La chaîne vidéo

Christian Sorg : aux racines de l’art rupestre

Le peintre Claude Viallat affirmait : « Toute la peinture contemporaine est dans Lascaux et dans la préhistoire. »
Christian Sorg pourrait vraisemblablement s’approprier cette affirmation. Il appartient à la génération des artistes qui, notamment au sein du groupe Supports-Surfaces, se sont interrogés sur les éléments constitutifs de la peinture. Chez lui cette réflexion se fera de façon personnelle en créant en 1978 la revue « Documents sur » dont le conseiller artistique était l’écrivain Marcellin Pleynet..
« Christian Sorg a été partie prenante d’un moment très particulier de l’histoire de la peinture en France celui de la re-fondation de l’ abstraction par le retour aux constituants essentiels du tableau. Couvrir une surface par la couleur, la diviser pour y travailler l’espace, y inscrire une trace, il s’ y confronte comme les peintres de sa génération (notamment Supports/Surface), mais refuse tout système. »

Arcy, chemin des grottes 2020

Au début des années 90, depuis ses nombreux séjours en Aragon, une calligraphie picturale nouvelle s’impose à lui. En effet, il découvre et arpente l’environnement préservé des sierras, visite les sites préhistoriques du Levant, et ceux très proches de son atelier en Bourgogne à Arcy- sur-Cure. Christian Sorg a vu les grottes de Lascaux et du Pech Merle. En 2014 il présente dans la galerie du théâtre de Privas, lors de l’exposition « Les Artistes de la grotte Chauvet et les artistes contemporains« , à l’occasion de l’ouverture du fac-similé de la grotte Chauvet, « Mains inverses », une peinture proche des mains négatives préhistoriques ou des panneaux d’empreintes de la paume de la main avec de la terre rouge.
 » Je retiens la présence très forte qui vient des parois, car il n’y a pas de démonstration picturale par rapport à un sujet choisi. J’aime cette présence par rapport au temps qui passe, que ce soit cinq ou dix-huit mille ans. »

L’exposition actuelle à la galerie Dutko à Paris met en perspective cette recherche qui nous dit que, à l’échelle du temps terrestre, ce qui sépare le peintre de Lascaux et le peintre contemporain n’est qu’un bref moment.

« Je suis toujours au commencement de quelque chose où rien n’est jamais joué d’avance. » Christian Sorg

CHRISTIAN SORG
SURGISSEMENTS

20 février – 3 Avril 2021
Galerie Dutko – Ile Saint-Louis
4 rue de Bretonvilliers 
Paris 4e

Expositions

Amy Hilton : l’art est transmutation

« Pensées sédimentaires »

Pour sa deuxième exposition personnelle à la galerie Fatiha Selam à Paris, Amy Hilton prolonge le questionnement entrepris précédemment avec cette proposition désignée sous le titre de « Pensées sédimentaires ».
Anglaise d’origine, l’artiste a suivi des études littéraires avant de s’installer en France, dans les Alpes à Chamonix où ce contact puissant avec la nature et la montagne va s’imposer dans son itinéraire artistique.
« Le tout et les parties », titre de sa première exposition à la galerie, exprimait déjà cette jonction entre expression littéraire et préoccupation artistique.
Si la matière peut connaître divers états, du solide au gazeux, pourrait-on concevoir que l’art soit un état intermédiaire entre matière et pensée ? Cette hypothèse s’appuie sur les oeuvres présentées aujourd’hui.
La juxtaposition, dans une même pièce, d’un pastel et d’un fragment de marbre manifeste cette relation délibérée de l’artiste entre une matière brute et la production d’une pensée. Lorsqu’elle rassemblait les deux morceaux d’une pierre brisée trouvée sur une plage de l’île de Ré, la cohérence de l’ensemble allait de soi. Ici, dans le cas de cette association inédite, Amy Hilton tente une recherche plus complexe, nous convie à réfléchir avec elle à cet « entre-deux » invisible dont elle s’emploie à révéler le sens.

« Ecologie profonde »

L’artiste revendique l’approche d’une « Ecologie profonde » dont il nous reste à cerner les contours. Il s’agirait donc de déceler les liens qui se tissent entre des éléments fragmentés, révéler ce qui unifie l’individu et le monde, l’infime et l’infini, et découvrir ce qui relie les choses qui nous apparaissent tout d’abord sans relation. Et cette tâche, Amy Hilton l’aborde avec ces éléments simples qui lui servent à établir ce dialogue invisible entre les choses. Et dans ce jeu de transmutation des éléments, les mots se bousculent pour désigner tous ces états intermédiaires : fusion, liquéfaction, solidification, sublimation, ce dernier terme se plaçant si admirablement entre physique et psychanalyse. L’art serait-il alors à la croisée de tous ces états fugitifs pour apporter quelques réponses à l’approche quasi philosophique de l’artiste ?
Dans la galerie, elle s’est investie dans une intervention murale qui participe à ce protocole.
Dans cet « entre-deux » on discerne l’apport de son approche littéraire qui met des mots sur ce qui, à défaut d’être visible, n’est peut-être pas indicible.
Pour autant les propositions artistiques offertes à notre regard ne se situent pas seulement sur un plan rationnel. L’artiste revendique le rêve et la poésie pour accéder à ce « grand poème cosmique ».


« Songes de pierres »

C’est en prenant en compte cette dimension onirique qu’elle présentait déjà l’an passé au musée de Minéralogie à Paris l’exposition « Songes de pierres » avec des peintures inspirées de différentes pierres et minéraux. Dans ces oeuvres des formes fluides semblent presque se mouvoir, suggérant au regardeur l’existence de constellations symboliques de ce monde minéral relié à l’univers. Ses œuvres presque minimalistes sont alors autant de pierres qui jalonnent ce chemin de découverte laissant aussi la part belle à notre sensibilité personnelle et à notre suggestion.

