Expositions

Au Bon Marché : Buren au carré

Depuis les années 30, après l’aventure du Bauhaus, avec le groupe Cercle et Carré de Michel Seuphor entouré de Arp, Mondrian, Van Tongerloo, Torrès-Garcia notamment, cette fascination du carré a marqué l’histoire de l’art. Pour les tenants de l’art géométrique et de l’art concret, cette vénération n’a jamais faibli. Aujourd’hui, venu d’une autre histoire, celle de BMPT (Buren, Mosset, Parmentier, Toroni) qui clamait « Nous ne sommes pas peintres ! », Daniel Buren fait de cette forme une unité de mesure qui transforme le magasin du Bon Marché en gigantesque scène dédiée à ce symbole.

Aux Beaux Carrés : travaux in situ

Le projet présenté au Bon Marché ne lésine pas sur les moyens pour les multiples installations qui occupent l’ensemble du magasin. La verrière située au cœur de ce commerce de luxe abrite cette orchestration du carré. Devant l’escalator central, les carreaux du plafond en verre construisent deux immenses œuvres composées de plus de plus de 1500 carrés en polycarbonate et adhésifs blancs d’une part, roses de l’autre, qui se déploient dans l’espace et diffractent la lumière, comme un incroyable damier en trois dimensions. Il s’agit là de l’Acte 1 déjà ambitieux qui sera suivi par un Acte 2 de fin juin au mois d’août de cette année.
A l’extérieur du magasin, rue de Sèvres, un damier de carrés blancs et colorés se dessine tout au long des huit vitrines.

Au deuxième étage, deux Cabanes éclatées, l’une jaune, l’autre bleue donnent l’occasion au visiteur de s’immerger dans cet espace complexe, trompeur, composé à la fois de ces carrés omniprésents mais également de miroirs qui décuplent la vision à l’intérieur de ce kaléidoscope géant. Assurément une telle installation nous renvoie aux beaux jours de l’art cinétique, du GRAV, Groupe de Recherche d’Art Visuel rassemblant au côté de François Morellet, Jean-Pierre Yvaral, Julio Le Parc, Horacio Garcia-Rossi, Joël Stein et Francisco Sobrino. Déjà, en ce début des années 60, c’est une notion d’art interactif qui prévalait. On ne fera pas grief à Daniel Buren d’avoir bien connu cette période de l’art du vingtième siècle. La perspective augmentée par le jeu des miroirs nous renvoie également aux expériences de Luc Peire, jouant à l’infini de la même façon avec ses créations graphiques linéaires poussées au-delà des limites.

Cet art interactif des années 60 préfigurait déjà une notion d’art relationnel. Les deux Cabanes éclatées du Bon Marché invitent à cette déambulation quelque peu hésitante au cours de laquelle le visiteur peut très vite perdre ses repères dans l’espace, au risque de se heurter à un miroirs, d’hésiter à mettre les pieds sur un sol transparent, de chercher en vain la sortie de cet étonnant piège visuel.

Buren au carré

Ce sont donc quatre propositions qui imposent une présence majeure dans l’espace intérieur du Bon marché : les deux suspensions, blanche et rose, le déambulatoire des Cabanes éclatées et l’habillage des escalators qui rappelle le travail historique de Buren avec les bandes colorées. Depuis qu’en 1965 il décide de limiter sa peinture à des rayures verticales dont la largeur sera toujours de 8,7 centimètres, Daniel Buren a placé son travail dans cette démarche inscrivant sa peinture comme un fait purement objectif. 
Buren au carré signe ici une des ses réalisations majeures dans un lieu privé.

Aux Beaux Carrés : travaux in situ 
Daniel Buren
Du 9 janvier au 18 février 2024
Le Bon Marché Rive Gauche
24 rue de Sèvres
75007 Paris

Seuphor, libre comme l'art

Seuphor, libre comme l’art : entretiens sur Seuphor

Le blog des Chroniques du Chapeau noir poursuit la publication de « Seuphor, libre comme l’art », écrit par Claude Guibert sur la vie de l’écrivain, historien et artiste Michel Seuphor (1901-1999), de son vrai nom Fernand Berckelaers. Ce livre a été écrit en 2008 et sera publié intégralement à raison de quelques pages par publication, une fois par semaine.

