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Tous les chemins mènent à Roland Baladi

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A propos de Roland Baladi, c’est une sculpture très singulière qui m’avait dans une premier temps alerté : l’artiste a sculpté en 1998 une « Sonorette » en marbre de Carrare, d’après un modèle de récepteur de télévision des années cinquante. Puis je découvre « The marbelous Cadillac 1985-2009″, somptueuse limousine américaine figée elle aussi dans le marbre de Carrare. Cette auto-immobile nous suggère un univers dont on ne sait pas s’il représente le vestige fossilisé d’une civilisation disparue ou l’annonciateur inquiétant d’un futur pétrifié.
Pour cet artiste qui s’est mesuré également à l’art vidéo, ce jeu de bascule entre différentes approches du réel n’en finit pas d’interpeller. L’artiste me donne à lire un écrit intitulé : « Tous les chemins mènent à l’unique objet de mon ressentiment ». Et l’aventure de Michael et Jello, à l’opposé des histoires immobiles que racontent ses sculptures, décrit l’errance de ce couple entre France et Etats-Unis. Pour ces deux étudiants d’art, elle parisienne, lui new-yorkais, ce cheminement entre l’Amérique et la France prend également l’allure d’une quête en direction des lieux de l’art, des galeries, centres d’art, portant témoignage sur la difficile approche pour les artistes de ces lieux convoités. Ce Road-trip, au style alerte, se nourrit des rencontres, des personnages croisés au gré de ce périple dans l’art vivant.

« The marbelous Cadillac 1985-2009 »

Au terme de cette lecture, c’est ce contraste qui interpelle : entre les sculptures figées dans le marbre de Carrare et la fébrilité permanente des personnages de ce premier roman, où trouver l’identité réelle de l’artiste ? A défaut de mener à Rome, tous les chemins de l’écrivain-artiste, de Carrare à Monterey, parcourent cette interrogation. Roland Baladi a créé le festival vidéo Bandits Mages, a exercé comme professeur à l’Ecole nationale des Beaux-arts de Bourges. Il faut se faire une raison : l’artiste semble avoir trouvé un malin plaisir à jouer sur cette ambiguïté. La sculpture, dans ce qu’elle a d’indestructible et la vidéo dans ce qu’elle montre d’éphémère, restent donc les composantes de son itinéraire. Et le roman témoigne de l’époque où ce chemin se cherche, où règne l’incertitude. Au bout du compte, il semble bien que le parcours est plus important que la destination, que les chemins de Roland Baladi mènent à lui-même.

Photo de l’artiste

« Tous les chemins mènent à l’unique objet de mon ressentiment »
Roland Baladi
Version brochée : 13 € – ISBN 9791069901360
226 pages – disponible en librairie en ligne

Livres

Notre Dame des Arts


« 15 avril 2019. Visions d’artistes »

Pour les artistes contemporains, la figure imposée fait partie des exercices pour lesquels ils sont assez fréquemment sollicités. C’est l’occasion pour eux de donner libre cours non seulement à l’imaginaire mais souvent également à l’espièglerie ou à la dérision. En donnant comme événement à traiter l’incendie de Notre Dame de Paris le 15 avril dernier, l’initiative des Editions Jannink s’appuie sur la préexistence de l’une de leurs éditions : « Ce sont les artistes publiés entre 1992 et 2017 dans la collection
 » L’art en écrit » que nous avons interrogés. Hormis la trentaine qui ne sont plus – Aurélie Nemours, Morellet, Opalka, Messagier, Soto, Kounellis, Saura, Topor et d’autres au talent équivalent –, hormis ceux ayant déclaré ne pas s’intéresser au sort de Notre-Dame, ou trop occupés, quarante-quatre d’entre eux livrent ici leur vision. « 
Il ne fallait donc pas s’attendre à un hommage déférent de la part de tous ces artistes de générations différentes. Les propositions rassemblées dans le livre témoignent d’un joyeux désordre.
« 15 avril 2019. Visions d’artistes« , c’est la réunion de plasticiens de plusieurs générations, anglais, néerlandais, argentins, espagnols, français, belges, mais aussi russes, grecs, américains ou turcs. De Fernando Arrabal à Christian Zeimert, en passant pas Daniel Dezeuze, Julio Le Parc ou encore Jacques Villeglé, on devine combien un tel regroupement rendait ingérable toute classification malgré la tentative de l’éditeur.

The Great Swindle, 2019 Philippe Perrin
Technique mixte sur papier

Si Daniel Dezeuze voudrait voir la flèche de Viollet Leduc surmontée d’une boule giratoire diffusant de l’encens jour et nuit, Gilles Barbier se débarrasse promptement du projet en substituant un symbole phallique à cette même flèche de Viollet Leduc : » Quand même, s’appeler Viollet-le-Duc et construire une flèche au coeur de Notre-Dame, il fallait y penser ! Freud n’aurait pas détesté. Mais bon, ça doit rester entre nous et Sigmund  » écrit-il. Joël Ducorroy ne déroge pas à son statut d’artiste « plaquetitien » en composant une Notre Dame en plaques d’immatriculations revisitées.

