Expositions

La mort en ce jardin

« Avant l’orage »

L’exposition « Avant l’orage » présentée actuellement à la collection Pinault de la Bourse de commerce de Paris propose un cheminement articulé sur le bouleversement induit par le dérèglement climatique et l’alerte que crée cette situation sur notre planète.
«  Dans l’urgence du présent comme dans l’œil d’un cyclone, l’obscurité et la lumière, le printemps et l’hiver, la pluie et le soleil, le jour et la nuit, l’humain et le non-humain cohabitent au sein de cet accrochage inédit d’œuvres de la collection. »

Tropeaolum de Danh Vo

Tropeaolum

Dans cet oeil du cyclone, c’est à dire la rotonde de la Bourse du commerce, Tropeaolum de Danh Vo impose sa monumentale installation dans une serre de métal, de béton et de pierre évoquant un territoire mutant. Les troncs et branches d’arbres foudroyés et victimes des intempéries, issues des forêts françaises, sont inclus dans une scénographie où ces vestiges d’un monde vivant sont soutenus par des étais de bois, provenant des forêts durables de l’ homme d’affaires Craig McNamara, créateur de « Sierra Orchards », une ferme biologique située en Californie. Ce nom rappelle un autre cataclysme puisque Craig McNamara n’est autre que le fils de Robert Mc Namara, secrétaire à la Défense de 1961 à 1968 sous les présidences Kennedy et Johnson et pendant la guerre du Viêt Nam. Le rôle de Robert Mc Namara durant cette guerre du Viêt Nam fut controversé, puisque c’est sous son mandat qu’eurent lieu l’emploi de l’agent orange et l’opération Rolling Thunder, campagne de bombardements aériens intensif effectués par l’USAF, l’US Navy et la Force aérienne du Sud-Viêt Nam contre le Nord-Viêt Nam et le Laos, De plus en plus controversé McNamara remit sa démission en 1968.

Dans cet environnement délabré Tropeaolum intègre des vestiges de l’histoire comme autant de souvenirs de la culture. Ces fantômes de l’apocalypse nous obligent à envisager une survivance hypothétique dans laquelle le vivant, en mutation, s’accroche aux branches de l’après cataclysme.

Hichem Berrada « Présage » 2018

« Présages »

En parcourant ces saisons improbables qui jalonnent l’exposition, une autre installation majeure mérite d’être abordée. Hichem Berrada présente « Présages » avec une projection spectaculaire. Ce n’est pas le moindre paradoxe que l’immense écran occupant un mur entier d’une salle soit animé par une source matériellement réduite à un aquarium dans lequel différentes réactions chimiques sont activées et vont mener à la création d’un paysage. « Présages » transforme cette réaction chimique en galaxie inconnue dans laquelle le visiteur ne peut que s’immerger.
«  C’est un peu de la peinture, c’est un peu de la chimie, mais pas vraiment de la peinture et pas vraiment de la chimie. » explique l’artiste. Avec ce jeu de bascule, Hichem Berrada nous fait pénétrer dans un univers dédié à la catastrophe. Dans cet environnement où les éléments sont extrêmement toxiques, la nature est à l’œuvre, en mouvement, mais une nature uniquement composée de minéraux, rien de vivant, rien d’humain. Si bien que la première approche immédiate séduisante d’un aquarium luxuriant nous conduit à appréhender un monde infiniment plus dégradé.
Au plan formel, cette peinture qui n’en est pas une propose pourtant un paysage en image, renvoyant à la grande toile de Frank Bowling (Texas Louise » de 1971) que le visiteur découvre en tout début du parcours; mais le paysage d’Hichem Berrada présente la particularité d’être en prise constante avec le réel, image en mouvement continu, à l’évolution incertaine, semblable à un paysage réel certes mais introduisant une sourde inquiétude sur un monde voué à l’entropie.

« Avant l’orage »

LUCAS ARRUDA, HICHAM BERRADA, DINEO SESHEE BOPAPE, FRANK BOWLING, JUDY CHICAGO, TACITA DEAN, JONATHAS DE ANDRADE, ROBERT GOBER, DOMINIQUE GONZALEZ-FOERSTER, FELIX GONZALEZ-TORRES, PIERRE HUYGHE, BENOIT PIÉRON, DANIEL STEEGMANN MANGRANÉ, ALINA SZAPOCZNIKOW, DIANA THATER THU VAN TRAN, CY TWOMBLY, DANH VO, ANICKA YI

Jusqu’au 11 septembre 2023
Bourse de commerce Pinault collection
2 rue de Viarmes, 75001 Paris

Expositions

Fabrice Hyber : d’un tableau, l’autre

Attention en traversant l’exposition de Fabrice Hyber « La Vallée » à la Fondation Cartier à Paris, un tableau peut en cacher un autre. Car les toiles exposées à la Fondation accèdent au statut de tableau d’école. Pour preuve ces espaces transformés en salles de classe avec les pupitres d’écoliers auxquels nous sommes conviés à prendre place.
En effet la démarche de l’artiste est assumée avec cette approche éducative « J’ai toujours considéré, explique-t-il,que mes peintures étaient comme des tableaux de classe, ceux où nous avons appris à décortiquer nos savoirs par l’intermédiaire d’enseignants ou de chercheurs. On y propose d’autres mondes, des projets possibles ou impossibles ».

