Expositions

Paris, l’art sans frontières

Quitter sont pays d’origine n’est pas un acte anodin. Les enjeux de la migration à Paris pour les artistes étrangers montrent combien les motivations peuvent à la fois trouver des origines diverses dans la décision du voyage et comparables pour les valeurs qui les attirent.

Paris et nulle part ailleurs

L’exposition Paris et nulle part ailleurs que présente le musée de l’histoire de l’immigration à Paris met en lumière cette diversité. Peut-on comparer l’arrivée en France de l’américaine Joan Mitchell rejoignant en France celui qui devient son compagnon , Jean Paul Riopelle et celle, chaotique, de la hongroise d’origine Judith Reigl ?
Cette dernière, après huit tentatives, réussit à quitter la Hongrie en mars 1950. Arrêtée en Autriche, dans la zone occupée par les Britanniques, elle est emprisonnée deux semaines dans un camp d’où elle s’enfuit. Après un voyage le plus souvent effectué à pied, en passant par Munich, Bruxelles et Lille, elle arrive à Paris le 25 juin 1950.
Au cours de l’été 1955 Joan Mitchell , pour sa part, se rend à Paris et se joint à une communauté d’artistes américains qui y vivent et y travaillent. C’est là qu’elle rencontre le canadien Jean-Paul Riopelle. Ils auront d’abord une relation à distance, elle continuant de vivre à New York, lui à Paris. Rapidement, ils emménagent ensemble dans la capitale Française.
On voit combien le mot d’émigration recouvre des histoires personnelles fort différentes, face à des réalités très contrastées. Organisé en quatre sections – l’exil, les échanges avec le pays d’accueil, la reconstitution de repères, un monde commun – le parcours de Paris et nulle part ailleurs propose un regard croisé entre art, histoire et sociologie de l’immigration.
Dès lors, la somme des œuvres présentées dans l’exposition pourrait sembler secondaire au regard de ce vécu migratoire. Pourtant, à l’évidence, c’est Paris qui détient la clef de ces mouvements. « De 1945 à 1970, aux côtés des Européens, des communau­tés de jeunes nord-américains, latino-américains, maghrébins, africains, moyen-orientaux, ex­trême-orientaux se créent, se renouvellent et facilitent la venue de nouveaux compatriotes. » Les salons et galeries d’avant-garde parisiens qui associent artistes français et non-français deviendront durablement cosmopolites grâce à ces mouvements en direction de Paris.

Joan Mitchell, A small garden, 1980. Paris, Centre Pompidou – Musée national d’art moderne – Centre de création industrielle.

Au regard de ce phénomène historique, la diversité artistique présentée dans l’exposition passe presque au second plan. De Soto à Cadéré, de Erro à Zao wouki, il faut chercher ce qui relie ces parcours si divers.
Très opportunément les documents photographiques présentés dans l’exposition témoignent de l’importance revêtue par les rencontres entre les artistes dans ces années cinquante puis soixante. Artistes de toutes origines et autochtones se réunissent régulièrement dans les ateliers, se retrouvent aussi vraisemblablement dans les cafés parisiens comme à l’époque effervescente des années 20 où Le Dôme puis la Coupole servent de point de ralliement pour Mondrian, Man Ray, Joséphine Baker et tant d’autres.
Plus tard, les artistes de l’exposition Mythologies quotidiennes réunis en juillet 1964 au restaurant Le Train bleu à Paris à l’occasion du vernissage, rassemblent dans une photo de groupe désormais historique l’espagnol Arroyo, l’allemand Klasen, l’américain Peter Saul, l’haïtien Télémaque, l’italien Récalcati, le suédois Fahlström, le suisse Tinguely, le portugais Bertholo, l’islandais Erro pour ne citer que quelques noms, autour de Rancillac, Monory notamment.
Si bien que choisir vint quatre noms parmi les centaines voire milliers d’artistes venus s’installer en France et plus particulièrement à Paris s’avère délicat. Il est vrai que Shirley Jaffe ou Sheila Hicks auraient mérité leur place dans l’exposition. Certains découvriront le peintre Sénégalais Iba N’Diaye trop peu présenté en France.
Paris et nulle part ailleurs nous parle d’une émigration source d’hybridation, de métissage, de dialogue, d’influences réciproques. Paris est devenu le centre de cette ébullition, animant les confrontations artistiques, parfois même les conflits. Comment la vie sur une frontière serait-elle autrement qu’agitée ? Paris sans frontières a symbolisé pendant plusieurs décennies cette idée de la liberté.

