Seuphor, libre comme l'art

Seuphor, libre comme l’art : Fernand Léger

Le blog des Chroniques du Chapeau noir poursuit la publication de « Seuphor, libre comme l’art », écrit par Claude Guibert sur la vie de l’écrivain, historien et artiste Michel Seuphor (1901-1999), de son vrai nom Fernand Berckelaers. Ce livre a été écrit en 2008 et sera publié intégralement à raison de quelques pages par publication, une fois par semaine.

Publication N°7

_________________________________________________________

Paris en trombe

De son odyssée éblouissante en Allemagne, Seuphor a également tiré une conclusion déterminante : seul Paris compte. A chaque rencontre, Peeters et Seuphor doivent répondre à des questions sur l’actualité parisienne, Anvers n’étant perçu que comme une proche banlieue de la capitale française. Il ne faut pas longtemps à Seuphor pour décider un premier voyage dans ce centre intellectuel de l’Europe.
Avant tout, ils doivent composer ce numéro quinze d‘ Het Overzicht riche de cette incroyable aventure berlinoise. La publication a franchi les portes à Berlin. Il faudra qu’elle ouvre, en France, celles des ateliers, des revues, de tout ce qui compte dans l’art. Un mois plus tard, Seuphor prend la direction de Paris. Arrivé gare du nord, quelle contraste avec le calme glacé de Berlin ! Prendre le métro ? Il hésite puis renonce. Dans le flot des voyageurs, on interpelle « Porteur ! Taxi, monsieur, taxi ! ». Il faut affronter Paris à pied. Valise dans une main, plan Taride dans l’autre, le jeune Anversois arpente les rues avec avidité. Il faut plonger dans cette ville sans hésitation. Boulevard de Strasbourg, les Halles. Paris grouille, fourmille. Il s’agit en premier lieu d’encaisser ce choc. Notre-Dame, la Seine. Quartier latin, boulevard Saint-Michel, enfin rue Champollion où il jette son dévolu sur l’hôtel Monaco pour point de chute.

Fernand Léger

Passée l’ivresse des premiers jours, Seuphor consacre sa première visite à Fernand Léger, fort de la réponse reçue de l’artiste à sa lettre d’introduction. Il n’a pas oublié les textes d’Apollinaire sur le peintre. A vingt-deux ans, tout paraît simple. Sans autre préalable, il se présente au 86 de la rue Notre dame des champs. Le peintre est absent. Déçu, il laisse sa carte avec un message. Bientôt, il reçoit à l’hôtel Monaco, un mot de Léger qui lui fixe rendez-vous à l’atelier pour le lendemain. Ponctuel, à onze heures le mardi, Seuphor se présente. Léger en personne, un pinceau à la main, lui ouvre. Quelque peu désarçonné, le jeune directeur de revue bredouille son identité, lui rappelle leur échange de lettres et invoque aussitôt le dernier numéro d’ Het Overzicht. Chaleureux, Léger l’accueille avec simplicité :

-« Ah ! je connais, vous me l’avez envoyé… entrez ! »

Avec son physique carré, la moustache noire, abondante, Léger concorde avec cette image du « paysan de l’avant-garde ». Dans l’atelier, un immense poêle à bois ronronne. De grands châssis, dos tourné, s’entassent sur les murs. Tout de suite, Seuphor remarque une petite toile posée sur un chevalet : « Le Remorqueur ». Il n’a rien vu de pareil : figuration bien sûr cette silhouette du personnage, du chien, cette architecture industrielle. Abstraction peut-être les figures géométriques de la machine, les silhouettes cylindriques de l’arbre ? Des formes circulaires se superposent et s’imbriquent les unes dans les autres dans une profusion de plans colorés. Les carrés s’opposent aux cercles, les pleins aux vides, les formes planes et géométriques aux modelés « tubulaires », les couleurs aux non-couleurs, le noir au blanc. Mais déjà Léger se mobilise pour un autre projet. Il veut réaliser un film Le ballet mécanique . Depuis qu’il a travaillé avec Abel Gance dont il a créé l’affiche de La Roue, maintenant qu’il termine les décors de  L’inhumaine  pour Marcel L’Herbier, le cinéma le fascine. L’époque est à la synthèse des arts. Dans la foulée des futuristes toujours à la recherche d’une peinture en mouvement, le cinéma lui apparaît l’outil idéal. Ce projet du  Ballet mécanique  le passionne : 

– «  Aucun scénario. Des successions d’images rythmées, c’est tout. Insister jusqu’à ce que l’œil et l’esprit du spectateur ne l’acceptent plus (…)J’ai pris des objets très usuels que j’ai transposés à l’écran en leur donnant une mobilité et un rythme très voulus et très calculés. Contraster les objets, des passages lents et rapides, des repos, des intensités, tout le film est construit là-dessus ! » ( « Autour du Ballet mécanique », 1924-25 in Fonction de la peinture )
Séduit, Seuphor quitte l’atelier au terme de leur entretien avec une superbe aquarelle, une étude d’oiseau pour le Ballet Mécanique que Léger vient de lui dédicacer.

Copyright Claude Guibert 2008

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s