Après les périodes de notoriété les artistes de la Figuration Narrative semblaient souffrir des avancées de l’art contemporain qui reléguaient quelque peu au second plan les tenants d’une peinture considérée comme datée, voire dépassée.
Depuis quelques années, sans que l’on puisse situer exactement l’origine de ce déclenchement il faut se rendre à l’évidence : la Figuration narrative connaît un retour en grâce indéniable.
« Mythologies quotidiennes » et les autres
« Que d’abstrait ! que d’abstrait ! » clamait le jeune instituteur Bernard Rancillac qui voulait devenir peintre dans les années 50. En juillet 1964 au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, l’exposition « Mythologies quotidiennes » est organisée par le critique d’art Gérald Gassiot-Talabot et les peintres Bernard Rancillac et Hervé Télémaque. Certes la tentative de définition de Gassiot-Talabot “ Est narrative toute œuvre plastique qui se réfère à une représentation figurée dans la durée, par son écriture et sa composition, sans qu’il y ait toujours à proprement parler de ‘‘récit » ” présentait le mérite de cadrer large quand bien même certains ont voulu restreinte plus tard à une illusoire rigueur historique le mouvement aux participants de cette exposition dans laquelle prenaient place de nombreux artistes qui se sont révélés tellement éloignés de la Figuration Narrative.
« « Années pop, années choc 1960-1975 »
Un des mérites de l’exposition « « Années pop, années choc 1960-1975 » au Mémorial de Caen, qui évite dans son titre d’employer la formule Figuration narrative, est justement d’associer au mouvement générique, pour lequel les conflits de paternité peuvent paraître désormais assez dérisoires, des artistes qui n’étaient pas reconnus dans ces critères historiques discutables. Pendant combien d’années le silence a recouvert le travail de la coopérative des Malassis avant que l’on redécouvre sa spécificité?
Dans l’impressionnante collection des 350 œuvres de la collection privée de Jean-Claude Gandur soixante-neuf pièces de vingt-six artistes sont présentées sur les deux niveaux de l’exposition temporaire actuellement visible au Mémorial de Caen.
Un autre mérite de cette exposition est de nous présenter des toiles mal connues que l’on aborde avec intérêt. Arroyo, Erró, Fromanger, Klasen, Messac, Rancillac, Schlosser, Télémaque sont des noms familiers de ce mouvement mais certaines œuvres apparaissent ici comme des découvertes.
A l’image de Gérard Fromanger clamant « Le monde n’est pas un spectacle ni une représentation. Je suis dans le monde, pas devant le monde« , bon nombre de ces peintres ont fait de leur figuration non seulement un réponse à cette « Dictature de l’abstrait » que dénonçait Rancillac au Salon de Mai de 1957, mais également un outil de contestation pour lequel certains ont manifesté leur aptitude au sein de l’Atelier Populaire de 1968 à la Sorbonne.
Le 8 mai 1968 un comité de grève se constitue à l’École des beaux-arts de Paris. Des artistes du Salon de la Jeune Peinture, comme Gilles Aillaud, Eduardo Arroyo, Francis Biras, Pierre Buraglio, Gérard Fromanger, Bernard Rancillac ou Gérard Tisserand organisent le mouvement : assemblée générale journalière, discussions, décisions collégiales … Le 14 mai, étudiants et artistes impriment une première affiche en lithographie à trente exemplaires “Usines, Universités, Union”. Le même jour, le peintre Guy de Rougemont et le sérigraphe Éric Seydoux, qui maîtrisent cette technique de la sérigraphie, sont chargés de mettre en place un atelier et initient étudiants et artistes à cette technique nouvelle qui permet d’imprimer plus rapidement que la lithographie. La totalité des affiches imprimées atteindra le million.
Le mouvement de cette peintres est donc directement confronté à la société de son temps, par l’engagement personnel de certains d’entre eux dans l’action militante et plus généralement par cette nouvelle peinture se servant notamment de l’outil photographique comme une « objectivation » post-Duchamp de cette figuration.
Élargie à des noms moins connus de cette tendance, l’exposition prend sa place dans l’histoire de l’art et dans l’Histoire du monde dont le mémorial de Caen est partie prenante.
« Années pop, années choc, 1960-1975 »
Du 22 juin au 31 décembre 2023
Mémorial de Caen
En partenariat avec la Fondation Gandur pour l’Art.