Portraits

Daniel Spoerri, Ultima Cena

Pour  sacrifier à la période des fêtes, l’artiste Jérôme Mesanger vient de créer une bûche de Noël avec le personnage blanc qu’il a promené sur la terre entière, des rues de New-York à la muraille de Chine. Le Street art, depuis quelques temps,  a abandonné  sa liberté contestataire pour regagner sagement les cimaises des centres d’art et se conformer aux codes de la société de consommation. Dans un précédent article, j’évoquais l’exposition « Mmmm… ! » au Centre d’art contemporain de Pontmain sur le thème de la gourmandise dans l’art.

« Les oeufs sont faits » Daniel Spoerri, 2002

Eat art

Ce rapport de l’art à la nourriture n’est pas  nouveau. Depuis Le Manifeste de la cuisine futuriste publié en 1930 par Filippo Tommaso Marinetti, depuis l’Eat Art de Daniel Spoerri, les références sont nombreuses.Le 27 Octobre 70 à l’occasion du dixième anniversaire du Nouveau Réalisme célébré à Milan, Daniel Spoerri organise «  L’ultima Céna » le banquet funèbre du nouveau réalisme. Pour chaque artiste, il imagine un menu correspondant à sa spécialité artistique : pour Arman  une accumulation d’anguilles et de poissons, pour César  une compression de bonbons à la liqueur, pour Christo : un menu empaqueté. Daniel Spoerri  multipliait déjà les banquets depuis plusieurs années. Le premier d’entre-eux a eu lieu le 10 mars 1963 à l’occasion de l’exposition « 723 ustensiles de cuisine » à la galerie J à Paris. Il fut suivi d’événements à Bâle, Zurich, Berlin, Cologne, Milan. En 1970, lorsque Claude et François-Xavier Lalanne proposent au Restaurant Spoerri : Le Dîner Cannibale., le repas proposait de manger, non pas de la vraie chair humaine, mais son simulacre.Claude Lalanne avait créé une technique pour fabriquer des moules en cuivre de la totalité d’un corps. L’artiste sera ainsi moulé de la tête aux pieds et les formes de cuivre seront dorées pour ne pas être nocives.
Autre dîner, selon le principe du palindrome qui se lit indifféremment de gauche à droite ou de droite à gauche, il s’agit d’un dîner « renversé ». Si, visuellement celui-ci commence par son terme avec le café et les gâteaux pour remonter jusqu’aux hors d’oeuvres, il se déroule sur le plan du goût selon l’ordre classique des plats. Le repas débute ainsi par un cigare, imité par une sorte de petit pain allongé, très cuit, le café est un bouillon de champignons concentré et noir.
« Pour clore, on apporte une grande table recouverte d’un carrelage en chocolat noir et blanc, jonché du contenu d’une poubelle renversée, également en chocolat »,
explique l’artisteC’est en 2002 au Jeu de Paume à Paris que sont repris un certain nombre de ces dîners:

Menu de présentation des dix dîners à thèmes différents conçus par Daniel Spoerri au Jeu de Paume, du 19 avril au 29 avril 2002.

Art digestible, Le dîner des homonymes, Le dîner des nouveaux réalistes – l’ultima cena, « Oh cet écho ! » le dîner palindrome hommage à André Thomkins, Le dîner cannibale de Claude et François-Xavier Lalanne, Le dîner surprise, Menu hommage à Raymond Hains, « Les oeufs sont faits », Le dîner du haut-goût.

 

Le déjeuner sous l’herbe

Le 23 avril 1983, dans le parc du château du Montcel à Jouy en Josas,entretenu par le mécène Jean Hamon et qui allait peu après devenir pour un temps celui de la Fondation Cartier, Spoerri organise  un banquet réunissant une centaine de personnes du milieu de  l’art contemporain d’alors.  Au cours du repas, les plateaux des tables sont emmenés et déposés au fond d’une tranchée  d’une quarantaine de mètres de long  que vient de creuser une pelleteuse. Tout est laissé en place : nappes, assiettes, couverts, verres, bouteilles, plats, vases de fleurs et même objets personnels intentionnellement déposés. Puis on recouvre de terre, d’abord à la pelle, puis à la pelleteuse, l’ensemble du repas, baptisé Déjeuner sous l’Herbe en référence à celui de Manet. Depuis cette année 1983, le banquet de Daniel Spoerri s’est décomposé. Pour en étudier les vestiges, vingt-sept ans plus tard, les premières fouilles archéologiques de l’histoire de l’art contemporain ont été organisées, sous l’égide de l’artiste…

Daniel Spoerri dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

Photo les Oeufs sonts faits : Site Daniel Spoerri

 

Portraits

Gérard-Philippe Broutin, le Lettrisme sans frontières

Si les artistes Lettristes ont quelques difficultés à être prophète en leur pays, le Lettrisme, lui, ne connaît pas de frontières. En Europe, l’Italie accueille mieux qu’en France, ces artistes dont la conviction chevillée au corps leur fait endurer  parfois la solitude et la difficulté pour faire reconnaître leur création.

