Expositions

Romina de Novellis : video ergo sum

Engagée dans la voie de la performance l’artiste Romina de Novellis, déjà évoquée dans ce blog ( Romina de Novellis : messe pour le temps présent,  Romina de Novellis: Comme un vol de Gerfauts… ) présente actuellement à la galerie Laure Roynette à Paris de nouvelles réalisations dans une exposition totalement dédiée à la vidéo. Ses performances, on le sait, participent d’un rituel qui n’est pas étranger à celui de la religion (« Le Baptême, procession d’un baptême d’un corps », en 2011).

« To be, or not to be »

FASEM REM N°8 Romina de Novellis
FASEM REM N°8 Romina de Novellis

L’exposition intitulée « To be, or not to be » propose deux œuvres nouvelles : FASE REM, série de neuf vidéos récentes au cours desquelles l’artiste revit en performances ses rêves de femme enceinte et AUGURII, vidéo d’une performance réalisée lors de la FIAC Hors les Murs 2014, dans laquelle elle se confronte à la mort entourée de vautours). FASE REM  ne se veut pas une interprétation artistique des rêves mais se revendique comme le vrai vécu de ce qu’à rêvé l’artiste. Les neuf vidéos, à l’image des neuf mois de la vie intra uterus de l’enfant, mettent en scène Romina de Novellis  dans cette aventure humaine qui va de la procréation à l’accouchement, chaque séquence personnalisée par une couleur dominante.
On pouvait considérer, dans les travaux précédents de l’artiste, que l’outil vidéo passait au second plan comme simple moyen de captation et de restitution des performances. Dans FASE REM, le traitement de l’image animée prend une part déterminante dans l’action proposée, la musique conférant une intensité dramatique qui va au-delà d’une simple  scène captée.  Et c’est peut-être cette spécificité de la vidéo qui mérite d’être soulignée dans cette exposition.

Fase rem N°9 Romina de Novellis
Fase rem N°9 Romina de Novellis

« Silent life »

Le travail de Romina de Novellis, est mis en relation avec un autre travail vidéo, celui de Bill Viola dont on nous donne à voir, dans les conditions de diffusion de l’époque, un document de 1979 « Silent life ».  La vidéo de Bill Viola montre, de façon neutre, les premières images de la vie avec une série de portraits de nouveau-nés âgés de cinq minutes à un jour.  Si la proximité thématique de « Silent life » avec FASE REM est évidente, la confrontation de deux pratiques vidéo mérite que l’on y regarde de plus près. L’an passé, l’exposition Bill Viola au Grand palais à Paris imposait avec  d’impressionnantes installations vidéo son cheminement émotionnel et spirituel à travers de grands thèmes métaphysiques : la vie, la mort, la transfiguration. Un travail de l’image très élaboré plongeait le spectateur dans cet univers où les éléments (air, eau, feu) jouaient un rôle essentiel. Cette « rétrospective vue de l’intérieur » selon la formule même de l’artiste, faisait appel à une mise en scène et un travail de l’image recourant aux effets chocs. « Silent life » prend le contre-pied de cette vidéo coup de poing  avec cette prise de vue en plan fixe exempte de toute valorisation technique, et c’est avec ce croisement presque inattendu des pratiques que Romina de Novellis s’empare de la vidéo fictionnelle avec son propre rythme, l’épaisseur d’une atmosphère vouée à l’intime.
La séquence FASEM REM N°8, particulièrement prenante, décrit « la fin d’un rôle social de fille et de sœur, avant de venir mère. Une veillée à la douleur et à la mort durant l’accouchement avant de mettre au monde la vie ». Une musique processionnelle  intense et sombre ajoute à la mise en scène une dimension lyrique qui  n’est pas sans rappeler Fédérico Fellini ou Luchino Visconti. L’oeuvre de Romina de Novellils n’est donc pas identifiable à la seule performance, elle s’affirme dans la réalisation de ce moment vidéo dédié à la vie, l’amour, la mort.
« To be, or not to be » devient alors une réflexion sur la condition humaine, et plus particulièrement celle de la femme, sensibilisée par l’usage de la vidéo, outil sans lequel cette introspection ne bénéficierait pas d’une telle intensité. Ce video ergo sum apporte au travail de Romina de Novellis une dimension nouvelle : la performance s’enrichit avec les outils spécifiques de la vidéo, accède à une dramaturgie qui participe à cette réflexion sur les fondamentaux de la vie des humains.

Photos: Galerie Laure Roynette et Romina de Novellis

« To be, or not to be »
Romina de Novellis

Du 16 octobre 2015 au 29 novembre 2015
Galerie Laure Roynette
20 rue de Thorigny
75003 Paris

 

 

Expositions

Le fil rouge de Mona Hatoum

L’exposition que le Centre Pompidou Paris offre à Mona Hatoum constitue une rétrospective complète sur une quarantaine d’années. Aussi, plutôt que de vouloir embrasser en quelques lignes l’ensemble de cette somme, c’est davantage  la sensation personnelle d’une itinérance dans cet espace qui sera évoquée ici. Car d’une oeuvre à l’autre le visiteur se retrouve progressivement sous influence, imprégné presque physiquement  par touches successives dans ce cheminement qui peut, selon chacun, confiner plus ou moins à l’angoisse.
Très tôt, dès l’entrée de l’exposition, le « Cube » de fer forgé fait appel à une technique d’entrelacs qui était utilisée pour barrer les fenêtres au Moyen Âge. Cet enferment sans espoir d’une quelconque issue donne déjà le ton d’un propos dont on devine que le corps sera au coeur d’une épreuve douloureuse. L’installation « Corps étranger » propose une choquante caméra de surveillance : celle de l’endoscope scrutant le corps même de l’artiste dans un examen dont le secret médical se dissipe devant cette présentation voyeuriste dont nous devenons les complices. Mais ce corps soumis déjà à cette violence individuelle appartient à des hommes et des femmes dont le destin collectif n’est pas seulement scellé par ces contraintes physiques immédiates.

