Expositions

La mort en ce jardin

« Avant l’orage »

L’exposition « Avant l’orage » présentée actuellement à la collection Pinault de la Bourse de commerce de Paris propose un cheminement articulé sur le bouleversement induit par le dérèglement climatique et l’alerte que crée cette situation sur notre planète.
«  Dans l’urgence du présent comme dans l’œil d’un cyclone, l’obscurité et la lumière, le printemps et l’hiver, la pluie et le soleil, le jour et la nuit, l’humain et le non-humain cohabitent au sein de cet accrochage inédit d’œuvres de la collection. »

Tropeaolum de Danh Vo

Tropeaolum

Dans cet oeil du cyclone, c’est à dire la rotonde de la Bourse du commerce, Tropeaolum de Danh Vo impose sa monumentale installation dans une serre de métal, de béton et de pierre évoquant un territoire mutant. Les troncs et branches d’arbres foudroyés et victimes des intempéries, issues des forêts françaises, sont inclus dans une scénographie où ces vestiges d’un monde vivant sont soutenus par des étais de bois, provenant des forêts durables de l’ homme d’affaires Craig McNamara, créateur de « Sierra Orchards », une ferme biologique située en Californie. Ce nom rappelle un autre cataclysme puisque Craig McNamara n’est autre que le fils de Robert Mc Namara, secrétaire à la Défense de 1961 à 1968 sous les présidences Kennedy et Johnson et pendant la guerre du Viêt Nam. Le rôle de Robert Mc Namara durant cette guerre du Viêt Nam fut controversé, puisque c’est sous son mandat qu’eurent lieu l’emploi de l’agent orange et l’opération Rolling Thunder, campagne de bombardements aériens intensif effectués par l’USAF, l’US Navy et la Force aérienne du Sud-Viêt Nam contre le Nord-Viêt Nam et le Laos, De plus en plus controversé McNamara remit sa démission en 1968.

Dans cet environnement délabré Tropeaolum intègre des vestiges de l’histoire comme autant de souvenirs de la culture. Ces fantômes de l’apocalypse nous obligent à envisager une survivance hypothétique dans laquelle le vivant, en mutation, s’accroche aux branches de l’après cataclysme.

Hichem Berrada « Présage » 2018

« Présages »

En parcourant ces saisons improbables qui jalonnent l’exposition, une autre installation majeure mérite d’être abordée. Hichem Berrada présente « Présages » avec une projection spectaculaire. Ce n’est pas le moindre paradoxe que l’immense écran occupant un mur entier d’une salle soit animé par une source matériellement réduite à un aquarium dans lequel différentes réactions chimiques sont activées et vont mener à la création d’un paysage. « Présages » transforme cette réaction chimique en galaxie inconnue dans laquelle le visiteur ne peut que s’immerger.
«  C’est un peu de la peinture, c’est un peu de la chimie, mais pas vraiment de la peinture et pas vraiment de la chimie. » explique l’artiste. Avec ce jeu de bascule, Hichem Berrada nous fait pénétrer dans un univers dédié à la catastrophe. Dans cet environnement où les éléments sont extrêmement toxiques, la nature est à l’œuvre, en mouvement, mais une nature uniquement composée de minéraux, rien de vivant, rien d’humain. Si bien que la première approche immédiate séduisante d’un aquarium luxuriant nous conduit à appréhender un monde infiniment plus dégradé.
Au plan formel, cette peinture qui n’en est pas une propose pourtant un paysage en image, renvoyant à la grande toile de Frank Bowling (Texas Louise » de 1971) que le visiteur découvre en tout début du parcours; mais le paysage d’Hichem Berrada présente la particularité d’être en prise constante avec le réel, image en mouvement continu, à l’évolution incertaine, semblable à un paysage réel certes mais introduisant une sourde inquiétude sur un monde voué à l’entropie.

« Avant l’orage »

LUCAS ARRUDA, HICHAM BERRADA, DINEO SESHEE BOPAPE, FRANK BOWLING, JUDY CHICAGO, TACITA DEAN, JONATHAS DE ANDRADE, ROBERT GOBER, DOMINIQUE GONZALEZ-FOERSTER, FELIX GONZALEZ-TORRES, PIERRE HUYGHE, BENOIT PIÉRON, DANIEL STEEGMANN MANGRANÉ, ALINA SZAPOCZNIKOW, DIANA THATER THU VAN TRAN, CY TWOMBLY, DANH VO, ANICKA YI

Jusqu’au 11 septembre 2023
Bourse de commerce Pinault collection
2 rue de Viarmes, 75001 Paris

Expositions

Gupta : les dérives d’un art ménager

La semaine du blanc (dont Aristide Boucicaut, fondateur du magasin du Bon Marché à Paris, est l’inventeur), sert d’argument au Bon Marché à Paris pour proposer chaque année à un artiste d’investir les amples espaces marchands du magasin. Depuis 2016 cette exposition à grande échelle a accueilli des artistes de toutes origines, notamment Ai Weiwei, Chiharu Shiota, Leandro Erlich, Joana Vasconcelos et Oki Sato. En 2020 le facétieux Philippe Katherine s’en était donné à cœur joie en envahissant les lieux avec son armée pacifique de « Monsieur Rose » dans l’ensemble du bâtiment.
Cette année, Subodh Gupta (né en 1964 et vivant à New Delhi), artiste contemporain de renommée internationale, investit à son tour à la fois les salles du magasin et les vitrines nombreuses qui bordent la rue de Sèvres.
Dans la capitale les installations de l’artiste Indien s’étaient déjà fait remarquer lors de l’exposition « Paris Delhi Bombay » en 2011 au Centre Pompidou et « Adda / rendez-vous » à la Monnaie de Paris.