Publication N° 81

« Entretiens sur Michel Seuphor » à Nantes

A quatre-vingt quatre ans, Seuphor se voit offrir une double reconnaissance. Dans la ville de Nantes, le musée des Beaux-arts présente une rétrospective de son œuvre graphique. Parallèlement, l’université organise un colloque international au mois de mars 1985 intitulé « Entretiens sur Michel Seuphor ». avec le groupe de recherche sur les Modernités et l’Institut des Lettres Modernes de l’Université de Nantes. Vingt ans plus tôt, la même ville de Nantes avait déjà manifesté son intérêt pour l’artiste en lui consacrant une première rétrospective. Jean Branchet, galeriste, éditeur, artiste lui-même, prend une part active dans l’organisation de ces manifestations. Professeurs, historiens, amis, se succèdent pour témoigner sur le parcours de Seuphor. Toutes les facettes de son œuvre sont évoquées, analysées : romans, poésie, œuvre graphique, critique d’art … Henri Chopin, maître de la poésie sonore, qui l‘a rencontré en 1958, se prend à rêver : – « Pour rendre justice à Seuphor, ce qu’il faudrait, donc, ce serait, avec lui comme avec d’autres, organiser une exposition où trouveraient place les multimédias, autrement dit, le côté littéraire, le côté visuel, le côté sonore, le côté filmique – qui appartient au côté visuel, mais contient toutes les dimensions à faire connaître. » 142

Pourtant, celui qui se trouve au centre de toutes ces attentions, ne se rend pas à Nantes. A Paris, dans l’appartement de l’avenue Émile Zola, Seuphor n’est pas empêché, il n’est pas malade, il travaille, l’esprit toujours aux aguets, actif et créateur. Pourtant il laisse le colloque Nantais se dérouler hors de sa présence. Pour témoigner son attention auprès des organisateurs du colloque, il leur fait parvenir une cassette audio qui est diffusée dans la manifestation. Son intervention s’achève sur une ode à la liberté :

«  What do you suppose creation is ? demande Walt Whitman, et il répond aussitôt par une nouvelle question: que pensez-vous qui puisse satisfaire l’esprit, sinon aller librement comme il veut, où il veut et de n’avoir pas de maître – to walk free and own no superior ? (…) Rien ne doit faire obstacle à l’exercice de cette liberté chez le poète, chez l’artiste créateur ; rien ne doit s’opposer à sa volonté qui ne peut être que porteuse de la vie, de renouvellement, de lumière » 1

Parallèlement, le galeriste Jean Branchet  accompagne Seuphor  avec son activité d’éditeur. L’écrivain voit ainsi publier des recueils de ses poèmes dans lesquels le jeu avec les mots, entrepris cinquante ans plus tôt, continue de jumeler la parole et l’écrit.

« Lentement lente

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 Les colonnes de Buren

Les palissades qui protègent un chantier au cœur de Paris, en cette année 1986, servent de support à un étrange livre d’or :

– «  Deux milliards gaspillés !  Qui va payer cette saloperie ?   Cela a dû être fait à la mémoire des camps de concentrations et des déportés.  C’est toujours mieux qu’un parking.  Eh bien moi j’aime !.  On finira bien par les aimer ». 1