Hot spot Mona Hatoum 2014
Hot spot Mona Hatoum 2014

Lieu géométrique de toutes les oppressions que les hommes peuvent éprouver dans leur vie sur terre, la frontière symbolise vraisemblablement dans son existence conceptuelle comme dans sa réalité physique cette grille reproduite à l’envi dans l’oeuvre de Mona Hatoum. Pour révéler ces frontières, l’artiste décline sous des formes multiples une cartographie sensible, fragile. L’impressionnante « Map (clear) » trahit cette instabilité: les frontières matérialisées par des centaines de billes de verre  non fixées au sol restent soumises aux vibrations du sol. Plus loin  « Present Tense » se compose de deux mille deux cents pains de savon fabriqués dans la ville de Naplouse au nord de Jérusalem, plan instable établi en 1993 sur lequel des perles en verre rouge délimitent les territoires qui devaient être restitués à l’autorité palestinienne, carte illisible d’ ilots sans aucune continuité territoriale. Née à Beyrouth de parents palestiniens, Mona Hatoum vit à Londres ou à Berlin ou encore dans les pays qui l’accueillent en résidence. « Hot spot » propose une cage sphérique d’acier symbolisant la terre, sur laquelle la grille incandescente rouge des continents génère une sensation intense, exprimant, si ce n’est la dérive des continents, du moins les tensions omniprésentes sous toutes les latitudes.
Si bien que de la grille carcérale moyenâgeuse à la frontière fictive ou réelle, Mona Hatoum propose une lecture d’un monde soumis aux tensions, aux conflits, aux interdits. Faisant écho à la première « cellule »,  les « Cellules » de 2014 composées de huit structures en forme de cage faites de barreaux d’acier, là encore sans aucune ouverture possible, enferment d’autres cellules, rouges, à l’apparence organique, dont la mise en place matérielle semble impossible. C’est la vidéo de l’exposition qui permet de comprendre comment l’artiste a travaillé avec les verriers de Murano pour faire souffler directement dans les cellules de métal, ces formes  d’un rouge intense, souffrant dans leur fragilité contrainte par la solidité des grilles carcérales.

Cellules Mona Hatoum  2013
Cellules Mona Hatoum 2013

Mon coup de coeur personnel ira à « Impénétrable », donnant à la référence culturelle des pénétrables de Soto une lecture anxiogène, les barres de fil de fer barbelés créant une tension absolue entre le jeu du pénétrable de l’artiste cinétique et l’interdit agressif des barbelés qui ne sont pas sans rappeler l’esthétique du tranchant de Daniel Pommereulle. La photographie traduit difficilement cette tension que l’œuvre dans son immobilité  frustrante peut provoquer chez le visiteur tenté par la vocation cinétique de ce qui devrait être un pénétrable ludique.
Le fil rouge de l’exposition de Mona Hatoum serait donc alors un fil de fer barbelé, rougi par le sang de tous ceux qui, franchissant les frontières au péril de leur vie, portent sur leur corps la violence politique de toutes les frontières physiques ou mentales que les hommes dressent entre eux. « Comment la vie sur une frontière serait-elle autrement qu’agitée ? »

 

Mona Hatoum
24 juin 2015 – 28 septembre 2015
Centre Pompidou
75004 Paris

Expositions

NOMADE : Qu’est-ce qu’une performance ?

Le Festival culturel NOMADE va se déployer dans le 3eme arrondissement à Paris  sous le signe de le performance. Il regroupe sous cette appellation des actions d’artistes plasticiens, des propositions théâtrales, des créations musicales. C’est dire combien ce terme, s’il peut être fédérateur de l’expression artistique, recouvre également des objectifs très divers. Le mot  même de performance qui fait florès de nos jours peut aussi bien désigner le happening, l’ actionnisme, l’ art de rue, le  théâtre total,  la poésie sonore que la danse ou le chant. Dans NOMADE, il rassemble dans le même évènement Action writing, performance de Marie Gossard sur la disparition annonce du geste de l’écriture,  Les Soliloques, performances sonores d’Adrianna Wallis, Paradiso, le déjeuner sur l’herbe de Romina de Novellis,  O comme Opéra de Lyricomédiae, ou encore Le Live painting musical de Vladimir Kara pour ne citer que quelque exemples.
Aussi la mise en perspective historique de ces expressions peut fournir des points de repères aux visiteurs peut-être quelque peu désorientés par ce bouillonnement artistique éclaté dans toutes les directions.