Amy Hilton
« Pensées sédimentaires »

Du 14 octobre au 25 novembre 2017
Galerie Fatiha Selam
58 rue Chapon
75003 Paris

Expositions

Daniel Pontoreau : terra incognita

Sur le terrain de l’art contemporain, au gré des investigations, il est possible de découvrir quelques pierres disposées dans les espaces publics, sur le sol des galeries, dispersées dans les aires naturelles. Ces présences signalent l’existence d’une œuvre rare, discrète, venue d’un artiste qui ne l’est pas moins : Daniel Pontoreau.

Exposition Daniel Pontoreau Galerie Fatiha Selam 2017

Comment regarder ces témoignages d’un geste artistique qui ne se livre pas d’emblée, objets qui laissent planer le mystère sur leur origine ? Aérolithes venus d’espace inconnus ?  Monolithes érigés par quelque civilisation disparue ? N’attendez pas de Daniel Pontoreau qu’il vous propose une lecture définitive de ce que vous avez sous les yeux. Cette désignation même de pierre est trompeuse. Terre réfractaire, fonte de fer, céramique, porcelaine, voilà quelques pistes pour tenter de cerne ces créations.
Lorsqu’il installe sur une place de Strasbourg  l’imposante « Pierre trouée » (2003) en hommage à son ami sculpteur Jean Clareboudt, la pièce affirme sa masse solitaire comme pour mieux faire ressentir les forces telluriques d’une telle apparition, révéler les tensions auxquelles le promeneur ne peut rester insensible en jouxtant l’œuvre.
Quand il dépose à Ivry sur Seine « La pierre couchée » (1995-1997) le sculpteur met en présence deux formes étranges en fonte de fer émaillée créant entre elles un dialogue à la fois silencieux et singulier où les mots glissent sur toute tentative de définition. Déjà en 1992, Daniel Pontoreau s’était emparé du « Champ du feu » dans les Vosges, pour mettre en scène ses mégalithes  (également en fonte de fer) et  cinq cents blocs de marbre venus d’Inde.
« Chaque élément paraît relié aux autres par des liens invisibles, à la manière des réseaux telluriques.»  expliquait-il.
Au vu de ces quelques exemples se précisent les indices qui nous permettent de tenter une approche de  cette œuvre ésotérique. Le sculpteur ne s’attache pas à une forme pour elle même. Dans son mythique « Pierrot le Fou  »  Jean-Luc Godard fait lire à Jean-Paul Belmondo ce texte d’ Elie Faure :
« Vélasquez après cinquante ans ne peignait plus jamais une chose définie. Il errait autour des objets avec l’air et le crépuscule… Il ne saisissait plus dans le monde que les échanges mystérieux qui font pénétrer les uns dans les autres les formes et les tons… L’espace règne… ».

Daniel Pontoreau, pour nous entraîner dans sa quête, explore cet espace indicible, jalonne de ses pierres le chemin qui mène vers cette relation au monde initiée depuis plus de quarante ans. Artiste nomade, c’est de l’Amérique aux Indes, de l’Iran au Mali que l’artiste cherche dans les civilisations millénaires les réponses que les hommes ont apporté à cette lancinante question de leur présence sur terre, de leur rapport à la planète à travers les champs magnétiques, les ondes telluriques, l’énergie des volcans, cette confrontation permanente entre la terre et le feu. La terre se révèle donc comme l’élément symbolique que l’artiste invoque à la fois dans sa cosmogonie et dans sa matière immédiatement accessible.
« Je me demande si la terre a quelque chose à dire. Je me demande si le sol écoute ce qui se dit. Je me demande si la terre est venue à la vie et ce qu’il y a dessous » clamait le chef de la tribu amérindienne des Cayuses.

Exposition Daniel Pontoreau Galerie Fatiha Selam 2017

Daniel Pontoreau reprend à sa manière cette inquiétude et fait de cette terre la matière de son interrogation incessante. Avec ces pièces en céramique, à travers les dialogues qu’il tente d’établir entre ces éléments primaires, l’artiste sème sur son itinéraire ces pierres comme autant d’offrandes à un parcours initiatique.
Depuis son exposition à la galerie Fatiha Selam à Paris en 2014 jusqu’à celle qui s’ouvre aujourd’hui, de l’ambitieuse exposition internationale Ceramix en 2016 aux somptueuses pièces noires qu’il réalisa comme artiste invité à Shigaraki au Japon en 2009, œuvres récemment acquises par le Museum of Ceramic Art Hyogo, c’est ce même questionnement qui s’opère à la fois dans ce que nous appellerons sculptures et dans ces productions en deux dimensions réalisées par couches successives et composées de formes en creux ou en relief, l’ensemble soumis à des tensions dans des tableaux aux cadres indécis.
Daniel Pontoreau est aussi passionné d’astrophysique et dans cet univers où « L’espace règne« , sa présence au monde ne se limite pas à la planète. Au point que, dans cette approche mentale de la matière dans toutes ses composantes, c’est peut-être d’une pierre philosophale qu’il est question ?*

Photos: Daniel  Pontoreau et Galerie Fatiha Selam

Daniel Pontoreau
11 mars/22 avril 2017
Galerie Fatiha Selam
58 rue Chapon
75003 Paris

Daniel Pontoreau dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

 

Expositions

Alexandre Delamadeleine : entre rémanence et transcendance

« Si la photographie doit encore figurer quelque chose d’essentiel, alors il devrait aussi exister, par analogie avec la peinture abstraite et (…) par analogie avec une peinture transcendantale, une ‹ photographie transcendantale ›

"Fréquence 3" Alexandre Delamadeleine
« Fréquence 3 » Alexandre Delamadeleine

Cette proposition formulée lors de l’exposition d’Anna et Bernhard Blume au Centre Pompidou à Paris en 2015 nous offre une piste pour aborder le travail du jeune photographe Alexandre Delamadeleine que présente la galerie Fatiha Selam à Paris.
Il ne s’agit certes pas d’associer le travail de ces photographes dans un même mouvement cohérent mais de saisir la posture adoptée par Alexandre Delamadeleine dans sa quête personnelle, dans cette interrogation fondamentale sur sa présence au monde avec notamment pour moyen d’approche la photographie.