The Great Swindle

Philippe Perrin , avec « The Great Swindle »2019 dénonce avec sévérité « une grande escroquerie ». « On nous cache tout on nous dit rien. On nous informe vraiment sur rien ». L’approche complotiste aurait-elle sa place dans l’incendie de Notre Dame ? Les projets de restauration et de reconstruction de la cathédrale ont déjà donné lieu aux controverses et aux débats enflammés (pardon!). Dans le livre des éditions Jannink il s’agit bien davantage d’un exercice de style, chacun jouant sa propre partition pour se distinguer dans le décalage, le jubilatoire.
Pour sa part, Peter Downsbrough , avec son admirable rigueur combinant les éléments linguistiques et géométriques, propose, égal à lui-même, une radicale construction de formes et textes qui aurait pu autant rendre hommage au drame des Twin Towers de New York.

Matthieu Laurette 2019

Un petit coup de coeur personnel pour Matthieu Laurette, artiste qui établit son champ d’intervention dans l’espace public : Ainsi dans Money-back Products, il collectionnait les produits étiquetés «satisfait ou remboursé » afin de vivre gratuitement et de dénoncer la société de consommation. Depuis 2009, il alimente un compte Twitter en inscrivant inconditionnellement le même message : « I am still alive ». Son apport à l’ouvrage « 15 avril 2019. Visions d’artistes » se manifeste avec une vue d’un écran de téléphone portable sur lequel le correspondant vit en direct l’incendie de Notre Dame.
Entre l’architecture centenaire de Notre Dame en proie aux flammes et le dialogue virtuel entretenu par l’artiste avec son correspondant inconnu, un étonnant raccourci temporel s’établit. Il n’est plus question de projet de reconstruction, de débats d’architectes. Place à l’émotion, au vécu immédiat.
Légère comme une plume, l’intervention de Matthieu Laurette voudrait-elle nous dire que l’éphémère est éternel ?

« 15 avril 2019. Visions d’artistes »
Editions jannink
127 rue de la Glacière
75013 Paris
http://www.editions-jannink.com

ISBN : 978-2-37229-038-8. © éditions jannink, 2019
Diffusion
Les presses du réel
35 rue Colson
21000 Dijon
http://www.lespressesdureel.com







Livres

Alix Delmas : « Là où je ne sais pas encore. »

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« Alix Delmas, captures « 

Comment ne pas souligner le fait que l’atelier d’Alix Delmas se situe rue Marcel-Duchamp à Paris ? Quand bien même cette localisation serait le fruit du hasard, on sait bien que le hasard n’est pas très hasardeux. Et si l’artiste quitte les Beaux-arts de Paris en 1988, diplômée mention très bien, assurément la peinture n’offre pas à son champ d’investigation le médium approprié. Quand la revue Verso consacre sa présence en 2003 dans le dossier « Ils ne se disent pas peintres, ils ne se disent pas photographes » Alix Delmas a déjà emprunté une voie singulière dans laquelle le jeu du corps occupe une place essentielle et pour laquelle la photographie devient un outil décisif. L’ouvrage qui vient de paraître « Alix Delmas, captures » retrace cet itinéraire atypique, dérangeant au regard des références normées mais également fertile pour les yeux et la réflexion.
L’artiste utilise, au gré de ses investigations, le dessin, la sculpture, l’installation, la photo ou la vidéo. et en parcourant vingt années de ce travail, l’ouvrage permet de relier les différents moments de cette production multiforme. L’investissement personnel de l’artiste passe très tôt par la présence de son propre corps engagé dans des performances photographiées et fixées sur de grands formats.
Cette constante de la présence du corps se vérifie régulièrement dans les séries nouvelles. Les corps en général, le sien, ceux de ses modèles et finalement ceux des spectateurs participent à ces mises en situation inattendues, déstabilisantes souvent.

L’utilisation des gélatines colorées, à partir de 2005, apporte, me semble-t-il, une dimension nouvelle à ce travail en créant un espace scénographique séduisant. Pour ces captures d’un nouveau genre, c’est la vision du regardeur qui se trouve captée et envoutée. C’est à travers ce filtrage coloré que les corps transfigurés prolongent le travail déjà entrepris dans les séries précédentes.

D 106 Vidéo 2007

La vidéo participe au développement de cet objectif. Dans « D106 » quatre projecteurs couverts de gélatine rouge, verte, jaune et bleue sont fixés sur le capot d’un 4X4. Le véhicule quitte alors l’atelier pour illuminer avec ces faisceaux colorés la D106, la départementale auvergnate. « Ainsi l’expérience intègre de nouveaux accessoires d’éclairage (phares de voitures, soleil…) et quitte l’espace intérieur pour interroger d’autres territoires extérieurs : paysages nocturnes, piscine, littoral, rivage.. « 
Avec les textes et entretiens d’Anne Bertrand, Paul Ardenne, Barbara Wally et Jean-Jacques Larrochelle l’ouvrage met à disposition du lecteur une large évocation de ce travail qui présente aussi ses difficultés pour l’artiste : »C’est vrai que l’étiquette d’artiste inclassable n’est pas facile à porter. » confie Alix Delmas. Ce qui ne la dissuade nullement de persévérer sur cette voie à risque «  L’important pour moi est d’aller encore plus loin, où je ne suis pas encore, là où je ne sais pas encore« .