Le Lettrisme à New-York

L’actualité du jour, il faut la chercher à New-York, à la fondation Emily Harvey : le quinze décembre , il sera possible d’assister au concert  donné par Loré Lixenberg avec – entre autre – des oeuvres de Isidore Isou, Maurice Lemaitre et Gérard-Philippe Broutin.
Mezzo-Soprano, Lore Lixenberg a participé à de nombreux festivals dont ceux de Salzbourg, la Luzerne, Donaueschingen, Aldeburgh, Witten, Édimbourg et Huddersfield, au Wien Moderne et Oslo.  C’est un concert de musique aphonistique  qu’elle présente ce quinze décembre. Loré Lixenberg interprète la musique silencieuse et aphonistique, avec notamment  l’Opus aphonistique de Isidore Isou, le Batelier de Maurice Lemaitre et le Concerto Berlinois (2nd mouvement aphonistique) de Broutin.

L’engagement lettriste

Après des études d’Histoire de l’Art à l’Université de Paris/Nanterre, puis à l’École du Louvre, où il assiste aux cours d’épigraphie égyptienne, Gérard-Philippe Broutin va prendre une voie  artistique exigeante, semée de difficultés, réclamant un engagement total. À côté d’autres artistes tels que Roland Sabatier, François Poyet, Alain Satié ou Jean-Pierre Gillard notamment, il rencontre Isidore Isou en 1968 et dès lors, il participe à la plupart des manifestations et expositions lettristes.  Ses premières œuvres picturales sont exposées en mars 1969, lors de l’exposition “Aujourd’hui le lettrisme et l’hypergraphie” à la Galerie Stadler à Paris.

La Grande Fabre 2 (le Désir paradisiaque et l’externité quatre-vingt dix et quatre-vingt onze I), encre de chine sur toile, cm 300×200, 2010-2011 GP Broutin

Et si le Lettrisme n’accepte pas les frontières  géographiques, il refuse également de reconnaître des frontières à l’art.
On le sait, le Lettrisme a une grande ambition pour intervenir dans tous les domaines de la création. La création musicale n’échappe pas à cet objectif. : Poésie sonore., poésie-action, performance-poetry, poésie directe…Toutes ces appellations tentent de cerner un « art nouveau visant à faire la synthèse de la poésie et de la musique par un travail sur le langage, sur le texte et sur le son dans leurs différents aspects. Les nouvelles technologies d’enregistrement et de traitement électronique de la bande sonore permettent une élaboration virtuelle. Le résultat doit être diffusé sur disques ou cassettes. La voix humaine garde au départ un rôle important mais la page imprimée peut ne plus jouer aucun rôle. »
Broutin, attiré par cette dimension du lettrisme,  est également l’auteur et l’interprète de nombreuses oeuvres poétiques et musicales à base de lettres et de phonèmes. Deux de ses réalisations sonores,  Cathédrales Englouties et Ere isouienne, an 52; un musicien lettriste: Gérard-Philippe Broutin, sont composées et diffusées la même année en 1975 sur les ondes de France Musique la Nuit. En 1976, il crée  le « Concerto pour une bouche et quatre membres ».
C’est cette face du travail de GP Broutin qui a l’honneur de ce concert New-Yorkais. Pour autant, Broutin poursuit une œuvre d’artiste plasticien, telle  « La Grande Fabre 2 (le Désir paradisiaque et l’externité quatre-vingt dix et quatre-vingt onze I), encre de chine sur toile,  2010-2011« Cette année 2012 a, en France, marqué une réactualisation significative du Lettrisme avec une exposition intitulée « Pensiez-vous (vraiment) voir une exposition ? Bientôt les Lettristes (1946-1977) » au Passage de Retz à Paris. Riche d’œuvres de toute nature, d’archives et de documents essentiels, mêlant peintures, dessins et objets, films et enregistrements, livres, revues et manuscrits parmi d’autres modes d’expression, cette exposition s’est présentée comme la première étape d’une suite de projets, ambitionnant de dresser un état des lieux de l’action de ses différents membres fondateurs.
Le lettrisme deviendrait-il prophète en son pays ?

Photos GP Broutin

Gérard Broutin dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

Portraits

Jean Cardot : le statuaire «artistiquement incorrect».