La polémique révélée par ces écrits spontanés ne concerne pas la construction d’une autoroute encombrante, elle ne porte pas sur la destruction d’arbres protégés ni sur l’arrivée de panneaux publicitaires indésirables. Au Palais Royal, l’artiste Daniel Buren réalise, in situ, son œuvres « Les deux plateaux ». Articles de presse, prises de positions politiques, académiques, pétitions, ne sont pas venus à bout de l’énergie de l’artiste confronté pendant plus d’un an à l’hostilité dominante. En 1985, le président de la république, François Mitterrand se voit proposer trois maquettes : une mosaïque colorée de Guy de Rougemont, une série de fontaines de Pierre Paulin, et « Les deux plateaux » de Daniel Buren. Ce dernier projet, que la voix populaire retiendra sous l’appellation de « Les colonnes de Buren », est choisi. Avant des élections législatives qui s’annoncent peu favorables quelques mois plus tard, le ministère de Jack Lang doit agir dans l’urgence pour rendre la réalisation incontournable. Premier obstacle, la commission supérieure des monuments historiques émet un avis défavorable, recommandation seulement consultative. Le ministre de la culture passe outre. Cette décision déclenche la guerre. A la mairie de Paris, l’adjointe à la culture, Françoise de Panafieu dénonce « le terrorisme culturel » de Jack Lang, ce dernier n’étant pas épargné par les apostrophes : « Le crime de M. Lang » ou « Jack l’Éventreur ». Plusieurs associations déposent un recours devant le tribunal administratif. En février 1986, le chantier se retrouve suspendu par ordonnance du tribunal de Paris. Daniel Buren s’efforce de rendre le projet acceptable en soulignant l’emploi du marbre, du porphyre, mais l’opposition reste déterminée à empêcher l’achèvement des colonnes de Buren. Les élections législatives engagent la cohabitation et un nouveau ministre de la culture est nommé : François Léotard. Après de nombreuses autres péripéties où s’affrontent les anciens et les modernes, le ministère s’en tient à l’obligation d’achèvement de l’œuvre. Devant l’hostilité de la presse, notamment du Figaro qui fournit le mode d’emploi pour détruire « le temple grec en costume de zèbre », le chantier est gardé par des vigiles. Le 30 juillet 1986, on enlève les palissades pour rendre la place accessible au public. Cette année là, Daniel Buren obtient le Lion d’or à la biennale de Venise.

1 «  Le Monde » 3 Septembre 2006 p 20

1« Entretiens sur Michel Seuphor » Actes du colloque de

l’université de Nantes 1985 (Collectif. Textes réunis par Yves Cosson et Daniel Briolet).

2 Gosps & Cosnops, éditions Convergence p 107 1984

Alertes

Koons : bouquet final ?

« The Bouquet of Tulips »

Se risquer à écrire un article sur le projet contesté du bouquet de fleurs de Jeff Koons offert à la France par l’artiste, c’est assurément prêter le flanc à toutes les réponses les plus acerbes, c’est se préparer à recevoir une volée de bois vert. Pourtant, difficile de passer sous silence le malaise que me provoque ce conflit.
Pour rappeler rapidement l’origine du problème : « The Bouquet of Tulips » de Jeff Koons conçu en novembre 2016 par l’artiste américain en mémoire des victimes des attentats de novembre 2015 est offert par l’artiste à Paris. La réalisation matérielle est financée par des mécènes et les frais d’installation à prendre en charge par la capitale. L’artiste demande que l’oeuvre soit placée sur le parvis du Musée d’art moderne de la ville de Paris.
Cette proposition provoque une levée de boucliers : des artistes, responsables culturels éminents lancent une pétition contre l’implantation de cette oeuvre : « Architecturalement et patrimonialement, par son impact visuel, son gigantisme (12 mètres de hauteur, 8 de large et 10 de profondeur) et sa situation, cette sculpture bouleverserait l’harmonie actuelle entre les colonnades du Musée d’art moderne de la ville de Paris et le Palais de Tokyo, et la perspective sur la tour Eiffel. ».

 » Non aux saucisses colorées ! »