Alix Delmas
Captures
Editions LOCO

278 pages
ISBN : 978-2-84314-009-9


Livres

Richard Texier : l’hypothèse du ver luisant

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C’est avec son œuvre de peintre et de sculpteur que Richard Texier a tracé sa route depuis près d’un demi-siècle. Aujourd’hui c’est d’un livre qu’il sera question avec la parution de « L’hypothèse du ver luisant ». Richard Texier propose-t-il un écrit sur la peinture ? Non. L’artiste nous parle d’enfance, de découvertes, du langage secret des pierres, des oracles de son oncle Henri. Il évoque ce jour où il aurait pu disparaître définitivement englouti dans un estran boueux. Car cet enfant a grandi au bord de l’Océan, a parcouru le marais poitevin, et lorsqu’il ne vit pas à New York ou à Pékin, c’est dans un île que ce nomade se pose. Pour l’avoir rencontré il y a de nombreuses années, je n’ignore pas que l’artiste a nourri son œuvre de cette relation au monde dont il fait état dans « L’hypothèse du ver luisant ». Cet émerveillement devant l’énigme à laquelle nous sommes tous confrontés colore son écrit, interpelle ce mystère de l’espace et du temps qui se confondent « Il faudra une force colossale pour les séparer, l’énergie libératrice du Big Bang. Quel bébé malicieux a bien pu taper dans cette soupe primordiale ? » s’exclame-t-il.
Depuis plus de quarante années, Richard Texier interroge avec sa peinture ce mystère insondable et se penche sur la fragile présence humaine sur la terre « Des milliards de lampyres illuminent les fourrés de notre confusion. Sommes-nous l’ébauche d’une tentative, l’hypothèse d’un ver luisant scintillant dans la nuit cosmique ? ».

Entre la terre, le ciel et la mer, ce peintre inclassable a développé une œuvre toujours à la conjonction de ces questions sans réponse. Entre le chaos originel et le Cosmos en expansion infinie et incompréhensible, ses toiles jalonnent cette énigme, pour ne pas dire ce miracle de notre présence au monde. Richard Texier a mis ses pas dans les traces de ceux qui ont, avant lui, tenté de déchiffrer l’univers, que ce soit avec leurs cartes du ciel ou avec leurs cartes marines. Il s’est inspiré de ces aventuriers partis sur des mers inconnues sans savoir s’il y avait une destination possible.
Au terme de son écrit, le peintre écrivain lâche pourtant quelques mots au sujet de sa peinture :« Je crée des œuvres pour découvrir ce qui s’agite dans on chaudron intime. Au feu de la passion, porté à ébullition, il m’aide a rendre visible, à révéler les forces qui naviguent dans mon magma mental. Peindre des tableaux est un vertige qui n’a cure des arrangement esthétiques et des compositions séduisantes ». Assurément la peinture est sa façon de recourir à la philosophie par d’autres moyens, pas pour ses réponses mais pour ses questions. Dans son atelier de l’île de Ré, en relation permanente avec la terre et la mer, cette quête perdure. Quelque part, au bord de la côte, un ponton de pêcheur lui offre une refuge privilégié.

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Richard Texier occupe une place singulière dans l’espace artistique en France. J’imagine que cette question ne le soucie nullement et que la qualification d’art contemporain n’est pas un sujet de préoccupation pour lui. Insulaire mais pas isolé, l’homme poursuit son chemin, jouit d’une notoriété internationale forte et continue, jour après jour, à interroger l’univers. « L’hypothèse du ver luisant » ajoute une pierre sur ce chemin pour tenter de ne pas se perdre et de continuer à peindre et écrire.
Pour reprendre les termes d’un article d’il y a quelques années : S’il peint à Moscou ou à New York, isolé dans le phare de Cordouan ou dans l’ancienne criée du port de La Rochelle, qu’il expose à Shanghai ou à Amsterdam, pour l’ artiste devenu «peintre officiel de la marine », ce ponton bleu de pêcheur, les pieds dans l’Atlantique reste peut-être le lieu où il préfère, sur son carnet de dessins, jeter l’encre…