Photo de l’auteur

PARIS ET NULLE PART AILLEURS
MUSÉE NATIONAL DE L’HISTOIRE DE L’IMMIGRATION
Du 27 septembre 2022 au 22 janvier 2023
293, avenue Daumesnil – 75012 Paris

Commissaire de l’exposition : Jean Paul Ameline

Artistes présentés :

Shafic Abboud (Liban), Eduardo Arroyo (Espagne), André Cadere (Roumanie), Ahmed Cherkaoui (Maroc), Carlos Cruz-Diez (Vénézuela), Dado (Monténégro), Erró (Islande), Tetsumi Kudo (Japon), Wifredo Lam (Cuba), Julio Le Parc (Argentine), Milvia Maglione (Italie), Roberto Matta (Chili), Joan Mitchell (États-Unis), Véra Molnar (Hongrie), Iba N’Diaye (Sénégal), Alicia Penalba (Argentine), Judit Reigl (Hongrie), Antonio Seguí (Argentine), Jesús Rafael Soto (Vénézuela), Daniel Spoerri (Roumanie), Hervé Télémaque (Haïti), Victor Vasarely (Hongrie), Maria Helena Vieira da Silva (Portugal), Zao Wou-Ki (Chine).


Pour mémoire

Bernard Rancillac : la peinture au poing

Disparu le 29 Novembre, le peintre Bernard Rancillac laisse une œuvre forte, marquée par des choix affirmés tout au long de son parcours. Au salon de Mai de 1957,  « Que d’abstrait ! que d’abstrait ! » clame le jeune instituteur installé à Bourg la Reine qui veut devenir peintre. Face à ce qu’il n’hésitait pas à me décrire comme « La dictature de l’abstrait » lors que j’obtenais son témoignage pour une interview vidéo, Rancillac prend une position claire et définitive, assumant avec quelques autres de sa génération, le choix d’une figuration renouvelée. Cette voie pour une nouvelle figuration qui ne porte pas encore son nom voit le jour. Le recours à la bande dessinée offrira de nouvelles pistes pour quelque chose qui ne se soucie pas véritablement de figurer mais d’introduire dans la figuration une dimension critique. La photographie, avec le recours à l’épiscope, donne à cette peinture un potentiel tout à fait novateur. Cette avancée se renforce avec l’apparition d’une envie collective d’agir. L’exposition « Mythologies quotidiennes » de 1964  concrétise cette volonté : « L’exposition « Mythologies quotidiennes » aura servi à cela : à rapprocher un certain nombre d’entre nous en  nous éclairant les uns sur les autres. » écrit -il dans « Devenir peintre ».

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« Vive la révolution populaire de Chine » 1966

Ce qui est devenu la Figuration Narrative après l’exposition des Mythologies quotidiennes (brocardée par Pierre Restany  qui y voit « De l’américanisme hâtif, mal digéré par de faux blousons noirs » ) se confronte aux tensions de son époque. Chez Bernard Rancillac, le recours à l’épiscope, assurant la complicité entre photographie et peinture, participe à cette implication des images de son temps dans une réflexion  politique : « C’est la photographie qui m’a amené a peindre la politique » dit-il. Du Front Polisario au Sahara occidental contre l’occupation espagnole au coup d’État de Pinochet au Chili, du conflit Cambodgien à la guerre civile algérienne ou encore des guerres de Tchétchénie, il délivre une chronique des tensions du monde. Cette peinture coup de poing dans laquelle les couleurs franches, primaires, claquent dans chaque tableau signent le positionnement d’un peintre au poing levé.
Le « Vive la révolution populaire de Chine » de 1966 de Rancillac doit être évalué, me semble-t-il, à l’aune d’une époque où l’idéologie révolutionnaire maoïste, hors des frontières de la Chine, enflammait les esprits d’artistes et d’intellectuels à la recherche de leur propre révolution culturelle. En 1965 Claude Otzenberger a déjà tourné « Demain la Chine« . 1967 voit arriver « La Chinoise » de Jean-Luc Godard qui veut « créer deux ou trois Vietnam au sein de l’empire Hollywood-Cinecittà-Mosfilms-Pinewood ». Mai 68 approche. Un peu plus tard Chris Marker filmera « Le fond de l’air est rouge ».
Cette peinture au poing identifie un artiste au caractère exigeant, parfois intransigeant sur l’historique de la Figuration narrative dont on sait pourtant que l’exposition des « Mythologies quotidiennes » montre combien de nombreux artistes n’eurent ensuite rien à voir avec ce mouvement. Comment la vie sur une frontière serait-elle autrement qu’agitée ?