« Sangam»

Aujourd’hui au Bon Marché Gupta propose «Sangam». Sangam est une cascade de facettes de miroir et de sculptures formées d’objets domestiques. « Une installation qui interroge les spectateurs sur leur pèlerinage dans une société axée sur la consommation”, explique Subodh Gupta. Avec les milliers d’ustensiles de cuisine et de fragments de miroirs «Sangam» fait référence à la Kumbh Mela de Prayagraj (Allahabad), un immense pèlerinage à la confluence sacrée du Gange, de la Yamuna et de la mythique Saraswati.
Pour autant nous ne sommes plus dans l’accumulation Nouveau réaliste d’un Arman mais dans une construction cumulative destinée à générer avec cet assemblage une réalité seconde donnant à lire un autre discours.
Cette dérive d’un art ménager opère alors un métissage inattendu entre la multitude de ces objets quotidiens et l’approche quasiment sacrée de l’artiste.

« Confluences »

Le sous-titre de l’exposition « Confluences » évoque ce métissage. « Confluences car, ici, des gens du monde entier se retrouvent. On est à la confluence de différentes cultures » revendique l’artiste. Les ustensiles quotidiens pourraient banaliser cette ambition. Encore que ces ustensiles ménagers que l’on pourrait considérer comme des objets sans valeur marchande significative, représentent pour nombre de familles indiennes un vrai trésor. Leur apparence impeccable, rutilante, presque scintillante, contribue à donner à ces outils ordinaires du quotidien leur qualification de richesse inaccessible.
L’historien Lucien Febvre se livrait en 1955 dans l’avant-propos de La civilisation quotidienne, à une valorisation de ces objets ménagers si ordinaires que les historiens et les sociologues délaissaient ces témoignages d’une société. « Toutes les pièces d’une même civilisation sont solidaires parce qu’elles reflètent les mêmes tendances profondes » soulignait-il.


The Proust effect

The Proust Effect

Le « Very Hungry God », crane géant composé de centaines d’ustensiles de cuisine présenté à la Monnaie de Paris en 2018 laisse la place ici à une installation moins inquiétante avec The Proust Effect, assemblage en suspensions de ces mêmes ustensiles de cuisine, hutte fragile que le visiteur doit éviter de bousculer.
The Proust Effect, en référence à la fameuse madeleine de Proust se veut une rencontre spirituelle qu’il souhaite provoquer chez chaque visiteur, le plongeant dans sa mémoire culinaire pour y déclencher un souvenir enfoui. L’artiste explore ce lien avec la cuisine indienne dès ses premières créations, fasciné depuis l’enfance par l’aspect rutilant des ustensiles de cuisine.
On peut alors envisager plusieurs entrées pour tenter de cerner le propos de Gupta. De l’approche contemporaine post-Duchamp d’une accumulation d’objets à la cascade d’une consommation ménagère démesurée, de la civilisation matérialiste d’un art ménager quotidien à l’approche spirituelle indienne, l’oeuvre reste ouverte aux spéculations. Et si tout ce qui brille n’est pas d’art, la carte blanche offerte à Subodh Gupta ne passe pas inaperçue pour les milliers de clients qui parcourent les rayons du Bon Marché.

Subodh Gupta
« Sangam»
Du 9 janvier au 19 février 2023
Bon Marché
24 Rue de Sèvres, 75007 Paris

Expositions

Anita Molinero, le Chant du styrène

Il s’est passé un phénomène étrange sur le plan d’eau du Palais de Tokyo à Paris. Jaillissant de la surface verdâtre du bassin, des créatures fantasmagoriques d’un rouge éclatant sont venues coloniser l’espace du palais qui depuis sa création en 1937 ne proposait que les bas reliefs familiers d’Alfred Janniot ou les nymphes de Louis Dejean, Léon Drivier et Auguste Guénot. Certes il y avait bien eu la tentative avortée de Jeff Koons :« The Bouquet of Tulips » conçu en novembre 2016 par l’artiste américain en mémoire des victimes des attentats de novembre 2015 et offert par l’artiste à Paris. Koons souhaitait que l’œuvre soit placée sur le parvis du Musée d’art moderne de la ville de Paris. Cette proposition provoqua une levée de boucliers : des artistes, desresponsables culturels éminents lancèrent alors une pétition contre l’implantation de cette pièce qui finalement trouva refuge dans les jardins des Champs-Élysées près du Petit Palais.