« Tathagatagarbha »

Car si l’exposition se cache derrière le mot énigmatique de « Tathagatagarbha », il nous appartient de saisir le cheminement de l’artiste au travers des éléments visuels et sonores qu’il met à notre disposition puisque photographie et vidéo s’associent dans cette recherche d’un absolu. Encore faut-il ajouter que les images et le sons renvoient à une trame littéraire décisive. Dans l’exposition est présentée une série de travaux photographiques sur papier transparent contre collé sur les pages du livre « Nature » du poète et philosophe américain Ralph Waldo Emerson ( 1803-1882).
Cette trame révèle l’intérêt que le photographe porte à celui qui, faisant table rase de l’héritage culturel et historique européen, trouve en 1836 dans l’Amérique, une nature vierge, sauvage, sans « Histoire » qui le mènera à développer l’idée que cette nature est une entité divine qui englobe tout. Le salut des hommes tient à la fusion du Soi et de la Nature, un éveil bouddhique auquel se réfère explicitement Alexandre Delamadeleine. Le titre mystérieux de l’exposition commence alors à se dévoiler: Tathagatagarbha désignerait le germe renfermant la nature essentielle, universelle et immortelle présente en tout être sensible. Dans une culture européenne, c’est le « point omega » de Theilard de Chardin que l’on pourrait être tenté d ‘évoquer pour se rapprocher de cette recherche d’un absolu en devenir.
Comment traduire en images ce qui relève d’une pensée abstraite enfouie au plus profond de l’individu ? C’est tout le challenge auquel s’attaque le photographe. Pour lui : «  Les tirages photographiques sur papier transparent sont comme le fantôme d’ un instant passé qui cohabitent maintenant avec les mots, le passé, l’histoire, l’ univers.  »
Alexandre Delamadeleine s’est employé à combiner photographie, textes écrits et lus, vidéo, musique pour rendre sensible ce qui naît d’une pensée insaisissable. Si bien que l’exposition ne se présente pas comme une suite d’oeuvre autonomes mais plutôt comme un ensemble solidaire, cohérent, destiné à nous permettre d’appréhender cette quête personnelle.
Et si la nature est, comme le revendique Ralph Waldo Emerson, une entité divine qui englobe tout, le cosmos intègre ce tout.

Nature, langage, cosmos

Alexandre Delamadeleine
Alexandre Delamadeleine

C’est la vidéo qui, dans l’exposition, introduit de façon vivante ce cosmos : soleil, lune mis en images animées, participent à cette représentation globale d’une entité où nature, humanité et espace cosmique se fondent dans cette élévation tendant vers un absolu. Nous ne sommes pas si loin de la « planétisation  » prophétisée par Theilard de Chardin évoquant cette « pellicule de pensée enveloppant la Terre, formée des communications humaines ».
Et c’est l’homme qui revient au centre du propos. L’outil vidéo, là encore, apporte sa contribution : l’acteur Mehdi Nebbou introduit la parole dans cette scénographie en lisant un chapitre sur le langage extrait du « Nature » de Ralph Waldo Emerson : «  Les mots sont les signes de faits naturels, les faits naturels particuliers sont les symboles de faits spirituels particuliers. La nature est le symbole de l’ esprit  ». Entre documentaire et fiction, rêve et réalité, jour et nuit, l’ensemble enrichi par une création musicale originale de Pascal Sangla, Alexandre Delamadeleine cherche à nous rendre accessible une forme de rémanence, ce phénomène volatil si particulier qui appartient à la fois à l’œil et au cerveau. Fantomatique comme l’image rémanente qui ajoute le temps à l’espace photographié, cette fusion entre nature et esprit serait-elle alors tangible ?
L’artiste tente ainsi, avec les outils du créateur d’images, d’appréhender cette notion fugitive de transcendance que les hommes avec tous les moyens possibles de la communication (langage, musique, image), s’efforcent d’atteindre, toujours à la recherche de l’inaccessible étoile.

Photos: Alexandre Delamadeleine

TATHÄGATAGARBHA
Alexandre Delamadeleine
Vernissage le Jeudi 12 mai de 18h à 21h
Exposition du 12 mai au 18 juin 2016

Galerie Fatiha Selam

58, rue Chapon, 75003 Paris
Expositions

Jörg Gessner : Éloge de l’ombre

Lors de sa première exposition à la galerie Fatiha Selam à Paris en 2014, l’artiste Jörg Gessner nous donnait à voir une œuvre rare, composée de washis superposés, décalés, suspendus, créant dans l’espace de la galerie le théâtre silencieux d’un art minimal nous invitant à la retenue (Jörg Gessner, le roman d’une feuille blanche). Aujourd’hui l’exposition La feuille d’ombre prolonge et renouvelle la démarche de cet artiste discret à l’image de son œuvre.

