Expositions

Au Mémorial de Caen : la Figuration narrative face au monde

Après les périodes de notoriété les artistes de la Figuration Narrative semblaient souffrir des avancées de l’art contemporain qui reléguaient quelque peu au second plan les tenants d’une peinture considérée comme datée, voire dépassée.
Depuis quelques années, sans que l’on puisse situer exactement l’origine de ce déclenchement il faut se rendre à l’évidence : la Figuration narrative connaît un retour en grâce indéniable.

« Mythologies quotidiennes » et les autres

« Que d’abstrait ! que d’abstrait ! » clamait le jeune instituteur Bernard Rancillac qui voulait devenir peintre dans les années 50. En juillet 1964 au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, l’exposition « Mythologies quotidiennes » est organisée par le critique d’art Gérald Gassiot-Talabot et les peintres Bernard Rancillac et Hervé Télémaque. Certes la tentative de définition de Gassiot-Talabot “ Est narrative toute œuvre plastique qui se réfère à une représentation figurée dans la durée, par son écriture et sa composition, sans qu’il y ait toujours à proprement parler de ‘‘récit » ” présentait le mérite de cadrer large quand bien même certains ont voulu restreinte plus tard à une illusoire rigueur historique le mouvement aux participants de cette exposition dans laquelle prenaient place de nombreux artistes qui se sont révélés tellement éloignés de la Figuration Narrative.

« « Années pop, années choc 1960-1975 »

Un des mérites de l’exposition « « Années pop, années choc 1960-1975 » au Mémorial de Caen, qui évite dans son titre d’employer la formule Figuration narrative, est justement d’associer au mouvement générique, pour lequel les conflits de paternité peuvent paraître désormais assez dérisoires, des artistes qui n’étaient pas reconnus dans ces critères historiques discutables. Pendant combien d’années le silence a recouvert le travail de la coopérative des Malassis avant que l’on redécouvre sa spécificité?

Dans l’impressionnante collection des 350 œuvres de la collection privée de Jean-Claude Gandur soixante-neuf pièces de vingt-six artistes sont présentées sur les deux niveaux de l’exposition temporaire actuellement visible au Mémorial de Caen.
Un autre mérite de cette exposition est de nous présenter des toiles mal connues que l’on aborde avec intérêt. Arroyo, Erró, Fromanger, Klasen, Messac, Rancillac, Schlosser, Télémaque sont des noms familiers  de ce mouvement mais certaines œuvres apparaissent ici comme des découvertes.

A l’image de Gérard Fromanger clamant «  Le monde n’est pas un spectacle ni une représentation. Je suis dans le monde, pas devant le monde« , bon nombre de ces peintres ont fait de leur figuration non seulement un réponse à cette « Dictature de l’abstrait » que dénonçait Rancillac au Salon de Mai de 1957, mais également un outil de contestation pour lequel certains ont manifesté leur aptitude au sein de l’Atelier Populaire de 1968 à la Sorbonne.
Le 8 mai 1968 un comité de grève se constitue à l’École des beaux-arts de Paris. Des artistes du Salon de la Jeune Peinture, comme Gilles Aillaud, Eduardo Arroyo, Francis Biras, Pierre Buraglio, Gérard Fromanger, Bernard Rancillac ou Gérard Tisserand organisent le mouvement : assemblée générale journalière, discussions, décisions collégiales … Le 14 mai, étudiants et artistes impriment une première affiche en lithographie à trente exemplaires “Usines, Universités, Union”. Le même jour, le peintre Guy de Rougemont et le sérigraphe Éric Seydoux, qui maîtrisent cette technique de la sérigraphie, sont chargés de mettre en place un atelier et initient étudiants et artistes à cette technique nouvelle qui permet d’imprimer plus rapidement que la lithographie. La totalité des affiches imprimées atteindra le million.

Erró

Le mouvement de cette peintres est donc directement confronté à la société de son temps, par l’engagement personnel de certains d’entre eux dans l’action militante et plus généralement par cette nouvelle peinture se servant notamment de l’outil photographique comme une « objectivation » post-Duchamp de cette figuration.
Élargie à des noms moins connus de cette tendance, l’exposition prend sa place dans l’histoire de l’art et dans l’Histoire du monde dont le mémorial de Caen est partie prenante.

« Années pop, années choc, 1960-1975 »

Du 22 juin au 31 décembre 2023

Mémorial de Caen
En partenariat avec la Fondation Gandur pour l’Art.