En se rapprochant avec prudence des apparitions écarlates qui ont pris possession du bassin, on croit deviner un agrégat de poubelles d’où surgiraient des formes vivantes indéfinissables. Certains affirment même qu’il s’agirait d’une création artistique dont l’auteur serait identifié : Anita Molinero. L’artiste justement se voit offrir sa première rétrospective personnelle dans une institution parisienne et donc ici au Musée d’art moderne de la ville de Paris. C’est alors sur cette piste qu’il faut avancer pour tenter de cerner l’origine de ces éclosions aquatiques. L’artiste d’ailleurs ne cherche pas à se disculper de cette initiative :
« En faisant les poubelles, j’ai pensé aux Aliens. La science-fiction se situe pour moi dans la poubelle, c’est une science-fiction organique, pas technologique. Je pense que je fais une œuvre qui se répète. Les poubelles, par exemple, j’en ferai toute ma vie. »

« Extrudia »

C’est en visitant l’exposition « Extrudia » dans les salles du musée que commencent à se dessiner les contours d’une démarche, celle qui anime Anita Molinero depuis la fin des années 1980.« Extrudia» évoque à la fois la pratique de l’artiste (extruder signifie « donner une forme à un matériau en le contraignant ») et un des matériaux qu’elle utilise en priorité, le polystyrène extrudé. Mais s’il est question ici d’un matériau de prédilection, l’artiste n’entend pas se définir comme un sculpteur du matériau. Elle se situe dans cette culture post-Duchamp de l’objet. Car c’est bien de poubelles qu’il s’agit, objets du quotidien urbain, agrégés, torturés, fondus par cet accouchement chimérique qui, en effet, nous renvoie aux Aliens et à leur implacable profusion organique. Anita Molinero joue avec nos nerfs en brouillant les pistes. Poubelles, monstres venus d’ailleurs ? «  Elles sont des poubelles, elles ne peuvent ressembler qu’à ce qu’elles sont; c’est ça ma garantie. Je tiens à ce qu’on les reconnaisse, c’est significatif de quelque chose qui est la poubelle et pas de l’art. »
Entre ces poubelles qui ne sont pas des monstres nous dit-on et ces objets post-Duchamp qui ne sont pas de l’art prétend l’artiste, le visiteur devra établir sa propre vérité.
La visite de l’exposition confirme cette omniprésence du polypropylène révélant à la fois la décision de l’artiste (torsion, accumulation, combustion) et la pérennité d’une identité, celle de l’objet industriel choisi pour cet acte transformateur.
Dans le film industriel « Le Chant du styrène » commandé en 1958 à Alain Resnais, Raymond Queneau écrivait dans son commentaire entièrement en vers :

« Quoi ? Le polystyrène
vivace et turbulent qui se hâte et s’égrène.
Et l’essaim granulé sur le tamis vibrant
fourmillait tout heureux d’un si beau colorant. »

Anita Molinero
Extrudia

Du 25 mars au 24 juillet 2022
Musée d’art moderne de la ville de Paris
Pour mémoire

Jacques Tissinier : la civilisation est une route

Il m’aura fallu attendre quelques mois pour évoquer ici la disparition de l’artiste Jacques Tissinier (1936-2018) avec lequel j’entretenais une relation amicale depuis quarante cinq ans. Cette disparition trop discrète mérite de rappeler combien l’itinéraire de l’artiste n’a cessé de se confronter à l’art public.

Tissinier (7) copie
Jacques Tissinier Centre Pompidou Paris 1977

Peintre puis sculpteur, Jacques Tissinier a voué son œuvre à un destin signalétique. Sous un prétexte utilitaire, il signe d’abord un abribus au début des années soixante dix. Puis, pendant quarante ans, les autoroutes, bâtiments publics ont accueilli ses œuvres qui rivalisent de force, d’élan, signes incontournables placés au carrefour de notre quotidien.

«Artiste public numéro un» 

Être montré du doigt comme «Artiste public numéro un» n’est pas donné à tout le monde. C’est pourtant ce qui est arrivé à Jacques Tissinier, à l’initiative de Jacques Séguéla.
Car le signe et le sens vont de concert dans ses œuvres. La sculpture doit s’inscrire dans l’espace, dans une architecture, mais également dans la mémoire collective que ce soit le tragique souvenir cathare, la lancinante douleur de la mémoire indienne ou la symbolique d’une terre, avec un T comme Tissinier . On doit y ajouter les «Tissignalisations » , clin d’œil habile qui désigne ou qui « design » pourrait dire l’artiste toujours préoccupé d ‘allier la forme et la fonction.
L’art public n’est pas, pour autant, un océan de tranquillité pour les artistes. Jacques Tissinier eut l’occasion de s’en apercevoir il y a quelques années. A Pamiers, sous un prétexte technique surprenant, une fontaine dédiée au bicentenaire de la Révolution française a dû laisser la place à une chape de béton, cédant le terrain à la primauté de l’espace marchand sur l’espace mémoriel. Peut-être êtes-vous passé sans le savoir  près d’une de ses scultures monumentales, sur une aire d’autoroute, sur une place urbaine ?

Hommage au massacre de Maillé en aout 1944 (aire d’autoroute de Maillé).

Quelques mois avant sa mort, ses créations des année soixante dix rentraient officiellement dans les collections du musée des arts décoratifs à Paris.
Pendant plus de quarante ans j’ai suivi l’œuvre de Jacques Tissinier au gré des rencontres, des visites dans l’atelier. L’homme n’était pas avare de paroles sur son travail, toujours prêt à expliquer, décrire le pourquoi et le comment de sa démarche. Peintre et sculpteur, tout le ramenait au bout du compte à cet art public qu’il a servi tout au long de son parcours.