Pour Fabrice Hyber le champ de l’art embrasse au-delà de la pratique du peintre tous les domaines de la pensée, de la connaissance. Biologie, neurosciences, astrophysique, histoire… Entre langage et images, les connexions s’établissent au gré des réflexions développées sur ce tableau dont on ne sait plus distinguer la toile blanche du tableau noir de l’école.

« La Vallée »

Un autre champ, physique celui-là, est à prendre en compte dans ce rapport au réel. « La Vallée », titre de l’exposition désigne une forêt que l’artiste fait pousser depuis les années 1990 au cœur du bocage vendéen dont il est originaire. Dans l’ancienne ferme de ses parents, éleveurs de moutons, il a semé trois cent mille graines d’arbres issues de centaines d’essences différentes. Cette forêt de plusieurs dizaines d’hectares est devenue une œuvre. Le parallèle avec l’œuvre s’ opère lors de cette croissance organique du vivant.

Ce fil rouge dans l’œuvre de Fabrice Hyber commence en 1981 par : « Un mètre carré de rouge à lèvres« , un tableau  entièrement recouvert de rouge à lèvres, entouré d’un cadre doré. C’est le point de départ de ce jeu sans fin dans lequel la pensée se développe sans hiérarchie, en rhizome qui renvoie à la théorie philosophique de Gilles Deleuze et Félix Guattari.

Rhizomes de la réflexion et rhizomes de « La forêt » participent à cette stratégie de la pensée d’un artiste qui déclare ne pas produire des peintures mais des tableaux. Nous voilà revenus à ce tableau de la classe validé par la scénographie de l’exposition. Le visiteur se prête à cette mise en scène voulue par le peintre et la position d’écolier conforte sa disposition à appréhender ce déroulement de la pensée sur la tableau. Les grandes toiles sont autant de supports sur lesquels s’associent les idées, les hypothèses, les mots, les formes, les couleurs, cheminement  dans lequel «  les mots sont des déclencheurs d’images, et les images des déclencheurs de mots, sans aucune hiérarchie ni préséance des unes sur les autres« .

Lors de son exposition 2716,43795 m2 au Centre Régional d’Art Contemporain de Sète en 2015, Fabrice Hyber mettait en œuvre ce protocole à grande échelle. « Je fais toujours de la peinture, mais ce qui me porte dans la peinture, ce n’est pas le fait de faire de la peinture. C’est le comportement qui m’amène à en faire. Les glissements, les erreurs, les constructions.. »
Acceptez de retrouver le chemin de l’école en découvrant l’exposition de la Fondation Cartier. Le tableau de la classe n’est plus noir. Il n’est pas blanc non plus. Il est riche de tout ce qui relie la pensée au monde. Dans l’exposition du C.R.A.C de Sète une œuvre de 1998 portait comme titre « De fil en aiguille ». A vous de remonter le fil de cette histoire sans fin.

Fabrice Hyber La Vallée
Du 8 décembre 2022 au 30 avril 2023
Fondation Cartier pour l’art contemporain
261 boulevard Raspail
75014 Paris

Expositions

Monet – Mitchell : duo sur canopée

Étant depuis longtemps un inconditionnel de l’œuvre de Joan Mitchell, il est probable que le regard critique en soit quelque peu altéré. Cette précision étant donnée par honnêteté, la double exposition de la Fondation Louis Vuitton à Paris s’offre comme une exceptionnelle fulgurance dans ce parcours fait de passions artistiques comme de tourments personnels.

« Joan Mitchell rétrospective
 »

Première exposition , « Joan Mitchell rétrospective » retrace ce cheminement sur quarante années d’interrogation sur la peinture, se confrontant dès le début des années Cinquante aux militants de l’expressionnisme abstrait parmi lesquels figurent les noms de Franz Kline et Willem de Kooning. Assez rapidement Joan Mitchell affirme sa place de femme peintre comme en témoigne sa participation à la « Ninth street art exhibition » de 1951 à New York marquant les débuts formels de l’expressionnisme abstrait et le premier mouvement artistique américain d’influence internationale. Ce séisme provoquera un tsunami en Europe, au détriment de l’École de Paris déstabilisée dans sa domination du monde de l’art.

« Monet Mitchell »

Seconde exposition « Monet Mitchell » propose une juxtaposition des deux parcours à travers le temps qui confronte ces deux œuvres. Joan Mitchell a l’âge de un an quand décède Claude Monet. L’artiste américaine se rapproche de l’univers de Monet quand elle s’installe à Vétheuil dans le Val d’Oise en 1968 , occupant une demeure surplombant la maison où vécut Monet de 1878 à 1881. Monet avait trouvé à Vétheuil ce havre pour une paix de courte durée. Un an après leur arrivée à Vétheuil, sa femme meurt. Son bâteau-atelier devient alors son studio à plein temps.
Bien avant de s’installer à Vétheuil, Joan Mitchell déclarait au critique d’art américain Irving Sandeler dès 1957 « J’aime le Monet de la fin, mais pas celui des débuts ». La vie de Joan Mitchell, on le sait, connaîtra des turbulences dans sa relation avec le peintre Jean-Paul Riopelle. A Vétheuil ils vivent dans des locaux séparés.

