Expositions

Wela : les racines du ciel

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« Pensée hybrides » Wela 2015

« Pensées hybrides« 

S’il s’agit de peinture aujourd’hui dans l’exposition de l’artiste franco-polonaise Wela présentée par la jeune galerie Jola Sidi à Paris, il faut associer ses toiles récentes à la démarche globale d’une artiste qui ne cesse de relier, d’une pratique à l’autre, ses interrogations sur le monde dans lequel elle est impliquée :  » Ma recherche artistique s’intéresse aux différentes sphères et aux relations qu’entretiennent entre eux sur le plan philosophique la frontière entre l’objet et le non objet, l’intérieur et l’extérieur, et sur le plan visuel, les relations entre l’espace bi- et tridimensionnel. »
Déjà dans l’expérimentation des anamorphoses, pratique héritée du seizième siècle et quelque peu délaissée de nos jours, elle nous donnait à voir, presque à toucher, cette qualité pourtant impalpable de sa création : le passage du dessin à son reflet dans un cylindre métallique. De ces anamorphoses il reste dans les tableaux de cette nouvelle série « Pensées hybrides » le recours fréquent aux toiles circulaires qui, me semble-t-il, n’a rien d’anecdotique. Car la préoccupation de Wela n’est pas étrangère aux questions fondamentales de la condition de l’homme dans cet espace vital fragile qui se circonscrit à la planète. Entre terre et ciel, Wela poursuit une quête dans laquelle peinture, sculpture  mettent en scène les éléments naturels dans leur relation à la pensée. Cette année encore, dans le cadre en plein-air du Haras de Bouffemont, « Piège satellite« , une installation en forme de toile arachnéenne tissée entre des arbres, jouait de cette connexion avec la nature comme l’exprimait également la « Couronne d’Epines » présentée notamment dans « Jardins en métamorphose » à Thiais en 2012, sculpture végétale dont le rouge écarlate balançait entre la référence au christianisme et l’évocation d’une nature en souffrance. Volontairement ou non, Wela recourt souvent à cette forme giratoire : anamorphoses, toile d’araignée, couronne d’épines, toiles circulaires témoignent de cette fascination pour un espace concentrique à l’image des univers galactiques et de leur inaccessible mystère.

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« Pensée hybrides » Wela 2015

Cette attraction récurrente pour les formes circulaires apparaît encore une fois dans ce qui s’apparente à la coupe sanguinolente d’un arbre victime d’une sanglante décapitation. L’arbre, reliant  le ciel et la terre de ses racines à ses ramures, reste une préoccupation constante de l’œuvre de Wela. De cette nature souvent martyrisée elle a dressé, dans la série des « Trophées« , un funeste tableau de chasse dans lequel les souches suppliciées sont exposées comme autant de sinistres victoires sur la nature. L’arbre, encore lui, dans ‘ »Piédestal pour un arbre » installé au musée de sculpture contemporaine de Vilnius en Lituanie, reçoit un hommage d’ordre philosophique. L’arbre, toujours lui, supportait les installations lumineuses de Wela  pour le festival « Viva cité » à Sotteville les Rouen.
Dans ses dessins  Wela s’est employée, pour « sortir le tableau de lui-même« , à intégrer sur le plan de la toile cette troisième dimension végétale pour mieux associer dans une pratique artistique globale les éléments natifs de ses sujets. La dépendance réciproque des composantes naturelles et humaines interfère sur la sphère de la pensée, implication que l’artiste ne manque pas de suggérer dans ses réalisations.