Avec la notoriété et l’autorité de ses signataires, une telle prise de position obtient un crédit visible. Puis d’autres oppositions se font entendre et commencent, pour ma part, à engendrer le malaise :  » Non aux saucisses colorées ! »  » Koons est une sorte de Staline de l’art « ….  Me reviennent alors en mémoire les moments les plus suspects de l’opposition aux « Colonnes de Buren » :  » Deux milliards gaspillés ! Qui va payer cette saloperie ? Cela a dû être fait à la mémoire des camps de concentrations et des déportés. »
Certes Jeff Koons est coutumier des oppositions radicales. Déjà lors de son exposition en 2008 au château de Versailles, ceux qui le cherchaient à l’époque pour lui faire un sort se recrutaient surtout dans des associations conservatrices (voire plus si affinités) brandissaient le glaive contre Koons dont les œuvres en ce lieu constituaient à leurs yeux « Un outrage à Marie-Antoinette ». Le prince Charles-Emmanuel de Bourbon-Parme, pour ne pas être en reste, dépose plainte contre la tenue de l’exposition au château de Versailles. Au point que certains, critiques envers l’exposition, s’opposèrent… aux opposants de Koons à Versailles : « Il m’était difficile, écrit l’un d’entre eux, de me ranger du côté des cris d’orfraie des descendants de la famille royale française. »
Aujourd’hui, mes réserves sur le projet de « The Bouquet of Tulips » passent au second plan devant la nature des oppositions qui se manifestent. Certes, on n’impose pas à celui à qui l’on fait un cadeau, la destination qu’il doit lui donner.
On observera cependant un précédent remarquable : en 1956, lorsqu’il lègue à l’Etat français la totalité de son atelier avec tout son contenu, le sculpteur Brancusi impose que le Musée national d’art moderne s’engage à le reconstituer tel qu’il se présentera le jour de son décès. La reconstruction à l’identique en 1997 de l’atelier donnera à la fois un privilège exorbitant au sculpteur (Quelle que soit sa valeur indiscutable) au regard des autres artistes et un premier résultat architectural discutable avant qu’un nouveau bâtiment contemporain soit construit quelques années plus tard.
La pétition des autorités artistiques mérite assurément d’être écoutée, notamment pour ce qui est de l’emplacement de l’œuvre de Koons. On pourra cependant relativiser sa portée en la mettant en perspective historique avec celle également signée des plus célèbres artistes et écrivains contre la Tour Eiffel : « Nous venons, écrivains, peintres, sculpteurs, architectes, amateurs passionnés de la beauté, jusqu’ici intacte, de Paris, protester de toutes nos forces, de toute notre indignation, au nom du goût français méconnu, au nom de l’art et de l’histoire français menacés, contre l’érection, en plein cœur de notre capitale, de l’inutile et monstrueuse Tour Eiffel ». 14 février 1887.
A cette heure nous ne savons pas quelle décision prendront les politiques. Les colonnes de Buren ont survécu aux invectives, la tour Eiffel aussi.

Coups de chapeau

Portrait de Daniel Buren en Arlequin

« Nous ne sommes pas peintres

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« Nous ne sommes pas peintres » scandaient en choeur en 1967 les trublions de BMPT (Daniel Buren, Olivier Mosset, Michel Parmentier, Niele Toroni), jetant là les bases d’une critique radicale de la peinture et de la situation de l’artiste. Depuis le temps de ces postures désormais historiques, Daniel Buren a reconsidéré la pratique de son art au profit notamment d’une approche de la couleur utilisée en fonction du lieu qui s’offre à lui. Ce qu’il signe aujourd’hui à la Fondation Vuitton à Paris marque de façon spectaculaire le dernier état visible de ce travail « In situ », épousant dans sa totalité l’architecture de Frank Ghery. Ami de l’architecte depuis plus de quarante ans, Daniel Buren a bénéficié de la complicité  de celui qui, après avoir délivré sa création au regard du public, se sentait désormais prêt à la voir accaparée par la démarche du plasticien. Daniel Buren pouvait alors investir les voiles de ce vaisseau immobile avec toute l’expérience acquise sur ce travail lumière/couleur dans d’autres lieux d’art réputés, à commencer par « Around the Corner »  au Solomon R. Guggenheim Museum de New York (2005).
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Buren Fondation Vuitton vue intérieure

La mise en œuvre d’un tel projet a déjà constitué un challenge impressionnant : les douze voiles de verre de la Fondation Vuitton, chacune de forme et de courbure différente, sont composées de plus de trois mille huit cents panneaux sérigraphiés. Daniel Buren a appliqué sur de damier transparent des filtres colorés (un rectangle de verre sur deux) sur chacune des voiles entourant le bâtiment. Treize couleurs interviennent pour composer cet habit d’Arlequin. L’équipe d’opérateurs à travaillé en nocturne pendant cinq semaines pour mener à bien l’installation de ces filtres colorés, tous de formes et de tailles différentes.