Esthétique de la pénombre

"Ombre carrée N°1" Jörg Gesnner 2016
« Ombre carrée N°1 » Jörg Gessner 2016

L’écrivain japonais Tanizaki  proposait, dans les années trente, l’ « Éloge de l’ombre » promouvant la défense d’une esthétique de la pénombre par opposition à l’esthétique occidentale où la lumière domine tout. Cette culture de l’ombre, du crépuscule est celle d’une société attentive à la mesure, à la discrétion, aux valeurs de l’imperceptible à peine décelables sous le frémissement d’un pinceau lors du tracé d’un idéogramme.
Ici, aujourd’hui, à Paris, dans la turbulence d’un monde agité, aux tensions exacerbées, l’exposition de Jörg Gessner préserve un havre de paix salutaire. A découvrir l’infinie délicatesse de ce jeu de lumières et d’ombres révélé dans les œuvres de l’artiste, on pressent la somme de préparation, de travail, de temps consumé dans l’atelier pour aboutir à une telle légèreté, au terme d’une aussi patiente implication. Cet investissement personnel prolonge celui des maîtres du washi dans leur lente élaboration de ce papier d’exception après la mise en place d’une méthode de fabrication proche du rituel.
Mais si la subtile harmonie de l’œuvre ne laisse transparaître la difficulté de sa confection, c’est dans les carnets préparatoires de l’artiste que l’on découvre à quel point l’élaboration de ce protocole répond à une mise en place complexe, précise, minutieuse. Car ces carnets, comme autant de manuscrits secrets scrupuleusement conservés par on ne sait quel alchimiste invisible, témoignent de la lenteur du processus, de la délicate manipulation nécessaire pour réaliser l’enchevêtrement des couches de washis, de l’extrême difficulté pour aboutir à ce résultat d’une si apparente simplicité.
Mais notre regard a déjà oublié ce cérémonial mystérieux pour se laisser entraîner dans la vibration éthérée que chaque toile provoque. Depuis ses travaux de l’exposition précédente, de nouveaux paramètres sont intervenus dans les créations de Jörg Gessner.

Equilibre

"Feuille d'ombre N°5" 2015 Jörg Gesnner
« Feuille d’ombre N°5 » 2015 Jörg Gessner

A la simplicité minimaliste des œuvres précédentes l’artiste ajoute une nouvelle donne. Une structuration géométrique des washis définit un espace inédit. « Certaines œuvres, explique Gessner, sont plus mentales comme celles que je viens de réaliser, d’autres plus émotionnelles comme celles que je viens de commencer. »
C’est peut-être avec cet apport récent que se dessine l’avancée du travail : entre le matériau du washi qu’il aborde avec un infini respect et le jeu mental vers lequel tend l’artiste un équilibre délicat s’établit. A la jonction de l’émotionnel et du mental, on atteint, à travers ces œuvres, ces valeurs de plénitude, d’harmonie et, pour tout dire, d’une sérénité bienvenue.

 

Photos Galerie Fatiha Selam

Jörg Gessner
La feuille d’ombre
12 mars – 30 avril 2016
Galerie Fatiha Selam                     
58 rue Chapon
75003 Paris

Expositions

Sophia Dixon Dillo : les chemins de la lumière

C’est une interrogation sans fin remontant aux temps les plus anciens qui tente de cerner la nature de ce phénomène indéfinissable : la lumière. De Platon envisageant des rayons partant de l’œil et interceptés par l’objet jusqu’à la théorie ondulatoire de Christian Huygens puis celle d’ Isaac Newton pour qui les faisceaux lumineux sont une succession de grains de lumière, chaque nouvelle hypothèse a eu pour ambition de capter cette réalité insaisissable.

Sophia Dixon Dillo galerie Fatiha Selam Paris 2015
Sophia Dixon Dillo galerie Fatiha Selam Pais 2015

Peut-on attendre des artistes une approche plus significative pour chacun de nous ? De Georges de la Tour aux impressionnistes puis aux cinétiques l’art a tenté de formuler ses propres réponses. Aujourd’hui une jeune artiste américaine Sophia Dixon Dillo met en œuvre à la galerie Fatiha Selam à Paris sa vision personnelle sur cette énigme physique porteuse d’une telle charge historique et culturelle. Et son questionnement s’exprime par des propositions qui relient l’espace de la galerie au plan du papier dans une même révélation.

Light installation

Fidèle à sa démarche déjà bien élaborée, Sophia Dixon Dillo investit la galerie Fatiha en tissant sa toile dans le volume qui lui est offert. Avec pour unique matériau un fil de pêche extrêmement ténu, l’artiste trace un vecteur de plusieurs dizaines de kilomètres entre les murs de la galerie pour déployer dans notre champ de vision ces voiles fragiles qui resteraient presque invisibles sans le croisement des éclairages naturels ou artificiels qui révèlent à nos yeux l’onde impalpable de sa présence. L’artiste cinétique Jésus Rafael Soto revendiquait l’immatériel comme élément décisif  de son œuvre. Nous y sommes de nouveau confrontés avec ces installations de Sophia Dixon Dillo, obligeant notre perception à composer entre la réalité physique de cette tension linéaire et l’immatérielle sensation générée par ce voile. S’y ajoute à la différence de Soto, me semble-t-il, un autre paramètre : la réalisation elle-même de cette production s’apparente à une performance. Dans la galerie, l’artiste, en  développant ce fil conducteur, s’astreint à un cheminement de trente cinq kilomètres, réalisant une performance qui, si elle dit pas son nom, mérite d’être prise en compte. Au point de s’interroger sur ce qui relèverait du rituel dans cette attitude. Et c’est la seconde face de son travail qui conforte cette interrogation.

Une voie spirituelle ?