Dès l’ouverture du Centre Pompidou à Paris, son crayon signait sur les flans du Centre la phrase hommage à Eluard :  « J’écris ton nom Liberté ».
Un jour qu’il parcourait les routes pour son travail, Jacques Tissinier a craqué pour une ferme en Saintonge. Il s’est posé là, et peut-être habité par les fantômes de tous ces créateurs qui foulèrent le chemin de Compostelle, il s’est remis à peindre, recherchant dans l’ogive Romane la clef de voûte de la peinture contemporaine. A sa manière, Jacques Tissinier repensait la démarche d’un Claude Viallat en l’inscrivant de plus dans une perspective de civilisation.
Jacques Tissinier n’était peut-être pas le dernier des Mohicans ni le dernier cathare. Mais il a certainement semé, comme ses aînés de la voie de Compostelle, le long des autoroutes, sur les places publiques, dans les bibliothèques et dans les cours d’écoles, quelques signes de pierre ou de béton pour nous dire que la civilisation est une route.

Expositions

Sheila Hicks : tissages et métissages

Exposition Centre Pompidou Sheila Hicks 2018

Une américaine à Paris depuis plus d’un demi-siècle, Sheila Hicks, bien cachée dans un passage privé tranquille au cœur du trépidant quartier Latin, accède au Centre Pompidou de Paris à une visibilité majeure. Ce n’est pas faute d’avoir connu, depuis de nombreuses années, une notoriété internationale à la hauteur de cette personnalité forte qui, tout au long de son périple, a maintenu le cap dans une recherche personnelle qui échappe aux classifications.

«Textiles Pré-Incas »

Amie de l’ethnologue Claude Levi-Strauss, l’artiste s’est intéressée à la dimension anthropologique du textile et de l’art contemporain. En 1957 elle bénéficie d’une bourse Fulbright et se rend au Chili pour étudier le tissage. Cette découverte sera fondatrice de son travail dans une relation au monde qui s’établit lors de ces voyages, au contact des civilisations anciennes. Sheila Hicks n’abandonnera jamais cette approche. De sa thèse «Textiles Pré-Incas » aux œuvres contemporaines, l’artiste a suivi le fil de cette réflexion par une pratique associant dans un même geste la fonctionnalité possible du textile et le jeu des formes et des couleurs libérées de tout argument utilitaire. Au Centre Pompidou le vaste espace qui lui est consacré permet de découvrir une centaine d’œuvres qui retracent ce parcours atypique des années soixante à aujourd’hui. Ce métissage entre textiles traditionnels et art contemporain se révèle avec l’emploi des matériaux, couleurs, techniques qui donnent à l’œuvre de Sheila Hicks cette force singulière.
Dans les premières années de sa recherche, l’artiste réalise une série de pièces dans un petit atelier de tisserands au Mexique, suivant un procédé inspiré de la technique Kilim (mode de tissage le plus ancien,  » à plat », à base de fils de chaînes (verticaux) et fils de trames colorés (horizontaux).

« The evolving tapestry : He/She »

Quelques années plus tard quelque chose d’inédit se passe dans le travail de Sheila Hicks. Avec « The evolving tapestry : He/She » (1967/1968) elle quitte le plan traditionnel de la tapisserie pour ouvrir cette nouvelle forme de sculpture. Composée de centaines d’unités « queue de cheval » liées et empilées, la pièce prend une forme différente chaque fois qu’elle est exposé. Le processus répétitif et tactile par lequel il a été construit et installé reflète la préoccupation de l’artiste pour le geste dans cette création. Ici les fils de lin sont massés dans un volume collectif. Déjà dans l’exposition « 72 72 » au Grand Palais en 1972, Sheila Hicks présentait ces œuvres résolument engagées dans cette voie de la sculpture en laine.
Dès lors ce sont des sculptures monumentales qui se déploient dans l’espace. Aujourd’hui Sheila Hicks dirige dans son atelier parisien une petite équipe concentrée sur la réalisation des pièces souvent destinées à des intégrations architecturales dans le monde entier, notamment l’impressionnant rideau de Théâtre au Kiryu Cultural Center de Gumna au Japon en 2001.
On voit même apparaître la notion d’interactivité dans cette oeuvre avec notamment « Pockets » (1982) , constituée d’un assemblage de poches de coton pour lesquelles le public est invité à glisser quelque chose. Cette dérive a pris récemment une forme inattendue comme j’ai pu le découvrir il y a quelques mois sur la High Lane à New York. C’est le tissu urbain auquel se réfère Sheila Hicks : « Le ballet des véhicules de construction dans les Rail Yards; les innombrables couches entrelacées de mailles de construction qui couvrent les bâtiments, les échafaudages et les paysages urbains, réseaux architecturaux inachevés et la dentelle des câbles de grue suspendus » , tout cet environnement dans lequel la High lane se fraye un chemin sinueux sert de cadre à cette longue proposition colorée qui accompagne le parcours des promeneurs . Cette installation temporaire de l’artiste doit être encore en place jusqu’en mars prochain. Le métissage artistique de Sheila Hicks montre, de New-York à Paris, une vitalité à l’image de cette jeune artiste de quatre-vingt quatre ans.