L'art est inutile, rentrez chez vous !  Ben
L’art est inutile, rentrez chez vous ! Ben

La parole est d’Art

La parole est d’Art, avec le témoignage des artistes historiques de la performance, permet de resituer les axes majeurs de ce mouvement indocile. Il y a quelques mois, au sujet du livre « Interviewer la performance« , j’évoquais cet art d’attitudes qui se développait dans les années soixante et soixante dix, époque où se révélaient les créations théâtrales comme le Living theater de Judith Malina  et Julian Beck ou le Bread and Puppet Theater de Peter Schumann , période où  la rue allait connaître une primauté politique.
Les témoignages vidéo présentés dans le cadre de La parole est d’Art au sein du festival NOMADE  rappellent ces  lignes de forces : Benjamin Vautier découvre à New-York le mouvement Fluxus et va devenir, en France, le promoteur de cette approche d’un art total. Jean-Jacques Lebel rapportera des Etats-Unis; le Happening dont il sera le vecteur en Europe, avec entre autres son  Festival de la Libre Expression.  Les artistes de la seconde génération Lettriste, à commencer par Roland Sabatier, perpétuent, avec opiniâtreté, les propositions d’Isidore Isou avec notamment les actions déjà engagées dans les années cinquante. Fred Forest  créateur de l’Art sociologique, art vidéo, art interactif  signait son inoubliable action en 1973 à Sao Polo, « Le blanc envahit la ville « , les manifestants brandissant des pancartes… blanches, intolérables par le régime militaire en place.

Jean Jacques Lebel, Happening – 19 novembre 1966, Bordeaux SIGMA
Jean Jacques Lebel, Happening – 19 novembre 1966, Bordeaux SIGMA

Définir la performance

Tous ces témoignages historiques décrivent le parcours de ce mouvement indomptable. Le festival NOMADE tentera, lors d’une rencontre sur la performance avec des théoriciens, critiques, historiens et philosophes et artistes  d’évaluer les enjeux de définition  « de cette pratique singulière qui traverse de façon protéiforme toute la modernité artistique. » Peut-ou ou non mettre sur le même plan l’acte contestataire de l’artiste plasticien et la proposition artistique du danseur ?  La notion d’art total sa rattache-t-elle ou non à un mélange des disciplines ?
Sans préjuger des conclusions de ces réflexions, on peut envisager qu’un mot clef soit le fil rouge de ces expressions si diverses et tellement  réfractaires à la définition : liberté. Celle-ci, au-delà même de la valeur institutionnelle de liberté publique, revendique haut et fort à travers la performance, son exigence libératrice de tous les formatages de la pensée.

Photos: BEN : Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain
LEBEL : http://sigma.hypotheses.org

 

La parole est d’Art
Vidéo des artistes de la performance: Ben, Gérard-Philippe Broutin, Fred Forest, Jacques Halbert, Jean-Jacques Lebel, François ,Poyet, Roland Sabatier, AlainSatié,
Conception et réalisation : Claude Guibert, Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain
Festival NOMADE Paris 3eme
samedi 13 et dimanche 14 juin de 14 h à 18 h
Galerie Laure Roynette
20 rue de Torigny
75003 Paris

 

Coups de chapeau

Serge Oldenbourg : au risque de se perdre

Dans trois semaines à Paris 3eme arrondissement, le festival Nomade se déroulera sous le signe de la performance.

lIVRE OPLDENBOURGC’est l’occasion de mettre en perspective l’expérience ultime d’un artiste du happening décédé il y a une quinzaine d’années et dont le parcours, mal reconnu de son vivant, a laissé une trace unique concernant l’engagement personnel et la prise de risque. Serge Oldenbourg (1927-2000), sous le nom d’artiste de Serge III, était le frère de l’écrivain Zoé Oldenbourg. En février 1962, sans avoir encore entendu parler de happening, il propose, pour 1 Franc, son âme à Ben Vautier. Il est précisé dans le contrat d’achat que Ben est libre d’en disposer de la manière qui lui convient en tant qu’œuvre d’art. Puis Oldenbourg détruit  toutes les peintures, paysages et natures mortes réalisés auparavant. En juiIlet 1963, George Maciunas passe à Nice et avec Ben, organise des pièces Fluxus de rue et un concert à l’Hôtel Scribe. Entre autres pièces, Ben réalise le « Violon Solo de Nam June Palk » et brise le violon sur une table. C’est le coup de foudre et une révélation. Serge III fait dédicacer un morceau de violon par Ben. Au début 1964, avec Ben et d’autres artistes, il réalise deux concerts Fluxus à Nice puis avec Ben monte à Paris pour le Festival de la Libre Expression organisé par Jean-Jacques Lebel.

Performance à haut risque

pistolLe happening prend alors chez Oldenbourg une tournure extrême lors de ce festival.. L’artiste ne mesure plus seulement son rapport à l’art, il joue avec sa vie : « Concert Fluxus dans lequel je joue à la roulette russe avec un vrai revolver et une vraie balle. Deux amis voulaient m’empêcher de le faire et j’ai été obligé de leur dire que le revolver ne serait pas chargé. D’où le bruit qui courut comme quoi le revolver n’était pas chargé. Il l’était, et Robert Filliou, qui devint un de mes amis les plus chers en a toujours témoigné, parce qu’il m’avait vu tout de suite après ma performance. »
L’implication de sa vie personnelle restera une composante déterminante de sa démarche artistique. En octobre 1966, toujours avec l’inséparable Ben, il se rend à à Prague pour présenter des happenings et concerts Fluxus. L’ambiance est pesante et les conditions de séjour difficiles. Ben décide brusquement de partir. Oldenbourg donne son passeport et un costume à un soldat qui s’enfuit en Autriche. Dénoncé à la police l’artiste est arrêté, condamné à trois ans de privation de liberté. Après quatorze mois de prison il est échangé contre un espion tchèque.