« Les racines du ciel »

En 1956, Romain Gary écrivait dans « Les racines du ciel » qui lui valut le prix Goncourt cette même année : « Les racines étaient innombrables et infinies dans leur variété et leur beauté et quelques-unes étaient profondément enfoncées dans l’âme humaine – une aspiration incessante et tourmentée orientée en haut et en avant – un besoin d’infini, une soif, un pressentiment d’ailleurs, une attente illimitée. »
Cette ode à la nature, teintée de spiritualité, préfigurait les préoccupations à venir sur les dangers auxquels allait être confronté le monde du vivant. La série  des « Pensées hybrides » de Wela participe à cette démarche d’une artiste animée par l’ aspiration vers une approche responsable d’un monde nous permettant à la fois de vivre et de penser cette vie.

 

Wela
Pensées hybrides
Exposition du 15 octobre au 15 décembre 2015

Galerie Jola Sidi
80 rue des Gravilliers
75003 Paris

Moments privilégiés

Lee Ufan, en quête d’universel

Ce n’est pas d’une exposition qu’il sera question ici. Pourtant l’artiste Coréen Lee Ufan occupe à lui seul les deux espaces de la  galerie Kamel Mennour  à Paris, celui de la rue Saint-André-des-Arts et celui de la rue du Pont de Lodi récemment pris en charge par le galeriste. Au sous-sol de la rue du Pont de Lodi quelque chose se passe. Exposition ? Impossible d’abandonner cet espace à l’envahissement d’un vernissage, avec le bruit, l’agitation coutumière  propres à ce genre d’ événements.

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Lee Ufan, galerie Kamel Mennour 2013

Recueillement

Non c’est autre chose qu’il faut aborder avec précaution, discrétion  voire recueillement. Une fois immergé dans ce lieu, le ton de la voix baisse, le discours s’ estompe.  Car c’est bien dans un lieu de méditation que l’on pénètre avec retenue, alors que crisse sous nos pas le gravier blanc qui tapisse le sol de ce temple étrange. Deux sons provenant de cloches, l’un naturel, l’autre électronique se propagent sans vacarme dans  le volume de la salle, ajoutant  une couleur particulière à ce lieu propre à la sérénité. Une mise en lumière douce et modulée achève la mise en condition du visiteur.
« Ce que nous voyons ici est une question posée à l’idée de civilisation » affirmait déjà au Guggenheim de New-York l’artiste Lee Ufan en 2011. Lee Ufan, écrivain et philosophe, trouva le chemin de la création artistique à travers un mouvement, le Mono-Ha (l’école des choses) dont il est d’abord le théoricien.
Au milieu de cette scène, le visiteur  ne se meut pas avec une liberté insouciante. Il devient soudain partie intégrante d’un univers qui s’impose à lui.  Trois monolithes induisent par l’interaction de leurs masses respectives, un mystère. Nous ne sommes ni à Stonehenge ni à Carnac. Pourtant  la question se pose : temple, monument funéraire, symbolique astronomique ? Ce geste minimaliste suffit à nous interpeller sur l’ énigme de son apparition. Privilégié ce moment ?  Peut-être faudrait-il  prendre ce terme de « moment »  dans son acception en sciences physiques davantage qu’en valeur temporelle.
Trois autres éléments sont placés comme en réponse à la configuration des monolithes. Dans deux rectangles apparaît une trace de pinceau de peinture grise. Sur ces toiles, que l’artiste a travaillé à plat, selon sa pratique rituelle,  il a ensuite disposé une couche de sable ocre. Le troisième rectangle reste uniformément ocre.

« Less is more« 

A l’opposé d’un Niele Toroni dont les Empreintes de pinceau n°50 répétées à intervalles réguliers de trente centimètres assenaient au spectateur la volonté de l’artiste de désigner infatigablement la peinture comme un travail, Lee Ufan avec cette trace unique, minimale, inscrit son geste dans un rituel  tendu vers l’ élémentaire.
A la croisée des chemins entre Arte Povera, Land art, Art concret et Art minimal, Lee Ufan propose une nouvelle approche du « Less is more » avec sa façon de «  poser et disposer plutôt que créer, privilégier le rare et le peu. ».