Sophia Dixon Dillo, avec la patiente minutie des créateurs des enluminures médiévales, écorche avec une lame fine le papier à dessin, dans un rituel incessant, parcourant ainsi à nouveau ce chemin ondulatoire.

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Sophia-Dixon-Dillo-Untitled-7-cut-paper-7×7-500

Chaque planche réalisée offre à la lumière une nouvelle accroche, une sensation inédite pour le regardeur impliqué dans l’examen attentif de cette miniature. Cette fois encore la trajectoire semble illimitée, matérialisée par ces traces sans cesse renouvelées, comme si l’artiste s’imposait une épreuve dédiée à la lumière. D’une œuvre à la suivante, ce fil sans fin ciselé sur le plan, ce sillon creusé à même le support, cette blessure continue infligée au papier, comment ne pas y voir une intention de parcours initiatique?  Si bien que le déroulé du fil tissé dans la galerie et le sillon incrusté sur le papier se confortent dans cette épreuve physique qui laisse entrevoir une vocation spirituelle.

Chercher la lumière

Le ciel des Rocheuses de Cresto, son lieu de vie dans ces montagnes sacrées du Colorado, aurait-il donné à Sophia Dixon Dillo les clefs de cette interrogation sur la lumière?  Cette zone de Crestone dans le Colorado s’identifie comme un centre spirituel où plusieurs religions mondiales sont représentées : un temple hindou, un centre Zen, un monastère de Carmélite d’étudiantes, plusieurs centres tibétains notamment.
Sophia Dixon Dillo vit avec son mari au Crestone Montagne Zen Center. Dans le Dharma, la loi universelle du bouddhisme, la nature de bouddha, la nature fondamentale de l’esprit est dite « claire lumière » et a pour objectif la clarté et la lucidité. En grandissant en Californie où elle est née, Sophia Dixon Dillo a vécu dans « la maison calme. » Son père, artiste et bouddhiste lui-même, ne lui a  pas beaucoup parlé de sa pratique  » mais il a informé ma vision du monde et j’ai grandi dans cette atmosphère  » rapporte-t-elle.
Cette grille de lecture permet de saisir dans le travail de Sophia Dixon Dillo les données constitutives de sa démarche. Le travail de lumière mis en œuvre par l’artiste passe par ce processus qui, de la performance du voile tendu jusqu’au cheminement sans fin du cutter sur le papier à dessin, se révèle comme une épreuve destinée à la méditation, au don de soi, de son temps pour approcher la lumière tout au long de cette quête de spiritualité.

Photos: Sophia Dixon Dillo Galerie Fatiha Selam

Sophia Dixon Dillo
 » Light and Form « 
Vernissage le samedi 21 novembre 2015 de 16h à 20h
Exposition d
u 21 novembre 2015 au 16 janvier 2016
58 rue Chapon 75003 Paris

Expositions

André Hemer : la peinture, du pigment au pixel

Lorsque la vague du numérique a déferlé sur les rives de la peinture, la défiance s’est très vite installée. Face au geste authentique du peintre, confronté physiquement au support de la toile, que signifiait cette intrusion dont la seule identité n’était que fictive, dont la seule réalité n’était que virtuelle ?
Rapporté au processus de création linéaire qui laissait l’homme depuis des millénaires seul dans son face à face avec la paroi de la caverne puis avec le plan du tableau, le numérique venait bouleverser la pratique : l’ingérence d’une machine, l’ordinateur, encore porteuse de toutes les suspicions, l’utilisation possible de calques superposables, la sidérante facilité avec laquelle l’artiste du digital peut jouer, gommer, défaire, refaire, tous ces chefs d’accusation ont été soutenus pour discréditer l’idée même d’un art numérique à part entière.

André Hemer New Smart Object Plus #16, 2015
André Hemer New Smart Object Plus #16, 2015

Aussi, la présentation par la galerie Fatiha Selam à Paris d’un jeune artiste André Hemer   venu d’autres tropiques après avoir exposé à travers le monde, de la Nouvelle-Zélande à l’Australie, la Corée, Taiwan, l’Allemagne ou le Royaume-Uni, éclaire une voie originale mise en oeuvre ici.

Toile et toile

Appartenant à une génération pour laquelle le numérique s’offre comme un espace naturel, évident, André Hemer ne pouvait qu’être séduit par les possibilités de cette création sans  limites. En 2011, sa peinture Bleue Pole, fondée sur le QR code faisant référence au célèbre tableau de Jackson Pollock, a remporté le Prix National d’Art Contemporain au Musée Waikato, en Nouvelle Zélande. L’implication numérique est ici flagrante dans sa destination : la lecture du QR code mise en image dans son œuvre permet de suivre le lien Internet jusqu’à la National Gallery of Australia. Son exposition « Hyper/links« (2011) à la Physics Room de Christchurch en Nouvelle Zélande développait ainsi cette stratégie d’une sorte de « peinture augmentée » directement associée à la vocation de l’ordinateur et de la Toile. Mais la démarche d’André Hemer prend désormais toute sa spécificité dans la conjugaison qu’il décline entre art numérique et peinture. De quoi s’agit-il ?

Hybridation

L’artiste, partant d’une peinture épaissie avec de la poudre de marbre (produit spécifique auquel le fournisseur attribue le nom de Lascaux !) crée des formes dont le volume renvoie à une gestuelle héritée de l’aventure mémorielle de la peinture. Puis il traduit en image numérique ces productions matérielles. Commence alors un long travail de choix, de sélection d’images, de créations de calques qui décident de l’œuvre à venir. Au terme de cette nouvelle étape qui aboutit à une impression digitale assimilable à la toile du peintre, André Hemer retrouve sa palette, la matière épaisse de sa peinture pour parachever un tableau né de cette hybridation.