A la Fondation Vuitton, la scénographie met en perspective les deux peintres. Au-delà l’impression visuelle chère à Monet, la notions de sensation bascule chez Joan Mitchell dans ce qui nous est décrit comme « un jeu de mémoires croisées ».

Fondation Vuitton : au premier plan Claude Monet,; au second plan Joan Mitchell

Mais s’il est bien question de paysage, de nature, de végétation, c’est un dépassement de cette nature par la peinture elle même, me semble-t-il, qui s’élève au-dessus de cette nature pour ne plus retenir que cette interrogation au-delà d’une représentation et accéder à cette sorte de Canopée abstraite
L’œuvre « Sans titre » de 1992 présenté chez Vuitton est très comparable à une autre toile « Sans titre » de 1992 pour laquelle lors de la vente chez Christie’s on pouvait lire :
« Peint en 1992 Sans titre est une explosion monumentale de couleurs qui compte parmi les dernières créations de Joan Mitchell. (…)Elle représente la fin éblouissante de sa vie et de son œuvre, sa surface étant animée par les joies viscérales du pigment. Sur un fond pâle, des rubans rouges, verts, bleus et jaunes se tordent et s’enchevêtrent en couches calligraphiques, évoquant la canopée d’un arbre. ».

Sans titre 1992 Joan Mitchell

Nous y sommes. A l’Orangerie plus encore que celles montrées chez Vuitton, les toiles de la fin de vie de Monet s »élèvent presque avec rage dans ce qui dépasse tout ce qui a été fait auparavant, recouvrant comme une Canopée abstraite l’ensemble de son œuvre. Assurément pour Joan Mitchell, en traversant la peinture, un Monet pouvait en cacher un autre.

Joan MITCHELL Rétrospective
MONET / MITCHELL
Du 5 Octobre 2022 au 27 Février 2023
Fondation Vuitton Paris

Expositions

Paris, l’art sans frontières

Quitter sont pays d’origine n’est pas un acte anodin. Les enjeux de la migration à Paris pour les artistes étrangers montrent combien les motivations peuvent à la fois trouver des origines diverses dans la décision du voyage et comparables pour les valeurs qui les attirent.

Paris et nulle part ailleurs

L’exposition Paris et nulle part ailleurs que présente le musée de l’histoire de l’immigration à Paris met en lumière cette diversité. Peut-on comparer l’arrivée en France de l’américaine Joan Mitchell rejoignant en France celui qui devient son compagnon , Jean Paul Riopelle et celle, chaotique, de la hongroise d’origine Judith Reigl ?
Cette dernière, après huit tentatives, réussit à quitter la Hongrie en mars 1950. Arrêtée en Autriche, dans la zone occupée par les Britanniques, elle est emprisonnée deux semaines dans un camp d’où elle s’enfuit. Après un voyage le plus souvent effectué à pied, en passant par Munich, Bruxelles et Lille, elle arrive à Paris le 25 juin 1950.
Au cours de l’été 1955 Joan Mitchell , pour sa part, se rend à Paris et se joint à une communauté d’artistes américains qui y vivent et y travaillent. C’est là qu’elle rencontre le canadien Jean-Paul Riopelle. Ils auront d’abord une relation à distance, elle continuant de vivre à New York, lui à Paris. Rapidement, ils emménagent ensemble dans la capitale Française.
On voit combien le mot d’émigration recouvre des histoires personnelles fort différentes, face à des réalités très contrastées. Organisé en quatre sections – l’exil, les échanges avec le pays d’accueil, la reconstitution de repères, un monde commun – le parcours de Paris et nulle part ailleurs propose un regard croisé entre art, histoire et sociologie de l’immigration.
Dès lors, la somme des œuvres présentées dans l’exposition pourrait sembler secondaire au regard de ce vécu migratoire. Pourtant, à l’évidence, c’est Paris qui détient la clef de ces mouvements. « De 1945 à 1970, aux côtés des Européens, des communau­tés de jeunes nord-américains, latino-américains, maghrébins, africains, moyen-orientaux, ex­trême-orientaux se créent, se renouvellent et facilitent la venue de nouveaux compatriotes. » Les salons et galeries d’avant-garde parisiens qui associent artistes français et non-français deviendront durablement cosmopolites grâce à ces mouvements en direction de Paris.

Joan Mitchell, A small garden, 1980. Paris, Centre Pompidou – Musée national d’art moderne – Centre de création industrielle.

Au regard de ce phénomène historique, la diversité artistique présentée dans l’exposition passe presque au second plan. De Soto à Cadéré, de Erro à Zao wouki, il faut chercher ce qui relie ces parcours si divers.
Très opportunément les documents photographiques présentés dans l’exposition témoignent de l’importance revêtue par les rencontres entre les artistes dans ces années cinquante puis soixante. Artistes de toutes origines et autochtones se réunissent régulièrement dans les ateliers, se retrouvent aussi vraisemblablement dans les cafés parisiens comme à l’époque effervescente des années 20 où Le Dôme puis la Coupole servent de point de ralliement pour Mondrian, Man Ray, Joséphine Baker et tant d’autres.
Plus tard, les artistes de l’exposition Mythologies quotidiennes réunis en juillet 1964 au restaurant Le Train bleu à Paris à l’occasion du vernissage, rassemblent dans une photo de groupe désormais historique l’espagnol Arroyo, l’allemand Klasen, l’américain Peter Saul, l’haïtien Télémaque, l’italien Récalcati, le suédois Fahlström, le suisse Tinguely, le portugais Bertholo, l’islandais Erro pour ne citer que quelques noms, autour de Rancillac, Monory notamment.
Si bien que choisir vint quatre noms parmi les centaines voire milliers d’artistes venus s’installer en France et plus particulièrement à Paris s’avère délicat. Il est vrai que Shirley Jaffe ou Sheila Hicks auraient mérité leur place dans l’exposition. Certains découvriront le peintre Sénégalais Iba N’Diaye trop peu présenté en France.
Paris et nulle part ailleurs nous parle d’une émigration source d’hybridation, de métissage, de dialogue, d’influences réciproques. Paris est devenu le centre de cette ébullition, animant les confrontations artistiques, parfois même les conflits. Comment la vie sur une frontière serait-elle autrement qu’agitée ? Paris sans frontières a symbolisé pendant plusieurs décennies cette idée de la liberté.