« L’hypothèse du ver luisant« 
Richard Texier

Gallimard mai 2019
ISBN : 9782072852794

Livres

Quand Fromanger annonce la couleur

C’es l’approche d’un artiste indocile, voire irréductible que le livre de Laurent Greilsamer, qui vient de paraître dans la collection « Témoins de l’art » chez Gallimard, tente de cerner.
L’idée même de voir Gérard Fromanger participer à un livre sur sa personne n’était pas acquise et il a fallu à l’auteur des entretiens faire preuve de conviction pour faire aboutir l’ouvrage.
Ces conversations arrivent à point nommé alors que se multiplient en ce mois de mai 2018 les évocations de la participation des peintres à l’atelier populaire des Beaux-arts de Paris en mai 68. Ce moment fort pour l’ensemble des participants l’a été également pour Gérard Fromanger. Mais c’est d’abord sur le parcours de jeunesse que ces entretiens reviennent. Il y a sept générations de peintres chez les Fromanger. Au point que Gérard se sent obligé par cette histoire. Après l’enfance et les études en Normandie, le parcours de celui qui s’engage dans la peinture commence par une séquence de dix huit jours à l’école nationale des Beaux-arts de Paris. Dans cet univers où dominent Buffet et Brayer; Fromanger attend Pollock, De Koning et Kline : « Yves Brayer, c’était les petits chevaux de Camargue pendant qu’il y avait la grande peinture à New York, influencée par le surréalistes, venu d’Europe. Donc salut ! » Assurément la participation de Fromanger à l’atelier populaire des Beaux-arts en mai 68 restera comme un ancrage dans la relation que l’artiste établit avec le monde pour la suite de son œuvre.
« Mai 1968 et l’Atelier populaire ont permis à la société française de comprendre qu’elle avait des artistes contemporains autres que Buffet et Brayer » explique-t-il. Désormais la façon de repenser la peinture passe, pour lui, par cette stratégie de la couleur qui traversera toute son œuvre jusqu’à aujourd’hui. Cette stratégie s’exprime dans une relation au monde clairement désignée : « Je suis dans le monde, pas devant le monde ».
Ce chemin sera jalonné de rencontres privilégiées : César, Giacommetti, Alain Jouffroy, Gilles Deleuze, Michel Foucault, Felix Gattari, Régis Debray, Michel Onfray notamment. De tels échanges auront leur importance dans ce cheminement que décrit Olivier Zahm : « Gérard Fromanger pense et peint. On pourrait dire qu’il fait les deux ensemble, mais non : il travaille à la conjonction peinture et pensée ».
Si les relations de Fromanger avec les artistes et les intellectuels se sont révélées enrichissantes, avec les institutions il en va tout autrement. Toujours attentif à sa liberté, le peintre entretient avec ces institutions des rapports assez tumultueux comme en témoigne notamment le projet avorté d’un plafond au Louvre pourtant promis par les plus hautes autorités de l’état. Plus récemment un projet de vitraux financé par un mécène pour une église romane avorte, après une rencontre dans son atelier avec l’évêque auquel il ne cède rien.
Depuis le début des années quatre-vingt, Gérard Fromanger partage sa vie entre son atelier de la Bastille à Paris et celui de Toscane dans lequel ont vu le jour les grandes séries qui jalonnent son œuvre. Les entretiens témoignent de cette situation à la fois de présence et d’absence dans le monde de l’art. On ne trouve pas hélas dans l’ouvrage de question sur les relations que l’on sait turbulentes entre les partenaires de la Figuration narrative. Ce point aveugle dans le livre nous laisse un peu sur notre faim.

« Annoncez la couleur ! « 

Dans deux semaines s’ouvre à l’Arsenal de Soissons l’exposition « Annoncez la couleur ! » avec Gérard Fromanger. La photographie occupe une place déterminante dans son processus de création. « Annoncez la couleur ! » met l’œuvre de Fromanger en perspective avec celle du trop peu connu Louis Ducos du Hauron, dont l’invention de la photographie couleur en trichromie en 1869 fut décisive dans l’aventure de notre image contemporaine. Dans le même temps cette expression caractérise le positionnement d’un artiste indocile, attaché à son indépendance et à sa liberté ce qui ne crée pas que des amitiés au gré des circonstances, des polémiques.
Cette propension à annoncer la couleur signe à la fois une personnalité et une œuvre, toutes deux engagées dans cette quête de liberté.

« Fromanger, de toutes les couleurs ».
Laurent Greilsamer
Collection « Témoins de l’art »
Gallimard publication mai 2018

Gérard Fromanger dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

Livres

La solitude du curateur de fond

« Journal d’un curateur de campagne »

Directeur artistique au Carré Sainte-Anne à Montpellier, Numa Hambursin, en regroupant dans ce livre des articles, préfaces, écrits inédits, apporte un témoignage sur cette activité au statut incertain, aux contours flous et même à l’appellation variable : curateur ou commissaire d’exposition.

D’ailleurs comment devient-on curateur? Le terme est ingrat et guère explicite à lui seul. Dans le cas de l’auteur, il faut convenir qu’avec une mère galeriste depuis quarante ans le penchant familial plaide en faveur de la non préméditation. Si bien que cette prédestination quasi naturelle éloigne la question du pourquoi. Le jeune critique d’art et commissaire d’exposition croise donc très tôt les artistes, fréquente les lieux d’exposition, découvre le milieu de l’art de son temps. Il ouvre sa propre galerie à Montpellier avant d’être nommé à trente ans en 2010 directeur artistique du Carré Sainte-Anne dans sa ville. Cette position privilégiée dans un lieu remarquable pour sa nouvelle vocation en direction de l’art contemporain devrait apporter à son bénéficiaire une assurance certaine, la conviction chevillée au corps d’officier avec justesse dans cette voie royale. Pourtant Numa Hambursin, dans son « Journal d’un curateur de campagne », fait état de ses doutes, de ses hésitations, de ses ressentiments parfois envers le monde dans lequel il baigne pourtant depuis sa jeunesse.