Expositions

Gilles Aillaud : la philosophie par la peinture

« Animal politique »

Lorsque l’on déambule dans l’exposition Gilles Aillaud du Centre Pompidou à Paris, l’approche politique n’est pas la première réflexion qui pourrait venir à l’esprit.
Pourtant un tableau tranche sur l’ensemble consacré au règne animal : « Vietnam. La Bataille du riz » (1968), s’inspire d’une photographie de presse datée de 1965. Un soldat US escorté par une combattante vietnamienne. Il s’agit d’un sous-officier, mécanicien navigant à bord d’un hélicoptère de recherche et de secours : l’appareil s’écrase en territoire nord-vietnamien et tout l’équipage est fait prisonnier (20 septembre 1965). La rizière est un ajout de l’artiste et contribue à contextualiser le tableau.
Lorsqu’il entre au comité du salon de la Jeune peinture en 1964 puis quand il devient son président un an plus tard, le peintre Gilles Aillaud  est à la tête  d’une bande de « putschistes » car ces jeunes artistes trublions ont poussé dehors une vieille garde d’artistes figuratifs, et tous marqués par une orientation d’extrême gauche, ils effectuent alors leurs choix artistiques en fonction de critères politiques. Eduardo Arroyo, son ami, explique que sous l’influence de Gilles Aillaud, théoricien du groupe, l’important était de « soumettre l’art à des préoccupations idéologiques plutôt qu’esthétiques« . Le bulletin de la Jeune peinture devient désormais un instrument de lutte politique. C’est le temps de la « Salle rouge pour le Vietnam » .

« Vietnam. La Bataille du riz » (1968)

« Peindre philosophiquement »

Pourtant la presque totalité des tableaux présentés au Centre Pompidou nous renvoie au thème majeur que n’a cessé de développer Gilles Aillaud : notre relation au règne animal. Le peintre représente des animaux seuls dans des zoos, enfermés dans des cages, derrière des grilles, des enclos, des verrières. Et si l’exposition porte pour titre « Gilles Aillaud, animal politique », c’est bien parce que l’artiste nous interpelle globalement sur cette relation douloureuse avec le monde animal. Aillaud, apprend-t-on, voulait être philosophe. A défaut d’avoir poursuivi dans cette voie, c’est avec l’art qu’il s’est employé à « peindre philosophiquement ».

L’apparente objectivité qui relie toutes ces toiles consacrées le plus souvent à l’enfermement des animaux n’a rien d’une neutralité au regard de l’insupportable acceptation de cette relation entre l’humanité et le règne animal. Mais Aillaud ne se lance pas dans une croisade militante. C’est peut-être cette objectivité photographique qui peut générer le malaise chez l’observateur. Le peintre nous laisse seul face à une réalité dont nous devons assumer  la responsabilité de juger. Avons nous si longtemps accepté l’idée du zoo comme lieu de plaisir pour les enfants, de découverte des espèces sauvages sans douter un instant sur les conditions de vie des animaux sauvages ? Faut-il admettre sous les vocables divers de parc zoologique, parc animalier, jardin zoologique, la réalité coercitive dans laquelle des êtres vivants sont parqués pour le plaisir des spectateurs ?
Le peintre ne se livre pas à un plaidoyer pour la liberté animale. Il ne nous dit rien. Serait-ce encore un enfermement contre lequel il se bat ? Sa vigilance intellectuelle totalement en éveil, le peintre ne se départit  pas d’un léger sourire pour me dire « Débrouillez-vous !  » lorsque je l’interroge lors d’un entretien vidéo en 1995 sur cet engagement dans la peinture au premier abord si éloigné de la posture militante revendiquée avec ses amis de la Jeune Peinture.

Pour son tableau, « Vietnam. La Bataille du riz » (1968), Aillaud jouait quelque peu avec la réalité objective de la photo de presse en y intégrant une rizière. Avec les animaux enfermés, nul besoin d’en rajouter. La réalité s’impose brutalement devant nos yeux avec le sentiment coupable que nous avons passé tant d’années à la regarder sans la voir. « Animal politique » certes mais alors cette approche de la politique pourrait bien nous renvoyer à cette terribler accusation de Frantz Fanon :
« Il n’y a pas d’innocents, pas de spectateurs. Nous sommes tous en train de nous salir les mains dans les marais de notre sol et le vide effroyable de nos cerveaux. Tout spectateur est un lâche ou un traître.”