Photos de l’auteur

Sheila Hicks dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

Sheila Hicks « Lignes de vie »
7 février 2018 – 30 avril 2018
Galerie 3
Centre Pompidou, Paris

Moments privilégiés

Chroniques new-yorkaises (1) : le fil d’Ariane de Sheila Hicks

Hop, Skip, Jump et Fly: Escape From Gravity 2017

Avec sa stature imposante, son caractère affirmé, son énergie toujours renouvelée, l’artiste américaine Sheila Hicks peut difficilement laisser croire qu’elle porte ses quatre-vingt trois ans. Et cette année 2017 lui offre l’occasion de manifester son étonnante vitalité dans une réalisation new-yorkaise pour cette artiste installée en France depuis plus de cinquante ans.

« Hop, Skip, Jump et Fly : Escape From Gravity »

La High Line connue aussi sous le nom de High Line Park, parc linéaire urbain suspendu de l’arrondissement de Manhattan à New York, se déploie depuis une dizaine d’années sur une ligne désaffectée des anciennes voies ferrées aériennes du Lower West Side. Inspirée de la Coulée verte René Dumont, parc linéaire du 12e arrondissement de Paris,  créé en 1993, la High Line a été redessinée et plantée en voie verte et parc de sentier ferroviaire. Si quelques artistes ont été invités à signaler ponctuellement leur présence sur ce parcours, l’intervention de Sheila Hicks a pris cette année une toute autre dimension.

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« Trapèze de Cristoba »l, 1971 à droite. « Lianes Nantaises », 1973 à gauche Sheila Hicks

Pour considérer l’œuvre qu’elle réalise sur cette Hight Lane, il faut suivre le fil d’Ariane de cette artiste qui, ayant bénéficié en 1957 d’une bourse Fulbright, se rend au Chili pour étudier le tissage, une découverte fondatrice de son œuvre. Cette relation au monde qui s’établit lors de ces voyages, au contact des civilisations anciennes, Sheila Hicks ne la quittera plus. Elle s’installe à Paris en 1964. Proche de Monique et Claude Levi-Strauss, l’artiste s’intéresse à la dimension anthropologique du textile et de l’art contemporain. De sa thèse «Textiles Pré-Incas» aux œuvres contemporaines, Sheila Hicks a suivi le fil de cette réflexion par une pratique artistique associant dans un même geste la fonctionnalité possible du textile et le jeu des formes et des couleurs libérées de tout argument utilitaire. Sur cinquante années de travail, cette préoccupation ne s’est jamais démentie.

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Tissu urbain

Aujourd’hui, avec cette intervention à l’échelle de la High Lane, c’est le tissu urbain auquel se réfère Sheila Hicks : « Le ballet des véhicules de construction dans les Rail Yards; les innombrables couches entrelacées de mailles de construction qui couvrent les bâtiments, les échafaudages et les paysages urbains; réseaux architecturaux inachevés; et la dentelle des câbles de grue suspendus « , tout cet environnement dans lequel la High lane se fraye un chemin sinueux sert de cadre à cette longue proposition colorée qui accompagne le parcours des promeneurs nombreux hier lors de ma visite. L’installation de Sheila Hicks est prévue jusqu’ en mars 2018, période pendant laquelle l’artiste souhaite voir évoluer cette vision au gré des saisons, attendant notamment de découvrir sous la neige cette forme signalétique colorée.
Pour le promeneur non averti, peut-être la proposition de Sheila Hicks aurait mérité davantage qu’un simple panneau descriptif qui ne suffit pas à prendre en compte l’itinéraire rare d’une artiste discrète, cachée dans son atelier au fond d’un passage au cœur du quartier Latin à Paris.

Photos de l’auteur

« Hop, Skip, Jump et Fly : Escape From Gravity
Sheila Hicks
High Lane New-York

Expositions

Chiharu Shiota : tu imagines Arachné ?

shioti2-copie« Mois du blanc »

