté ».
Un jour qu’il parcourait les routes pour son travail, Jacques Tissinier a craqué pour une ferme en Saintonge. Il s’est posé là, et peut-être habité par les fantômes de tous ces créateurs qui foulèrent le chemin de Compostelle, il s’est remis à peindre, recherchant dans l’ogive Romane la clef de voûte de la peinture contemporaine. A sa manière, Jacques Tissinier repensait la démarche d’un Claude Viallat en l’inscrivant de plus dans une perspective de civilisation.
Jacques Tissinier n’était peut-être pas le dernier des Mohicans ni le dernier cathare. Mais il a certainement semé, comme ses aînés de la voie de Compostelle, le long des autoroutes, sur les places publiques, dans les bibliothèques et dans les cours d’écoles, quelques signes de pierre ou de béton pour nous dire que la civilisation est une route.

Expositions

Fondation Martell : la part des anges

« L’ombre de la vapeur »

Depuis à peine plus d’une année, la Fondation d’entreprise Martell a ouvert au coeur de la ville de Cognac un espace dédié à l’art contemporain. Dans ce vaste site (près de 900 m2), l’objectif est de commander à un artiste ou à un collectif une oeuvre destinée à créer un environnement « total et immersif ». La ligne directrice à respecter impose une relation avec les grandes thémathiques et les matériaux chers à la fondation :« le voyage, le temps, les sens, les matières, la nature, la lumière ». Pour cette présentation inaugurale, la compagnie Adrien M et Claire B a signé un environnement inédit : « L’ombre de la vapeur ». Cette compagnie Adrien M & Claire B, co-dirigée par Claire Bardainne et Adrien Mondot, crée des productions allant du spectacle aux installations dans le champ des arts numériques et des arts vivants. Leur démarche ambitionne de placer l’humain au centre des enjeux technologiques et le corps au coeur des images, avec comme spécificité le développement sur-mesure de ses outils informatiques. Ils poursuivent la recherche d’un numérique vivant: mobile, artisanal, éphémère et sensible.

Fondation d’entreprise Martell à Cognac

Assurément, l’approche des artistes se devait de prendre en compte la spécificité de l’entreprise qui les conviait. L’histoire du cognac qui concerne à la fois celle de l’entreprise Martell et toute une région a offert à cette compagnie un argument de départ : le « Torula ». Ce Torula est une espèce de champignon microscopique. Il se développe lors de l’évaporation des alcools que l’on nomme « la part des anges » dans le cognaçais.Le Torula se nourrit des composés organiques volatils pour recouvrir, en les noircissant, les parois avoisinantes. Avant les travaux de rénovation de la Fondation, le bâtiment était ainsi tapissé de ce champignon.
L’installation de la compagnie Adrien M & Claire B se déploie sur l’ensemble du volume grâce à un fin voile de métal formant des nuages suspendus sur lesquels sont projetées des particules blanches en mouvement. Organisme sonore et plastique, l’oeuvre devient interactive car modulée par les visiteurs au rythme de leurs déambulations, de leurs gestes et de leurs haltes. Le compositeur Olivier Mellano a créé un environnement sonore spécifique pour cette installation.

La part des anges

Pour le visiteur, en effet immergé dans cet environnement fluide, changeant, imprévisible, le ressenti évoque, me semble-t-il, plutôt que la noirceur parasite du champignon que l’on cherche à éradiquer, davantage l’impalpable fantôme de cette « part des anges » que le producteur de cognac voit disparaître de ses fûts au profit de ces anges, îvres j’imagine, bienheureux héritiers du précieux nectar.
Dans cet environnement visuel et sonore, il ne manque plus que la dimension olfactive pour parachever la proposition.
Depuis l’époque triomphante de l’art cinétique, la technologie a considérablement évolué et nombre de ces artistes rêvant, dans les années soixante, d’environnements lumino-cinétiques interactifs, découvriraient avec enthousiasme, je pense, ce que l’informatique notamment permet d’obtenir aujourd’hui. Les artistes n’ont vraisemblablement pas cette préoccupation historique mais leurs formations diverses témoignent cependant de ce mélange des genres que les cinétiques historiques recherchaient avec l’ambition d’un art total.
L’émergence, à Cognac, de ce projet ambitieux d’art contemporain  mérite d’être signalée et il faudra peut-être encore un peu de temps pour que le public se presse dans l’espace d’art comme il le fait plus naturellement pour la visite historique du cognac. La part des anges deviendra alors celle de la création contemporaine.

Photos de l’auteur

Adrien M et Claire B
« L’ombre de la vapeur »
30 juin – avril 2919

Fondation Martell
Cognac