C’est peu de dire que Jean-Michel Alberola est un artiste déroutant, intriguant, j’allais écrire épuisant. Et si ce sont bien des tableaux qui sont accrochées aux murs de la galerie Daniel Templon à Paris, l’artiste ne peut pas être réduit au statut de peintre.
« Le peintre des «surfaces »
« Quand j’étais adolescent je ne voulais pas faire de peinture, je n’ai jamais pensé faire de peinture, je voulais faire du cinéma. » confesse Alberola qui se livre depuis des années à un parcours complexe entre littérature, philosophie, peinture et finalement tous ces petits « riens » présentés dans l’exposition « Les Rois de rien et les années 1965-1966-1967 ». On ne peut ignorer que dans ces années soixante, le contexte en France est celui de Supports/surfaces, de BMPT et que Jean-Michel Alberola, « Le peintre des «surfaces », occupe une place singulière dans cette époque où règnent les groupes d’artistes.
L’accrochage des tableaux nous place très vite devant cette évidence : chaque toile n’est qu’un moment dans un ensemble en mouvement permanent. Le tableau est l’écran sur lequel se projette une réflexion en continu, élément ponctuel d’un puzzle que nous sommes invités à reconstituer. Si bien que ces « Riens » ne sont pas le néant et ne sont pas moins que rien. Il nous sera donc difficile de verbaliser ce qu’ Alberola tente de nous donner à voir, à penser. En outre l’artiste a toujours pris, je crois, un malin plaisir à refuser la plupart du temps, les interviews, refusant peut-être que la communication vienne galvauder la pensée, déprécier la tentative artistique.
L’artiste semble nous dire « Débrouillez vous ! ».
A nous donc de discerner dans ce rien cette relation au monde, de suivre autant que possible ce fil d’Ariane. Et si les tableaux de l’exposition se fédèrent dans un tout, ce sont quarante années de cheminement artistique qu’il faudrait prendre en compte pour appréhender la stratégie de l’artiste. Davantage encore qu’un fil d’Ariane, c’est vraisemblablement une démarche arachnéenne qui rapproche les toiles du peintre de celles de l’araignée.
1965-1966-1967
L’accent mis sur ces trois années 1965-1966-1967 mérite une attention particulière :
« Une époque charnière qui annonce l’explosion politique des années 1970 , ces trois années sont encore libres, alors que dans la fin des années 60 l’argent infiltre les domaines culturels de l’industrie musicale et cinématographie. »
C’est aussi l’occasion de rappeler que 1965-1966-1967 précèdent 1968, comme si les travaux des artistes en général, et celui de Jean-Michel Alberola en particulier, étaient les signes avant-coureurs d’un séisme culturel. Ce symptôme artistique mériterait peut-être une étude approfondie. La Roue de bicyclette de Marcel Duchamp en 1913 précède 1914.
Jean-Michel Alberola
Les Rois de Rien et les années 1965-1966-1967
6 janvier – 24 février 2024
Paris – Grenier Saint Lazare