Aujourd’hui j’ai appris que l’inventeur du « Mois du blanc » était Aristide Boucicaut, fondateur du magasin du Bon Marché à Paris. Comme d’autres grandes enseignes parisiennes, le Bon Marché a ouvert ses espaces à l’art contemporain : en hommage au mois du Blanc l’artiste Chiharu Shiota s’est vue offrir des volumes considérables pour déployer son œuvre. Elle emploie pour la première fois le fil blanc pour une de ses installations. L’artiste évoque la pureté d’un nouveau départ, sans préciser d’itinéraire : « La vie est un voyage sans destination ». Et c’est au cœur de l’espace commerçant du magasin que cette intervention bouscule les perspectives.
Il y a deux ans, alors qu’elle venait d’être choisie pour représenter le Japon à la 56 ème biennale de Venise, Chiharu Shiota développait à la galerie Daniel Templon sa stratégie de l’araignée en expliquant : « La création de fils est le reflet de mes propres sentiments. Un fil peut être remplacé par le sentiment. Si je tisse quelque chose et qu’il se révèle être laid, tordu ou noué, tels doivent avoir été mes sentiments lorsque je travaillais. ». Le fil rouge, envahissant, signait l’essentiel de son travail.  Pour cette carte  blanche offerte par le Bon Marché, c’est donc le fil blanc qui participe à cette aventure singulière : générer un corps étrange, étranger même, dans les allées  du magasin. Le visiteur qui découvre l’installation achevée ne peut envisager, je crois, qu’un travail parfaitement préparé, maquetté, prévu dans les moindres détails. Pourtant Chiharu Shiota explique que seul le lieu guide son action et qu’une préparation en atelier serait illusoire. De plus ce travail, mis en œuvre avec l’aide d’une équipe d’assistants, est exécuté rapidement. On imagine difficilement la mesure en kilomètres des fils employés. A la fragilité apparente de l’ensemble il faut ajouter son caractère éphémère, la création étant destinée à la destruction à terme.shioti-copie
Les commentaires sur ce travail n’ont pas manqué de souligner le rapport à cette stratégie de l’araignée qui tisse sa toile. Cependant la vue de l’espace pénétrable au sol évoque autre chose : la faussez teigne. Qu’est-ce donc ? Tous les apiculteurs amateurs ou professionnels connaissent bien cet ennemi redoutable qui envahit parfois les ruches, atteint l’intégrité des abeilles et finalement pourrit la vie des insectes. Cette fausse teigne n’est pas une araignée mais un papillon envahisseur dont les cocons d’un blanc éclatant rappellent étrangement les créations de l’artiste japonaise. A la façon de ce papillon destructeur des ruches et qui se développe dans les colonies d’une autre espèce vivante, Chiharu Shiota  colonise elle aussi les espaces marchands du Bon Marché pour donner vie à cette création quelque monstrueuse, peut-être incontrôlable, assurément en décalage avec l’univers aseptisé du commerce de luxe qu’elle semble parfois phagocyter.

Arachné

Dans la mythologie gréco-romaine, Arachné, jeune fille excellant dans l’art du tissage et qui s’est pendue pour avoir subi les humiliations d’Athéna, se voit offrir par la déesse une seconde vie mais cette fois-ci en araignée suspendue à son fil, pour qu’elle puisse à nouveau tisser sa toile. Faut-il imaginer Chiharu Shiota renaissant dans cette deuxième vie pour tenter de saisir son engagement obsessionnel dans cette production sans fin?
Car, au-delà du résultat visible pour les clients et les visiteurs du Bon Marché, c’est la performance elle-même qu’il faut envisager, me semble-t-il, pour évaluer la portée de l’œuvre, l’investissement physique et mental dans la réalisation de cet incroyable cocon parasitant l’ordonnancement impeccable  d’un magasin de luxe parisien.

Photos de l’auteur

Chiharu Shiota
Where are we going ?
14 janvier au 18 février 2017.
Le Bon Marché
24, rue de Sèvres
75007 Paris

Pour mémoire

Dietrich-Mohr : la génération oubliée

Décédé le 25 décembre dernier à l’âge de quatre-vingt douze ans, le sculpteur Dietrich-Mohr appartenait à une génération oubliée, celle d’artistes qui ont connu leurs heures de gloire aux temps florissants du « 1% artistique » , idée venue du Front Populaire, mise en œuvre seulement à partir de 1951 et véritablement développée à partir des années soixante et soixante dix.

Le pont de Gratteloup
Le pont de Gratteloup installé en 1982 à Montigny-le-bretonneux

D’abord limité aux bâtiments du ministère de l’éducation nationale lors de sa création, le dispositif a été élargi et s’est imposé à la plupart des constructions publiques de l’Etat et à celles des collectivités territoriales. Avec les Ervin Patkaï, Marino Di Teana, José Subira-Puig, Robert Fachard, François Stahly, Vincent Batbedat, Marcel-Petit, Marta Pan, Marcel Van Thienen notamment, tous disparus, Dietrich-Mohr a participé à cette avancée inédite à l’époque: faire apparaître dans le paysage public quotidien les signes d’une création contemporaine. Cette aventure, tout en offrant aux sculpteurs un nouveau champ d’expression en investissant les écoles, les universités, les hôpitaux etc.., montra combien ce front pouvait se révéler agité, turbulent. Faire accepter dans des lieux non préparés à l’époque au regard du public ces propositions nouvelles ne fut pas simple. Perçues comme des corps étrangers dans un paysage jusque là vide de toute création plastique, les œuvres ont dû faire face à une résistance que leurs auteurs n’attendaient peut-être pas. Certains opposants réclamaient la disparition de ces « horreurs », estimant que l’installation de bancs publics aurait été bien préférable. D’autres, sans envisager leur destruction, laissaient à l’abandon ces pièces qui, mal entretenues, subissaient les assauts du temps. Les agressions, les tags exprimaient parfois l’agacement envers ces artistes dont la démarche n’était pas toujours expliquée. Le temps de la médiation dans l’art public n’était pas encore venu.

faisanderie de senart symposium de sculpture 1971
Faisanderie de Sénart symposium de sculpture 1971