Photo de l’auteur

PARIS ET NULLE PART AILLEURS
MUSÉE NATIONAL DE L’HISTOIRE DE L’IMMIGRATION
Du 27 septembre 2022 au 22 janvier 2023
293, avenue Daumesnil – 75012 Paris

Commissaire de l’exposition : Jean Paul Ameline

Artistes présentés :

Shafic Abboud (Liban), Eduardo Arroyo (Espagne), André Cadere (Roumanie), Ahmed Cherkaoui (Maroc), Carlos Cruz-Diez (Vénézuela), Dado (Monténégro), Erró (Islande), Tetsumi Kudo (Japon), Wifredo Lam (Cuba), Julio Le Parc (Argentine), Milvia Maglione (Italie), Roberto Matta (Chili), Joan Mitchell (États-Unis), Véra Molnar (Hongrie), Iba N’Diaye (Sénégal), Alicia Penalba (Argentine), Judit Reigl (Hongrie), Antonio Seguí (Argentine), Jesús Rafael Soto (Vénézuela), Daniel Spoerri (Roumanie), Hervé Télémaque (Haïti), Victor Vasarely (Hongrie), Maria Helena Vieira da Silva (Portugal), Zao Wou-Ki (Chine).


Expositions

Hantaï : abstraction faite

« L’exposition du centenaire »

Neuf ans après la rétrospective Hantaï au Centre Pompidou de Paris, « L’exposition du centenaire » consacrée au peintre à la Fondation Louis Vuitton offre une panorama impressionnant sur le parcours de l’artiste d’origine hongroise. Dans la ville où il fit ses études d’art, Budapest, l’œuvre d’Hantaï fut paradoxalement absente pendant des années. Au grand centre d’art contemporain de la capitale hongroise, le Ludwig Museum, une seule toile faisait partie des collections permanentes. Ce n’est qu’en 2014 qu’une rétrospective significative fut proposée aux visiteurs.
Il est vrai que le peintre était arrivé à Paris en 1948, laissant derrière lui son pays, portant peut-être douloureusement les séquelles de la seconde guerre mondiale (il fut arrêté par les Croix fléchées pour une harangue anti-allemande qu’il lança à l’École des Beaux-Arts en 1944, et contraint de séjourner dans un camp pour artistes).
A la Fondation Vuitton plus de cent trente toiles surexposent le parcours d’un homme davantage habitué à la discrétion pour ne pas dire au repliement.

Toutes le périodes de son œuvres ( Peintures à signes, Monochromes, Mariales, Catamurons, Panses, Meuns, Études, Blancs, Tabulas, Peintures polychromes, Sérigraphies, Laissées) permettent d’appréhender ce qui constitue la nature à la fois d’un protocole de travail et d’une réflexion.

Qu’est-ce que peindre ?

Dès 1960, les Mariales font entrer l’œuvre d’Hantaï dans un univers à défricher : les Mariales font appel à la pliure de la toile avant de la peindre. Après le passage « à l’aveugle » de la peinture, la toile est dépliée et les parties non touchées par le première passage de la peinture sont a leur tour peintes. Une question décisive hantera son parcours : qu’est-ce que peindre ? Cette interrogation lancinante, d’autres que lui la reprendront à leur compte, notamment en France avec les groupes BMPT et Supports-Surfaces. Et cet éclairage sur l’œuvre d’Hantaï mérite que l’on s’y arrête.
Le groupe Supports-Surfaces qui a partir du milieu des années soixante s’attaque à une démarche élémentaire, sorte de retour aux origines de la peinture, recouvrant une grande diversité des pratiques, pose avec force cette question : qu’est-ce que peindre ? La toile se prête au pliage, au froissage, à l’enroulement, au collage, à la couture. Avec la revue Peinture-Cahiers théoriques, elle-même nourrie de la pensée dominant la revue Tel Quel marquée à la fois par le structuralisme, le freudisme et le maoïsme, les membres de Supports-Surfaces reconnaissent Simon Hantaï comme un défricheur dans cette recherche. Le peintre Jean-Michel Meurice, proche de Supports-Surfaces, réalise des films avec Hantaï. Pierre Buraglio, également associé au mouvement Supports/Surfaces, a introduit dans certaines de ses œuvres des « chutes » d’œuvres qu’Hantaï lui a données.