Serge  piano2
Auto-stop avec un piano – 13 juin 1969, Cros de Cagnes

Lorsque je rencontre personnellement Serge Oldenbourg à Nice dans le courant des années soixante dix, c’est l’occasion de rappeler avec lui une action mémorable et cette fois moins risquée :
« En juin 1969 Ben et Merino organisent le Festival Non-Art. Ben m’avait dit que je-ne-sais-quel-type de Fluxus avait écrit un livre avec toutes les pièces possibles et imaginables pour piano. Je lui ai répondu qu’il pouvait en ajouter deux, auto-stop et navigation en piano. » Serge III loue un piano et s’installe au bord de la nationale 7 en direction de Paris. Personne ne prendra en charge cet encombrant auto-stoppeur.

Contestation et subversion

Selon cet artiste incontrôlable la distinction doit être faite entre contestation et subversion. La contestation, selon lui, est une protestation directe et partisane contre un état de choses, la subversion suggère un processus de pensée qui pourrait aboutir à la protestation. Autrement dit, la contestation est l’aboutissement d’un processus, alors que la subversion en est le point de départ. En 1970 invité à l’exposition « Environs Il » à Tours, Serge III achète un pistolet à amorces. Il prévient les organisateurs et la presse, monte dans un bus, braque le chauffeur et lui ordonne de rejoindre la bibliothèque où se déroulait l’événement. Mais la police l’intercepte. En 1973 il lave et repasse le drapeau français en public. La suite de son parcours sera à l’image de cette vie qui fut, a-t-on déjà écrit, un happening qui dura soixante treize ans.

Source photos : http://alainamiel.com/S%20III/performances.html

Livres

Quand les attitudes deviennent paroles

Regards sur la scène française depuis les années soixante

Interviwer la performanceCes  » Regards sur la scène française depuis les années soixante  » dessinent les contours d’un pan de l’art de notre temps, d’un courant particulièrement indocile, indomptable, difficile à cerner et même à définir. Car le terme de performance recouvre à l’évidence des pratiques diverses, se présentant sous des noms variés : happening, actionnisme, art de rue, théâtre total,  poésie sonore…. Ces appellations indiquent combien cette notion de performance ne s’en tient pas aux arts plastiques mais dépasse les frontières en direction du spectacle, du théâtre notamment. Dans son introduction, l’ouvrage n’élude pas la question en précisant qu’on ne peut se satisfaire d’une seule définition de la performance. Soulignant ce « Renouvellement des stratégies d’indiscipline », les auteurs décrivent ( avec Eric Mangion ) la performance comme « un terme générique qui englobe toutes les typologies d’actions définies à travers le temps, à savoir happening, event, body art, art action ou interventions plus conceptuelles« .
On observera avec les entretiens réalisés auprès d’une douzaine d’artistes que ceux-ci adoptent parfois des appellations diverses, confirmant leur sensibilité réfractaire à toute tentative de classement réducteur.
L’introduction de cette investigation resitue dans les années soixante le contexte dans lequel cette notion de performance s’inscrit. Cet art d’attitudes se développe dans une époque ou coexistent les expressions publiques, où se révèlent les créations théâtrales comme le Living theater de Judith Malina  et Julian Beck ou le Bread and Puppet Theater de Peter Schumann et ou la rue connaîtra une primauté politique.  Les noms de Ben et Jean-Jacques Lebel, s’ils sont évoqués, ne font pas partie des artistes interviewés, pourtant tous deux acteurs majeurs de cette histoire, Ben pour avoir contribué à l’arrivée du mouvement Fluxus en France et et Jean-Jacques Lebel pour l’importation du happening en Europe. Un peu surpris également de ne pas voir citer une seule fois les noms de Jean Mas proche de Fluxus  et ses nombreuses « PerforMas » ou encore de Roland Sabatier, membre moteur de la deuxième génération lettriste.
Chaque entretien, réalisé entre 2011 et 2012, a fait l’objet d’une retranscription en concertation avec chaque artiste qui a validé ensuite le texte final.
C’est donc un témoignage vivant sur un art bien vivant qui rassemble de Julien Blaine à Jean-Luc Verna les composantes de cette pratique artistique décidée à se tenir à l’écart des formats institutionnels et marchands.
Le corps apparaît comme l’outil primordial de cette expression, qu’il s’agisse d’un corps engagé dans un art relationnel avant la lettre où d’un corps matériau soumis à toutes les contraintes comme chez Orlan.

"Le déjeuner sur l'herbe" Groupe Untel intervention non officiel Salon des artistes Français  Galeries nationales du Grabnd Palais 8 avril 1975
« Le déjeuner sur l’herbe » Groupe Untel intervention non officiel Salon des artistes Français Galeries nationales du Grand Palais 8 avril 1975

Untel

Cas particulier dans cette liste d’artistes, celui du seul groupe présent, Untel. Le groupe Untel fut un collectif d’artistes créé en 1975 à Paris par Jean-Paul Albinet, Philippe Cazal et Alain Snyers. Ces copains étudiants d’écoles d’art ont eu pour objectif pendant cinq ans d’aborder «La vie quotidienne en milieu urbain». Dans cet univers que le sociologue américain David Riesman appelait «La foule solitaire», c’est un groupe formé d’individus innommables qui s’en prend aux médias, au marché, au tourisme, à la publicité pour mieux toucher du doigt les maladies de la vie sociale urbaine.
Aujourd’hui la performance aurait-elle acquis droit de cité au sein des institutions comme le Street-art a pris place entre les murs des musées ? Dans les deux cas, c’est l’identité même de cette pratique, marquée par ses valeurs subversives, qui serait en question.