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« Observatoire de la lumière« 

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Daniel Buren 10 mai 2016 à la Fondation Vuitton

Aujourd’hui pour la première présentation de cet « Observatoire de la lumière« , un invité de marque manquait à l’appel : le soleil. Son absence fut regrettée. Mais déjà, en dépit de ce manque de savoir vivre, le soleil n’a pu empêcher de laisser entrevoir combien l’architecture complexe, tourmentée de Frank Ghery offrait à Buren un jeu sans limite de couleurs, reflets, ombres colorées, du sol au plafond, sur tous les plans intérieurs du bâtiment. Sous un soleil éclatant, le stratagème d’Arlequin imaginé par Daniel Buren ne peut que se déployer dans cette mise en scène précise et pourtant livrée aux fantasques manifestations de la transparence, des jeux de cette lumière naturelle changeant au fil des jours.
Et comme un Arlequin peut en cacher un autre  Daniel Buren nous surprend avec l’installation à côté de la Fondation Vuitton d’un « Buren Cirque ». Créée au début des années 2000 par l’artiste, en association avec les pionniers du cirque contemporain Dan et Fabien Demuynck, cette expérience pluridisciplinaire accueillera le public au sein de trois cabanons-lampions, pour trois représentations exceptionnelles.
Daniel Buren troque avec cette double initiative le costume rigoureux de l’artiste théoricien exigeant pour cet habit d’Arlequin extravagant auquel la Fondation Vuitton abandonne la maîtrise de son image. Sur cette scène inédite pendant des mois les pièges de la lumière et des couleurs n’en finiront pas d’attirer des milliers de photographes à la recherche de leur cliché d’exception.

Photos: de l’auteur

L’Observatoire de la Lumière de Daniel Buren
Fondation Louis Vuitton.
8 avenue du Mahatma Gandhi, Bois de Boulogne
Paris 16e.
A partir du 11 mai 2016.

Daniel Buren dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

Expositions

Galleria Continua : éloge de la folie

Galleria Continua

Il y a vingt cinq ans, trois italiens amis et passionnés d’art contemporain (Mario Cristiani, Lorenzo Fiaschi et Maurizio Rigillo) décident d’engager dans un coin tranquille de Toscane, loin de la frénésie de la ville, une expérience artistique unique, la Galleria Continua, avec pour objectif de relier la création actuelle au patrimoine, allant jusqu’à installer des œuvres dans des villages ou des vignes. « Le but était de faire discuter, réfléchir, d’essayer de comprendre ce qu’est l’art contemporain et la culture en général« . Cette innovation créée à San Gimignano et installée dans une ancienne salle de cinéma  a contribué à porter un regard neuf sur la pratique artistique.  Puis d’une aventure à la suivante, Galleria Continua ouvre en 2005 un nouveau lieu d’exposition à Pékin afin de promouvoir l’art contemporain international dans un pays où pouvait s’ouvrir un espace immense à défricher. Puis c’est au tour de la France de connaître un nouvel épisode dans cette avancée avec la création du nouveau centre « Les Moulins » en Seine et Marne. Une ancienne usine de dix mille mètres carré en pleine campagne servira de cadre en 2007 pour cette nouvelle odyssée artistique.
Au gré des saisons, « Les Moulins » accueillent plusieurs fois par an des projets et des expositions d’œuvres d’art monumentales réalisées par des artistes des cinq continents.

Follia Continua !