Gilles Aillaud
« Animal politique »
4 oct. 2023 – 26 févr. 2024

Centre Pompidou Paris

Expositions

Ivan Messac : la peinture après Duchamp

Ivan Messac, Pop Drawings and More

Depuis plus d’un demi-siècle, Ivan Messac, qui n’a cessé d’être le benjamin de la Figuration narrative, a toujours voulu rester un artiste libre, refusant d’être enfermé dans un mouvement, une discipline, une pratique, au risque de désorienter ceux qui ont vu dans sa peinture dès les années soixante dix une réflexion décisive. Au fil des années, le peintre est devenu sculpteur, revenu à la peinture, s’éloignant de son rapport si déterminant à la photographie pour retrouver, j’imagine, le plaisir de peindre autrement.
L’exposition Ivan Messac, Pop Drawings and More en cours à la galerie T&L à Paris permet de cerner ces différents aspects dans la relation du peintre à la peinture sans privilégier l’un d’entre eux.

Les Chieurs, 1972

Pourtant ce qui s’est passé pour lui comme pour certains autres artistes de ce mouvement de la Figuration narrative n’est pas seulement une séquence de plus dans l’aventure de la peinture, mais révèle un nouveau rapport historique à celle-ci.

L’objectivation de la peinture

Depuis le vingtième siècle l’ombre de Marcel Duchamp plane sur l’art en général et les peintres, consciemment ou non, n’ont pu ignorer ce bouleversement radical. L’objet devenu en soi œuvre d’art chez Duchamp a interrogé les peintres dans leur relation à la toile, à la nature du geste de création. La photographie, telle qu’elle est mise alors à contribution par ceux qui refusèrent d’abandonner la peinture, devient un instrument de transformation du réel appliqué à la figuration. Ivan Messac a très vite saisi cette objectivation de la représentation et, délibérément ou non, promu une peinture post-Duchamp. La réduction de la couleur à un aplat ajoute à cette objectivation, telle qu’on la retrouve chez Gérard Fromanger.
Dans ce mouvement de la Figuration narrative, qui n’a pas connu la même astreinte collective que d’autres (Comme Supports/Surfaces par exemple), ce rapport à la photographie n’est pas rigoureusement identique d’un peintre à l’autre. Chez certains d’entre eux, le geste de peindre a conservé sa nature habituelle, le recours à la photographie étant utilisé comme une technique facilitant la reproduction du réel. On sait bien que l’objectif de l’appareil photo n’est pas «objectif». Pourtant l’objectivation de l’acte de peindre avec ce recours à la photographie constitue un changement radical, voire irréversible. Mais Ivan Messac, avec ce farouche désir de liberté, n’a pas accepté cette irréversibilité.

Minorité absolue, 1972, gouache

Il ne m’en voudra pas (j’espère) de privilégier ce qui fait, à mon sens, la valeur primordiale de son travail avec ce moment de bascule de la peinture.  Et dans ce mouvement de la Figuration narrative, dont le nom n’est pas évoqué dans l’exposition actuelle au profit d’une peinture Pop, se révèle et se cache à la fois un changement d’état historique qui n’est peut-être pas encore valorisé comme il devrait l’être.

« Une vie en images »

Dans quelques jours Ivan Messac dédicace à la librairie Les Cahiers de Colette à Paris l’album « Une vie en images », composé de 170 pages dessinées. Nous sommes toujours dans ce questionnement sans fin sur l’image. Entre le réel, la peinture, et la photographie, quelque chose s’est passé il y a plus de cinquante années et le regard sur la peinture est désormais celui de Duchamp et après.

Ivan Messac, Pop Drawings and More
31 mai – 18 juin 2023
Galerie T&L
61 rue de la Verrerie
75004 Paris

Ivan Messac, une vie en images
Librairie Les Cahiers de Colette
Le vendredi 16 juin à partir de 18 heures
23/25 rue Rambuteau 75004 Paris

Expositions

Paris, l’art sans frontières

Quitter sont pays d’origine n’est pas un acte anodin. Les enjeux de la migration à Paris pour les artistes étrangers montrent combien les motivations peuvent à la fois trouver des origines diverses dans la décision du voyage et comparables pour les valeurs qui les attirent.