Interviewer la performance
Mehdi Brit, Sandrine Meats
Manuella éditions
Octobre 2014
ISBN : 978-2-917217-61-0

Expositions

Romina de Novellis: Comme un vol de Gerfauts…

rapaces
Romina de Novellis et les vautours

« Augurii »

Pour cette nouvelle performance présentée dans le Off de la FIAC à Paris, Romina de Novellis  reste fidèle à une sémantique identifiée dans ses actions précédentes. Avec « Augurii »  le cérémonial religieux reste placé en toile de fond de son discours silencieux. Dans la religion romaine, l’Augure est un prêtre chargé d’interpréter les présages notamment lire le destin de l’être humain en observant le vol des vautours. « Auguri », en italien, signifie « Bonne chance » mais aussi  » Bon courage« . Il faut donc prendre en compte ces diverses acceptions  pour évoquer la démarche de l’artiste. La manifestation visible dans le cadre de la ménagerie du Jardin des plantes n’est que l’étape ultime d’un parcours élaboré avec comme partenaires : les vautours.

Vivre avec les vautours

Romina de Novellis a commencé par vivre avec les vautours, chez eux à Chauvigny, dans le château de la cité médiévale où ces rapaces tiennent des spectacles à vol libre en scène pour le grand public. C’est à Chauvigny, que s’est établie  une relation corporelle avec ces animaux, en compagnie du chorégraphe Luc Petton, le tout faisant l’objet d’une première vidéo :  « La relation s’est faite à travers la nourriture : je leur donne un but de viande crue, ils viennent vers moi. »
Dans un deuxième temps, l’artiste décide « d’inviter » ces vautours dans son appartement parisien de soixante m2 avec une petite fille de trois mois et un chat…. « J’ai revécu tous les rituels principaux de la vie quotidienne : dormir, manger (une grenade, symbole aussi de la fertilité chez la femme), nourrir ma fille et prendre une ablution. »
Avec ce projet Romina de Novellis nous entraine dans une dimension métaphorique où les vautours portent des valeurs contradictoires.  La dimension symbolique du vautour, associée au besoin de vie éternelle, se retrouve dans de nombreux mythes et religions primitives de l’Ancien et du Nouveau Monde. Charognard, le vautour est également considéré comme « purificateur sacré » dans l’Egypte ancienne. Puis, plus près de nous, ce regard bascule et l’hostilité marquée pour les rapaces se manifeste. Liée aux attributs du pouvoir et à la vision d’une société où les faibles ne peuvent que périr, l’image du vautour a perdu de son aura. Faut-il ajouter que « L’ordre de l’Aigle allemand » était une distinction diplomatique décernée aux étrangers importants, particulièrement des diplomates considérés comme sympathisants du nazisme ?

Performance "Augurii" Romina de Novellis Jardin des plantes Paris 2014
Performance « Augurii » Romina de Novellis Jardin des plantes Paris 2014

Nativité

Au moment de mettre en œuvre la phase ultime de son projet, Romina de Novellis se heurte à un autre pouvoir, invisible, inattendu : un imbroglio administratif au niveau européen aboutit à l’interdiction de mettre en scène de véritables vautours dans la performance de l’artiste. Celle-ci  apporte alors une réponse silencieuse à cet interdit : mettre en scène  » ce merveilleux tableau « Sant’Anna » peint par Leonardo Da Vinci qui s’inspire ce tableau vivant où moi et ma fille remplaçons Marie et son fils Jésus et les autres performers, tous ensembles, remplacent Anna, la mère de Marie, symbole d’un destin auquel tous les être humains sont condamnés ».
Avec sa fille de trois mois ( vraisemblablement la plus jeune performeuse de toute l’histoire des performances) Romina de Novellis n’a aucune peine à se glisser dans la peau d’un personnage de Léonard de Vinci. Si bien que ce qui aurait pu prendre l’aspect d’un tension, d’une confrontation avec les rapaces  se change en une « Nativité » paisible, nécessairement porteuse d’espoir.Augurii2
Les charognards ont ils disparu? Les tensions du monde se seraient elles évanouies ? Le tableau vivant de Romina de Novellis, au-delà de son projet, m’ a laissé ce sentiment de sérénité  quand bien même peut encore planer au-dessus de nos têtes de sourdes menaces. Revient alors en mémoire le premier vers des Conquérants de José Maria de Hérédia :
« Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal… »

Photo vautour: Galerie Laure Roynette
Photo performance : de l’auteur

Romina De Novellis : « Augurii »
Avec la collaboration de : Luc Petton

Performance réalisée le 21 et 22 Octobre 2014
Off de la FIAC ménagerie du jardin des plantes Paris
Cinéaste : Philip Martin
Photos : Mauro Bordin
En partenariat avec : Le Guetteur, Vol en scène-Les géants du ciel
Une co-production par : Coton Doux, Groupe 360 et Thierry Gadou
Performers : (Sa RA) Delphine Arras, Maddalena Bordin De Novellis Hugo Drubay, Isaure Gadou, Françoise-Ophélie Malpart, Antonietta Orchelio, Jean Peyrelade, Vashi Ramessur, Michele Simonetti
Courtesy : Laure Roynette Galerie

 

 

 

Expositions

Laurent Godard : Flateurville sur Scène

Il y a quelques lustres, le peintre Yvon Taillandier créait un monde imaginaire « Le Taillandier-Land ». Ses habitants ne disposaient pas vraiment du même nombre de bras, de jambes ou de têtes que les humains; leur comportement, leur langage réservaient des surprises. Heureusement un dictionnaire du Taillandier-Land mis à disposition par le peintre permettait de s’y retrouver.
Aujourd’hui, un artiste d’une autre génération poursuit un projet aussi déraisonnable : créer un monde nouveau à partir de ses propres rêves. Laurent Godard a en effet donné la vie à un village imaginaire : Flateurville.