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Mémoires d’expositions : Annoncez la couleur ! à ACMCM Perpignan 2014

« A cent mètres du centre du monde »

La rubrique « Mémoires d’expositions » du vidéo-magazine des Chroniques du chapeau noir propose de revenir sur celle consacrée à Gérard Fromanger : « Annoncez la couleur ! » à Perpignan en 2014 à « A cent mètres du centre du monde », premier grand déploiement de cette exposition sur 1400 M2.
Après la première exposition à la galerie Le Garage à Orléans en 2009, cette exposition va pouvoir bénéficier à Perpignan d’un espace exceptionnel à « A cent mètres du centre du monde. »
L’exposition « Annoncez la couleur !  » met l’œuvre de Fromanger en perspective avec Louis Ducos du Hauron, inventeur de la photographie couleur en trichromie, si méconnu et si déterminant dans l’aventure de notre image contemporaine. La première photographie couleur, prise à Agen en 1877, reposait sur le principe de Maxwell de décomposition de la lumière par les trois couleurs/lumières primaires : rouge, vert,  bleu.  Il réalisa trois photographies d’un même sujet au travers de filtres de verre colorés successivement en rouge, bleu et vert qui laissaient passer seulement les radiations de sa couleur, interceptant toutes les autres. En superposant enfin les trois épreuves, il obtint la restitution des couleurs. Le procédé de trichromie était né. Ce procédé résumé ici en quelques mots était le fruit de longues recherches et d’essais aux résultats souvent infructueux.
Gérard Fromanger parcourt en sens inverse le chemin de Louis Ducos du Hauron,  en décomposant cette trichromie photographique pour mettre en scène les couleurs.

Annoncez la couleur ! à  » A cent mètres du centre du monde  » à Perpignan

 » La trajectoire qui mène de la photographie au tableau« 

Dans « La peinture photogénique« , Michel Foucault écrit au sujet des peintres de la Figuration narrative: « Ce qu’ils ont produit au terme de leur travail, ce n’est pas un tableau construit à partir d’une photographie, ni une photographie maquillée en tableau, mais une image saisie dans la trajectoire qui la mène de la photographie au tableau ».

C’est cette trajectoire que l’exposition ambitionne de révéler dans cette relation  à la couleur, avec cette mise en perspective Fromanger/Ducos du Hauron.
Le cheminement de Gérard Fromanger se poursuit ainsi dans cette quête, associée à un mouvement artistique qui a connu bien des turbulences. La Figuration narrative n’est pas un long fleuve tranquille. Elle a été agitée souvent par les susceptibilités, les oppositions internes. Le critique d’art Jean-Luc Chalumeau écrivait : « Nous assistons à un phénomène comparable à celui qui fit d’Andy Warhol, arrivé sur la scène artistique après Lichtenstein et quelques autres, l’incarnation même du Pop art.  Voilà que l’Histoire est en train de désigner Gérard Fromanger comme le représentant emblématique de la Figuration narrative(…) ».

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Mémoires d’expositions : la mémoire du geste au musée Rétif à Vence en 2010

En ces temps de diète pour l’actualité artistique réduite au silence, le vidéo-magazine des Chroniques du chapeau noir inaugure une nouvelle rubrique : « Mémoires d’expositions« .
Pour ouvrir cette rubrique, le vidéo-magazine N°24 présente « La mémoire du geste » , exposition présentée au Musée Rétif à Vence en 2010. Les œuvres de Gérard Guyomard, Gérard Le Cloarec et Vladimir Velickovic illustrent, avec en perspective patrimoniale les travaux d’Etienne-Jules Marey sur le mouvement, ce moment impalpable où l’imaqe fixe devient image animée.