Ai Weiwei
 » Stacked » Ai Weiwei

Follia ou Folia  qui signifie à la fois « amusement débridé » et « folie » en portugais est le nom d’une danse qui, nous dit on, venue d’Espagne,  arrive en Italie au 17ème siècle en même temps que la guitare espagnole et les danses qu’elle accompagne : la sarabande, la passacaille. Cette folie, je serais tenté, pour ma part, de l’associer aux « Folies », maisons de villégiature et de réception construites au dix huitième siècle à l’instigation de l’aristocratie et de la bourgeoisie aisée à la campagne ou en périphérie des villes. Car de  San Gimignano à Pékin ou aux Moulins de Seine-et-Marne, voilà bien les folies de Galliera Continua.
Il ne fallait pas moins que les vastes espaces du Cent quatre à Paris pour accueillir à l’occasion des vingt cinq années de cette histoire singulière la démesure des expérimentations de Galleria continua. Car certaines œuvres installées dans les deux nefs du Cent quatre donnent l’échelle de cet engagement. L’impressionnante sculpture d’ Antony Gormley impose sa présence physique aux visiteurs comme le ferait un Richard Serra au Guggenheim de Bilbao. L’immatérielle colonne « Ascension » d’Anish Kapoor semble répondre à Antony Gormley par sa fugitive présence. Il me semble que la quinzaine de  « Des Oculi aux Tondi » de Daniel Buren tirent leur épingle du jeu dans l’architecture du lieu , surtout sous le soleil du vernissage, au regard de la profusion des œuvres présentées.

Au premier plan : Daniel Buren
Au premier plan : Daniel Buren

 » Stacked » (Empilé) de Ai Weiwei a utilisé sept cent soixante vélos pour ériger une installation qui, si elle n’est pas cinétique, peut le devenir au gré des visiteurs. C’est toujours la démesure qui prime ici à l’image de ce que Galleria Continua montre depuis un quart de siècle. Une telle diversité à la fois dans la nationalité des artistes et dans les propositions artistiques m’a rappelé l’atmosphère débridée de la Biennale de Paris  telle qu’elle vivait du Parc floral de Vincennes dans les années soixante dix jusqu’à à la grande Halle de la Villette en 1985.
Galleria Continua recueille le mérite de cette fête. Il faudra aller voir « Les Moulins » de Seine et Marne pour prolonger la folie du Cent quatre.

Photos de l’auteur.

‘Follia Continua ! – Les 25 ans de Galleria Continua »

Etel Adnan, Ai Weiwei, Kader Attia, Daniel Buren, Cai Guo-Qiang, Loris Cecchini, Chen Zhen, Nikhil Chopra, Marcelo Cidade, Jonathas de Andrade, Berlinde De Bruyckere, Leandro Erlich, Carlos Garaicoa, Kendell Geers, Antony Gormley, Gu Dexin, Shilpa Gupta, Subodh Gupta, Mona Hatoum, Ilya & Emilia Kabakov, Zhanna Kadyrova, Kan Xuan, Anish Kapoor, André Komatsu, Jannis Kounellis, José Antonio Suárez Londono, Jorge Macchi, Cildo Meireles, Sabrina Mezzaqui, Margherita Morgantin, Moataz Nasr, Hans Op de Beeck, Ornaghi & Prestinari, Giovanni Ozzola, Michelangelo Pistoletto, Qiu Zhijie, Arcangelo Sassolino, Manuela Sedmach, Serse, Kiki Smith, Nedko Solakov, Hiroshi Sugimoto, Sun Yuan & Peng Yu, Pascale Marthine Tayou, Nari Ward, Sophie Whettnall, Sislej Xhafa, José Yaque

Du 26 septembre au 22 Novembre .2015
Le Cent quatre
5 rue Curial
75019 Paris

Pour mémoire

François Ristori : la règle du jeu

Exposition Ristori, galerie Jean Brolly Paris 2015
Exposition Ristori, galerie Jean Brolly Paris 2015

C’est seulement cette semaine que j’apprends le décès de l’artiste François Ristori en janvier dernier, cette disparition n’ayant fait l’objet à ma connaissance d’aucune information publique notable. Après avoir été présenté plusieurs fois par la galerie Yvon Lambert, le travail  de cet artiste discret semble avoir traversé une période de relatif oubli. L’exposition de la galerie Jean Brolly à Paris redonne aujourd’hui à l’itinéraire exigeant de François Ristori une place légitime.
Exigeant paraît même un mot faible lorsque l’on examine le parcours de l’artiste. Car il faut remonter aux années qui précèdent et annoncent les travaux de Supports/Surfaces et du groupe BMPT (Buren, Mosset, Parmentier, Toroni)  pour saisir dès 1967 le point de départ d’un protocole dont ne s’est jamais écarté celui qui avait très tôt fixé les règles de son travail :