Paris et nulle part ailleurs

L’exposition Paris et nulle part ailleurs que présente le musée de l’histoire de l’immigration à Paris met en lumière cette diversité. Peut-on comparer l’arrivée en France de l’américaine Joan Mitchell rejoignant en France celui qui devient son compagnon , Jean Paul Riopelle et celle, chaotique, de la hongroise d’origine Judith Reigl ?
Cette dernière, après huit tentatives, réussit à quitter la Hongrie en mars 1950. Arrêtée en Autriche, dans la zone occupée par les Britanniques, elle est emprisonnée deux semaines dans un camp d’où elle s’enfuit. Après un voyage le plus souvent effectué à pied, en passant par Munich, Bruxelles et Lille, elle arrive à Paris le 25 juin 1950.
Au cours de l’été 1955 Joan Mitchell , pour sa part, se rend à Paris et se joint à une communauté d’artistes américains qui y vivent et y travaillent. C’est là qu’elle rencontre le canadien Jean-Paul Riopelle. Ils auront d’abord une relation à distance, elle continuant de vivre à New York, lui à Paris. Rapidement, ils emménagent ensemble dans la capitale Française.
On voit combien le mot d’émigration recouvre des histoires personnelles fort différentes, face à des réalités très contrastées. Organisé en quatre sections – l’exil, les échanges avec le pays d’accueil, la reconstitution de repères, un monde commun – le parcours de Paris et nulle part ailleurs propose un regard croisé entre art, histoire et sociologie de l’immigration.
Dès lors, la somme des œuvres présentées dans l’exposition pourrait sembler secondaire au regard de ce vécu migratoire. Pourtant, à l’évidence, c’est Paris qui détient la clef de ces mouvements. « De 1945 à 1970, aux côtés des Européens, des communau­tés de jeunes nord-américains, latino-américains, maghrébins, africains, moyen-orientaux, ex­trême-orientaux se créent, se renouvellent et facilitent la venue de nouveaux compatriotes. » Les salons et galeries d’avant-garde parisiens qui associent artistes français et non-français deviendront durablement cosmopolites grâce à ces mouvements en direction de Paris.

Joan Mitchell, A small garden, 1980. Paris, Centre Pompidou – Musée national d’art moderne – Centre de création industrielle.

Au regard de ce phénomène historique, la diversité artistique présentée dans l’exposition passe presque au second plan. De Soto à Cadéré, de Erro à Zao wouki, il faut chercher ce qui relie ces parcours si divers.
Très opportunément les documents photographiques présentés dans l’exposition témoignent de l’importance revêtue par les rencontres entre les artistes dans ces années cinquante puis soixante. Artistes de toutes origines et autochtones se réunissent régulièrement dans les ateliers, se retrouvent aussi vraisemblablement dans les cafés parisiens comme à l’époque effervescente des années 20 où Le Dôme puis la Coupole servent de point de ralliement pour Mondrian, Man Ray, Joséphine Baker et tant d’autres.
Plus tard, les artistes de l’exposition Mythologies quotidiennes réunis en juillet 1964 au restaurant Le Train bleu à Paris à l’occasion du vernissage, rassemblent dans une photo de groupe désormais historique l’espagnol Arroyo, l’allemand Klasen, l’américain Peter Saul, l’haïtien Télémaque, l’italien Récalcati, le suédois Fahlström, le suisse Tinguely, le portugais Bertholo, l’islandais Erro pour ne citer que quelques noms, autour de Rancillac, Monory notamment.
Si bien que choisir vint quatre noms parmi les centaines voire milliers d’artistes venus s’installer en France et plus particulièrement à Paris s’avère délicat. Il est vrai que Shirley Jaffe ou Sheila Hicks auraient mérité leur place dans l’exposition. Certains découvriront le peintre Sénégalais Iba N’Diaye trop peu présenté en France.
Paris et nulle part ailleurs nous parle d’une émigration source d’hybridation, de métissage, de dialogue, d’influences réciproques. Paris est devenu le centre de cette ébullition, animant les confrontations artistiques, parfois même les conflits. Comment la vie sur une frontière serait-elle autrement qu’agitée ? Paris sans frontières a symbolisé pendant plusieurs décennies cette idée de la liberté.

Photo de l’auteur

PARIS ET NULLE PART AILLEURS
MUSÉE NATIONAL DE L’HISTOIRE DE L’IMMIGRATION
Du 27 septembre 2022 au 22 janvier 2023
293, avenue Daumesnil – 75012 Paris

Commissaire de l’exposition : Jean Paul Ameline

Artistes présentés :

Shafic Abboud (Liban), Eduardo Arroyo (Espagne), André Cadere (Roumanie), Ahmed Cherkaoui (Maroc), Carlos Cruz-Diez (Vénézuela), Dado (Monténégro), Erró (Islande), Tetsumi Kudo (Japon), Wifredo Lam (Cuba), Julio Le Parc (Argentine), Milvia Maglione (Italie), Roberto Matta (Chili), Joan Mitchell (États-Unis), Véra Molnar (Hongrie), Iba N’Diaye (Sénégal), Alicia Penalba (Argentine), Judit Reigl (Hongrie), Antonio Seguí (Argentine), Jesús Rafael Soto (Vénézuela), Daniel Spoerri (Roumanie), Hervé Télémaque (Haïti), Victor Vasarely (Hongrie), Maria Helena Vieira da Silva (Portugal), Zao Wou-Ki (Chine).