L’art  statuaire, aujourd’hui

Une imposante statue de Jacques Chaban-Delmas, célèbre maire de Bordeaux pendant près d’un demi-siècle et premier ministre de 1969 à 1972, a été inaugurée il y a une semaine dans le centre-ville.

Statue de Jacques Chaban-Delmas, place Pey-Berland, Bordeaux par Jean Cardot 2012

La statue en bronze de trois mètres vingtmètres de haut et d’un poids de mille cent kilos est l’oeuvre du sculpteur Jean Cardot, auteur notamment des statues de Winston Churchill et de Charles de Gaulle (sur les Champs-Elysées). Localement, des voix se sont élevées pour protester : en cette période de crise et aux vues des nombreux hommages déjà matérialisés à Bordeaux, cette importante dépense effectuée par la mairie irrite des  habitants qui dénoncent une très mauvaise utilisation du budget de la ville. «  Les 500 000 € déboursés par la ville pour la statue auraient pu être mieux utilisés, notamment pour financer plus de repas aux restos du cœur. »

Le sculpteur, l’institution et l’Institut

Lorsque l’on observe l’itinéraire de l’homme et l’œuvre du sculpteur, on s’aperçoit immédiatement que la vie de Jean Cardot est en phase avec les institutions.
Après l’obtention d’un Premier second Grand Prix de Rome en 1956, il séjourne à la Casa de Velázquez à Madrid de 1957 à 1959.Dès 1961, année où il obtient le Prix Antoine Bourdelle et le Prix Brantôme de Sculpture, il entre comme professeur, chef d’atelier à l’Ecole des Beaux-Arts de Lyon. En 1974, il est nommé chef d’atelier de sculpture en taille directe, à l’Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts à Paris. Il enseigne dans cet atelier jusqu’en 1995. A partir de 1983, il devient Inspecteur général des Ateliers Beaux-Arts de la Ville de Paris. Il est membre de l’Académie des Beaux-arts dont il a été le président. Cette évocation ferait vite tomber dans le panégyrique. Malgré cette impressionnante position institutionnelle, Jean Cardot  exprime une certaine souffrance se sentant paradoxalement en marge de l’art de son temps.
Si aujourd’hui c’est le statuaire figuratif qui représente le travail le plus connu de Jean Cardot, sa sculpture a pris, dans le passé, d’autres formes, parfois abstraites.

Hommage à la déportation et à la résistance, Créteil 1973 Jean Cardot

Ainsi, le sculpteur a créé cet hommage à la résistance et à la déportation installé devant la préfecture de Créteil  , dans le Val de Marne, oeuvre dont le déchirement du bronze à l’intérieur de cette forme sphérique éclatée, a vocation à exprimer à la fois la souffrance physique et la douleur morale vécues au cours de ce drame historique.

« Artistiquement incorrect »

Dans un ancien article paru dans « Le Monde », Jean Cardot écrivait : « Que, non ! la sculpture n’est pas morte. Accepter les contraintes de la commande en ayant le courage d’être soi-même. Accepter la fonction sociale du métier de sculpteur. Prendre le risque d’être aussi artistiquement incorrect !».
Ce n’est pas le moindre paradoxe de voir cette sorte de retournement historique où un des artistes les plus impliqués dans les institutions dénonce « l’ artistiquement correct ».  Deux mondes s’opposent, deux pouvoirs peut-être, deux univers sûrement.

Jean Cardot dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

Photos Chaban Delmas, source : http://www.20minutes.fr/societe/diaporama-2611-photo-720146-objectif-20-minutes

Portraits

Sheila Hicks, aux racines de l’art

« Trapèze de Cristoba »l, 1971 à droite. « Lianes Nantaises », 1973 à gauche Sheila Hicks

Aux sources de l’Humanité

Evoquer l’histoire du textile c’est assurément remonter aux sources de l’humanité. « La découverte de fibres teints de lin naturel et de laine de chèvre portant des marques de torsion dans des couches d’argile de la grotte de Dzudzuanaen Géorgie il y a trente quatre mille  ans suggère l’utilisation de matériaux textiles. »

Si bien que lorsqu’un artiste contemporain consacre son oeuvre à l’art textile, cette relation à l’histoire et à la préhistoire se renforce. Dans l’univers de la création, Sheila Hicks occupe une place très particulière. Ancienne étudiante de l’Université de Yale, où elle fut l’élève de Josef Albers et où elle a pratiqué la peinture et la photographie, Sheila Hicks, travaillant uniquement avec des matériaux textiles, se trouve en équilibre entre l’art contemporain et les arts appliqués. Peu importe d’ailleurs la définition exacte de son art au regard du résultat.