Les « Carré-ronds »

Au-delà de l’univers  d’Yvon Taillandier, celui de Laurent Godard se déploie sur de véritables territoires. L’artiste démiurge a en effet investi des lieux disponibles pour donner  une réalité à son acte créatif : une ancienne tannerie à Essaouira au Maroc, une ferme ostréicole à l’île de Ré, une tour HLM à New York, un château en Bourgogne ou la piscine Molitor à Paris. Résolvant la quadrature du cercle ( « Droiture du carré, douceur du rond« ) les habitants de ce village les « Carré-ronds » sont identifiables par leurs curieuses paires de lunettes. L’artiste, s’il peut revendiquer le titre d’arracheur de dents, camoufle cette redoutable qualité sous d’autres casquettes : peintre, cinéaste, écrivain, comédien. Flateurvillle devient dont cette scène mobile, variable, polyvalente sur laquelle il déploie par tous moyens son énergie créative.
Comment obtient-on un passeport pour Flateurville ?  Apparemment assez facilement dès lors que l’on veut bien porter son intérêt pour cet Etat dans l’Etat. Une fois franchie la frontière de Flateurville, on peut demander la citoyenneté flateurvilloise voire même accéder au titre de « flateur » participant à la réflexion et à l’écriture du manifeste car l’ambition de Flateurville est de construire un monde meilleur.
Aujourd’hui ce pays a annexé un nouveau territoire, celui de la galerie Fatiha Selam à Paris. Là, Laurent Godard y présente ses dernières peintures bichromes. Il a même créé l’évènement en y produisant une performance : une action-peinture que n’aurait pas désavoué Pollock mais dans un dripping figuratif cette fois.

Tous les moyens sont bons pour donner corps à ce projet : « Flateurville est une invitation à la réflexion, un outil de travail, une zone de ralliement possible pour tous ceux qui veulent un monde plus doux, plus équitable, plus droit, pour tous ceux qui veulent combattre le mal évident que trop d’intérêts en jeu, trop de lobbies empêchent d’éradiquer. » Difficile de ne pas souscrire à un tel programme même si le combat contre les « pecnocrates » n’est pas gagné d’avance.

Une utopie vivante

Le mérite de Laurent Godard est vraisemblablement d’avoir su trouver l’excellente idée directrice de cette expression multiforme, le fil rouge d’une création dans laquelle tout est possible, le lieu géométrique d’une dynamique qui renforce, après chaque nouvelle expérience, son propos, son objectif. Avec la peinture, le film, la musique, la performance, il met en scène avec Flateurville une utopie vivante qui peut devenir véritablement collective et prometteuse pour peu que les partisans d’une guerre picrocholine ne viennent pas décourager les « Carré-ronds ».
Postulons donc pour la citoyenneté Flateurvilloise avec l’espoir que l’art puisse changer le monde. Laurent Godard n’aura pas trop de toutes les énergies de ses concitoyens Flateurvillois pour voir poindre le jour où reculeront les forces de la « pecnocratie ».

Laurent Godard
« Portraits bichromes »

Du 22 mai au 14 juillet 2014
Galerie Fatiha Selam
58 rue Chapon
75003 Paris

Expositions

Romina de Novellis : messe pour le temps présent

Evoquer le titre d’une chorégraphie de Maurice Béjart au sujet de Romina de Novellis pourrait paraître singulier si l’on ne précisait pas immédiatement que cette artiste a consacré des années de sa jeunesse à la danse. Ceci n’est pas le moins surprenant venant d’une performeuse  dont la biographie signale sa qualité de doctorante en anthropologie et sociologie à l’EHESS avec une thèse en anthropologie.
Une fois posés les termes de ce profil particulier, il faut  inclure dans la réflexion sur sa démarche tout un faisceau d’indices : rituel, célébration, cérémonial. Dans des temps reculés, on y aurait vraisemblablement ajouté ceux de sorcellerie, diablerie, envoûtement.  Heureusement, aujourd’hui, on ne retiendra de l’envoûtement que le charme et la beauté de l’artiste qui se livre à notre regard dans ses performances.

Romina de Novellis Marseille juillet 2013

La mise au premier plan du corps définit le plus souvent  la nature des performances artistiques. C’était le cas d’un Michel Journiac, lorsque, travesti en prêtre dans la galerie Daniel Templon à Paris en 1969, il célébrait à sa façon  une messe en latin. C’était le cas également d’une Gina Pane exécutant devant un public au premier rang exclusivement féminin une «Azione sentimentale», à Milan en 1973. Là, avec un bouquet de roses rouges, puis un bouquet de roses blanches, elle passait de la station debout à la position fœtale, exécutant  un mouvement de va-et-vient avec le bouquet, avant de se griffer le bras avec les épines d’une rose et se mutiler la main avec une lame de rasoir.

