Pour sacrifier à la période des fêtes, l’artiste Jérôme Mesanger vient de créer une bûche de Noël avec le personnage blanc qu’il a promené sur la terre entière, des rues de New-York à la muraille de Chine. Le Street art, depuis quelques temps, a abandonné sa liberté contestataire pour regagner sagement les cimaises des centres d’art et se conformer aux codes de la société de consommation. Dans un précédent article, j’évoquais l’exposition « Mmmm… ! » au Centre d’art contemporain de Pontmain sur le thème de la gourmandise dans l’art.

Eat art
Ce rapport de l’art à la nourriture n’est pas nouveau. Depuis Le Manifeste de la cuisine futuriste publié en 1930 par Filippo Tommaso Marinetti, depuis l’Eat Art de Daniel Spoerri, les références sont nombreuses.Le 27 Octobre 70 à l’occasion du dixième anniversaire du Nouveau Réalisme célébré à Milan, Daniel Spoerri organise « L’ultima Céna » le banquet funèbre du nouveau réalisme. Pour chaque artiste, il imagine un menu correspondant à sa spécialité artistique : pour Arman une accumulation d’anguilles et de poissons, pour César une compression de bonbons à la liqueur, pour Christo : un menu empaqueté. Daniel Spoerri multipliait déjà les banquets depuis plusieurs années. Le premier d’entre-eux a eu lieu le 10 mars 1963 à l’occasion de l’exposition « 723 ustensiles de cuisine » à la galerie J à Paris. Il fut suivi d’événements à Bâle, Zurich, Berlin, Cologne, Milan. En 1970, lorsque Claude et François-Xavier Lalanne proposent au Restaurant Spoerri : Le Dîner Cannibale., le repas proposait de manger, non pas de la vraie chair humaine, mais son simulacre.Claude Lalanne avait créé une technique pour fabriquer des moules en cuivre de la totalité d’un corps. L’artiste sera ainsi moulé de la tête aux pieds et les formes de cuivre seront dorées pour ne pas être nocives.
Autre dîner, selon le principe du palindrome qui se lit indifféremment de gauche à droite ou de droite à gauche, il s’agit d’un dîner « renversé ». Si, visuellement celui-ci commence par son terme avec le café et les gâteaux pour remonter jusqu’aux hors d’oeuvres, il se déroule sur le plan du goût selon l’ordre classique des plats. Le repas débute ainsi par un cigare, imité par une sorte de petit pain allongé, très cuit, le café est un bouillon de champignons concentré et noir.
« Pour clore, on apporte une grande table recouverte d’un carrelage en chocolat noir et blanc, jonché du contenu d’une poubelle renversée, également en chocolat », explique l’artiste. C’est en 2002 au Jeu de Paume à Paris que sont repris un certain nombre de ces dîners:

Art digestible, Le dîner des homonymes, Le dîner des nouveaux réalistes – l’ultima cena, « Oh cet écho ! » le dîner palindrome hommage à André Thomkins, Le dîner cannibale de Claude et François-Xavier Lalanne, Le dîner surprise, Menu hommage à Raymond Hains, « Les oeufs sont faits », Le dîner du haut-goût.
Le déjeuner sous l’herbe
Le 23 avril 1983, dans le parc du château du Montcel à Jouy en Josas,entretenu par le mécène Jean Hamon et qui allait peu après devenir pour un temps celui de la Fondation Cartier, Spoerri organise un banquet réunissant une centaine de personnes du milieu de l’art contemporain d’alors. Au cours du repas, les plateaux des tables sont emmenés et déposés au fond d’une tranchée d’une quarantaine de mètres de long que vient de creuser une pelleteuse. Tout est laissé en place : nappes, assiettes, couverts, verres, bouteilles, plats, vases de fleurs et même objets personnels intentionnellement déposés. Puis on recouvre de terre, d’abord à la pelle, puis à la pelleteuse, l’ensemble du repas, baptisé Déjeuner sous l’Herbe en référence à celui de Manet. Depuis cette année 1983, le banquet de Daniel Spoerri s’est décomposé. Pour en étudier les vestiges, vingt-sept ans plus tard, les premières fouilles archéologiques de l’histoire de l’art contemporain ont été organisées, sous l’égide de l’artiste…
Daniel Spoerri dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain
Photo les Oeufs sonts faits : Site Daniel Spoerri