André Hermer 2015
André Hermer 2015

Le résultat de ce protocole bénéficie alors des possibilités respectives de chaque discipline. L’image numérique, générée à partir des formes en volume nées de la main du peintre, laisse au concepteur toute liberté de création, de repentir, le tout avec une aisance à laquelle la peinture ne peut pas prétendre. Puis le geste de la main directement appliqué sur cette toile déjà chargée d’une création première restitue à l’artiste redevenu peintre sa capacité sensitive, physique, pour décider de son rythme, de sa respiration, de son toucher.

Pigments et pixels

Après le charbon de bois de l’art pariétal, les pigments dans l’huile de lin des peintres flamands, la révolution du numérique peut donc trouver une voie de dialogue avec la peinture. L’acte de peindre prend un sens nouveau. André Hemer participe avec ses propres propositions à l’avènement de cette nouvelle peinture qui, plutôt que de refuser l’avènement du numérique pour préserver l’acte de peindre, plutôt que d’abandonner cette aventure millénaire au bénéfice d’un art digital, décide qu’un voie nouvelle est possible.
Le résultat de ce travail visible aujourd’hui à la galerie Fatiha Selam perturbe la perception. Entre la matière épaisse du tableau, travaillée sur l’image numérique, reproduite sur la toile et l’ultime apport du peintre sur ce tirage, le discernement  des plans, des volumes, des matières semble échapper au spectateur. Si bien que la description même de l’objet observé s’en trouve bousculée. Dans ce jeu de pigments et de pixels, la peinture n’en finit pas de cherche sa propre définition. André Hemer en résidence en France pour quelques mois repartira ensuite pour d’autres expériences à travers le monde. L’exposition de la galerie Fatiha Selam offre l’unique possibilité de découvrir les créations originales qu’il vient de réaliser à Paris dans cette recherche novatrice à la confluence de la peinture et du numérique.

Photos : André Hemer/Galerie Fatiha Selam

André Hemer
A hot mess
5 septembre – 17 octobre 2015
Galerie Fatiha Selam
58 rue chapon
75003 Paris

Expositions

YADE : Propositions pour une nouvelle contemplation

A la croisée des chemins entre l’art et la technique, entre la forme et la fonction, le design occupe un territoire aux frontières mouvantes, incertaines. Sa définition même témoigne de l’instabilité dans laquelle son concept vit et se développe  à travers le temps. Depuis la doctrine fonctionnaliste où « la forme suit la fonction« , le design n’a cessé de s’émanciper pour intégrer les valeurs du sensible, de l’émotion. C’est dire si le challenge organisé à la galerie Fatiha Selam à Paris avec l’atelier YADE (association entre Marina Declarey et Solange Yates)  est susceptible de faire bouger les lignes sur ce front agité.

Emulation

Habitacle YADE faec à l'oeuvre de Gesnner.
Jörg Gessner et YADE

Car c’est à une émulation entre œuvre d’art préexistante et création design que s’établit la règle du jeu dans cette exposition D’DAYS, « FONCTIONCONTEMPLATION »: « Se mettant au service d’œuvres signées par des artistes représentés par Fatiha Selam : Jörg Gessner, Daniel Pontoreau, Stephen Schultz et son invité Vladimir Skoda, l’atelier YADE imagine un design aux lignes épurées qui guidera la contemplation et le regard des visiteurs. »
Si bien que l’on ne peut éluder cette question incontournable : dans quelles conditions optimum peut-on établir notre relation à une œuvre d’art ?  L’atelier YADE répond par des propositions concrètes à cette interrogation.
Face à l’œuvre immaculée des Washi de Jörg Gessner, toute entière dédiée au silence et au recueillement, un habitacle de feutre permet de s’isoler au plan visuel et sonore devant la pièce, d’éprouver la relation unique avec l’objet de méditation conçu par l’artiste. Dans ces conditions, le terme de contemplation se charge de sens multiples. Ce ne sont plus seulement les conditions matérielles de regard qui sont en jeu mais l’état personnel du regardant qu’il s’agit de préparer. La notion d’état contemplatif conduit la réflexion dans les directions multiples de la philosophie, de la religion et du mystique. On le voit, le terme de design appliqué à cette création prototype semble quelque peu réducteur.
L’exemple de la création générée par les œuvres de Daniel Pontoreau confirme cette ambition.

Daniel Pontoreau et YADE
Daniel Pontoreau et YADE

Design in situ

Les plans feutrés sur lesquels sont mises en scène les pièces du sculpteur vont au-delà de la fonction attendue : ils composent un environnement dans lequel s’installent à la fois les sculptures et les visiteurs dans une attitude qui n’est pas sans rappeler, pour ces derniers, celle des participants au banquet gréco-romain. Un telle proposition pourrait être envisagée à une toute autre échelle dans une centre d’art et modifier singulièrement les conditions de visite. J’avais personnellement expérimenté au Frac Lorraine de  Metz en 2011 dans l’exposition, « Le moins du monde » cette tentative de relation sur un mode  nouveau avec l’espace du musée. Si nous acceptons cette complicité avec la scénographie agencée, nous ne sommes plus des regardeurs distants mais nous intégrons l’espace scénographié.
De la même façon les « assises » créées en regard des œuvres de Stephen Schultz et  Vladimir Skoda s’éloignent radicalement de la seule conception rationnelle alliant usage et forme. Cette sorte de « Design in situ » détermine une attitude contemplative immédiatement en relation avec l’œuvre concernée. Ainsi l’instabilité du banc à  bascule faisant face au dessin de Stephen Schultz  corrobore le déséquilibre dans lequel l’artiste installe son personnage. De même, le siège auquel nous sommes conviés pour dialoguer avec l’œuvre miroir de Vladimir Skoda nous contraint à une position physique bien éloignée des critères classiques du design pour amener cette posture obligée vers un mode de contemplation inédit.
Le jeu créatif innovant auquel se sont confrontées Marina Declarey et Solange Yates ajoute, me semble-t-il, au couple forme-fonction classique du design une dimension supplémentaire. Il ne s’agit plus seulement d’établir un rapport harmonieux de notre corps à l’environnement quotidien mais de définir un nouvel échange relationnel avec la création.