Un mémorial sacrificiel

Chez Romina de Novellis, on ne retrouve pas la nature provocante d’un Michel Journiac ni la violence auto-destructrice d’une Gina Pane. Si le simulacre religieux d’un Journiac n’est pas avéré, l’artiste met pourtant en scène nombre de caractéristiques propres à ce cérémonial.

« La veille » Romina de Novellis 2013

Le Baptême, procession d’un baptême d’un corps, en 2011, donnait le ton de ce climat propre au simulacre religieux.  » L’APE » , à Marseille en juillet dernier, accentuait encore, par sa mise en scène, cette théatralisation de la procession. Les actions plus récentes ne démentent pas ce positionnement de l’artiste, toujours placée au centre  de ce mémorial sacrificiel. Comme dans une messe où ce rituel  est associé à la communion,  la performance de Romina de Novellis  nous place d’emblée,  si nous acceptons d’accompagner dans la durée son épuisante action répétitive, dans une attitude de communion avec son acte.

D’une aliénation à l’autre

Avec ses performances les plus récentes, La Veglia La Pecora ,La Gabbia, (où, enfermée nue dans une cage grillagée au milieu d’un jardin, elle en recouvre peu à peu les parois de roses blanches ) il a été beaucoup souligné combien l’artiste interrogeait ce statut de l’enfermement. Mais comme cet enfermement n’est pas toujours physique mais peut être social, soit parce qu’il touche particulièrement au statut de la femme soit parce qu’il concerne l’être humain en général, c’est davantage encore la notion d’aliénation qui me semble le mieux désigner ces actions. C’est alors l’ensemble des sources d’aliénation, sociales, politiques, culturelles, spirituelles qui peut constituer le champ dans lequel s’ exercent par ces simulacres les performances de Romina de Novellis.
Cette dépossession de l’individu au profit d’une autre force (individu, groupe ou société en général) constitue la nature même de cette situation dont l’ultime symptôme pourrait être celui de l’aliénation mentale.
Toute la tâche de Romina de Novellis  consisterait donc, d’une performance à une autre, à  nous mettre face à ces dangers pour mieux nous aider à briser ces chaines invisibles qu’elle suggère par quelques fils tendus au gré de ses gestes artistiques. Cette messe profane n’est pas dite.

 

Photos: Galerie Laure Roynette

Romina de Novellis
« Wool and roses »

10 octobre-26 Novembre 2013
Galerie Laure Roynette
20 rue de Torigny
75003 Paris

 

Expositions

Gina Pane, à l’aune du sacré

Aujourd’hui, une exposition des travaux de Gina Pane (1939-1990) ne suscite plus de levées de boucliers, de manifestations  d’hostilité. Celle de la galerie Kamel Mennour à Paris se déroule dans le calme, sans turbulence particulière. Cela n’a pas toujours été le cas. Dans les années soixante dix, le climat était tout autre. D’une manière plus générale, les  artistes de l’art corporel  n’échappaient pas aux sarcasmes, voire à une hostilité affirmée. Pour preuve, cette présence de Gina Pane à la galerie Stadler à Paris en 1973  fait encore référence.

Photographie d action corporelle Galerie Stadler, Paris Gina Pane 1973

Stigmates

Les pièces accrochées au mur de la galerie résultaient d’une action que l’on appellerait performance mais dont la nature mérite une définition plus précise. L’artiste se démarquait  volontairement des termes de happening et de performance pour évoquer ses actions. Elle élaborait le déroulement de ses actions, dont témoignent des  constats photographiques , à travers des storyboards précis. Entre rituel et sacrifice, sacré et masochisme, ces prestations de l’artiste généraient, chez le spectateur non averti, malaise, gêne, rejet parfois. De ma rencontre avec Gina Pane à cette époque je garde davantage une sensation qu’un souvenir, sensation indéfinissable dans la relation avec la personne, sorte d’irradiation singulière que je peine à décrire.
Chez Gina Pane, l’exposition des tampons usagés à la galerie Stadler,  « une semaine de mon sang menstruel », prend place après une performance. « Dans la « mise en condition », Gina Pane est allongée sur une structure métallique au-dessus de bougies allumées. Dans la seconde phase, l’artiste dos au public et face à un mur sur lequel est fixé un microphone, à la hauteur de sa bouche, s’entaille l’intérieur de la lèvre inférieure et s’incise le pourtour des ongles avec une lame de rasoir, pendant que des diapositives de mains féminines se passant du vernis couleur sang sont projetées. »

Chasse aux sorcières ?

C’est là qu’intervient un incident assez rare, voire exceptionnel me semble-t-il.   Dans les galeries ou les musées, le vol d’une œuvre dans un but mercantile est un acte typique. On  connaît aussi la dégradation d’un tableau pour un motif plus moins obscur. A la galerie Stadler en 1973 se produit cet événement singulier :  le vol d’une vitrine de Gina Pane contenant “deux mouchoirs maculés de sang, une lame de rasoir, un micro” . Puis quelques jours plus tard intervient sa restitution mais avec le contenu suivant : un mouchoir blanc neuf, une lame de rasoir polie et le micro original.
Je me souvient qu’à l’époque furent soupçonnés pour cet acte des étudiants de l’école nationale des Beaux-arts toute proche de la galerie.  Assurément, il n’y avait pas là un simple acte gratuit de vandalisme, mais une prise de position artistique à l’encontre de Gina Pane, acte réfléchi provenant donc vraisemblablement de personnes à priori ouvertes à l’art contemporain. Malgré cette ouverture présumée, cet acte de censure prenait allure de chasse aux sorcières.