Des «Textiles Pré-Incas » à l’oeuvre contemporaine

L’œuvre de l’artiste puise ses racines dans les civilisations anciennes auxquelles elle a consacré ses études et des voyages, avec notamment une thèse sur les «Textiles Pré-Incas ».
En 1957 elle bénéficie d’ une bourse Fulbright et se rend au Chili pour étudier le tissage .  Cette découverte sera fondatrice de son oeuvre. Cette relation au monde qui s’établit lors de ces voyages, au contact des civilisations anciennes, Sheila Hickls ne la quittera plus.Elle s’installe à Paris en 1964.
Au coeur d’un quartier animé et bruyant, l’artiste a trouvé refuge dans un endroit rare, caché, calme, presque provincial. Déjà, dans le passé, j’avais rencontré plusieurs fois dans cet endroit privilégié, un autre habitant réputé : Pierre Klossowski, écrivain, artiste et frère de Balthus. Aujourd’hui Sheila Hicks y dirige une petite équipe concentrée sur la réalisation des pièces, souvent destinées à des intégrations architecturales dans le monde entier, notamment l’impressionnant rideau de Théâtre au Kiryu Cultural Center de Gumna au Japon en 2001.
La sculpture de Sheila Hicks, lorsque l’œuvre s’épanouit véritablement dans les trois dimensions, captive le regard par la complexité de sa texture et de ses couleurs.
Dans l’exposition « 72 72 » au Grand Palais en 1972, Sheila Hicks présentait déjà ses œuvres résolument dans la voie de la sculpture en laine.

Textile, anthropologie et art contemporain

Exposition Sheila Hicks, 50 ans, I.C.A. Philadelphie Etats-Unis 2011

Amie de Monique et Claude Levi-Strauss, l’ artiste s’est intéressée à la dimension anthropologique du textile et de l’art contemporain. De sa thèse «Textiles Pré-Incas » aux oeuvres contemporaines, Sheila Hicks a suivi le fil de cette réflexion par cette pratique artistique associant dans un même geste la fonctionnalité possible du textile et le jeu des formes et des couleurs libérées de tout argument utilitaire.

Sheila Hicks dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

Source photo ICA :  http://www.icaphila.org/exhibitions/hicks.php

SOURCE 2 / http://fileunderfiber.blogspot.fr/2011/03/sheila-hicks-at-addison-gallery.html

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Portraits

Niele Toroni : l’absolu en peinture

Niele Toroni, prix Meret-Oppenheim

Le prix Meret-Oppenheim est décerné chaque année par l’Office fédéral suisse de la culture. Il s’agit de l’une des rares distinctions expressément destinée à des artistes moins jeunes. L’âge minimal des lauréats est de quarante ans. Il y a quelques jours le peintre Niele Toroni vient d’être l’un des heureux bénéficiaires de ce prix.

Niele Toroni au travail.

Niele Toroni appartient à une génération d’artistes suisses qui ont quitté leur pays pour aller vivre à Paris. Dans la capitale française depuis 1959, il  a développé en 1967 une conception artistique radicale dont il ne s’est depuis pas éloigné d’un pouce Il n’est ni banal ni facile de consacrer quarante ans de son travail à l ’exigeante démarche qui consiste à poser des «  Empreintes de pinceau n°50 répétées à intervalles réguliers de 30 cm. ».

Le temps de BMPT

Cette radicalité n’a pas été, sur le moment, le fait d’un artiste solitaire mais au contraire, le fruit d’une démarche collective exigeante, voire intransigeante : le Groupt BMPT bien connu, qu’il partage avec Daniel Buren, Olivier Mosset, et Michel Parmentier.
Lorsque l’on rencontre Niele Toroni, il faut se faire à l’idée que le peintre entretient avec constance une attitude délibérément détachée, apparemment  revenue de tout et décrivant son travail comme celui d’un peintre se rendant chaque matin au travail à la façon de tout autre travailleur. Niele Toroni passe très vite sur la moment collectif de BMPT. François Morellet se définit comme « rigoureux, rigolard ». Cette définition, me semble-t-il, conviendrait parfaitement à la personnalité de Toroni toujours prêt à prendre ses distances avec le discours, les commentaires. Lorsque l’on évoque  BMPT, l’artiste  passe assez rapidement sur cette période collective. Il faut dire que le manifeste de BMPT clamait en 1967:
« Puisque peindre c’est un jeu.
Puisque peindre c’est accorder ou désaccorder des couleurs.
Puisque peindre c’est appliquer (consciemment ou non) des règles de composition.
Puisque peindre c’est valoriser le geste.
Puisque peindre c’est représenter l’extérieur (ou l’interpréter, ou se l’approprier, ou le contester, ou le présenter).
Puisque peindre c’est proposer un tremplin pour l’imagination.
Puisque peindre c’est illustrer l’intériorité.
Puisque peindre c’est une justification.
Puisque peindre sert à quelque chose.
Puisque peindre c’est peindre en fonction de l’esthétisme, des fleurs, des femmes, de l’érotisme, de l’environnement quotidien, de l’art, de dada, de la psychanalyse, de la guerre au Vietnam.  