Avec le groupe BMPT la relation s’établir de façon plus personnelle. C’est vers 1963 que Daniel Buren commence à fréquenter l’atelier de Hantaï, voisin du sien à la cité des Fleurs. Début 1966, il lui fait rencontrer Michel Parmentier, qui, lui aussi, deviendra un proche.
Les membres du groupe BMPT (Buren, Mosset, Parmentier, Toroni) à l’occasion du Salon de la Jeune peinture de 1967 au musée d’art moderne de la ville de Paris clament « Nous ne sommes pas peintres ! » et se positionnement dans ce « degré zéro de la peinture ». La Fondation Vuitton évoque cette relation. Une intervention in situ inédite de Daniel Buren, intitulée Mur(s) pour Simon, travaux in situ et en six mouvements et conçue comme un hommage à Hantaï, est située dans le parcours de l’exposition. Par ailleurs, dans l’exposition voisine « La couleur eu fugue » présente le travail de Toroni.

Tabula (1976)

Abstraction faite

Ce terme de travail est d’ailleurs à prendre au premier degré et nous renvoie à Hantaï. Depuis un demi-siècle, même s’il décline à l’infini ce jeu autour de ce pinceau N° 50, Toroni ne peint pas un même tableau, il trace un sillon indélébile  et, avec un pied de nez au manifeste de BMPT, assène:  « Je suis peintre! ». Cette définition de la peinture par le travail, toute l’exposition d’Hantaï témoigne, me semble-t-il, de cet investissement acharné. Entre l’acte répétitif d’un Toroni et l’application absolue d’Hantaï dans la réalisation des  Tabulas , la peinture se révèle comme un labeur impérieux. Le travail s’inscrit dans la toile qui en exprime la trace dans la durée. La peinture d’Hantaï n’est pas seulement un abstraction, c’est une abstraction faite. Je serais presque tenté de rapprocher cette démarche de celle d’un Roman Opalka pour cette tentative d’une peinture du temps.
Après la biennale de Venise de 1982, Hantaï décide de se retirer du monde de l’art. Peint-il encore ? Pendant quinze ans son retrait est complet : il refuse toute proposition d’exposition ne s’exprime plus publiquement. Lorsque je le rencontre dans son atelier en 1996, la peinture habite pourtant toujours son espace. La Fondation Vuitton montre pour la première fois au public ces travaux de l’après 1982.

Simon Hantaï, l’exposition du centenaire
Fondation Louis Vuitton
du 18 mai au 29 août 2022
8 avenue du Mahatma Gandhi, Bois de Boulogne
75116, Paris,

Expositions

Les fables intranquilles de Mauro Bordin

La luxuriance de la jungle nous la connaissions déjà à travers les toiles du Douanier Rousseau, ce peintre voyageur qui n’avait pourtant jamais quitté la France. Son exotisme imaginaire et stylisé, issu du Jardin des Plantes, du jardin d’Acclimatation et des revues de botanique de l’époque, proposait un monde empreint de sérénité, nourri de la nostalgie de l’enfance, du merveilleux révélé par un homme vagabondant entre raison et fantasme.
C’est une autre jungle que nous propose Mauro Bordin actuellement au 100 ECS, rue de Charenton à Paris. Et si l’exubérance de cette nature inventée peut rivaliser avec celle du Douanier Rousseau, le monde qu’il nous révèle s’éloigne singulièrement de la candeur du peintre naïf. Car cette nature n’est peut-être pas aussi accueillante qu’il y paraît. Déjà, la densité inquiétante des cactées envahissant la toile du peintre alerte sur le danger redoutable de cette végétation trop monstrueuse pour être hospitalière. Si bien que les animaux de la ferme égarés dans ce cadre hostile, plutôt que sortis d’une fable de La Fontaine, semblent davantage s’être enfuis du monde de Georges Orwell. Cette flore colonisant les toiles porte à la fois son attrait naturel et sa répulsion périlleuse.

During Big Moon, 2019, 210×250 cm huile sur toile

D’une scène à l’autre les tableaux proposés par Mauro Bordin balancent en permanence entre ces deux penchants : l’apparence accueillante du cadre et la troublante mise en scène de ces fables grinçantes. Parfois même, au-delà du trouble, le sépulcral s’invite dans la saynète. Pour preuve cette « Danse macabre » de 2019 qui ne peut que créer le malaise. La grâce apparente de ces danseurs endiablés et la sinistre présence de ces cranes humains que l’on imagine ricanants, grimaçants comme pour mieux déstabiliser le spectateur stupéfait se superposent dans une séquence où justement le diable tire peut-être les ficelles de ces pantins en costume cravate.