Pour mémoire

Bernard Rancillac : la peinture au poing

Disparu le 29 Novembre, le peintre Bernard Rancillac laisse une œuvre forte, marquée par des choix affirmés tout au long de son parcours. Au salon de Mai de 1957,  « Que d’abstrait ! que d’abstrait ! » clame le jeune instituteur installé à Bourg la Reine qui veut devenir peintre. Face à ce qu’il n’hésitait pas à me décrire comme « La dictature de l’abstrait » lors que j’obtenais son témoignage pour une interview vidéo, Rancillac prend une position claire et définitive, assumant avec quelques autres de sa génération, le choix d’une figuration renouvelée. Cette voie pour une nouvelle figuration qui ne porte pas encore son nom voit le jour. Le recours à la bande dessinée offrira de nouvelles pistes pour quelque chose qui ne se soucie pas véritablement de figurer mais d’introduire dans la figuration une dimension critique. La photographie, avec le recours à l’épiscope, donne à cette peinture un potentiel tout à fait novateur. Cette avancée se renforce avec l’apparition d’une envie collective d’agir. L’exposition « Mythologies quotidiennes » de 1964  concrétise cette volonté : « L’exposition « Mythologies quotidiennes » aura servi à cela : à rapprocher un certain nombre d’entre nous en  nous éclairant les uns sur les autres. » écrit -il dans « Devenir peintre ».

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« Vive la révolution populaire de Chine » 1966

Ce qui est devenu la Figuration Narrative après l’exposition des Mythologies quotidiennes (brocardée par Pierre Restany  qui y voit « De l’américanisme hâtif, mal digéré par de faux blousons noirs » ) se confronte aux tensions de son époque. Chez Bernard Rancillac, le recours à l’épiscope, assurant la complicité entre photographie et peinture, participe à cette implication des images de son temps dans une réflexion  politique : « C’est la photographie qui m’a amené a peindre la politique » dit-il. Du Front Polisario au Sahara occidental contre l’occupation espagnole au coup d’État de Pinochet au Chili, du conflit Cambodgien à la guerre civile algérienne ou encore des guerres de Tchétchénie, il délivre une chronique des tensions du monde. Cette peinture coup de poing dans laquelle les couleurs franches, primaires, claquent dans chaque tableau signent le positionnement d’un peintre au poing levé.
Le « Vive la révolution populaire de Chine » de 1966 de Rancillac doit être évalué, me semble-t-il, à l’aune d’une époque où l’idéologie révolutionnaire maoïste, hors des frontières de la Chine, enflammait les esprits d’artistes et d’intellectuels à la recherche de leur propre révolution culturelle. En 1965 Claude Otzenberger a déjà tourné « Demain la Chine« . 1967 voit arriver « La Chinoise » de Jean-Luc Godard qui veut « créer deux ou trois Vietnam au sein de l’empire Hollywood-Cinecittà-Mosfilms-Pinewood ». Mai 68 approche. Un peu plus tard Chris Marker filmera « Le fond de l’air est rouge ».
Cette peinture au poing identifie un artiste au caractère exigeant, parfois intransigeant sur l’historique de la Figuration narrative dont on sait pourtant que l’exposition des « Mythologies quotidiennes » montre combien de nombreux artistes n’eurent ensuite rien à voir avec ce mouvement. Comment la vie sur une frontière serait-elle autrement qu’agitée ?