« Terre – Artiste – Ciel  »

Gina pane, Situation idéale : Terre-Artistes-Ciel, 1969
Collection Frac des Pays de la Loire

L’exposition de la galerie Kamel Mennour rappelle très justement combien cette action de Gina Pane sur son propre corps est un moment dans l’interrogation plus vaste de la situation de l’être humain dans  l’univers. Dans « Situation idéale : Terre – Artiste – Ciel (1969)« , Gina Pane se positionne : « déterminée, rayonnante, elle place son corps verticalement au centre de la ligne d’horizon, désignant métaphoriquement un territoire dans cet espace intermédiaire, qui est aussi celui des limites, limites que l’artiste va désormais explorer (physiques, mais aussi psychiques, ou encore, frontière entre sphère publique et sphère privée, entre soi et autrui…. »

Sacrifice

A partir de 1981, Gina Pane , dans les « Partitions« , prolonge sa réflexion sur sa propre histoire mais aussi ses premières préoccupations autour de l’art sacré et de l’histoire de l’art. En effet, utilisant des matériaux choisis pour leur charge symbolique (verre, laiton, cuivre, fer ou bois), elle crée un univers où le corps, désormais absent, évoque le spirituel qui l’emporte sur le temporel. Entre les actions sur son propre corps et ces travaux, les mêmes engagements faits de stigmates, rituels, sacrifice du sang versé, souffrance, nous entraînent dans un univers de religiosité, martyrs et sainteté. Et c’est bien au nom de cette aspiration au sacré que Gina Pane a fait de son oeuvre un sacrifice.

Photos action: JF Riviere  iris 1973
Photo Terre-artiste-ciel :Cécile Clos, Ville de Nantes Musée des Beaux-arts

Gina Pane
12 Octobre- 24 Novembre 2012
Galerie Kamel Mennour
47 rue Saint-André des Arts
75006 Paris

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Expositions

Encore un coucher de soleil sur Nice

A l’occasion des cinquante ans du mouvement Fluxus, l’exposition Ben signe Nice (titre d’une oeuvre de 1968) à la Villa Arson à Nice est constituée d’un ring de boxe entouré d’une tribune et de documents et d’objets fixés sur le murs. Le ring est le théâtre d’actions que l’artiste souhaite organiser en soirée  Il est identique à celui qu’il avait installé à Cologne lors de l’exposition Happenings and Fluxus organisée en 1970 par Harald Szeemann.
L’artiste Alain Snyers (ancien membre du groupe Untel), invité pour une performance sur le ring, a décidé de rendre hommage, cent deux ans plus tard, à celle du Lapin agile à Montmartre.

«  Et le coucher de soleil s’endormit sur l’Adriatique« .

A l’époque, Roland Dorgelès, André Warnod, et Jules Depaquit demandèrent au patron du Lapin Agile, le père Frédé, de leur prêter son âne…

" Et le coucher de soleil s’endormit sur l'Adriatique".

Un huissier fut appelé, ainsi qu’ un photographe pour immortaliser la scène et, tandis qu’on mettait sous le nez de l’âne une cargaison de choux, carottes et poireaux, ils ficelèrent au bout de sa queue, un pinceau enduit de peinture;  une toile vierge, glissée sous son arrière train était posée sur un tabouret et,  de temps en temps, on déplaçait le tabouret et on changeait de pinceau et de couleurs.
Ainsi naquit le tableau intitulé :  » Et le coucher de soleil s’endormit sur l’Adriatique« . Attribué à un artiste imaginaire Joachim-Raphaèl Boronali, le tableau présenté au salon des Indépendants en 1910, accompagné d’un texte “Le manifeste de l’excessivisme”, fit grand bruit et davantage encore lorsque le quotidien « Le Matin » révéla la supercherie.

« Encore un coucher de soleil sur Nice« 

Alain Snyers(à droite) action-painting Lolo II

Le 30 juin, dernier, Alain Snyers  invite  un paisible âne des hauts de Nice « Lolo II »  à participer à la performance sur le ring de Ben.  Snyers a fixé un pinceau à la queue de Lolo II. Ce dernier refuse de monter sur le ring et préfère rester sur un tapis persan. Après l’intervention de l’assistant Snyers trempant  le pinceau dans de la peinture bleue puis dans un jaune de Naples, l’œuvre fut considérée comme achevée par Lolo II qui se refusa à toute autre intervention. La toile est nommée « Encore un coucher de soleil sur Nice « .

«  Et le soleil se rendormit sur l’Adriatique… »

Et comme un pastiche peut en cacher un autre, on peut rappeler que la République de Montmartre, a fait revivre le jeudi 3 juin 2010 au même endroit et à l’identique, le canular orchestré en mars 1910 par Roland Dorgelès.  Marmot, l’âne à Gilles (Lemaire), a poursuivi l’œuvre de son ancêtre Lolo, l’âne du père Frédé, en peignant avec sa queue sous constat d’huissier ! «  Et le soleil se rendormit sur l’Adriatique… »

 

Photo  » Et le coucher de soleil s’endormit sur l’Adriatique » : Wikipédia
Photo Snyers: source « L’indispensable lettre d’information de l’atelier Alain Snyers » septembre 2012

 

« Ben signe Nice »
A l’occasion du 50ème anniversaire de Fluxus
Galerie Carrée
1er juillet – 28 octobre 2012