Ufan musée de la chasse
Lee Ufan « Relatum, Le Repos de la Transparence » 2013
Acier, verre, pierre
Musée de la chasse et de la nature, Paris

Ici et maintenant en France, à Paris, sommes-nous en mesure d’appréhender la démarche d’un artiste totalement imprégné de la culture et des valeurs d’un Orient qui  nous sont étrangères ?  C’est à travers cette recherche fondée sur la simplicité des éléments  que Lee Ufan  peut nous permettre d’accéder au mystère commun de notre existence, de notre présence sur terre, tout cela sans implication religieuse, sans discours dominateur mais avec quelque chose échappant aux mots, faisant appel à une relation au monde revisitée. Au sous-sol de la rue de Lodi, ce moment privilégié ne ressemble pas à une visite d’exposition. Il est un moment indicible en quête d’universel.

 

Lee Ufan sera le prochain invité du Château de Versailles en 2014

Photos: Galerie Kamel Mennour (Photo musée de la chasse :Fabrice Seixas)

Lee Ufan

Galerie Kamel Mennour
06 novembre-21 décembre  2013
Paris 6e.
6 rue de

Pont de Lodi
75006 Paris

Expositions

Chaumont/Chamarande : De Natura Rerum

L’art consacré à la nature et à l’écologie occupe de nos jours une place prédominante comme le fut, en d’autres temps, l’art cinétique par exemple.  Cet art avec et dans la nature attire à ce point les artistes que ceux –ci prennent  le risque de se retrouver entraînés dans ce qui pourrait devenir un académisme.  Encore peut-on discerner deux tendances dans ce mouvement porté par les préoccupations environnementales actuelles.


« Jardins des sensations »

La plus évidente de ces deux tendances est celle qui adopte le théâtre de la nature pour y proposer une approche poétique, ludique, s’intégrant avec harmonie dans l’espace naturel. A l’origine de ce mouvement, un Nils-Udo représente l’exemple majeur depuis ses « nids » des années soixante dix.

Le jardin de Yu Kongjian 2013

Au château de Chaumont sur Loire, le Festival international des jardins propose chaque année une brillante vitrine de ce courant artistique. Cette année encore  « Jardins des sensations » témoigne de cette volonté d’harmonie entre l’homme et la nature :
« Jardiner le corps et l’esprit, c’est aller vers soi, en tous sens. Tressant un réseau de sensations, les jardins mêleront l’illusion et le trouble à l’expérience multiple du corps en éveil. (…) Saveurs, flaveurs, fragrances mêlées … et voilà vos sens perdus, subjugués, envoûtés en un jardin, dont les matières, les textures et les végétaux se caressent de l’œil et de la main, où les sons, les murmures et les musiques ensorcèlent les âmes. »
Aussi bien avec les installations permanentes du château que dans le festival temporaire de jardins, l’artiste s’emploie a créer cette adéquation entre l’oeuvre et la nature en servant des matériaux que lui offre le milieu naturel.

« Milieux »

Au Domaine de Chamarande dans l’Essonne, le second courant de cet engouement pour la nature se manifeste à travers des expositions dans lesquelles les auteurs s’affirment à la fois artistes et scientifiques. Actuellement l’exposition « Milieux » présente notamment la première exposition personnelle de Brandon Balllengée. A la fois artiste et biologiste, Brandon Bellangée « entend combler le fossé entre l’art et la science en combinant sa fascination pour le vivant aux techniques de représentation des beaux-arts. »  Une série de pièces met l’accent sur la disparition des oiseaux, une autre témoigne sur les malformations des amphibiens engendrées par la pollution de leur environnement naturel.
Le visiteur, dans ce centre d’art contemporain, peut avoir le sentiment de visiter les salles du muséum d’histoire naturelle de Paris. L’artiste-scientifique rend, d’ailleurs, hommage aux plus grands naturalistes. Ici, c’est la volonté de dénoncer les atteintes au milieu naturel  qui occupe le devant de la scène.