Les hussards noirs de l’art contemporain

Dans son ouvrage « L’invention du curateur », Jérôme Gliscenstein écrivait : « L’un des traits les plus marquants de la reconnaissance du rôle des curateurs depuis une vingtaine d’années tient ainsi à la création d’un monde du curatorial ou d’une culture de l’organisation d’expositions  »
Il y aurait donc bien un fondement organique légitimant cette fonction nouvelle à la fois enviée et décriée. Les curateurs seraient-ils les hussards noirs de l’art contemporain comme les instituteurs étaient ceux de la république laïque naissante ? Numa Hambursin, à ce poste de curateur, éprouve cette inconfortable position de se trouver en première ligne sur une frontière instable, mouvante, confronté aux pouvoirs visibles ou souterrains,  aux oppositions tous azimuts, à celles des opposants à l’art contemporain comme à celles de ses propres thuriféraires. L’auteur n’est pas tendre avec ses confrères : « La critique d’art française, noyée depuis plus trop longtemps sous des considérations héritées des sciences humaines, finira par mourir de son cynisme froid, de ses prétentions scientifiques, de son manque de générosité et de simplicité ».
Quand bien même la condition du curateur doit être relativisée au regard de celle de mineur de fond, il reste que la position d’équilibre instable dans laquelle se trouve ce fantassin de l’art témoigne de la fragilité d’une telle activité. Lorsque l’auteur pour l’exposition « La Passion de Stéphane Pencréach » en 2010 « teste » volontairement ou non sa liberté d’expression avec une allusion à une plaisanterie douteuse lancée par le maire de Montpellier de l’époque Georges Frèche, le catalogue est passé au pilon avant même le vernissage …
Dans cette ville aujourd’hui ouverte à l’art contemporain avec notamment La Panacée et le futur centre MO CO, la vie du curateur n’est pas un long fleuve tranquille. Numa Hambursin ayant notamment essuyé le refus d’une exposition autour du philosophe et essayiste controversé Michel Onfray, annonce qu’il quittera ses fonctions de directeur artistique du Carré Sainte-Anne à la fin de l’année 2017.
Comme le livre est le témoignage  d’un amoureux de l’art dans sa diversité historique, je ne doute pas de la capacité du curateur, critique, galeriste à défricher de nouveaux territoires, à poursuivre sa route aux côté des artistes ses frères d’armes.

« Journal d’un curateur de campagne »
Numa Hambursin

ISBN978-2-9535052-1-4
Éditeur la Chienne
Publication 05/2017

Livres

Bernard Rancillac : « Devenir peintre »

rancillac-livreJournal (1956-1968)

C’est un moment d’histoire qui vient d’être publié avec le Journal (1956-1968) écrit par le peintre Bernard Rancillac, ce document inconnu et inédit accédant finalement à la publication avec l’accord du peintre, dans un ouvrage constitué pour moitié par un texte de Bernard Vasseur qui situe ce journal dans le contexte biographique de Rancillac, et pour  moitié les notes du journal.
Ces douze années sur lesquelles s’étendent ce témoignage vivant révèlent combien l’avènement d’une voie personnelle pour un artiste suppose de doutes, d’échecs, d’engagement total avant de pouvoir confirmer une identité véritable à travers une œuvre novatrice.
Dans ces années cinquante, en France, les peintres de l’abstraction tiennent le haut du pavé et, au-delà de la prééminence de quelques noms célèbres (parmi lesquels Hartung, Mathieu, Soulages), c’est l’art abstrait lui-même qui occupe presque tout le territoire artistique. Au Salon de Mai de 1957,  » Que d’abstrait ! que d’abstrait ! » clame Rancillac, jeune instituteur installé à Bourg la Reine et qui veut devenir peintre. Sans sombrer dans les clichés de « La Bohème », la vie est dure pour assumer au quotidien cette situation tout à fait improbable où seul le peintre en devenir peut se convaincre de cette nécessité intérieure à défaut de pouvoir la prouver immédiatement autour de lui. Ce qui nous retient plus particulièrement aujourd’hui, à travers ces notes précieuses, concerne le moment où quelque chose de nouveau se passe, après tant d’hésitations, de tentatives infructueuses, moment privilégié qui va déterminer toute la destinée d’une œuvre. Rancillac a compris qu’ « Un demi-siècle de peinture abstraite a totalement modifié, sinon la façon de voir, du moins la façon de faire de la peinture« . A défaut de pouvoir résumer en quelques lignes ce document, il faut lire comment la voie pour une nouvelle figuration qui ne porte pas encore son nom voit le jour, comment le recours à la bande dessinée offrira de nouvelles pistes pour quelque chose qui ne se soucie pas véritablement de figurer mais d’introduire dans une figuration renouvelée une dimension critique, comment la photographie avec le recours à l’épiscope donne à cette peinture un potentiel tout à fait novateur. Cette avancée se renforce avec l’apparition d’une envie collective d’agir. L’exposition « Mythologies quotidiennes » de 1964  concrétisera cette volonté « L’exposition « Mythologies quotidiennes » aura servi à cela : à rapprocher un certain nombre d’entre nous en  nous éclairant les uns sur les autres. »
Un mouvement prend naissance même s’il est discutable de voir « Mythologies quotidiennes » comme un marqueur historique restrictif de ce qu’allait devenir La Figuration narrative. On observera que Rancillac n’utilise à aucun moment dans son journal cette expression de Figuration narrative créée par le critique Gérard Gassiot-Talabot et qu’un certain nombre d’artistes présents dans « Mythologies quotidiennes » n’auront guère eu à voir avec le développement de ce mouvement ( Niki de Saint-Phalle, Jean Tinguely, François Arnal, Daniel Humair….).
Le journal de Bernard Rancillac s’arrête en 1968, année dans laquelle le mois de mai reste un point aveugle. On peut imaginer que le peintre, mobilisé dans l’action, délaissait quelque peu son journal.

