Si l’oeuvre du peintre Olivier Debré a accédé à une notoriété internationale, on sait moins que c’est l’architecture qui attirait le très jeune étudiant à l’École des Beaux Arts. C’est pourtant à dix sept ans qu’il aborde cette discipline avant de rencontrer bientôt Le Corbusier. Et quand la peinture devient son univers privilégié, l’espace reste tout au long de son itinéraire la référence majeure.
Pour le centenaire de sa naissance, le Centre de Création Contemporaine Olivier Debré à Tours propose une exposition ambitieuse : « Etendue, corps, espace.Olivier Debré et les artistes-architectes ».
Debré, le corps et l’espace
L’exposition donne un éclairage sur cette préoccupation du peintre avec notamment les carnets remplis de croquis d’architecture et quelques maquettes illustrant ses expériences dans ce domaine. Mais le meilleur témoignage de sa relation à l’espace c’est avec la peinture qu’il en donne la preuve. Les immenses toiles qui s’imposent au corps du peintre en l’immergeant dans la couleur donnent la mesure de cette volonté d’embrasser l’espace au-delà des limites conventionnelles de la création de tableaux.

Pour autant Olivier Debré ne se voulait pas paysagiste : « Je me défends d’être un paysagiste, je traduis l’émotion qui est en moi devant le paysage, mais pas le paysage » . Cette immersion dans la toile s’exprime davantage encore lorsqu’en 1987, l’artiste reçoit du ministère de la culture la commande de peindre le rideau de scène de la Comédie Française. C’est dans un hangar du Bourget que se déroule pendant six mois la réalisation de cette immense toile de neuf mètres sur treize, engloutissant le peintre au cœur de l’œuvre en gestation.
Artistes-architectes et architectes-artistes
En rapportant cette mémoire aux artistes-architectes contemporains, l’exposition propose un « après » ambitieux au travers d’œuvres de seize artistes de toutes générations et nationalités. Si bien que le fil conducteur reliant ces artistes-architectes et ses architectes-artistes nous guide dans ces recherches qui, tout en exprimant des préoccupations très variées, n’en sont pas moins solidaires dans cette réflexion sur l’espace et le corps.

Larissa Fassler
Pour preuve la démarche séduisante de l’artiste canadienne Larissa Fassler. Ses grands dessins proposent des cartographies subjectives de sites urbains choisis : Alexanderplatz à Berlin, Place de la Concorde à Paris etc… Le résultat de ses longues heures d’observations révèle les déplacements, les flux les comportement humains dans de grands dessins. L’expression graphique de ses travaux n’a pas strictement valeur scientifique; cependant elle éclaire, avec le geste de l’artiste, cette confrontation réelle entre l’espace, l’architecture et le vivant. L’architecture ne serait donc pas véritablement au service d’une « cité radieuse » chère à Le Corbusier mais assume sa part de responsabilité dans la gestion politique des sociétés humaines.
Peter Downsbrough
La présence de Peter Downsbrough dans l’exposition s’imposait et propose au visiteur un regard toujours en décalage. Architecte de formation, plasticien, l’artiste a hérité du minimalisme cette rigueur épurée et, entre espace et langage, poursuit une œuvre empreinte de discrétion qui lui donne force et efficacité.

Si le mouvement de pensée structuraliste a germé sur le terrain de la linguistique, on sait combien il a irradié tant d’autres champs de la pensée. Peter Downsbrough apparait aujourd’hui comme un des représentants les plus pertinents dans cette pensée appliquée aux arts plastiques. Photos d’espaces urbains, films, montages plasticiens, tout nous convie à nous interroger sur ce que Claude Levi-Strauss désignait sous le terme de « structure inconsciente, sous-jacente » .
C’est tout l’intérêt et l’ambition de cette exposition : au-delà de ce qui aurait pu ressembler à une présentation de projets architecturaux, le CCCOD de Tours nous guide dans une réflexion sur la relation entre les hommes et l’espace construit, révélatrice des valeurs d’une civilisation.