Brandon Bellangée Domaine de Chamarande 2013

Contre-nature

Mais à côté de ces deux tendances mettant l’homme au centre des préoccupations environnementales, certains artistes, jouant les apprentis-sorciers, suggèrent une démarche singulière. Jean-Luc Bichaud fait pousser des plantes jusqu’à la mort dans un colorant qui les transforme ou  fait circuler des poisson rouges dans une installation aquatique complexe. L’artiste nous  offre un singulier rapport à la nature, à la frontière du vivant. « Jean-Luc Bichaud s’est associé avec la nature comme on signe un pacte avec le diable. Il travaille avec le vivant. Ses agissements sont certes répréhensibles. C’est une pratique un peu contre-nature, mais alors tout contre elle. »
Un autre artiste, Antony Duchêne, avec notamment  son  « vélo triporteur Empyreume »(2012) participe à ce courant plus discret qui met la science en trompe-l’oeil et laisse à l’artiste sa véritable vocation : transgresser.

« Jardins des sensations »
24 avril – 20 octobre 2013
Château de Chaumont sur Loire

« Milieux »
26 mai – 30 septembre 2013
Domaine de Chamarande  Essonne

 

Expositions

Jean-Luc Bichaud « Contre Nature »

A partir du 9 juin, le Musée départemental de l’Oise, pour le tricentenaire de la naissance de Jean-Jacques Rousseau, propose une exposition collective «  Contre nature, les fictions d’un promeneur d’aujourd’hui » :

« Particulièrement développé dans les essais du philosophe (et notamment dans Les Rêveries du promeneur solitaire), le thème de la nature est le prélude des oeuvres exposées dans la salle sous charpente du Palais Renaissance et dans le jardin.15 artistes parmi lesquels se trouvent des noms majeurs de la scène nationale et internationale comme Claude Lévêque, Jean Le Gac, Christian Jaccard, Mona Hatoum ou encore Hamish Fulton témoignent des liens entretenus avec la nature par les hommes modernes et urbanisés que nous sommes devenus. La photographie, la vidéo interactive, l’installation, la performance… la nature a en effet plus que jamais une place essentielle dans notre rapport au monde, place qu’accordait déjà il y a 300 ans Rousseau dans ses réflexions avec une troublante modernité pour l’époque. . Parmi les artistes présents dans cette exposition, Jean-Luc Bichaud propose sa relation singulière à la nature.

 

Jean-Luc Bichaud , « le pacte avec le diable »

Dans la génération des jeunes artistes, le travail sur la nature, sur une nature peu naturelle, sur un vivant pas toujours vivant, figure Jean-Luc Bichaud. Pour cet artiste  qui fait pousser des plantes jusqu’à la mort dans un colorant qui la transforme ou  fait circuler des poisson rouges dans une installation aquatique complexe, l’homme nous donne un singulier rapport à la nature, à la frontière du vivant. « Jean-Luc Bichaud s’est associé avec la nature comme on signe un pacte avec le diable. Il travaille avec le vivant. Ses agissements sont certes répréhensibles. C’est une pratique un peu contre-nature, mais alors tout contre elle. »

J’évoquerai le souvenir de son installation au Domaine de Chamarande en 2002 :

Domaine de Chamarande 2002 Jean-Luc Bichaud

Des éponges sont suspendues à l’intérieur d’une ancienne verrière présente dans le domaine.Ces éponges sont « irriguées » à la cime grâce à un circuit d’arrosage au goutte-à-goutte. L’excédent coule sur l’éponge inférieure et ainsi de suite, créant un petit mouvement accompagné d’un léger bruit d’eau lorsque la goutte surnuméraire retombe dans l’eau.
Seulement les éponges utilisées par l’artiste n’ont rien à voir avec l’éponge animale qui peuple les mers. Celles utilisées dans son œuvre n’ont pas été extraites de la mer mais d’un supermarché où il pouvait en trouver de toutes formes, de toutes couleurs…