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Mémoires d’expositions : Annoncez la couleur ! à ACMCM Perpignan 2014

« A cent mètres du centre du monde »

La rubrique « Mémoires d’expositions » du vidéo-magazine des Chroniques du chapeau noir propose de revenir sur celle consacrée à Gérard Fromanger : « Annoncez la couleur ! » à Perpignan en 2014 à « A cent mètres du centre du monde », premier grand déploiement de cette exposition sur 1400 M2.
Après la première exposition à la galerie Le Garage à Orléans en 2009, cette exposition va pouvoir bénéficier à Perpignan d’un espace exceptionnel à « A cent mètres du centre du monde. »
L’exposition « Annoncez la couleur !  » met l’œuvre de Fromanger en perspective avec Louis Ducos du Hauron, inventeur de la photographie couleur en trichromie, si méconnu et si déterminant dans l’aventure de notre image contemporaine. La première photographie couleur, prise à Agen en 1877, reposait sur le principe de Maxwell de décomposition de la lumière par les trois couleurs/lumières primaires : rouge, vert,  bleu.  Il réalisa trois photographies d’un même sujet au travers de filtres de verre colorés successivement en rouge, bleu et vert qui laissaient passer seulement les radiations de sa couleur, interceptant toutes les autres. En superposant enfin les trois épreuves, il obtint la restitution des couleurs. Le procédé de trichromie était né. Ce procédé résumé ici en quelques mots était le fruit de longues recherches et d’essais aux résultats souvent infructueux.
Gérard Fromanger parcourt en sens inverse le chemin de Louis Ducos du Hauron,  en décomposant cette trichromie photographique pour mettre en scène les couleurs.

Annoncez la couleur ! à  » A cent mètres du centre du monde  » à Perpignan

 » La trajectoire qui mène de la photographie au tableau« 

Dans « La peinture photogénique« , Michel Foucault écrit au sujet des peintres de la Figuration narrative: « Ce qu’ils ont produit au terme de leur travail, ce n’est pas un tableau construit à partir d’une photographie, ni une photographie maquillée en tableau, mais une image saisie dans la trajectoire qui la mène de la photographie au tableau ».

C’est cette trajectoire que l’exposition ambitionne de révéler dans cette relation  à la couleur, avec cette mise en perspective Fromanger/Ducos du Hauron.
Le cheminement de Gérard Fromanger se poursuit ainsi dans cette quête, associée à un mouvement artistique qui a connu bien des turbulences. La Figuration narrative n’est pas un long fleuve tranquille. Elle a été agitée souvent par les susceptibilités, les oppositions internes. Le critique d’art Jean-Luc Chalumeau écrivait : « Nous assistons à un phénomène comparable à celui qui fit d’Andy Warhol, arrivé sur la scène artistique après Lichtenstein et quelques autres, l’incarnation même du Pop art.  Voilà que l’Histoire est en train de désigner Gérard Fromanger comme le représentant emblématique de la Figuration narrative(…) ».

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Mémoires d’expositions : la mémoire du geste au musée Rétif à Vence en 2010

En ces temps de diète pour l’actualité artistique réduite au silence, le vidéo-magazine des Chroniques du chapeau noir inaugure une nouvelle rubrique : « Mémoires d’expositions« .
Pour ouvrir cette rubrique, le vidéo-magazine N°24 présente « La mémoire du geste » , exposition présentée au Musée Rétif à Vence en 2010. Les œuvres de Gérard Guyomard, Gérard Le Cloarec et Vladimir Velickovic illustrent, avec en perspective patrimoniale les travaux d’Etienne-Jules Marey sur le mouvement, ce moment impalpable où l’imaqe fixe devient image animée.

Vladimir Velickovic

Pour avoir eu le privilège d’exposer Vladimir Velickovic dans « La mémoire du geste », je garde le souvenir de ces impressionnants triptyques et quadriptyques qui conjuguaient le geste contemporain du peintre et la relation patrimoniale avec les pionniers de l’image animée. D’Eadweard Muybride à Etienne-Jules Marey pour lequel avait accédé à ma demande de rendre hommage dans une création originale, Vélikcovic poursuivait inlassablement cette course sans fin, des chiens aux humains, pour mieux mettre en scène ce qui devait bien nous ramener à la peur de cette « Course à la mort » écrivait Jean-Luc Chalumeau.

Vladimir Velkickovic série de triptyques et quadriptyques au Musée Rétif à Vence en 2010

Gérard Guyomard

Chez Gérard Guyomard, peinture et photographie font, depuis de nombreuses années, cause commune. Dans les années soixante-dix, alors qu’il observe un jour l’entrée du métro Télégraphe à Paris, Guyomard est frappé par l’éphémère passage des vagues d’usagers à l’arrivée de chaque rame. Si l’outil photographique lui sert à capter le flot des voyageurs, c’est bien pour engager le travail du peintre sur une nouvelle voie : les superpositions.