NOUS NE SOMMES PAS PEINTRES ! »

Exposition Niele Toroni à la galerie Yvon Lambert à Paris en 2006

Je suis peintre !

C’est pourtant bien de peinture qu’il s’agit chez Niele Toroni, d’une position radicale, absolue. Une peinture « réduite » à l’essentiel ? Peut-être devrait-on écrire accédant à l’essentiel. Depuis un demi-siècle, même s’il décline à l’infini ce jeu autour de ce pinceau N° 50, Toroni ne peint pas un même tableau, il trace un sillon indélébile  et, avec un pied de nez au manifeste de BMPT, assène:  » JE SUIS PEINTRE ! ».

 

Niele Toroni dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

Photos :
– Toroni au travail source : http://www.poptronics.fr/Les-muses-inspirent-Paul-Armand
– Exposition Galerie Yvon Lambert : de l’auteur.

 

La remise des prix Meret-Oppenheim aura lieu le 7 novembre 2012 à 18 heures au G27, Grubenstrasse 27, à Zurich.

Portraits

Gottfried Honegger, hasard et nécessité

Gottried Honegger en 1996

Aux sources de l’art concret

A travers l’Europe,dans les années d’après-guerre,  de nouveaux signes de vitalité confortent, dans l’art, le mouvement de l’abstraction géométrique. Sur le terreau de l’art concret Zurichois poussent de nouvelles idées.  Avant de partir aux États-Unis pour y exercer la profession de graphiste, puis de s’installer à Paris au début des années 1960, un jeune artiste, Gottfried Honegger, fréquente à Zurich les artistes du groupe Allianz. Intéressé par les recherches de Max Bill, Richard Paul Lohse, Joseph Albers sur des systèmes déterminés, Honegger  prend ses distances, quelque peu ennuyé par ce qu’il estime constituer un résultat connu d’avance.

L’aléatoire matériau de création

La lecture du livre de Jacques Monod Le Hasard et la Nécessité, en 1970,  puis la rencontre avec le musicien Pierre Barbeau exercent une influence décisive sur son travail. Il comprend alors que l’aléatoire doit se combiner avec un programme. Avec un mathématicien, il crée des dessins sur ordinateur. Pour Honegger, le hasard détermine la matière créative de la nature.

Monoforme 26 (Parc du Musée de Grenoble) Gottfried Honegger

A partir de ce choix, ce hasard devient le moteur de son oeuvre, au point de se promener en permanence avec des dés dans la poche. Pour son évolution la nature utilise le hasard. Le hasard et la nécessité constituent les sources de l’incroyable richesse de tout ce qui est vivant estime l’artiste.

Honegger connaît maintenant sa voie dans l’art concret :

– « Le hasard satisfait ma curiosité, mon goût pour l’aventure. Le hasard me permet de délester mes bagages historiques. Sans le hasard je mourrais d’ennui. La mathématique aléatoire est un pont entre l’art et la science. L’homme moral méprise le hasard, l’homme du pouvoir hait le hasard. Le dé me permet de jouer. L’art est un jeu dans le sens le plus noble. »

Sculptures de Gottfried Honegger dans les jardins du Palais Royal à Paris en 2006

Venu en France, puis aux Etats-Unis, puis en France, puis en Suisse, Gottfried Honegger a dû épuiser ceux qui ont voulu le suivre à la trace.Il rencontre Miro, Le Corbusier, Arp, Hans Richter, Sam Francis, Barnett Newmann, Franz Kline, Rothko, Calder, Seuphor…..
Gottfried Honegger a développé une oeuvre puisant aux sources de l’art construit, rigoureuse, presque austère.

L’art est un jeu

C’est un jeune homme de quatre-vingts ans à l’époque que je rencontrai  il y a quelques années. L’artiste faisait preuve d’une énergie, d’une force de conviction peu communes. Nul question de vivre sur un acquis, sur une œuvre établie.
Gottfried Honegger voulait donc que l’art redevienne un jeu, retourne dans l’univers des enfants. C’est d’ailleurs ce à quoi il s’est attaché dans l’Espace d’art concret de Mouans-Sartoux, privilégiant les oeuvres des autres au lieu de consacrer un lieu de mémoire à sa propre gloire.