Avant de visiter l’exposition collective du musée départemental de l’Oise, ce travail de Jean-Luc Bichaud donne un avant-goût de ce rapport à un monde « Contre nature »

Photo de l’auteur

 

Jean-Luc Bichaud dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

 

Coups de chapeau

Nils Udo, à l’origine

Ce coup de chapeau aujourd’hui nous ramène trente quatre ans en arrière pour célébrer le tout premier « Nid » de Nils-Udo. Le nid est l’un des thèmes majeurs de Nils Udo
« Après mon premier grand nid de 1978, dans les Landes de Lunebourg, explique-t-il, d’autres ont suivi en très grand nombre, de toutes tailles et dans toutes sortes de matériaux : nid de bambous au Japon, d’osier en Angleterre, un nid d’hiver en neige en Bavière, un “habitat” à côté du Grand palais à Paris mais également de vrais nids d’oiseaux dans lesquels j’ai déposé des œufs modelés en glace et jusqu’au Morioka Spider réalisé sur la façade d’un grand musée au Japon en 2002. ».

A la fois expression de la nature, du règne animal, ce nid  prend l’aspect d’un symbole à l’origine du monde vivant, du regard renaissant d’un artiste sur le monde.

Nid de Nils-Udo 1978, dans les Landes de Lunebourg, Allemagne

Rencontrant Nils-Udo en 1997, c’est un artiste quelque peu  embarrassé par son expression en français qui m’explique combien la nature constitue depuis l’enfance l’élément décisif de son regard sur le monde. Si bien que dès le début des années soixante dix, l’artiste abandonne la peinture pour  se consacrer à la nature. Pour assumer ce choix radical, il s’initie à la sylviculture dans une petite plantation de Bavière. Puis la photographie lui paraît un moyen de traiter cette relation privilégiée. C’est le début d’une œuvre où tous les  moyens seront bienvenus pour honorer cette relation homme-nature. Et en 1978, ce célèbre nid  opère la fusion entre nature, sculpture, scénographie, poésie.

Nils-Udo en 1997

Nils-Udo déclinera cette première réalisation. Il trouvera, au fil des ans, beaucoup d’autres idées, imposantes ou légères comme une plume pour célébrer cette nature à laquelle son œuvre doit tout. J’évoquerai un seul autre exemple : celui d’une œuvre vivante : sous l’impulsion de l’Association des producteurs de maïs (AGPM), Nil Udo a créé en 1994 une vaste spirale composée de différentes variétés de maïs, à Laàs (Pyrénées-Atlantiques), sur deux hectares. L’œuvre fut réalisée sous les conditions et avec les méthodes de l’agriculture actuelle. Sculpture vivante, elle s’est étalée dans le temps et dans l’espace, en exposant la nature et le travail de l’homme sur cette nature.

Quand en 2012 l’art dans la nature est devenu une expression majeure, l’œuvre de Nils-Udo, mise en perspective avec cet engouement actuel, apparaît davantage encore comme la prise de conscience décisive d’un précurseur à la fois dans sa vie d’artiste et dans sa vie d’homme depuis ce premier nid originel.

Nils Udo dans l’ Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

 

Photo Wikipédia

 

Exposition Nils-Udo, Nature(élément)
Du 30 juin au 7 octobre 2012
Centre de Campredon
L’isle sur la Sorgue

 

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Portraits

Tony Soulié, l’art nomade

Tony Soulié est peintre. Il a un atelier et crée des tableaux. Il est photographe et produit des photographies. Il peint sur des photographies. Tony Soulié parcourt le monde pour visiter son grand atelier : la nature, les paysages, les villes.