Vladimir Velickovic

Pour avoir eu le privilège d’exposer Vladimir Velickovic dans « La mémoire du geste », je garde le souvenir de ces impressionnants triptyques et quadriptyques qui conjuguaient le geste contemporain du peintre et la relation patrimoniale avec les pionniers de l’image animée. D’Eadweard Muybride à Etienne-Jules Marey pour lequel avait accédé à ma demande de rendre hommage dans une création originale, Vélikcovic poursuivait inlassablement cette course sans fin, des chiens aux humains, pour mieux mettre en scène ce qui devait bien nous ramener à la peur de cette « Course à la mort » écrivait Jean-Luc Chalumeau.

Vladimir Velkickovic série de triptyques et quadriptyques au Musée Rétif à Vence en 2010

Gérard Guyomard

Chez Gérard Guyomard, peinture et photographie font, depuis de nombreuses années, cause commune. Dans les années soixante-dix, alors qu’il observe un jour l’entrée du métro Télégraphe à Paris, Guyomard est frappé par l’éphémère passage des vagues d’usagers à l’arrivée de chaque rame. Si l’outil photographique lui sert à capter le flot des voyageurs, c’est bien pour engager le travail du peintre sur une nouvelle voie : les superpositions.

Madonna Gérard Guyomard

Reprenant sur la toile, à partir de ses photos, les silhouettes fugitives de ces passants déjà oubliés, il superpose sur son dessin tous ces fantômes et ne supprime rien. Ce qui, pour des gens d’images photographiques ou cinématographiques, s’appellerait rémanence devient pour le peintre le moyen de donner à sa peinture l’épaisseur de la mémoire et le souvenir du mouvement. Le peintre fixe sur le plan du tableau cette persistance rétinienne, miracle physiologique et mental à l’origine d’une illusion magique : la perception du mouvement.
Curieusement sa figuration devient au gré de la complexité des superpositions de plus en plus…abstraite. « Trodinfotulinfo » titre-t-il malicieusement.
Il est facile d’identifier Gérard Guyomard où qu’il soit par son rire sonore, ponctuation permanante de son discours. Prenant toujours une distance apparente avec le sérieux d’un commentaire, ce tenant de la figuration narrative lance « Je me narre…! ».

Gérard Le Cloarec

Avec les moyens de la peinture, Gérard Le Cloarec participe à l’invention de cet espace contemporain qui intègre les acquis de son époque : la photographie, le cinématographe et la télévision. De l’émulsion du photographe aux pixels de la télévision, le peintre se joue de ces composants pour mieux nous montrer que la peinture reste son médium privilégié. Curieusement, cette modernité s’est trouvée confrontée, après des années de peinture, à ce qui pourrait être considéré comme une grande tradition : le portrait. Bien sûr, cette description serait trop réductrice pour décrire le projet de Gérard Le Cloarec.

Balistique Gérard Le Cloarec

Quand il est question de portrait, il faut entendre, sous cette figuration prétexte, l’investissement du tableau par la mémoire de ce nous évoquions au début : le peintre, habité par l’image photographique, l’image animée, l’image électronique, nous propose un portrait mental de son modèle. Pierre Restany évoquait, au sujet de Gérard Le Cloarec « les pixels en folie » .

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Vidéo-magazine N°14 : Gérard Fromanger « Annoncez la couleur ! »

Au musée des Beaux-arts de Caen vient de s’ouvrir l’exposition « Annoncez la couleur ! » avec Gérard Fromanger dans le cadre de « Normandie impressionniste ».

« Quand le photographe Nadar présente dans son atelier en 1874 les peintres encore mal aimés qui deviendront les « Impressionnistes » après la visite du critique Louis Leroy dans cette exposition, le captivant jeu d’aller retour entre peinture et photographie ouvre une page nouvelle après toutes celles écrites depuis que la caméra obscura du peintre a offert au photographe l’outil majeur de son existence. Un siècle plus tard, l’œuvre de Gérard Fromanger trouve, avec l’inventeur de la photographie couleur en trichromie Louis Ducos du Hauron, une complicité objective à travers le temps. L’exposition « Annoncez la couleur ! » , présentée au musée des Beaux-arts de Caen, retrace le parcours d’un peintre qui a, sur soixante années de création, opéré cette réflexion sur la couleur avec la décomposition chromatique de la lumière ainsi que pour la déconstruction trichrome de l’image couleur. Louis Ducos du Hauron exprimait l’objectif de « Forcer le soleil à peindre avec des couleurs toutes faites qu’on lui présente ». Pour Gérard Fromanger, de l’œuvre « Le soleil inonde ma toile » (1966) à « Impression soleil levant 2019 « , ce parcours, sur plus d’un demi-siècle de peinture, interroge la lumière, la décomposition du spectre puis engage une stratégie de la couleur fondée sur cette trichromie revue en quadrichromie.
Cette exploration ne se limite pas au phénomène physique de la lumière. L’implication du peintre dans son époque anime son œuvre depuis sa participation active à l’atelier des Beaux-arts de Paris en mai 1968. « Le monde n’est pas un spectacle, ni une représentation. Je suis dans le monde, pas devant le monde. ». Assumer cet engagement personnel passe par la réflexion sur ce que doit être la peinture. « Faut-il peindre la révolution ou révolutionner la peinture ? » « Selon moi, concluait Gérard Fromanger, pour peindre la révolution, il fallait déjà révolutionner la peinture