 Gottfried Honegger dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

Photos:

– Honegger: Wikipédia
– Grenoble: Imago
– Jardins Palais Royal: de l’auteur

 

 

Portraits

Philippe Cazal, la vie d’artiste

Alors que s’ouvre aujourd’hui au musée d’art contemporain de Strasbourg, la salle présentant « Vie quotidienne » du groupe Untel« ,  voilà l’occasion d’évoquer l’itinéraire d’un des membres de ce groupe des années soixante dix : Philippe Cazal.

Phlippe Cazal

Membre d’Untel de 1975 à 1980, il présente avec le groupe cet environnement de type « Grand Magasin » au Musée d’art moderne de la Ville de Paris (Biennale de Paris, 1977). Après l’arrêt des activités du groupe en 1980, chaque artiste sort de cet anonymat volontaire.
Chacun des membres d’Untel cherchera à prolonger cette interrogation sur la société contemporaine.

« Artiste publicitaire »

Sorti de l’ École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris , le peintre et sculpteur décide qu’il deviendra « artiste ». Dès 1984, Cazal se présente comme un « Artiste publicitaire », transforme son nom en logo (via l’agence parisienne Minium) et développe son « image de marque » en détournant les codes de l’univers du marketing et de la publicité.
Cazal en a fait lui même la commande à une agence de graphisme parisienne Minium. Il décide de jouer avec le positif-négatif en noir et blanc proposé par l’agence pour mettre en valeur son nom et se présente ainsi comme un produit commercial. Sa signature est devenue une marque. A travers son oeuvre, il ne cesse de s’interroger sur la place de l’art et de l’artiste contemporain dans l’économie de marché. Comment se situer par rapport au milieu de l’art ? Quel rôle jouer ?

Qu’est-ce qu’un artiste ?

Si bien que la question de ce que l’artiste peut produire passe d’abord par la question : qu’est-ce qu’un artiste ?
Cette interrogation, l’artiste la prolonge, au-delà de ce positionnement « publicitaire » sur les question du langage. Il oriente son travail vers une réflexion sur les relations entre texte et image via les slogans, les mots-images, ou la sérigraphie.
Dans quelques jours, Cazal participe au second volet de l’exposition « La plasticité du langage » intitulé Entre les langues à la Fondation Hippocrène à Paris. Cette exposition posera la question de la pluralité des langages, de la compréhension entre les différentes cultures. Il abordera le langage sous sa forme architecturale, comme un dispositif visuel et graphique, et il interroge l’articulation entre texte et image.

Photo Wlkipédia et Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

Philippe Cazal dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

 

« La plasticité du langage »
Entre les langues

Avec : Art & Language, Basserode, Alighiero Boetti, Eva T. Bony, Sophie Calle, Philippe Cazal, Jean Daviot, Angela Detanico et Rafael Lain, Sammy Engramer, Mounir Fatmi, Elsa Mazeau, Tania Mouraud, Nina Papaconstantinou, Vittorio Santoro, Agnès Thurnauer, Jorinde Voigt, Max Wechsler.

Fondation  Hippocrène
16 octobre au 16 décembre 2012
dans l’ancienne agence de Mallet-Stevens
siège de la Fondation
12 rue Mallet-Stevens, 75016 Paris

 

Portraits

Ouanes Amor : Qu’est-ce que la peinture ?

Il y a des peintres pour lesquels le sujet du travail prendra sa source notamment dans le corps humain, la nature , le mouvement. Pour d’autres, peindre suppose un engagement dans la société des hommes. Pour d’autres encore, le sujet de la peinture est la peinture elle-même. Certainement Ouanes Amor fait partie de ces derniers.

Ouanes Amor, Juillet août 1998

Né en Tunisie en 1936, Amor vient en France à l’âge de seize ans. Elève de Roger Chastel dès 1960 puis assistant de Gustave Singier en 1970, il devient ensuite professeur chef d’atelier à l’école des Beaux-arts de Paris.
Pour un peintre issu d’une culture où l’image était bannie, peut-on concevoir une opposition entre figuration et abstraction ? Comment conçoit-on la représentation ? Ouanès Amor est parti du signe, mais ses références culturelles n’ignorent pas son pays, ses racines. Venu d’un pays où la culture de l’olivier  date du VIIIe siècle avant J.-C, avant même la fondation de Carthage, le jeune Amor garde en lui ce symbole d’une histoire, d’une culture et d’une économie. On peut donc s’attendre à le voir peindre des oliviers. Mais le peintre ne peint pas un olivier, il ne peint pas une toile abstraite : il peint la sensation de l’olivier.