La peau du monde 2014, tissu tendu sur châssis et feutre diam. 210 cm

Ce journal éclaire les débuts d’une œuvre qui s’est par la suite affermie, a rencontré le succès et a confirmé l’avènement d’une nouvelle figuration dans une époque où d’autres courants radicaux entendaient remettre à plat la réflexion sur la peinture.

«La peau du monde»

Aujourd’hui, en 2016, on peut voir à la galerie Jean Brolly à Paris comment Bernard Rancillac a abandonné le  matériau peinture pour recourir à une forme de ready-made que l’on attendait pas de lui: il tend désormais sur des châssis en bois, des tissus imprimés, une «peau du monde» dont l’agencement ne relève cependant  pas d’un geste hasardeux. Parfois le tissu tendu occupe la totalité du tableau de façon neutre sans conditionnement particulier. Quand on a suivi depuis quarante ans le parcours de Bernard Rancillac dans cette aventure de la Figuration narrative, ce travail récent a de quoi déconcerter. Il faudra attendre, en février 2017, la rétrospective Rancillac que la Musée de la Poste présentera hors de ses murs à Paris pour retrouver nos marques dans ce cheminement d’un artiste majeur de la Figuration Narrative qui aujourd’hui nous propose des tableaux sans peinture.

Photo: galerie Jean Brolly

« Devenir peintre »
Bernard Rancillac
Editions Hermann Paris 2016

Bernard Rancillac
« La peau du monde »
Du 24/11/2016 au 30/12/2016
Galerie Jean Brolly
16 rue de Montmorency
75003 Paris

Livres

Les années Templon

On a pu décrire « Le siècle Denise René », galeriste qui a traversé son époque au service de l’art cinétique. Il ne semble pas abusif d’évoquer les années Templon à l’occasion de la sortie du livre de Julie Verlaine « Daniel Templon ,une histoire d’art contemporain », tellement l’aventure du galeriste a accompagné tous ceux qui, depuis le début des années soixante dix, sont témoins de ce parcours totalement dédié au soutien de l’art de son temps.
9782081365582_DanielTemplon_Couv_ok.inddCar c’est bien une épopée liée à celle de l’histoire contemporaine en France que cet ouvrage très documenté relate à partir de l’ouverture de la galerie de Daniel Templon en 1966 au moment où les premiers craquements dans le paysage artistique européen annoncent les profonds changements qui vont intervenir dans l’art du temps. Déjà, lors de la Biennale de Venise de 1964 lorsque, au terme d’un investissement quasi militaire, les États-Unis bouleversent la donne et que Robert Rauschenberg  relègue au second plan le peintre Français Roger Bissière à qui le grand prix de peinture semblait promis, la puissance américaine prend le pouvoir sur l’art européen.
Très tôt Daniel Templon comprendra tout l’intérêt de prendre en compte un art mal connu en France et, en se rendant à New York, mettre en place une collaboration avec des artistes américains qui vont  donner  à sa galerie sa spécificité. Les noms de Carl André, Donald Judd, Frank Stella, Andy Warholl, Helmut Newton, Dan Flavin, Richard Serra, Robert Morris notamment, vont profondément modifier le regard de la génération des années soixante dix qui découvre là un univers nouveau. On apprend dans quelles conditions précaires Daniel Templon donne naissance à cette ouverture et organise ce premier voyage outre-atlantique en disposant de moyens financiers fort modestes.
Pour autant ce n’est pas seulement cet art venu d’Amérique que défendra le galeriste.  Dès 1968 apparaissent les noms de Michel Journiac, Jean-Pierre Raynaud, Christian Boltanski,  Jean Le Gac, Ben, Raymond Hains, Bernar Venet. C’est d’ailleurs ce dernier devenu New Yorkais, qui lui facilitera les contacts dans cette ville bouillonnante de créativité. Il faut se reporter à l’ouvrage pour tenter de cerner l’incroyable diversité de cette activité pendant un demi-siècle sans qu’il soit possible, pour autant, de désigner la ligne éditoriale de la galerie d’une façon unique comme il était possible de le faire pour Denise René. « Je n’ai jamais voulu me « spécialiser » dans une tendance dont on pourrait s’imaginer qu’elle serait la voie royale de la création au XXe siècle. Il n’y en a pas » affirme Daniel Templon. C’ est une notion encore mouvante d’ « art contemporain » qui positionne un cheminement dans une époque où apparaissent  « Supports-Surfaces », l’art conceptuel notamment. La vie de la galerie témoigne de celle d’une autre aventure avec l’avènement du Centre Pompidou qui attire comme un aimant les galeries parmi lesquelles celle de Daniel Templon, la croissance des années quatre-vingt puis les difficultés des années quatre-vingt dix liées à la crise économique. C’est aussi l’évocation de ce rêve déçu : la Fondation Daniel Templon dont le projet bien avancé pour la ville de Fréjus ne verra pas finalement le jour.
« Daniel Templon ,une histoire d’art contemporain »  n’est donc pas seulement la relation d’une histoire personnelle toujours vivante, faite de succès et d’échecs. C’est un moment dans l’histoire de la société française qui, à travers ce que l’on appellera désormais l’art contemporain, change en profondeur avec une génération de l’après-guerre dont la vague démographique participera à l’éclatement des repères sociaux et culturels. A la fois travail d’historien et de journaliste (avec les entretiens réalisés avec Daniel Templon) , cet ouvrage passionnant captivera, je crois, tous ceux pour qui l’art de notre temps n’est pas un long fleuve tranquille.