Claude Guibert
Commissaire de l’exposition

« Annoncez la couleur ! »
Gérard FROMANGER

du 12 septembre 2020 au 3 Janvier 2021
Musée des Beaux-arts der Caen
Le château
14000 Caen

                                                                         
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Vidéo-magazine N°12 : Cueco, jeune peintre

Après la visite effective de l’exposition consacrée à Henri Cueco au M.A.S.C. des Sables d’Olonne, ce second vidéo-magazine porte l’éclairage sur l’itinéraire personnel de celui qui participa activement au groupe de la Coopérative des Malassis.

« Cueco, jeune peintre »

Jusqu’au 20 Septembre 2020

MUSÉE D’ART MODERNE ET CONTEMPORAIN
ABBAYE SAINTE-CROIX
Rue de Verdun,
85100 Les Sables-d’Olonne

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Vidéo magazine N°5 : Henri Cueco

Le musée de l’abbaye Sainte croix aux Sables d’Olonne prolonge l’exposition consacrée au peintre Henri Cueco.

Henri Cueco : la stratégie du rat
( Article paru le 24 juillet 2012)

Evoquer Henri Cueco, c’ est prendre en compte une perspective de plus de cinquante ans, avec sa première participation au salon de la jeune peinture en 1952. À partir de 1962, Cueco peint des séries (« Rivières », « Salles de bains », « Jeux d’adultes », « Hommes rouges ») dont la technique utilise des figures découpées, aplats de couleur, pointillés et rayures. Il est associé alors au mouvement de la figuration narrative qui se développe au milieu des années 1960.
Herni Cueco entame alors l’aventure collective de la coopérative des Malassis, issue du salon de la jeune peinture. Les premiers écrits ou travaux de la Jeune Peinture témoignent dès 1966 de la conscience claire d’une crise idéologique et de la nécessité de repenser le rôle des artistes et de leurs pro­duits en termes politiques. La crise de mai 1968 a illustré et fait mûrir ces points de vue donnant à la Jeune Peinture une position d’avant garde.
Henri Cueco a fait son œuvre ; le groupe des Malassis a cessé son activité collective. Témoignant sur ce chemin redevenu solitaire, le peintre s’exprime avec beaucoup de simplicité ; on le sent toujours en quête d’interrogation sur son travail, presque étonné de son développement.
A l’époque où les peintres de Supports/surfaces procédaient à la remise à plat de la peinture, ceux de la nouvelle figuration avaient donc fait un choix différent, même si, dans les deux démarches, leurs réflexions conduisaient à des prises de position politique et militante.
Henri Cueco, dans ce choix figuratif, est peut-être celui qui a le plus interrogé, à sa manière, la peinture, comparé aux autres peintres de la Figuration narrative.
Son expérience de la pratique collective, au sein de la coopérative des Malassis, a assurément donné une dimension particulière à l’engagement du peintre.