Danse macabre, 2019, huile sur toile, 165×335 cm

Qu’est devenu, dans ces fresques, le monde du vivant ? L’univers qui nous est présenté d’un tableau au suivant serait-il le vestige fossilisé d’une civilisation perdue ou l’annonciateur inquiétant d’un futur pétrifié ? Cette fascination pour le cataclysme, le peintre s’y était déjà confronté avec l’impressionnante fresque de la ville d’Hiroshima après la bombe atomique, une œuvre de près de trente mètres de longueur réalisée au début des années 2000. Il s’agit d’un énorme puzzle composé de 220 parties assemblées. Le projet d’exposition se compose de deux périodes distinctes qu’on pourrait intituler « la décomposition », puis « la recomposition». Cet objectif ambitieux jouait sur une stratégie à l’intention des collectionneurs. L’idée était que les amateurs puissent acheter des éléments de la peinture pendant l’exposition, laissant ainsi des espaces vides apparaitre dans l’œuvre jusqu’à ce qu’elle soit progressivement supprimée, avant que, plus tard, une tentative de reconstitution de l’œuvre rassemble à nouveaux ces collectionneurs.
La mémoire de l’Apocalypse pourrait bien habiter la plupart des tableaux du peintre. Si bien que loin du jardin d’Eden, la profusion de cette flore inventée participe peut-être à un enfouissement des valeurs perdues d’un monde égaré, en voie de perdition. Le végétal inquiétant qui étouffe progressivement toutes ses toiles pourrait bien être l’ultime vainqueur sur cette humanité se détruisant elle-même à la manière des visions d’un Georges Orwell. Les fables intranquilles de Mauro Bordin trouvent alors chaque jour davantage, y compris dans les drames de l’actualité, leur raison d’être.

Le bûcher des Vanités

Prolongation jusqu’au 30.04.2022
SCIC le 100ecs
Établissement Culturel Solidaire
100, rue de Charenton
75012 Paris
Expositions

Georg Bazelitz , au risque de se perdre

Au moment où Georg Bazelitz est admis à l’École d’art et des arts appliqués de Weissensee à Berlin-Est en 1956, le jeune homme souffre comme beaucoup d’autres de la situation désastreuse dans laquelle se trouve la société allemande. « Je suis né dans un ordre détruit, un paysage détruit, un peuple détruit, une société détruite. J’ai été contraint de toute remettre en question, d’ère « naïf » , de repartir de zéro »  explique-t-il. Baselitz s’est inspiré de son lieu de naissance, Deutschbaselitz pour adopter son nom d’emprunt.

Et le choix de la peinture pourrait ne pas aller de soi. Cette réflexion a conduit d’autres artistes allemands à une toute autre démarche. A Düsseldorf, deux amis, voisins d’ateliers, Otto Piene et Heinz Mack décident d’ouvrir leurs locaux au public en 1957 lors d’une première manifestation nocturne, nommée «Expositions d’un soir». A l’origine il ne s’agit pas de constituer un groupe mais de partager l’approche d’un fait artistique : l’idée que la reconstruction pouvait naître de manière artistique si elle partait de l’esprit. Cette première présentation est considérée comme l’acte fondateur du groupe ZÉRO. Elle marque le lancement d’une action collective qui, en 1958, donnera le jour à une revue dans laquelle est publiée le « Manifeste Zéro » :

Zéro est silence. Zéro est commencement. Zéro est rond. Zéro tourne. Zéro est la lune. Le soleil est Zéro. Zéro est blanc. Le désert Zéro. Le ciel au-dessus de Zéro. La nuit. Zéro coule. L’oeil Zéro. Nombril. Bouche.(….)»
Non sans rappeler les conceptions du Bauhaus, le groupe Zéro souhaite se démarquer de la génération artistique traumatisée par la guerre. Zéro suppose un nouveau départ pour un monde nouveau et un art nouveau. Après les ratés de l’ancien monde, après les barbaries destructrices de la guerre, il fallait maintenant balayer les restes et repartir de zéro.

Cette image a un attribut alt vide ; le nom du fichier est bazelitz.jpg

Georg Bazelitz , pour sa part, fait le choix de la peinture avec même pour ambition de créer à Berlin une nouvelle peinture allemande. Repartir de zéro aura pour champ de bataille la toile du peintre. En 1969 , il réalise une série de tableaux aux motifs entièrement renversés. Bousculer, mettre à mal la figuration participent à cette remise en question de la peinture.
La grande rétrospective du Centre Pompidou à Paris nous fait traverser les différentes époque de cette peinture coup de poing,

Cette image a un attribut alt vide ; le nom du fichier est bazelitz3.jpg

Quand le mur de Berlin tombe en novembre 1989, remontent à la surface les souvenirs douloureux des bombardements de Dresde quand Georg, enfant de sept ans, subit cette histoire éprouvante.
A la différence du groupe Zéro qui fait table rase du passé, Bazelitz ne peut pas évacuer cette mémoire autrement qu’en transformant la peinture en un champ de bataille où figuration en abstraction s’entrechoquent sur la toile. La sculpture n’échappe pas à cette confrontation  : en 1980, le peintre provoque un scandale à la Biennale de Venise avec sa première sculpture, qui figure un homme au bras levé. Le geste, terrible méprise, est interprété comme un salut nazi.
L’exposition du Centre Pompidou ne peut laisser indifférent le visiteur qui reçoit en pleine face cette charge émotionnelle d’un artiste dont les ombres de l’histoire personnelle mêlées à celles de l’Histoire nationale hantent une peinture sans concession, sans choix définitif entre figuration et abstraction, au risque de se perdre.