New-York Tony Soulié

« La peinture,dit-il,  c’est un regard, le support importe peu. La seule justification, c’est celle de l’émotion de l’instant . »

Voilà pourquoi j’hésite à vous dire qui est Tony Soulié. Lorsqu’en 1986, l’artiste, sur les flancs du Stromboli, trace des signes, à la manière d’un dripping de Pollock …avec de la farine, s’agit -t- il d’une peinture, d’une installation, d’une intervention ? Il s’agira, à terme d’une photographie, trace de ce geste éphémère bientôt dispersé par le vent.
Lorsqu’il affronte le vent et les océans en peignant un spinnaker de plus de 250 mètres carrés pour le « Charles Jourdan » en 1990, la toile du peintre devient celle du marin.
Lorsqu’il investit une parcelle de Lalande de Pomerol pour installer les centaines de ceps de vignes qui venaient d’être arrachés et composer une œuvre destinée à la vision aérienne, le peintre devient-il sculpteur ?

« Volcans1 » 1998 Land-Art sur le volcan Vesuve, Italie Tony Soulié

« Je ne me pose jamais en photographe seul, la peinture est le fil conducteur, la déviance avec le réel, sans hiérarchie, travestie, créant une matière fluide de transit, de transe et catastrophe, la photo peinture apparaît alors comme une matière hybride « dévoratrice d’espace », d’où les vues de villes du monde, de déserts, de volcans, de vanités androgynes et ce n’est qu’à ce moment que la photo se révèle machine à créer ! »

Ce peintre nomade ne s’en tient pas au paysage. L ‘homme est présent, des rues de la Havane aux flots de Zanzibar. Photographie, peinture, peinture sur photographie, Tony Soulié continue son périple. Installations dans une usine désaffectée ou au Piton de la Fournaise, peinture dans l’atelier, photographies dans les rues du monde : chercheur d’or peut-être, chercheur d’art sûrement.

 Tony Soulié dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

Photos Tony Soulié

Portraits

Jacques Vieille « L’artiste, l’architecte et l’horticulteur »

« L’artiste, l’architecte et l’horticulteur » n’est pas une fable de La Fontaine mais pourrait être le titre d’un récit sur la vie de Jacques Vieille. Comment cadrer le travail de cet artiste qui depuis quarante ans s’applique à effacer les frontières entre les disciplines ? L’architecture constitue le point de mire de l’œuvre de Jacques Vieille, qui reconnaît qu’il aurait aimé être architecte.

Jacques Vieille

Si on met en perspective ses  premiers travaux, avant 1978, ( maquettes qu’une végétation parasite envahissait), puis les premières cabanes, construites en extérieur, jusqu’aux plus récentes réalisations publiques à l’échelle de la cité,  cette même vocation pluridisciplinaire se vérifie.

«  Depuis ses premières interventions de 1980, Jacques Vieille a souvent décliné des œuvres selon le motif de la colonne. (…) Ces colonnes font coexister deux conceptions du temps antagonistes : rêverie des origines de l’architecture, elles ressuscitent un passé mythique où serait née une architecture primitive, tandis que couchées, faites de bois et de papier déchiré (transformation du bois), elles anticipent leur état de ruine future. La perturbation du paradigme fondateur nature versus culture, trouve ainsi un écho syntagmatique dans une sorte de boucle du temps. » (1)

Si le travail en relation avec la nature connaît désormais un engouement majeur, celui de Jacques Vieille n’a pas attendu cette période faste pour les artistes du paysage. Cette relation entre architecture et nature fait partie de son œuvre, ces deux composantes manifestent leur nécessité pour l’équilibre de sa création. Au point que travailler sur le vivant s’impose davantage encore dans les travaux récents. Pour preuve « Mara des Bois 2000 », présenté à Toulouse, DRAC Hôtel ST Jean en 2007. Cette installation composée de fraisiers mara des bois dans une mise en place tubulaire gérée par arrosage automatique introduit le vivant comme œuvre d’art. Même intention dans « Charlotte des Bois », présentée au Musée du Louvre toujours en 2007, installation composée de Fraisiers charlotte et tuyau de drainage.