Puis le peintre élargit les réflexions du peintre et apporte son concours à l’association Pays-Paysage dont il fut un des fondateurs en 1979.
L’écriture devient alors chez lui un autre moyen d’appréhender le monde. Il publie de nombreux textes parmi lesquels L’Arène de l’art , essai écrit avec P. Gaudibert en 1988, critique virulente d’un minimalisme académique et d’un art conceptuel devenus trop officiels, à son goût, en France, Journal d’atelier , 1988-1991 ou Le Journal d’une pomme de terre , Comment grossir sans se priver en 1997, Discours inaugural du centre national de la faute d’orthographe et du lapsus . Tout récemment, il fait paraître « L’été des serpents » :
« J’ai quinze ans à la fin de la guerre. L’aventure de la mort héroïque est terminée. Il va falloir apprendre à mourir de maladie et de vieillesse. C’est jeune pour mourir vieux. J’ai raté ma guerre. J’étais trop jeune pour être un héros.». La guerre au quotidien dans une petite ville de Corrèze : les boches et les résistants, les braves et les veules, les communistes et les collabos ; les réfugiés espagnols bien sûr et quelques familles juives. Un quotidien entre soumission et courage qui n’empêche pas les rires et les amours. Et les rêves, les désirs surtout, de femmes… de toutes les femmes. »De cette activité polymorphe, Henri Cueco a, semble-t-il, cherché le sens de sa propre démarche, d’une toile à un livre, d’une expérience intimiste à une action syndicale ou politique pour tenter de comprendre cette inexplicable présence au monde.

« Mon itinéraire ? J’ai utilisé pour m’en sortir la stratégie du rat : tout essayer inlassablement jusqu’à ce que l’on trouve la sortie . Mais sortir de quoi au juste ? »

Henri Cueco, jeune peintre
Du 12/05/2020 au 20/09/2020
Musée de l’Abbaye Sainte-Croix
Croisée culturelle
rue de Verdun
85100 LES SABLES D’OLONNE

Expositions

Valério Adami : les voyages de la pensée

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L’Ascension, 1984 Acrylique sur toile , 198 × 147 cm


A l’âge de dix-sept ans, Valerio Adami rencontre l’écrivain et philosophe Édouard Glissant au Salon de Mai à Paris en 1952 . Ce dernier lui présente les peintres Wifredo Lam et Roberto Matta. Puis Glissant et Adami décident de partir à l’aventure en Italie : en moto ou en auto-stop, à pied ou à l’arrière d’un pick-up. Tous deux se lancent à la découverte des minuscules îlots de Lampedusa, de Lampione et de Linosa constituant l’archipel des Pelages. Lorsque l’on nomme aujourd’hui l’oeuvre de Glissant comme « pensée archipélique« , on mesure combien Valério Adami a accompagné au plus près, avec cette relation d’amitié, l’avènement du penseur pour qui cette pensée archipélique se révèle annonciatrice des concepts de Tout-monde ou Mondialité.
Si bien qu’avec le recul de temps, l’oeuvre du peintre Valério Adami peut être observée en conservant à l’esprit le couple peinture-pensée. Avec Édouard Glisssant, Adami fréquente d’autres penseurs parmi lesquels Italo Calvino, JacquesDerrida, Miche Deguy, Carlos Fuentes, Jean-Luc Nancy, Antonio Tabucchi.


La Figuration narrative en solitaire

Certes Adami s’est retrouvé associé au courant de la Figuration narrative, mais cette traversée s’est exercée en solitaire. Alors que les Erro, Fromanger, Klasen, Rancillac et d’autres s’impliquaient dans une mouvance sociétale et politique de la peinture, totalement immergée dans les tensions de leur époque, Valério Adami se situait déjà dans une approche analytique de l’image, «procédé de la mytonymie » écrivait Jean Clair dès les années soixante dix.
Le nomadisme d’Adami n’a eu de cesse d’associer peinture, voyages et pensée. En 1958, il passe l’hiver à Londres. En 1960, il expose à Rome. Il participe aux expositions Young Italian Painters au Musée d’Art Moderne de Kamakura au Japon. Puis, il s’établit à Paris . En 1966, il séjourne à New-York où il habite le devenu mythique Chelsea Hotel. En 1967, il fait partie de la délégation du Salon de Mai invitée à Cuba, et séjourne pendant trois mois à La Havane. En 1969, il séjourne à Caracas, à l’occasion d’une exposition personnelle au Museo de Bellas Artes. Puis il retourne dans son atelier de New-York, où il travaille plusieurs mois par an. En 1976, il fait son premier voyage en Inde. À l’occasion d’une exposition de dessins au Transgaarden de Hellrup (Copenhague), il part pour un grand voyage dans les pays nordiques. L’année suivante, il fait un long séjour au Mexique tandis que le Museo d’Arte Moderno de la ville de Mexico lui consacre une exposition. Pendant l’été, il est à Jérusalem où l’Israel Museum présente une rétrospective. Cette description n’est que partielle mais elle témoigne de cette ardente nécessité de relier les terres, les hommes, les idées.