FONCTIONCONTEMPLATION
Atelier YADE
Du 2 juin au 11 juillet ;2015

Galerie Fatiha Selam
58 rue Chapon
75003 Paris

Expositions

Stephen Schultz : Défricher les arcanes du tracé

Une exposition, le plus souvent, signale un moment sur la route d’un artiste. Ce qui nous est présenté aujourd’hui à la galerie Fatiha Selam à Paris constitue à l’évidence dans l’itinéraire du peintre Stephen Schultz un exemple significatif de ce que peut représenter cette avancée dans une œuvre, peut-être même marquer ici un aboutissement. Pourquoi évoquer un tel dénouement ?

De la palette chromatique à l’avancée diatonique

Stephen Schultz Galerie Fatiha Selam Paris
Stephen Schultz Galerie Fatiha Selam Paris

Stephen Schultz a parcouru le chemin d’un peintre tout au long de ces années, recourant directement à la peinture sur la toile, établissant dans sa confrontation au réel un rapport à la figure sans pour autant basculer dans un réalisme immédiat. «  Les tableaux, dit-il, ne visent pas à être une fenêtre vers le monde réel, mais plutôt à décrire un pas de ce monde vers un autre à l’action et au temps suspendus, de la même manière qu’une pièce de théâtre, plutôt que de refléter la vie, l’amplifie  ».
Le peintre ne fait pas appel à un modèle dans son atelier. Il attend de ses personnages qu’ils témoignent d’une présence, ne cherche pas à identifier tel ou tel qui pourrait être indifféremment  homme ou femme. Ces personnages sont inventés de toutes pièces dans leur morphologie comme dans leurs attitudes même si le peintre s’inspire parfois de l’approche de quelques uns de ses amis pour capter le sens d’une gestuelle. Le recours à la couleur s’est effectué dans la retenue, avec une économie ondulatoire propre à donner aux scènes cette douceur particulière.
Plus récemment quelque chose s’est passé. Le peintre a délaissé la palette de couleurs pour ne conserver que le noir et le blanc toujours au service d’une peinture dans laquelle la dramaturgie s’accentue. « Le noir et blanc, explique-t-il,, est devenu le médium provocant et mystérieux du récit ». Ce choix réducteur révèle déjà une volonté de dépouillement formel, laissant derrière lui le trop plein du jeu chromatique pour se confronter à cette seule possibilité binaire.

Le trait contemporain

Aujourd’hui, Stephen Schultz fait encore un pas en avant en direction d’une recherche de l’absolu. De la palette de couleur du peintre à la peinture restreinte au noir et blanc, jusqu’au dessin, il nous indique le chemin à la recherche des origines de l’art, pour cette quête d’un essentiel, d’un mystère plus que jamais actuel.  Pierre-Yves Trémois, autre dessinateur réputé, témoignait de cette fascination :
« Le trait est « contemporain ». Il n’a que vingt-cinq mille ans. Lascaux c’était hier, ce sera demain. (…) Aujourd’hui le trait est l’expression d’un avant-gardisme auquel peu d’artistes osent se confronter.».
History 20145 Stephen SchultzPartir à la recherche du dessin, tenter de pénétrer les arcanes du tracé, c’est avancer en terre inconnue où se découvrent, à chaque pas, les indices de cette pratique millénaire : empreinte, marque, ombre, sillage, sillon, tache, trace, cicatrice.
« Un simple trait de crayon sur la surface blanche du papier est déjà une blessure  » nous dit Gérard Titus Carmel. Dessinateur et graveur, Pierre Courtin, fils de paysan, voyait dans l’acte de dessiner la transposition du laboureur creusant son sillon.
Dans l’œuvre de  Stephen Schultz, le dessin n’est pas au service préparatoire de la peinture. L’artiste a décidé de se libérer de la lenteur que lui impose la progression du peintre sur la toile pour savourer la liberté que lui procure cette légèreté vivante et rapide du dessin. Son tracé semble ignorer l’effacement, marque l’empreinte de son passage sans repentir comme la rémanence du geste, preuve graphique d’un mouvement qui vient à la fois de la main créatrice et des personnages nés de ce geste. Le tracé de Stephen Schultz maintient sa présence au-delà du trait nécessaire, refuse de disparaître et semble doubler la scène dessinée par un plan diffus sous-jacent, témoignage de la course libre de ce sillon presque ininterrompu. En outre, par son format, c’est le dessin qui s’impose à l’artiste immergé dans ce plan de travail qui le domine.
Cet aboutissement du dessin apparaît, me semble-t-il, comme l’ultime étape de cette recherche dans laquelle il faudrait se débarrasser de trop de moyens disponibles, abandonner sur la route la diversité chromatique et même la simplification diatonique pour accéder au secret d’un trait, tracé à la fois apparemment si simple et, de fait, si complexe.
Faut-il en conclure que le dessin est l’avenir du peintre ? En accédant à ce point primordial, Stephen Schultz me semble réunir dans une même préoccupation le geste ancestral et le regard contemporain, confirmant, s’il en est besoin, cette constance immémoriale de l’artiste dans son interrogation du réel.