« Olivier » Ouanes Amor

De Monet à Viallat

Au-delà de cette préoccupation, c’est bien avant tout de peinture qu’il s’agit.Cette série « abstraite » issue du thème de l’olivier serait-elle comparable à d’autres démarches sur la peinture pour la peinture ?
On pense aux Nymphéas de Monet, dans cette interrogation continue sur la nature de la peinture. Mais il n’est pas illégitime d’évoquer la démarche d’un Claude Viallat dans cette quête à partir d’une forme unique déclinée à l’infini.

Sur les deux tableaux

Le projet est le résultat de l’ensemble de l’œuvre où lumière et couleur, celles de sa Tunisie natale, donnent naissance à ce voyage sans frontière dans la peinture, tendant vers cet équilibre entre réalité et abstraction. Du travail sur les signes où « tout un jeu de répétitions, tramage de surface, signes graphiques, calligraphiques, instaure de curieux effets de all-over«  aux séries sur les oliviers dans lesquelles l’approche que nous estimerions abstraite repose sur cet enracinement dans le réel de son histoire et de sa culture, l’ensemble du projet d’ Ouanès Amor joue sur les deux tableaux. La réalité abstraite des signes et  son abstraction issue de cette incontournable réalité des oliviers se rejoignent dans cette même question: qu’est-ce que la peinture ?
Cette question a hanté le travail d’ Ouanès Amor, à la fois dans son oeuvre  et face aux nombreux élèves rencontrés à l’Ecole nationale des Beaux arts de Paris. Depuis ce temps, certains de ces élèves sont devenus des peintres reconnus dans une génération où la peinture fut quelque peu oubliée.

Photos Ouanès Amor

Ouanes Amor dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

 

 

Portraits

Yaacov Agam, au-delà de l’illusion

Depuis soixante ans, Yaacov Agam s’est affirmé comme un des artistes majeurs de l’art cinétique. Dans ce mouvement qui a connu un si grand succès dans les années cinquante et soixante avant de refluer derrière d’autres vagues, cet artiste au caractère fort, parfois difficile, a maintenu à la fois le cap de sa recherche plastique et la primauté de son œuvre dans un univers ouvert à tant d’autres propositions.

Fontaines place Dizengoff à Tel-Aviv, Israël. Agam

Inscrit à l’atelier d’art abstrait de Jean Dewasne et Edgar Pillet,  Agam, fixé à Paris en 1951, commence à s’intéresser à l’art cinétique. Il rencontre Fernand Léger et Auguste Herbin.
En  1955, Denise René propose une exposition qui, avec le recul du temps, apparaîtra historique :  Le Mouvement ». Pontus Hulten met en avant Agam, Pol Bury, Alexandre Calder, Marcel Duchamp, Jésus Rafael Soto, Jean Tinguely, Victor Vasarely. Une pancarte avertit les visiteurs : « Prière de toucher ! » De l’historique Marcel Duchamp avec sa « Rotative demi-sphère» à Alexandre Calder et ses mobiles, tous les aspects du mouvement réel se côtoient. A leurs côtés, puisant eux leurs origines dans le néoplasticisme et l’art géométrique, Vasarely et Agam ouvrent un champ d’investigation nouveau.

«L’oeil sensible »

Apothéose pour le mouvement rétinien, une exposition emblématique à lieu au Museum of Moderne art de New York en 1965 : « The Responsive eye ». Autour de ce thème de «L’oeil sensible », on présente, d’Albers à Vasarely, toute la chaîne des artistes qui ont compté pour révéler cette tendance de l’art du temps, parmi lesquels Agam, Carlos Cruz-Diez, François Morellet, Bridget Riley. Le succès public de l’événement confirme l’engouement pour cette forme d’art ludique si bien acceptée au quotidien. Alors que dans les œuvres des artistes cinétiques, les éléments mouvement, dans celles de mouvement, dans celles de Yaacov Agam, c’est le déplacement du spectateur par rapport à l’œuvre qui génère ce mouvement. Les tableaux de cet artiste sont souvent construits à partir de prismes triangulaires : une face est fixée sur la surface plane de la toile, les deux autres sont peintes avec des motifs géométriques qui créent des effets visuels variés selon l’angle de vision aléatoire du visiteur de l’exposition.

Matteo Rosselli

Ce procédé n’a pas été inventé par l’artiste. On retrouve cette technique dans deux tableaux, « curiosités optiques« , créés par Matteo Rosselli au XVll ème siècle, conservés au Musée episcopal de San Gimignano en Italie. ll s’agit de deux portraits « Le christ & Marie-Madeleine, san Francesco & sta chiara »,combinés sur les faces de cornières assemblées à quarante cinq degrés, portraits qui sont visibles successivement selon que le spectateur se place à droite ou à gauche du tableau.