Valério Adami Les années 80 Galerie Daniel Templon 2019

A la galerie Daniel Templon à Paris, ce sont les œuvres des années quatre-vingt qui sont privilégiées. A l’époque où Valério Adami peint ces toiles, je découvre en 1985 dans l’atelier du maître verrier Jacques Loire près de Chartres, la réalisation en cours de vitraux conçus à partir de maquettes du peintre. Avec cette ligne épaisse qui cerne les objets et les personnages, traités en aplats de couleur (presque) pure et sans ombres, le vitrail apparaît comme un aboutissement naturel de sa peinture

Lorsqu’en 2004, toujours à la galerie Daniel Templon, Valério Adami est présenté, c’est encore l’ami Édouard Glissant qui écrit un texte dans le catalogue de l’exposition : « Dans cette peinture réglée, comme domptée, l’ombre est souterraine, l’écho monte derrière le vent, le tremblement est partout. Nous entrons alors avec le peintre dans la mémoire tourmentée des humanités. » .

Photos galerie Daniel Templon et de l’auteur

Valério Adami
Les années 80

7 Septembre- 19 octobre 20119
30 rue Beaubourg
75003 Paris

Moments privilégiés

« Partout »

« Boulevard des Italiens »

Cette fois Gérard Fromanger a franchi le pas dans sa célèbre série « Boulevard des Italiens » (1971) : de la ville toujours présente en toile de fond de sa série il ne reste rien. Seul tableau de cette ensemble de trente toiles « Partout » laisse place nette à ces silhouettes rouges qui ont définitivement marqué le basculement de son œuvre dans ce qui n’est plus une simple figuration pour accéder à ce que le journaliste de « Monde » Harry Bellet désignait comme les prémices d’un art conceptuel.
Pour mémoire l’histoire de cette série commence à Paris entre 12 heures 30 et 13 heures ce vendredi 5 février 1971. De l’Opéra à Richelieu Drouot par le boulevard des Italiens, le peintre et le photographe de presse Elie Kagan réalisent un reportage photographique. Gérard Fromanger, après avoir transféré les clichés noir et blanc d’Elie Kagan en diapositives, projette sur l’écran de la toile blanche cet instantané quelconque, ce moment banal prélevé sur une journée ordinaire où rien ne se passe, où seules les silhouettes des personnages vont changer de statut avec l’aplat de peinture rouge que le peintre décide ce jour-là de fixer sur la toile. Pourtant ce réel existe. La photo d’origine montre ces piétons sur le boulevard des Italiens près de quelques voitures en stationnement avec en arrière plan les immeubles du boulevard.

Mais cette fois, avec le choix de l’artiste, le concept prend le pas sur la figuration, l’idée prime sur la représentation. Désormais, avec cette stratégie des couleurs Gérard Fromanger place sa peinture dans cet espace nouveau (nous sommes en 1971) qui va marquer définitivement son œuvre.
On sait que les trente toiles de la série Boulevard des Italiens constitue un ensemble indissociable, décrivant, d’une toile à la suivante, la totalité du spectre lumineux décomposé naturellement dans l’arc en ciel puis scientifiquement parle physicien Newton. « Partout », irradiant avec le blanc la totalité du spectre, situe cette œuvre comme l’ultime étape de la couleur, celle qui les réunit toutes et entérine l’accession des figures au statut de concept.
Lorsque cette série bénéficie d’un accrochage linéaire (Ici au musée de l’Hospice Saint-Roch à Issoudun),  elle se révèle comme le lieu géométrique d’une œuvre totalement dédiée à cette stratégie de la couleur.

Série « Boulevard des Italiens » Musée de l’Hospice Saint-Roch Issoudun 2019

Désormais la figuration de Gérard Fromanger laisse place à un travail radical sur l’image, « Images prélevées comme une pellicule sur le mouvement anonyme de ce qui se passe» écrit Michel Foucault au sujet des peintres de la Figuration Narrative.

Avec ce point de non retour, Gérard Fromanger offre à l’écrivain Alain Jouffroy l’occasion de proposer sa propre lecture sur chaque tableau de la série. Près de cinquante ans plus tard,les mots d’Alain Jouffroy apparaissent toujours aussi actuels : « Ils sont ouvriers, employés, travailleurs, fainéants, petits-bourgeois, petits commerçants, petits paysans. Petits oui, mais si nombreux qu’ils éclipsent par leur nombre, par leur identique manière d’aller quelque part, ou nulle part, la Ville, le monde où ils vivent provisoirement.(…) Il y a toujours quelqu’un.Il y a toujours des gens, il y a toujours des corps, des sexes, des regards, des voix. Leur dictature sans gouvernement est notre seule liberté. Partout ».