 

Photos: Galerie Fatiha Selam

Stephen Schultz
Twicetoldtales Twicetoldtales
part II

Galerie Fatiha Selam
14 mars-30 avril 2015
Vernissage le samedi 14 mars de 16H à 21H
58 rue Chapon
75003 Paris

Expositions

Daniel Graffin : la traversée de la sculpture en solitaire

Longtemps les paysages de la sculpture n’ont connu que les matériaux naturels comme le bois ou la pierre, précieux pour les plus nobles comme l’or le marbre ou l’ivoire. Puis à l’horizon est apparue une nouvelle génération, celle des artistes récupérateurs. A défaut de marbre ou de bronze trop chers pour leurs carrières débutantes, ces jeunes trublions troquèrent alors le burin pour le fer à souder ou le pot de colle, utilisant tout ce qui leur tombait sous la main : ferrailles, déchets divers, vieux ustensiles.
Au-delà de ces avancées, des territoires ignorés restaient à conquérir. Toutes voiles dehors, Daniel Graffin a entrepris la conquête de ces espaces inconnus de la sculpture. Car le « déjà là  » d’un objet ne le satisfait pas :  » J’ai besoin de la neutralité étale du matériau, de sa docilité ou de sa résistance aux outils que la technologie me prête. »

Le vide et le vent

SPINNING THE SKY Pan Pacific Hotel, Singapore Hauteur : 120m    .
SPINNING THE SKY
Pan Pacific Hotel, Singapore
Hauteur : 120m
Daniel Graffin

Décider que les matériaux qui détermineraient une œuvre s’appelleraient désormais le vide ou le vent  engage la vie d’un artiste dans une voie singulière et peut-être même solitaire. Car peu nombreux sont ceux qui ont choisi, comme Daniel Graffin, de lier leur destin de sculpteur à ces éléments impalpables, indociles, souvent éphémères.
Daniel Graffin est un sculpteur français dont la majeure partie de l’œuvre a trouvé sa place à l’étranger. Voilà qui ajoute encore à la singularité de cet artiste qui a oublié d’être prophète en son pays. En 1973 il expose « Situation triangulaire »  immense triangle indigo fortement ancré entre sol et plafond, dont la spécificité textile balance avec la propension sculpturale.
Dans les années quatre-vingts, il réalise ces grandes sculptures en toile animées par la seule force du vent le plus souvent installées à travers le monde.
Pourtant c’est bien aujourd’hui en France à Paris que la galerie Fatiha Selam nous offre l’occasion de croiser cet artiste rare. Inclassable, une partie importante de son œuvre porte les attributs de l’art cinétique puisque sujette au mouvement. Malgré cela elle n’est pas affiliée à l’histoire de ce courant artistique. Réputé à travers le monde, l’artiste a peu exposé dans son pays. Il se fait connaître à Paris par une exposition à la galerie Suzy Langlois en 1974, puis en 1983 par une exposition au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris. Mais c’est des Pays-Bas au Canada, du Portugal aux Etats-Unis, de l’Italie au Mexique que les expositions seront les plus nombreuses.
La spectaculaire réussite de Daniel Graffin dans la conception et la réalisation des sculptures de vent ou des architectures textiles (notamment l’impressionnante Spinning the sky au Pan Pacific Hotel de Singapour 1986, la plus grande sculpture d’intérieur au monde) installait cette œuvre avec force dans l’éphémère ou dans le conquête délicate du vide. Mais il fallait à cet artiste développer l’antithèse de cette production foisonnante pour préserver sa prise de risque, toujours à la recherche d’un Graal insaisissable.

Les racines du ciel

 Exposition Daniel Graffin Galerie Fatiha Selam Paris 2014
Sculpture « Peinate con mi peine » Exposition Daniel Graffin Galerie Fatiha Selam Paris 2014

Aux antipodes de l’éphémère et du jeu avec le vide, Daniel Graffin, à la poursuite de ses racines, se dit préoccupé « d’une mémoire archaïque et secrète (…) C’est dans cette remontée vers les sources de l’humanité que le travail prend racine et paradoxalement, dans cette traversée des formes archaïques que j’ai le sentiment d’être contemporain « .

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Exposition Daniel Graffin Galerie Fatiha Selam Paris 2014

Entre le ciel et la terre, le sculpteur trouve, avec ces pièces d’un archaïsme inventé, l’harmonie d’une pensée qui relie ces frères d’armes que sont l’homme du néolithique et l’artiste contemporain. En témoigne l’imposante sculpture « Peinate con mi peine » qui occupe l’espace de la galerie Fatiha Selam, œuvre qui s’érige en résonance avec les recherches sur le textile.
La découverte de fibres de lin naturel et de laine de chèvre datées de trente quatre mille dans des couches d’argile d’une grotte en Géorgie suggère l’utilisation de matériaux textiles. On ne peut sous-estimer cette approche des sources de l’humanité qui passe aussi chez Daniel Graffin par ce recours aux textiles. Comme Sheila Hicks, passant de sa thèse sur les «Textiles Pré-Incas » à sa création contemporaine puisée aux racines des sociétés primitives, Daniel Graffin  poursuit  dans la diversité de ses travaux cette quête permanente. Chaque œuvre, sculpture éphémère ou hiératique, dessin, textile, participe à cette traversée en solitaire d’un art qui interroge le mystère des civilisations.

Photos : Daniel Graffin (Singapour) et galerie Fatiha Selam

Daniel Graffin : ‘metaphorà’
23 octobre au 12 décembre 2014
Galerie Fatiha Selam
58 rue Chapon
75003 Paris