Traces-/formes

« Traces-/formes hexagonales s’engendrant les unes les autres, alternativement en bleu, en rouge, en blanc, jusqu’à occuper la totalité d’une surface, obtenues l’une après l’autre, à partir d’un hexagone d’une trame préalablement établie, en intervenant systématiquement sur chacun des côtés, selon une méthode qui consiste à réitérer un même acte-tracé qui s ‘ effectue toujours selon un même processus et suivant des principes déterminés, entre deux points de repère situés près de chaque extrémité de ces côtés, tantôt à l’extérieur tantôt à l’intérieur de l’hexagone. » (1970)

Ristori 2
Travail au sol François Ristori 1976

Alors qu’il n’a pas été invité à participer à la Biennale de Paris en 1969, Daniel Buren et Niele Toroni se retirent pour lui céder leur place. A cette occasion, il montre  ses premières Traces-/formes.  A la différence des peintres de Supports/Surfaces ou de BMPT, François Ristori est resté un homme seul ce qui lui a peut-être nui alors que les artistes en groupe ont vu leur notoriété se développer au fil des années. Ristori était un homme réservé voire secret, réticent même lorsque je le rencontrai à me communiquer les règles écrites, véritables tables de la loi de sa démarche. Heureusement dans mes archives figurait le bulletin sur son exposition dans les années soixante dix chez Ben Vautier avec les précieuses informations. Cette véritable règle du jeu établie très tôt dans son œuvre a engagé durablement la vie de François Ristori , règle de travail mais également gouverne de vie, proche d’un jansénisme ingrat.
L’exposition de la galerie Jean Brolly retrace ainsi de 1965 à 2013 un parcours d’une exigence absolue. Après avoir travaillé avec quatre couleurs, le peintre s’est limité au bleu et au rouge : « le bleu et le rouge avec le blanc forment un ensemble immédiatement visuel et renvoient à un certain anonymat déjà vulgarisé.« 
C’est au prix d’une vie totalement vouée à ce projet que l’œuvre a conservé ce qui pourrait apparaître comme le résultat d’une contrainte rigide. Ce questionnement radical sur la peinture a traversé les années et l’ensemble des toiles de Ristori atteste cette rigueur proche de l’austérité. Comment se débarrasser des notions de don, de talent, d’inspiration, d’expression, de vision intérieure ? François Ristori a voulu libérer sa peinture de tout message. C’est bien seulement de toiles, de châssis, de pinceaux, de pigment qu’il est question. Ce cheminement solitaire imprime au bout du compte une empreinte singulière à côté des artistes dont il était proche conceptuellement. François Ristori qui avait prévu cette exposition et choisi plusieurs œuvres marquantes, laisse sur plus de quarante années de ses Traces-/formes, les témoignages d’une rigueur irréductible.

Photos Galerie Jean Brolly

André Morain : photo ext. rue

Quentin Lefranc: exposition galerie

François Ristori – « peintures : 1965-2013 »
du 19/06/2015 au 31/07/2015
Galerie Jean Brolly
16 rue de Montmorency
75003 Paris

François Ristori dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

Expositions

Marcher dans la couleur(1)

L’exposition qui vient de s’ouvrir au musée régional d’art contemporain de Sérignan  nous invite  à une  exploration  qui, si elle n’est pas inédite, offre des propositions actuelles  autour de sept artistes. Jules Verne et Méliès nous avaient introduit dans le rêve de l’homme qui marchait sur la lune. L’écrivain Georges Didi-Huberman  nous entrainait il ya une dizaine d’années dans l’univers de  « L’homme qui marchait dans la couleur », à savoir James Turrell présenté à Sérignan.