"The girl of land," Toyota, Musée municipal, Gardens, 2006 Jacques Vieille

Au bout du compte, il reste impossible de distinguer l’artiste, l’architecte et l’horticulteur. Mais le plus petit dénominateur commun des trois serait-il le vivant ?

 

Photos Wikipédia et Jacques Vieille

(1)  http://www.frac-bourgogne.org/scripts/album.php?mode=data&id_lang=1&id_artiste=88 Christian Besson

 

 

 

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Coups de chapeau

Christine O’Loughlin, la nature de l’art

Christine O’Loughlin a beaucoup voyagé depuis son Australie natale avant de s’installer en France en 1979. Sa vision de la nature nous propose un regard qui n’a rien de « naturel ». Les éléments de la nature sont, pour elle, le moyen de réaliser des mises en scène novatrices. Je garde en mémoire deux œuvres de l’artiste qui donnent la mesure de son univers. Dans la première, sur le terrain assez neutre d’une une ville nouvelle, une pyramide de briques rouges interpelle le spectateur. Car il ne s’agit pas d’une pyramide classique, équilibrée, mais d’une construction anguleuse qui donne immédiatement l’impression de sortir de terre et de pousser inexorablement comme une forme vivante, incompréhensible et incontrôlable. L’œuvre porte en elle le mouvement et la vie, une vie inquiétante dans ce quotidien banal.

Christine O Loughl’in dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

La Colline

La colline Christine O’Loughlin

La seconde œuvre fut réalisée par l’artiste en 1993 au Parc de la Courneuve dans le cadre de la manifestation « Art grandeur nature ». Christine O’Loughlin réalisa sur une colline du parc l’installation de centaines d’énormes pots de fleurs vides, emboîtés les un dans les autres, dessinant une coulée rouge démesurée sur cette pelouse. Là encore, l’objet mis en scène, proposait un envahissement redoutable, transformant les inoffensifs pots de fleurs en essaim irrésistible ou en monstre tentaculaire tombé d’une autre galaxie.

La nature de l’art

Christine O’Loughlin, sur le terrain, se sert des moyens du bord, des objets du lieu pour créer un univers insolite, transfigurant le réel du quotidien en fiction poétique. A la différence d’un art qui, aujourd’hui, s’empare de la nature pour proposer une implication des éléments naturels dans le théâtre paysager , Christine O’Loughlin nous offre une confrontation mentale avec cette nature pour mieux s’interroger et nous interpeller sur la nature de l’art.

Photos Christine O’Loughlin

Christine O’Loughlin dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

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Coups de chapeau·Portraits

Jean Verame, hors du temps

Ce coup de chapeau distingue une action d’un artiste intervenue  en 1995. Cette évocation pourrait paraître bien éloignée  d’une préoccupation actuelle si le geste de cet artiste  n’avait pas vocation justement à ce situer hors du temps. Réalisée il y a plus de quinze ans, cette œuvre conserve aujourd’hui toute son actualité.

Jean Verame Tchad Tibesti 1989Peindre

Peindre le désert

S’il est habituel de rencontrer les artistes, notamment les peintres, dans le silence et le calme de l’atelier, on sait bien que d’autres ont besoin d’une toile à l’échelle du paysage. A l’évidence, Jean Verame appartient à cette deuxième famille. S’y ajoutent, assurément, des qualités particulières d’organisateur. S’il fut attiré par la peinture, très vite le terrain de jeu de Jean Verame devient la nature, pour ne pas dire la planète.
C’est le début d’une histoire où sur les plages, les montagnes, les déserts, les canyons, l’artiste inscrit son passage par une action peinte, démesurée, à l’échelle de cette toile sans fin.
J’ai parlé d’organisateur. En effet, Jean Verame a dû faire preuve de qualités particulièrement affirmées pour convaincre, obtenir les moyens logistiques, les aides matérielles et humaines pour mener à bien de tels projets. Peindre dans le désert du Sinaï, en Egypte, sur le plateau de Hallaoui, douze zones réparties sur 80 km2 n’est pas un geste anodin. Il faut une volonté et une énergie solides pour faire aboutir une telle idée.