« Daniel Templon ,une histoire d’art contemporain »
Julie Verlaine

Collection Ecrire L’art
Flammarion 2016

 

 

Livres

« Michel Onfray ou l’intuition du monde »

Michel Onfray ou l'Intuition du monde - 1e couv HD« Michel Onfray est suspect, gênant parce qu’il lit trop et trop vite, écrit trop et encore plus vite. Comment faire quand on est loin d’être capable d’en faire autant ? »
Cet aveu d’impuissance d’Adeline Baldacchino, auteure de « Michel Onfray ou l’intuition du monde » venant de celle qui a pourtant beaucoup lu Onfray, ne peut que nous plonger dans davantage de    perplexité encore. Car si la personnalité publique de cet écrivain, philosophe, universitaire n’a pu nous échapper y compris à travers les nombreuses turbulences médiatiques récentes, l’œuvre reste plus difficilement accessible à la fois par sa densité et par sa complexité. Si bien que l’approche qu’adopte Adeline Baldacchino offre une solution pour s’immiscer pourtant dans cet univers : elle s’attache à une analyse, un décryptage d’un aspect moins connu, presque secret de Michel Onfray : la poésie. En envisageant trois aspects : poétique, érotique et éthique , c’est dans une balade inédite qu’elle nous entraîne.
Car c’est un véritable dépaysement que ce livre provoque : Michel Onfray, philosophe engagé et créateur de l’Université populaire, pourfendeur de la philosophie institutionnelle, est vu ici sous l’éclairage de cette relation méconnue au monde.
Pour ce philosophe, écrivain impliqué dans les conflits de son temps, l’auteure nous fait découvrir, par exemple, sa « Théorie du Sauternes » qu’il ne faut certes pas ranger dans le rayon Œnologie. Car il sera question du temps  » ontologique  » de la mort et de la transfiguration par la pourriture noble ou du temps  » hédoniste  » de la dégustation du chef d’œuvre qui, plus qu’un contenu, est donc un « contenant de mémoires « .
Si bien que, dans un si vaste univers, il est tentant de tomber du côté où l’on penche en choisissant encore une autre facette de Michel Onfray : son intérêt pour l’art de son époque. Adeline Baldacchino évoque cette face cachée de l’essayiste : « La porte esthétique est, elle aussi, assez secrète : sans doute l’une des plus passionnantes ramifications de son travail, démontrant une vraie finesse psychologique. » Les essais sur Vladimir Vélickovic, Ernest Pïgnon-Ernest, Gilles Aillaud, Valério Adami ou encore « L’Apiculteur et les Indiens » consacré à Gérard Garouste, témoignent de ce penchant. « Les peintres et les philosophes s’appartiennent  » dit le peintre Gérard Fromanger qui a dessiné l’illustration de couverture de l’ouvrage que lui a consacré Adeline Baldacchino.
Manquerait-il une corde à son arc ?  Michel Onfray peut devenir également commissaire d’exposition lors qu’il propose « Dix plus une » à Argentan en 2012, exposition dans laquelle les œuvres des artistes (dont Adami, Ernest Pignon-Ernest, Fromanger, Vélickovic, Garouste, Combas) permettent un croisement avec ses textes sur ces mêmes peintres.
Le livre d’Adeline Baldacchino ne se cache pas de l’admiration éprouvée pour son sujet et la personne de Michel Onfray avec qui elle s’est retrouvée dans le travail :  » J’ai voulu ce livre façonné par l' »émerveillement, qui est un autre nom de l’admiration; l’un des actes de la joie ».
Quand d’autres polémiques, d’autres combats immédiats remettront au centre des débats le Michel Onfray engagé dans son époque, il faudra repenser à la « Théorie du Sauternes » et se promettre de lire davantage ses écrits plus confidentiels.