Madonna Gérard Guyomard

Reprenant sur la toile, à partir de ses photos, les silhouettes fugitives de ces passants déjà oubliés, il superpose sur son dessin tous ces fantômes et ne supprime rien. Ce qui, pour des gens d’images photographiques ou cinématographiques, s’appellerait rémanence devient pour le peintre le moyen de donner à sa peinture l’épaisseur de la mémoire et le souvenir du mouvement. Le peintre fixe sur le plan du tableau cette persistance rétinienne, miracle physiologique et mental à l’origine d’une illusion magique : la perception du mouvement.
Curieusement sa figuration devient au gré de la complexité des superpositions de plus en plus…abstraite. « Trodinfotulinfo » titre-t-il malicieusement.
Il est facile d’identifier Gérard Guyomard où qu’il soit par son rire sonore, ponctuation permanante de son discours. Prenant toujours une distance apparente avec le sérieux d’un commentaire, ce tenant de la figuration narrative lance « Je me narre…! ».

Gérard Le Cloarec

Avec les moyens de la peinture, Gérard Le Cloarec participe à l’invention de cet espace contemporain qui intègre les acquis de son époque : la photographie, le cinématographe et la télévision. De l’émulsion du photographe aux pixels de la télévision, le peintre se joue de ces composants pour mieux nous montrer que la peinture reste son médium privilégié. Curieusement, cette modernité s’est trouvée confrontée, après des années de peinture, à ce qui pourrait être considéré comme une grande tradition : le portrait. Bien sûr, cette description serait trop réductrice pour décrire le projet de Gérard Le Cloarec.

Balistique Gérard Le Cloarec

Quand il est question de portrait, il faut entendre, sous cette figuration prétexte, l’investissement du tableau par la mémoire de ce nous évoquions au début : le peintre, habité par l’image photographique, l’image animée, l’image électronique, nous propose un portrait mental de son modèle. Pierre Restany évoquait, au sujet de Gérard Le Cloarec « les pixels en folie » .

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Vidéo-magazine N°14 : Gérard Fromanger « Annoncez la couleur ! »

Au musée des Beaux-arts de Caen vient de s’ouvrir l’exposition « Annoncez la couleur ! » avec Gérard Fromanger dans le cadre de « Normandie impressionniste ».

« Quand le photographe Nadar présente dans son atelier en 1874 les peintres encore mal aimés qui deviendront les « Impressionnistes » après la visite du critique Louis Leroy dans cette exposition, le captivant jeu d’aller retour entre peinture et photographie ouvre une page nouvelle après toutes celles écrites depuis que la caméra obscura du peintre a offert au photographe l’outil majeur de son existence. Un siècle plus tard, l’œuvre de Gérard Fromanger trouve, avec l’inventeur de la photographie couleur en trichromie Louis Ducos du Hauron, une complicité objective à travers le temps. L’exposition « Annoncez la couleur ! » , présentée au musée des Beaux-arts de Caen, retrace le parcours d’un peintre qui a, sur soixante années de création, opéré cette réflexion sur la couleur avec la décomposition chromatique de la lumière ainsi que pour la déconstruction trichrome de l’image couleur. Louis Ducos du Hauron exprimait l’objectif de « Forcer le soleil à peindre avec des couleurs toutes faites qu’on lui présente ». Pour Gérard Fromanger, de l’œuvre « Le soleil inonde ma toile » (1966) à « Impression soleil levant 2019 « , ce parcours, sur plus d’un demi-siècle de peinture, interroge la lumière, la décomposition du spectre puis engage une stratégie de la couleur fondée sur cette trichromie revue en quadrichromie.
Cette exploration ne se limite pas au phénomène physique de la lumière. L’implication du peintre dans son époque anime son œuvre depuis sa participation active à l’atelier des Beaux-arts de Paris en mai 1968. « Le monde n’est pas un spectacle, ni une représentation. Je suis dans le monde, pas devant le monde. ». Assumer cet engagement personnel passe par la réflexion sur ce que doit être la peinture. « Faut-il peindre la révolution ou révolutionner la peinture ? » « Selon moi, concluait Gérard Fromanger, pour peindre la révolution, il fallait déjà révolutionner la peinture

Claude Guibert
Commissaire de l’exposition

« Annoncez la couleur ! »
Gérard FROMANGER

du 12 septembre 2020 au 3 Janvier 2021
Musée des Beaux-arts der Caen
Le château
14000 Caen

                                                                         
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Vidéo-magazine N°12 : Cueco, jeune peintre

Après la visite effective de l’exposition consacrée à Henri Cueco au M.A.S.C. des Sables d’Olonne, ce second vidéo-magazine porte l’éclairage sur l’itinéraire personnel de celui qui participa activement au groupe de la Coopérative des Malassis.