Buren et Varini

Car c’est bien la volonté de la commissaire d’exposition Hélène Audiffren de nous immerger dans un monde dédié aux expériences sensorielles. Avant d’entreprendre cette traversée, il n’est pas inutile de rappeler que le musée de Sérignan, avant cette exposition, s’est offert un écrin dans lequel la couleur est reine. Il suffit d’aborder ce lieu rare pour une commune de sept mille habitants pour s’en convaincre. Avant même de pénétrer dans le musée, le ton est donné de l’extérieur : Daniel Buren présente un dispositif in situ, « Rotation » réalisé en 2006 , en   Vinyles colorés auto-adhésifs sur les quarente six  fenêtres du musée, et qui entretient un dialogue avec l’architecture des lieux. Dès l’entrée du musée, Felice Varini réalise une intervention inédite « Horizontale, verticale », qui guide le regard du visiteur depuis le hall jusqu’à la librairie puis propose un second point de vue, par le biais d’un miroir posé au sol, dans le puits de lumière pour inviter le regardeur à parcourir l’espace autrement.

Les travaux de ces deux artistes, acteurs majeurs de l’art in situ, dressent ainsi le décor dans lequel vont s’exprimer les autres artistes. Dans ces conditions posées par Buren et Varini, le visiteur se trouve déjà préparé à cette immersion dans un univers ou les trois dimensions de l’espace s’enrichissent d’une quatrième : la couleur.

James Turrell

Le livre de Georges Didi-Huberman « L’homme qui marchait dans la couleur », qui inspire le titre de cette exposition, est consacré à James Turrell. Commençons donc par cette installation qui donne la mesure du propos.
Sérignan reprend une installation lumineuse « Red Eye » de 1993, réactualisée spécialement pour l’exposition. Le spectateur pénètre un cube blanc pour faire l’expérience de l’immatérialité dans l’obscurité d’un espace d’où se détache un rectangle coloré. Cet environnement perceptuel sollicite nos sens et trouble notre rapport avec la réalité physique.
Depuis la fin des années soixante, les installations de James Turrell, appelées aussi «environnements perceptuels », sont réalisées à partir d’un seul matériau : la lumière, naturelle ou artificielle. Mis à part les dessins et les plans qui accompagnent ses oeuvres de plus grande envergure, sa production ne comporte ainsi aucun objet en tant que tel.
Les artistes de l’art cinétique et lumino-cinétique ont beaucoup investi leur recherche dans ce domaine. Carlos Cruz-Diez, notamment, artiste Vénézuélien né en 1923, a consacré son œuvre à ces environnements dans lesquels le spectateur est immergé dans un espace de lumière et couleur.

« Chromosaturation 1965-2007″ à l’exposition « Los Cinéticos », Carlos Cruz-Diez Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía, Madrid, 2007

La recherche de James Turrell, artiste de la génération suivante, prolonge cette exploration des lumino-cinétiques précédents.
La scénographie du musée de Sérignan nous oblige donc à suivre un parcours plongé dans le noir complet, conditionnant déjà notre comportement pour accéder à l’oeuvre elle-même. Pour ceux qui franchiront glorieusement  cet obstacle et auront survécu au dérèglement sensoriel de cette marche à l’aveugle,  l’accès s’o « Chromosaturation 1965-2007″ à l’exposition « Los Cinéticos », Carlos Cruz-Diez Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía, Madrid, 2007 uvre sur cette installation de Turrell. Cette perception sera-t-elle la même pour tous ? Vraisemblablement l’accommodation de la pupille variera selon les individus. Il faut se donner le temps de cette adaptation pour que notre cerveau intègre les paramètres de ce monde parallèle. La commissaire de l’exposition nous invite au silence pour favoriser cette perception et ne pas être perturbé par toute autre sollicitation.

JamesTurrell « Red »eye »1992

Cette expérience de Turrell n’a donc pas pour vocation, comme d’autres artistes dans l’exposition, a jouer sur la palette des couleurs mais davantage, me semble-t-il, de nous faire pénétrer dans un « entre-deux » où notre perception de l’espace, de la lumière et de la couleur revisite nos repères connus. Cette première leçon de l’exposition en ouvre d’autres que j’évoquerai ultérieurement.

Voyage à l’invitation du musée d’art contemporain de Sérignan.

Photos Buren,Varini : de l’auteur
Photo Turell: Sérignan