Bazelitz
La rétrospective
20 Octobre 2021- 7 mars 2022
Centre Pompidou Paris

Expositions

Thierry Cauwet : trompe-l’image

Peut-être faudrait-il, pour décrire le travail de Thierry Cauwet, procéder avec les mots comme l’artiste procède avec les images ? Car les tableaux qui sont présentés actuellement à l’Espace Icare à Issy les Moulineaux témoignent de cette incessante remise en cause de la figuration, de cette volonté opiniâtre d’interroger le sens d’une représentation qui a traversé l’histoire de l’art. Entre geste peint et collage, le statut de cette œuvre semble ne pas vouloir se laisser enfermer dans une désignation unique. L’artiste explique d’ailleurs que l’unique n’est pas sa référence et que le double offre davantage de liberté à sa création. Les mots risquent donc de se télescoper, de s’entremêler, de se chevaucher pour tenter de décrire la démarche de Thierry Cauwet. Patchwork, puzzle, kaléidoscope sont des appellations que l’on est tenté de suggérer pour approcher cette opération de fragmentation, recomposition, assemblage. Mais elles ne cernent pas pour autant cette stratégie.

Beaucoup d’autres artistes ont, depuis longtemps, renoncé à une figuration voire même à la peinture. On observe que Thierry Cauwet ne se soustrait pas à cette confrontation et qu’il prend à bras le corps une question toujours vivante : comment travailler aujourd’hui sur cette convention : l’image ? A bras le corps semble d’ailleurs l’expression la mieux adaptée pour éclairer ce questionnement.
L’artiste, sur chaque toile, joue sur deux tableaux. Entre le corps et le geste d’une part, la déconstruction et recomposition matérielle d’autre part, la série de 2017 présentée à l’espace Icare par le peintre revisite la mythologie grecque.
Cette préoccupation s’inscrit dans le contemporain : « Devant le retour du religieux sous toutes ses formes, il m’a semblé qu’il était urgent de lui opposer cette autre source de la culture occidentale d’où naquit Chaos » explique l’artiste.

Espace Icare Issy les Moulineaux 2022

L’univers dans lequel nous entraîne Thierry Cauwet, au-delà de la mythologie Grecque, est celui de ce chaos des images, de cette explosion picturale qui lui sert à remettre en question la figuration et dans le même temps à interroger la nature même de la peinture.
Entre les peintres qui s’étaient interrogés sur la matérialité de la peinture, au temps de Supports/Surfaces et ceux qui s’étaient rebellés pour proposer une nouvelle figuration critique de son époque, Thierry Cauwet me semble adopter une autre voie : faire exploser cette représentation pour revenir à ce chaos originel. Geste, effacement, découpe, recomposition, collage. … Voilà que les mots s’éparpillent eux aussi, s’échappent d’une description construite pour tenter de restituer le processus mis en mouvement par le peintre. Dans un même tableau figuration et matérialité sont soumises à ce « Crash test » pour mieux nous laisser entrevoir l’origine de la peinture.

Cette image a un attribut alt vide ; le nom du fichier est cauwet-detail.jpg
(Détail)


Certes la mythologie Grecque reste le thème de cette série : Actéon et Artémis, Ariane et le Minotaure, Osiris, Zeus habitent ces représentations. Mais cet ancrage historique et culturel ne fait pas perde de vue qu’il est au service d’une préoccupation contemporaine : qu’est-ce que la peinture ? Qu’est-ce qu’une image ? Et entre sacré et religieux, la légitimité des images reste une question sensible. Et loin d’être simplement iconoclaste, Thierry Cauwet entraine la figuration dans un jeu de trompe-l’image qui nous oblige à le suivre sur ce terrain qui reste à défricher.

Thierry Cauwet

4 au 29 janvier 2022

Espace Icare
31 Bd Gambetta
92130 Issy les Moulineaux

Pour mémoire

Bernard Rancillac : la peinture au poing

Disparu le 29 Novembre, le peintre Bernard Rancillac laisse une œuvre forte, marquée par des choix affirmés tout au long de son parcours. Au salon de Mai de 1957,  « Que d’abstrait ! que d’abstrait ! » clame le jeune instituteur installé à Bourg la Reine qui veut devenir peintre. Face à ce qu’il n’hésitait pas à me décrire comme « La dictature de l’abstrait » lors que j’obtenais son témoignage pour une interview vidéo, Rancillac prend une position claire et définitive, assumant avec quelques autres de sa génération, le choix d’une figuration renouvelée. Cette voie pour une nouvelle figuration qui ne porte pas encore son nom voit le jour. Le recours à la bande dessinée offrira de nouvelles pistes pour quelque chose qui ne se soucie pas véritablement de figurer mais d’introduire dans la figuration une dimension critique. La photographie, avec le recours à l’épiscope, donne à cette peinture un potentiel tout à fait novateur. Cette avancée se renforce avec l’apparition d’une envie collective d’agir. L’exposition « Mythologies quotidiennes » de 1964  concrétise cette volonté : « L’exposition « Mythologies quotidiennes » aura servi à cela : à rapprocher un certain nombre d’entre nous en  nous éclairant les uns sur les autres. » écrit -il dans « Devenir peintre ».