« Cueco, jeune peintre »

Jusqu’au 20 Septembre 2020

MUSÉE D’ART MODERNE ET CONTEMPORAIN
ABBAYE SAINTE-CROIX
Rue de Verdun,
85100 Les Sables-d’Olonne

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Vidéo magazine N°5 : Henri Cueco

Le musée de l’abbaye Sainte croix aux Sables d’Olonne prolonge l’exposition consacrée au peintre Henri Cueco.

Henri Cueco : la stratégie du rat
( Article paru le 24 juillet 2012)

Evoquer Henri Cueco, c’ est prendre en compte une perspective de plus de cinquante ans, avec sa première participation au salon de la jeune peinture en 1952. À partir de 1962, Cueco peint des séries (« Rivières », « Salles de bains », « Jeux d’adultes », « Hommes rouges ») dont la technique utilise des figures découpées, aplats de couleur, pointillés et rayures. Il est associé alors au mouvement de la figuration narrative qui se développe au milieu des années 1960.
Herni Cueco entame alors l’aventure collective de la coopérative des Malassis, issue du salon de la jeune peinture. Les premiers écrits ou travaux de la Jeune Peinture témoignent dès 1966 de la conscience claire d’une crise idéologique et de la nécessité de repenser le rôle des artistes et de leurs pro­duits en termes politiques. La crise de mai 1968 a illustré et fait mûrir ces points de vue donnant à la Jeune Peinture une position d’avant garde.
Henri Cueco a fait son œuvre ; le groupe des Malassis a cessé son activité collective. Témoignant sur ce chemin redevenu solitaire, le peintre s’exprime avec beaucoup de simplicité ; on le sent toujours en quête d’interrogation sur son travail, presque étonné de son développement.
A l’époque où les peintres de Supports/surfaces procédaient à la remise à plat de la peinture, ceux de la nouvelle figuration avaient donc fait un choix différent, même si, dans les deux démarches, leurs réflexions conduisaient à des prises de position politique et militante.
Henri Cueco, dans ce choix figuratif, est peut-être celui qui a le plus interrogé, à sa manière, la peinture, comparé aux autres peintres de la Figuration narrative.
Son expérience de la pratique collective, au sein de la coopérative des Malassis, a assurément donné une dimension particulière à l’engagement du peintre.

Puis le peintre élargit les réflexions du peintre et apporte son concours à l’association Pays-Paysage dont il fut un des fondateurs en 1979.
L’écriture devient alors chez lui un autre moyen d’appréhender le monde. Il publie de nombreux textes parmi lesquels L’Arène de l’art , essai écrit avec P. Gaudibert en 1988, critique virulente d’un minimalisme académique et d’un art conceptuel devenus trop officiels, à son goût, en France, Journal d’atelier , 1988-1991 ou Le Journal d’une pomme de terre , Comment grossir sans se priver en 1997, Discours inaugural du centre national de la faute d’orthographe et du lapsus . Tout récemment, il fait paraître « L’été des serpents » :
« J’ai quinze ans à la fin de la guerre. L’aventure de la mort héroïque est terminée. Il va falloir apprendre à mourir de maladie et de vieillesse. C’est jeune pour mourir vieux. J’ai raté ma guerre. J’étais trop jeune pour être un héros.». La guerre au quotidien dans une petite ville de Corrèze : les boches et les résistants, les braves et les veules, les communistes et les collabos ; les réfugiés espagnols bien sûr et quelques familles juives. Un quotidien entre soumission et courage qui n’empêche pas les rires et les amours. Et les rêves, les désirs surtout, de femmes… de toutes les femmes. »De cette activité polymorphe, Henri Cueco a, semble-t-il, cherché le sens de sa propre démarche, d’une toile à un livre, d’une expérience intimiste à une action syndicale ou politique pour tenter de comprendre cette inexplicable présence au monde.

« Mon itinéraire ? J’ai utilisé pour m’en sortir la stratégie du rat : tout essayer inlassablement jusqu’à ce que l’on trouve la sortie . Mais sortir de quoi au juste ? »

Henri Cueco, jeune peintre
Du 12/05/2020 au 20/09/2020
Musée de l’Abbaye Sainte-Croix
Croisée culturelle
rue de Verdun
85100 LES SABLES D’OLONNE