Mille bronzes

Le coup de chapeau que j’évoquais signale le projet qui m’apparaît comme le plus insensé : Jean Verame conçoit et fait réaliser en bronze, mille pièces en 1995 et fait lancer par avion ces mille bronzes en cinq vols successifs dans les sables du Sahara. Mille bronzes ont ainsi été coulés chez Airaindor-Valsuani à Chevreuse, ont été exposés une seule fois au Musée de l’Homme à Paris , puis ensuite largués dans les sables du Sahara.
« Ces pièces signées, numérotées, portant cachet de fonderie et patinées en bleu sont un cadeau à celui ou celle qui les trouve, mais à un homme hors-temps, aussi bien celui d’aujourd’hui que celui d’après-demain . »

Un des mille bronzes en offrande au désert du Sahara 1995 Jean Verame

Ce geste à la fois gratuit et fort coûteux est-il réduit au néant par son enfouissement dans le désert, peut-être hors de toute voie de circulation ?
Je dois témoigner, pour l’anecdote, avoir reçu un jour un message d’une personne qui, ayant trouvé un de ces bronzes dans le désert du Sahara, sans connaître ni l’auteur ni la raison de cette présence, m’interrogeait pour tenter d’en savoir plus. Je le dirigeai aussitôt vers Jean Verame, certainement heureux de voir atteindre leur but à ces bouteilles jetées à la mer de sable.

Jean Vérame dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

Photos Jean Verame

 

 

Coups de chapeau

Alberto Guzman au plateau d’Assy

Donner un coup de chapeau à une réalisation éphémère, créée il y a plus de trente cinq ans, voilà bien le moyen de redonner vie quelques instants à un geste artistique exemplaire, en l’occurence celui du sculpteur Alberto Guzman. Aujourd’hui, une telle intervention, que l’on appelait pas encore Land-art, pourrait paraître commune, sans surprise alors que les artistes du Land-art rivalisent d’audace dans le paysage. Mais, en 1973, l’oeuvre marque les esprits.

« Arc en ciel » Alberto Guzman Plateau d’Assy 1973

Le Plateau d’Assy et la commune de Passy furent, pendant l’été 1973, le décor d’un dialogue monumental entre l’art et la montagne. Invité sur le site, le poète Jean-Pierre Lemesle est bouleversé par les lieux et leur histoire. Il projette une nouvelle forme de poésie dans l’espace, un dialogue monumental entre l’art et la montagne, une installation artistique osée pour l’époque. Des sculptures prendront la place des mots, la montagne celle du support.Ainsi seront invités notamment Gérard Singer, Charles Semser,

« Partition » 1971 Alberto Gumzan Parc floral de Paris

C’est dans le contexte de ce projet que le sculpteur Alberto Guzman est sollicité. Guzman, à ce moment, est un artiste du métal, qui dans ses « Partitions » crée des tensions métalliques dans l’espace.
Au Plateau d’Assy, son grand talent aura été de trouver, à l’échelle de la montagne, avec des matériaux inhabituels pour lui, le moyen de créer cet arc en ciel se détachant dans le brouillard de la vallée, à la fois si loin et si proche de son œuvre.
L’écrivain et artiste Michel Seuphor a écrit une pièce de théâtre intitulée « L’éphémère est éternel« . L’oeuvre d’Alberto Guzman au plateau d’Assy était assurément éphémère. Sans prétendre être éternelle, elle a, du moins marqué la mémoire du beaucoup de spectateurs qui, trente cinq ans plus tard, gardent encore à l’esprit cette apparition « sur-naturelle ».

Alberto Guzman dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

Photos de l’auteur. Tous droits réservés.