Cette image a un attribut alt vide ; le nom du fichier est vive-la-revolution-populaire.jpg
« Vive la révolution populaire de Chine » 1966

Ce qui est devenu la Figuration Narrative après l’exposition des Mythologies quotidiennes (brocardée par Pierre Restany  qui y voit « De l’américanisme hâtif, mal digéré par de faux blousons noirs » ) se confronte aux tensions de son époque. Chez Bernard Rancillac, le recours à l’épiscope, assurant la complicité entre photographie et peinture, participe à cette implication des images de son temps dans une réflexion  politique : « C’est la photographie qui m’a amené a peindre la politique » dit-il. Du Front Polisario au Sahara occidental contre l’occupation espagnole au coup d’État de Pinochet au Chili, du conflit Cambodgien à la guerre civile algérienne ou encore des guerres de Tchétchénie, il délivre une chronique des tensions du monde. Cette peinture coup de poing dans laquelle les couleurs franches, primaires, claquent dans chaque tableau signent le positionnement d’un peintre au poing levé.
Le « Vive la révolution populaire de Chine » de 1966 de Rancillac doit être évalué, me semble-t-il, à l’aune d’une époque où l’idéologie révolutionnaire maoïste, hors des frontières de la Chine, enflammait les esprits d’artistes et d’intellectuels à la recherche de leur propre révolution culturelle. En 1965 Claude Otzenberger a déjà tourné « Demain la Chine« . 1967 voit arriver « La Chinoise » de Jean-Luc Godard qui veut « créer deux ou trois Vietnam au sein de l’empire Hollywood-Cinecittà-Mosfilms-Pinewood ». Mai 68 approche. Un peu plus tard Chris Marker filmera « Le fond de l’air est rouge ».
Cette peinture au poing identifie un artiste au caractère exigeant, parfois intransigeant sur l’historique de la Figuration narrative dont on sait pourtant que l’exposition des « Mythologies quotidiennes » montre combien de nombreux artistes n’eurent ensuite rien à voir avec ce mouvement. Comment la vie sur une frontière serait-elle autrement qu’agitée ?

La chaîne vidéo·Pour mémoire

Guy de Rougemont : itinéraire d’un dandy rigoureux

C’est un parcours dense et contrasté qui s’est achevé avec la mort de Guy de Rougemont (1935-2021) en août dernier. Le futur artiste compte parmi ses aïeuls le général baron Lejeune, le seul peintre de batailles sous Napoléon Ier. À seize ans, il passe avec sa famille une année à Washington D.C. où son père, officier, est nommé au Pentagone dans le cadre du Pacte Atlantique.
En 1965, Rougemont participe à la Biennale de Paris. Il retourne aux États-Unis et passe un an à New-York, entre 1965 et 1966 où fait connaissance avec Andy Warhol , Robert Indiana et Frank Stella. Ces rencontres avec les artistes américains et la découverte du Minimalisme vont le conduire à la peinture acrylique grand format.

De l’atelier populaire des Beaux-arts à l’Institut

En 1967, Rougemont participe au Salon de Mai à La Havane. Lorsque survient la turbulente année 1968 en France, le peintre importe la pratique de la sérigraphie à l’Atelier Populaire de l’École des Beaux-arts à Paris qui imprime un million d’affiches. Il rencontre cette même année les peintres Eduardo Arroyo, Gilles Aillaud, Francis Biras, Gérard Fromanger notamment. C’est le même artiste, impliqué dans le mouvement contestataire de mai 68 qui, trente plus tard, sera élu à l’Académie des Beaux-arts de Paris. C’est dire le contraste qui marque cet itinéraire d’un artiste qui n’a cessé d’explorer à la fois la peinture et sa confrontation avec l’art public.

Pour l’avoir rencontré dès le début des années soixante dix dans son atelier de la rue de quatre-fils à Paris, je garde le souvenir d’un homme affable, disponible, curieux, gardant toujours, à travers son discours, une distance salutaire et souriante avec le monde. Entre la rigueur structurée de sa peinture et son allure de dandy, Rougemont donnait à voir cette image d’homme libre sans véhémence.
S’il a beaucoup impliqué son travail dans le domaine des arts décoratifs, c’est dans la voie de l’art public que sa présence s’est affirmée avec force tout au long de son parcours. Et cet investissement concerne aussi bien les ensembles HLM comme à Vitry sur Seine en 1973 que le traitement du sol du Parvis Bellechasse devant le Musée d’Orsay.

« Environnement pour une autoroute  Autoioute de l’Est

Une modernité pour l’espace public

Dans la liste impressionnante de toutes les œuvres réalisées au sein de l’espace public, je garde personnellement un souvenir privilégié pour son « Environnement pour une autoroute » qui s’étend sur les bas-côtés d’une portion de trente km de l’Autoroute de l’Est en France. Sur ce segment d’autoroute, toute une séquence de sculptures polychromes de Guy de Rougemont rythme le paysage routier : des cylindres, des sphères, des cubes, des dalles géométriques qui entraînent les automobilistes dans une forme d’art cinétique, celle que produit le spectateur par son propre déplacement.
Les Villes Nouvelles sont devenues également un espace privilégié pour mettre en œuvre cet art contemporain public : Cergy-Pontoise (sculpture monumentale au Groupe Scolaire de Croix-Petit, créée en 1974), Marne-la-Vallée (tracé au sol de la gare du RER de Noisy-le-Grand-Mont d’Est, réalisé en 1976). En 1995 il réalise l’environnement du Foyer de la Grande Arche à La Défense à Paris. Il serait impossible d’évoquer en quelques lignes la foisonnante production de l’artiste dans cet espace public qui témoigne de la richesse de sa création.

Au-delà de la trace que laisse Guy de Rougemont dans la mémoire des amateurs d’art, c’est vraisemblablement cette présence au quotidien qui restera essentielle dans cette relation au monde.