C’est à ce moment de l’éclosion du 1%, en 1951 que le sculpteur, né à Düsseldorf en Allemagne, s’installe en France après des études aux écoles d’art décoratif de Krefeld et de Bâle et à l’école des Beaux-arts de Karlsruhe. A Paris, c’est dans l’atelier de Zadkine à la Grande Chaumière qu’il poursuit sa découverte de la sculpture. A côté de ceux qui utilisaient la pierre, le bois, Dietrich-Morh préféra recourir au métal au début pour des raisons pratiques : transporter des œuvres monumentales en pierre pour les présenter dans des salons s’avérait une tâche insurmontable. Laiton, acier inoxydable et acier Cor-ten seront ses matériaux de prédilection. Le sculpteur a joué dans toute sa recherche sur l’ouverture à la lumière des formes métalliques. Pour lui chaque pièce devait avoir un extérieur et un intérieur, permettant à cette lumière d’apporter un élément de jeu supplémentaire au travail des formes. La réflection sur le métal participait souvent à l’intégration de l’œuvre dans le paysage. Lamelles, alvéoles structuraient l’intérieur des pièces et participaient à ce dialogue intérieur/extérieur.
Dans ces assemblages soudés, c’est le vide qui devient alors le matériau de choix, mis en scène par l’articulation des pièces métalliques piégeant la lumière. Si bien que les sculptures der Dietrich-Mohr gagnaient en légèreté, comme la plume avec laquelle l’artiste dessinait ses formes sur le papier, exercice auquel il recourait fréquemment.
Quarante ans après l’investissement des espaces:publics par les heureux bénéficiaires du 1%, les œuvres sont pour la plupart toujours en place, parfois dégradées. Certaines ont disparu, d’autres ont connu des aléas stupéfiants comme cette sculpture de Marcel-Petit badigeonnée en rose à la demande de l’architecte qui avait décidé le ravalement en rose du lycée d’Epinay-sur-Seine. La génération de ces sculpteurs, au regard de la profusion des propositions artistiques contemporaines, fait quelque peu figure de génération délaissée. Seules les œuvres monumentales encore en place traduisent leur aventure personnelle et collective. Elles témoignent également d’un moment dans l’histoire agitée d’un art public soumis aux affronts du temps.

Photo  Sénart : Evry daily photo

Expositions

Histoires d’OFF

« Les injonctions paradoxales »

L’ouverture des foires d’art contemporain au cœur de Paris en ce mois d’octobre favorise la mise en place d’œuvres monumentales dans les espaces publics, pièces soumises au regard de tous ceux qui, peut-être, ne franchiront pas l’entrée d’une manifestation artistique mais qui découvrent ces OFF sans  avoir nécessairement recherché leur présence.

Vincent Mauger, Les injonctions paradoxales, 2016 Structure en inox et bois. Œuvre réalisée grâce au soutien de la fondation François Pinault — Sculpture 700 × 750 × 750 m
Vincent Mauger, Les injonctions paradoxales, 2016 Structure en inox et bois.— Sculpture 700 × 750 × 750 m

Première de toutes, la FIAC, Foire internationale d’art contemporain, investit chaque année l’impressionnante perspective du jardin des Tuileries avec près d’une vingtaine d’artistes parmi lesquels Mircea Cantor, Noël Dolla,  Claude Closky, Gloria Friedman.
Une de ces oeuvres,  « Les injonctions paradoxales » de Vincent Mauger, impose une présence convaincante. Déjà, lors de la FIAC 2011 « Le théorème des dictateurs » (2009) installé au Jardin des Plantes, et « La somme des hypothèses » (2011) au jardin des Tuileries, révélaient la démarche de Vincent Mauger. Le « Théorème des Dictateurs » emprunte son titre à l’économiste américain Arrow qui a théorisé les rapports entre mathématique et politique. Pour « La somme des hypohèses », la sculpture concrétise la somme  des hypothèses émises successivement par l’artiste en amont de sa réalisation.  « Les injonctions paradoxales » n’échappent pas à cette « représentation sculpturale d’une  perception  mentale  d’un  espace  ou  d’un  objet  et  met  ainsi  en  concurrence  l’objet  réel  et  la  tentative de matérialisation d’une perception personnelle associée à celui-ci. »  Pour cette dernière création, c’est autour de la notion d’éclosion que l’artiste organise la configuration de la pièce. Cette injonction paradoxale qui consiste à placer une personne entre deux obligations contradictoires, l’une consciente, l’autre non, Vincent Mauger tente de nous la rendre visible, j’allais écrire palpable, mais le OFF de la FIAC ne va pas jusqu’à tolérer cette liberté. Cette matérialisation des contradictions mentales devient possible à la fois avec la structure même de la sculpture et aussi par le positionnement physique du regardeur tout autour de cette œuvre changeante selon le point de vue. Il reste que de ces contraintes, à la fois propos virtuel et obligation technique, naissent cet élan vers l’extérieur, cette éclosion suggérée par l’artiste.

« Dandelion »

C’est dans le cadre de la Yia Art Fair au Carreau Du Temple à Paris que l’œuvre de Luc Lapraye est visible à la mairie du troisième arrondissement. Le «Dent de Lion», ce pissenlit dont les capitules s’envolent et sèment au gré du vent, donne son titre à l’installation composée de jantes de bicyclettes  agencées en forme de géode.