En revanche, Agam, notamment avec l’usage de la couleur, a donné une suite à cette recherche non seulement à l’échelle du tableau mais également en direction de l’architecture, comme c’est le cas du bassin de la Défense à Paris.
Mais sa curiosité artistique a ouvert d’autres voies. Son oeuvre de sculpteur fait appel à un mouvement réel intermittent. La sculpture apparemment statique peut voir sa configuration modifiée et offrir au regardeur un aspect très différent au gré des modifications apportées au fil du temps.

Je garde, personnellement, le souvenir de cette rencontre où l’artiste, ouvrant une petite malette mystérieuse, en sortit une série de pièces à la forme identique mais aux tailles différentes. Comme un prestidigitateur, Agam me montra, en quelques tours de mains, des dizaines d’agencement possibles, offrant autant de propositions de sculptures dont la monumentalité était évidente en dépit de la taille des pièces.

Fils de rabin, Agam respecte l’interdiction de toute image gravée de la réalité.:
Pour lui, « Les formes et les couleurs apparaissent, fusionnent ou disparaissent selon l’évolution de l’orchestration visuelle. Partant d’une image « minimaliste » j’aboutis à une expression « maximaliste », ce qui ne peut être fait avec une œuvre statique en deux dimensions ».
Agam, au-delà de l’histoire de l’art, au-delà de l’illusion, a poursuivi imperturbablement dans sa voie engagée il y a soixante ans, celle d’un art où l’illusion optique et l’illusion du mouvement pourraient accéder à sa quête spirituelle toujours sous-jacente dans son discours et dans son intention.

Photos Agam: Wikipédia

Agam dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

Portraits

Claude Lazar, hors champ.

Le lieu est encore vide. Dans quelle époque sommes-nous ? Attendons nous la silhouette de Marcel Carné, la voix de Jean Gabin, le visage de Michèle Morgan ?
Sans personnage visible, ce cadre semble pourtant habité par de nombreux fantômes.
Il ne s’agit pas, cependant, d’un décor de cinéma mais d’une toile  de Claude Lazar.

« Dernière ligne droite » Huile sur toile 2005 Claude Lazar

 

Un Français à New-York

Peintre Français, Parisien, Montmartrois, Claude Lazar est surtout reconnu dans son art aux Etats-Unis. Né à Alexandrie et émigré en France à l’âge de dix ans à la suite de la nationalisation du canal de Suez, Claude Lazar est bien un peintre français, devenu un Parisien confirmé, dont l’atelier sur les hauteurs de Montmartre renforce l’identité. Après ses études secondaires, il suit des cours à l’Académie de la Grande Chaumière. Il entre ensuite à l’École des métiers d’art.
Son implication dans l’histoire de son pays est manifeste : Les événements de mai 1968 déclenchent son engagement politique : « Collectif  Cinéma Vincennes » , colloque « Pour un Front culturel révolutionnaire » organisé par les Cahiers du Cinéma pendant le Festival d’Avignon en 1973. Il y rencontre un groupe d’artistes subversifs le FAP (Front des artistes plasticiens) avec lequel il participera à de nombreuses manifestations : Front culturel, dénonciation de la CAVAR, LIP, Camp Juers au Larzac, création d’un atelier populaire de sérigraphie, exposition Chili contre la dictature, etc…
En 1974, il adhère au Salon de la Jeune Peinture et participe au Collectif Anti Fasciste . En 1978, après l’assassinat, à Paris, de son ami Ezzedine Kalak représentant de l’ O.L.P., il décide d’abandonner tout militantisme et entre à la galerie Jean Pierre Lavignes.
L’oeuvre du peintre va prendre sa véritable identité, faite de décors le plus souvent vides : une vieille cuisine, un vieil appartement sans meuble,  une fenêtre sur rue, quelques valises en attente.  Les personnages de Claude Lazar sont toujours hors champ mais imprègnent ces endroits déserts.

Huile sur toile Claude Lazar

 

Si Claude Lazar a reçu aux Etats-Unis un accueil privilégié pour un peintre Français, c’est  peut-être qu’un point commun relie ces deux cultures : le cinéma, son histoire, sa mythologie.
Au  moment où à Paris la cinémathèque Française s’apprête à ouvrir une grande exposition en hommage aux « Enfants du Paradis », c’est tout ce cinéma des années quarante  qui ressurgit dans les oeuvres du peintre. Et si dans ce décor si proche de l’Hotel du Nord on entend pas la voix d’Arletty, il y a pourtant une certaine atmosphère….

Claude Lazar dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

 

Photos Claude Lazar