Gérard Fromanger dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

Gérard Fromanger
« Annoncez la couleur ! »

Du 16 février au 12 mai 2019
Musée de l’Hospice Saint-Roch
Issoudun

Pour mémoire

Jacques Monory : deux ou trois choses que je sais de lui

Les témoignages personnels, les regards critiques n’auront pas manqué, comme on pouvait s’en douter, après la mort du peintre Jacques Monory, au point de s’interroger sur la pertinence d’ajouter un article de plus sur cette disparition. Pourtant, difficile de passer sous silence la mémoire de ce presque demi-siècle traversé avec le croisement, au gré des circonstances de cet homme dont la gentillesse n’était pas une posture, dont le parcours répondait à une exigence personnelle.
Le rencontrant pour la première fois en 1972, j’ignorais que son univers allait m’accompagner jusqu’à aujourd’hui à diverses occasions. Émotion de repenser à sa disponibilité pour un premier entretien vidéo alors que cet outil balbutiant venait tout juste d’arriver dans l’univers journalistique. Émotion encore de revoir sa silhouette au gré d’expositions y compris de celles auxquelles il accepta très simplement de participer à mon initiative.
Tout a été dit sur le bleu Monory depuis de longues années. Pourtant je n’ai jamais trouvé un texte aussi pertinent que celui de Jean-François Lyotard qui, dès 1973, avait magnifiquement cerné l’œuvre du peintre : « Cette profonde érosion des différences chromatiques, qui est comme une maladie des yeux (monochromatisme), elle est la pulsion de mort agissant dans le champ des couleurs. Elle atteste l’énorme teneur en charge mortifère de la tension libidinale chez Monory ». Il n’y a rien à ajouter.
Jacques Monory me confirmait cette analyse : “Cet insupportable événement de la mort, j’essaie de l’agrémenter du faste de la tragédie, le colorer de la froideur du roman noir, du thriller bleuté, du délire glacé d’un romantisme dérisoire”. Entre réalité et imaginaire, entre cinéma et rêve, le peintre se mettait en scène dans ses tableaux et installait son personnage dans ce no man’s land intouchable entre le réel et la fiction.
A-t-on oublié, cependant, que Monory a parfois fait une entorse à l’utilisation de ce bleu ? « New York N° 10 », dans le rêve du peintre, bascule et le tableau sera monochrome jaune «parce que ce jour là, dit-il, j’ai vu Central Park tout jaune ». Une autre hypothèse surgit : ce jaune envahissant ferait écho à une anecdote de son enfance liée aux projections en plein air des cinémas ambulants, où l’on mettait, devant la projection noir et blanc un filtre bleu pour représenter la nuit et un filtre jaune pour évoquer le jour. En outre la toile imposante avec ses plus de cinq mètres de largeur, adopte le format panoramique du cinéma hollywoodien.

Mais c’est peut-être davantage l’expérience humaine de Jacques Monory qui m’impressionne encore aujourd’hui. Car cet homme a toujours tout fait pour donner sa vie à son œuvre. L’entretien physique de sa personne faisait partie intégrante de cette démarche. On peut même s’interroger sur l’importance décisive du temps, sur cette impérieuse nécessité de le retenir coûte que coûte. Sans malice aucune, on peut rappeler que Jacques Monory avait, pendant un temps, quelque peu triché avec sa date de naissance, au point de donner le tournis aux biographes et aux wikipédiens. Je crois qu’il s’agissait à l’origine, de se donner une chance de participer à un concours réservé à de jeunes artistes. Mais il fallut bien du temps avant que son âge véritable réapparaisse dans les biographies. Au-delà de l’anecdote, c’est cette volonté de pouvoir consacrer une vie pleine et entière à son œuvre qui reste l’essentiel.
Au regard des analyses critiques, Jacques Monory, pour sa part, commentait parfois ses tableaux avec la distance de l’humour. Il m’expliqua un jour : « Au fond, quand j’ai envie de me faire plaisir, je peins un revolver. Alors pourquoi je me priverais ? » concluait-il en ponctuant se phrase d’un grande éclat de rire.