"Dandelion" Luc Lapraye 2016
« Dandelion » Luc Lapraye 2016

Sans atteindre la démesure du « Forever Bicycles » de Ai Weiwei, dont une variante installée l’an passé au Cent quatre à Paris mobilisait six cent soixante dix vélos horizontaux, le clin d’œil à Duchamp est toujours sous-jacent de même que la forme géodésique de la pièce se prête à toutes les interprétations autour du Cosmos, de l’espace infini ou microscopique, de l’évocation de la terre pour sa symbolique protectrice quasi-utérine. Mais, en parallèle avec l’œuvre de Vincent Mauger, c’est au pied de la lettre de ce « Dent de Lion » que l’installation peut être lue, avec cette capacité émissive de la plante, cette stratégie naturelle exemplaire qui la rend apte à disséminer la vie dans l’espace environnant. Entre l’éclosion physique et mentale suggérée par Vincent Mauger et la dissémination du Dent de Lion, stratégie dont se sert Luc Lapraye, c’est tout le OFF des foires d’art contemporain qui sème à tous vents, dispersant au gré des regards non avertis les questionnements sur leur présence même dans ces lieux, imposant par leur présence  la redéfinition d’un art public contemporain.

Photos de l’auteur.

« Les injonctions paradoxales » 2016
Vincent Mauger

Œuvre réalisée grâce au soutien de la fondation François Pinault
Présentée par la Galerie Bertrand Grimont, Paris
Jardin des Tuileries Paris

Dandelion
Luc Lapraye
Présenté par la galerie Laure Roynette Paris
Mairie de Paris 3eme

Coups de chapeau

Colecçao Berardo : le paysan de Lisbonne

C’est un coup de chapeau hors frontières qui s’adresse ici à un projet d’exception : la collection Berardo à Lisbonne. Le lieu : le Centre culturel de Belém, dans l’ouest de la ville, en bordure du Tage. Cette appellation modeste désigne, en réalité, une architecture hors normes entièrement recouverte de marbre non poli qui, sur ses cent quarante mille mètres carrés, accorde depuis 2006 une partie significative à la collection d’art moderne et contemporain rassemblée au fil des ans par le milliardaire José Berardo dont le parcours ne prédestinait pas nécessairement à cet intérêt pour l’art :  » Il quitte l’école à l’âge de treize ans, travaille dans une coopérative vinicole… Suit ses parents en Afrique du Sud… Garçon de ferme puis fermier, horticulteur, producteur de fruits, transporteur, négociant, il se paie une mine d’or abandonnée. » On devine la suite : fortune, commerce du diamant, finances, banques, hôtels, télécommunications, commerce de tabac, nourriture pour animaux, vin et art…

Colecçao Berardo
Colecçao Berardo

Un tel cheminement n’explique pas pour autant l’engouement particulier pour l’art contemporain. José Berardo ne prétendant pas être un expert, s’est entouré de conseillers compétents. Il reste que son projet personnel fut de conserver une trace significative des grands courants de l’art du vingtième siècle. Le centre culturel de Belém, à vocations multiples, consacre donc onze mille mètres carrés de ses espaces à la mise en valeur de cette collection privée incomparable.
A Belém, une construction historique recueille tous les suffrages des visiteurs : le Monastère des Hiéronymites, bénéficiant au seizième siècle de l’afflux de richesses à Lisbonne, s’élève comme un joyau architectural érigé à la gloire de la monarchie portugaise. Les touristes de toutes nationalités viennent à Belém pour cette visite mais ne parcourent pas les deux cent mètres supplémentaires pour découvrir le Centre culturel de Belém dont l’imposante silhouette est pourtant visible de tous.
L’ art moderne est certes  très présent au travers ses divers courants historiques : Cubisme, Dadaïsme, Constructivisme, De Stijl, Surréalisme etc…. Si la constitution par  une initiative privée paraît déjà exemplaire, d’autres collectionneurs privés ailleurs dans le monde ont  eux aussi réalisé un tel exploit ( par exemple la collection Thyssen-Bornemisza à Madrid). Ce qui ici singularise la collection Berardo tient aux courants contemporains tous représentés, parmi lesquels l’arte povera, le body art, Supports-Surfaces, l’art conceptuel etc…

PG intérieur Berardo

Au cœur de la vieille ville de Lisbonne, le Musée d’art moderne et contemporain composé de deux espaces proches dans des immeubles anciens de la ville, a du mal à supporter la comparaison avec cette incroyable présentation du Centre culturel de Belém.
Les salles du musée Berardo, avec leurs surfaces démesurées, autorisent tous les accrochages, toutes les installations sans que les œuvres risquent de souffrir d’une quelconque promiscuité.
Dans ce pays éteint pendant plus de quarante années sous le couvercle de la dictature Salazar, une telle proposition artistique donne un exemple réconfortant d’ouverture, de liberté. Le paysan de Lisbonne, né pendant ces années d’oppression, trouve ici une revanche avec cette lumineuse collection offerte à tous (et gratuitement).

 

Centro Cultural de Belém
Colecçao Berardo
Praça do Imperio
Belém / Lisbonne
Portugal