 

Michel Onfray ou l’intuition du monde
Adeline Baldacchino

Editions Le Passeur, , 233 p
(ISBN  978-2368904220)

 

Livres

Le curateur, hussard noir de l’art contemporain ?

L'invention du curateur

Comme dans ses écrits précédents déjà évoqués dans ce blog ( » L’art : une histoire d’exposition », « L’art contemporain entre les lignes. Textes et sous-textes de médiation« ), Jérôme Glicenstein aborde dans « L’invention du curateur »  les conditions actuelles dans lesquelles le monde de l’art contemporain met en scène la création des artistes. C’est le personnage du commissaire d’exposition ou curateur qui se trouve analysé ici. Quel est le statut de cet acteur entre artiste et public ? Quelle est sa véritable fonction ?

Le curateur pour quoi faire ?

Au-delà des fonctions déjà occupées par les responsables institutionnels tels que les conservateurs des musées, c’est l’apparition et le développement d’un nouveau type d’intervenant qui change quelque peu la donne dans l’organisation de la scène artistique. Que fait donc ce personnage au nom étrange?  La première description possible ne semble guère poser de difficulté : « L’activité du curateur contemporain pourrait se définir a minima comme renvoyant à un ensemble de fonctions organisationnelles : choix d’œuvres ou d’objets, rédaction de textes de présentation, répartition des éléments exposés, programmation d’évènements... » On pourrait d’emblée préciser que sur le plan professionnel il n’existe aucun statut juridique du curateur.
En examinant la sociologie du curateur, on s’aperçoit que selon leur position institutionnelle ou indépendante, selon leur vocation de producteur ou d’auteur, ces partenaires de l’art contemporain disposent de pouvoirs variables. Ces pouvoirs peuvent être à l’origine de tensions, conflits, notamment avec les artistes. Jérôme Glicenstein considère que « L’un des traits les plus marquants de la reconnaissance du rôle des curateurs depuis une vingtaine d’années tient ainsi à la création d’un monde du curatorial ou d’une culture de l’organisation d’expositions« . Le nom d’ Harald Szeemann revient souvent dans l’ouvrage pour être celui qui a pu créer de toutes pièces, dans ses textes et entretiens, une figure de « faiseur d’exposition« . Avec pour conséquence de décréter que désormais avec l’intervention des curateurs  l’exposition « faisait sens par rapport à toute une tradition, de l’exposition« . La porte est dès lors ouverte à la production d’un discours du curateur voire même une «  théorie curatoriale« .

Les hussards noirs de l’art contemporain ?

Ce sont alors des questions en cascade qui peuvent découler d’une telle évolution : situation de la production artistique vis à vis de artistes eux-mêmes ?  Définition d’une histoire de l’art ?  Notion d’auteur d’une œuvre ? C’est dire si la situation de l’artiste se trouve quelque peu entamée par la présence de ce corps étranger dans la sphère de la création. Si bien que l’artiste a parfois opéré une mutation en devenant artiste-curateur, basculement conforté par l’existence d’œuvres uniquement  réalisées in situ comme celles de Daniel Buren, Felice Varini, Sarkis ou Claude Rutault pour ne citer que quelques exemples.

Harald_Szeemann_2001
Harald Szeemann 2001

Il faut lire le livre de Jérôme Glicenstein pour approfondir ce sujet complexe, évolutif, agité même. Le statut de l’artiste ne cesse de prendre en compte tous les paramètres qui interviennent aujourd’hui de façon contraignante : marché de l’art mondialisé, communication omniprésente, production institutionnelle des œuvres, médiation…
La situation du curateur indépendant n’est pas sans rappeler, me semble-t-il, celle du cinéaste-auteur de l’époque de la Nouvelle vague qui devait relever le challenge d’être à la fois auteur, metteur en scène, producteur. Commissaire d’exposition ou curateur, ce personnage désormais incontournable dans beaucoup de cas semble être le lieu géométrique des tensions sur une frontière agitée. Les curateurs deviendraient-ils les hussards noirs de l’art contemporain comme les instituteurs étaient ceux de la république laïque naissante ? Investis comme ces derniers d’une véritable mission ( ou se considérant comme tels) les curateurs auraient ils vocation à assumer la marche en avant d’une pratique artistique soumise à toutes les tensions, les contestation voire les agressions, fantassins en première ligne d’un combat incertain ?
Pour l’auteur il est encore trop tôt pour évaluer la véritable portée de cette mutation dans l’art contemporain : « La diffusion d’une culture du curatorial rendra peut-être possible un  jour l’appréciation à leur juste valeur des curateurs; en attendant il faut s’en remettre au hasard des rencontres proposées, heureuses ou malheureuses, prétextes à l’engagement; où à la rêverie, empruntes de beauté, de mystère ou de malentendus, dans toute leur irréductible complexité« .

 

Photo d’ Harald Szeemann  : Wikipedia

 » L’invention du curateur « 
Jérôme Glicenstein
Presses universitaires de France

  • ISBN : 978-2-13-065318-9
  • Collection « Hors collection »