Pour mémoire

John Christoforou : la couleur du néant.

« Nous n’avons qu’une ressource avec la mort : faire de l’art avant elle« .
Cette phrase de René Char est citée dans un livre consacré à John Christoforou qui vient de décéder hier.

L’enfer sur terre

Elle résume, je crois, la longue vie tourmentée d’un homme qui a connu nombre d’expériences douloureuses. Né en 1921 à Londres de parents grecs, après une enfance difficile (il perd sa mère neuf mois après sa naissance et son père à douze ans) et de brèves études à l’Académie des Beaux Arts d’Athènes, il retourne en Angleterre en 1938. Il passe cinq  années dans la Royal Air Force, années de l’enfer sur terre. Ce n’est qu’en 1949 qu’il expose pour la première fois à Londres et s’installe à Paris en 1960.

"Le poète égaré" John  Christoforou
« Le poète égaré » John Christoforou

Pour cet artiste qui présentait encore son œuvre  il y a à peine plus d’un an au château de Vascoeuil en Normandie,  on ne retiendra pas essentiellement que sa peinture fut qualifiée d’expressionniste et située dans une  Nouvelle figuration. Non,  l’essentiel de ce chemin est tracé par une ligne noire, obsédante à l’image de l’homme.
Ayant fait connaissance avec John Christoforou il y a plus d’une quinzaine d’années, c’est un homme au visage grave et à la voix d’outre-tombe que je rencontrai.  On ne peut pas ne pas rappeler, en l’évoquant, son action dans la RFA pendant la guerre. A dix neuf ans, affecté à une escadrille d’hydravions spécialisée dans le sauvetage des équipages abattus ou en détresse, il en gardera les images de la souffrance, des masques blêmes, de la peur . A vingt cinq ans, il était déjà porteur d’une mémoire faite de violences, de combats, de tourments. L’univers de John Christoforou est celui de l’enfermement, de la mort, de l’abîme, du  néant.

Le noir et le rouge

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Dessin à l’encre 1997 John Christoforou

Dans sa peinture, deux couleurs écrasent toutes les autres : le noir et le rouge. Mais le rouge n’est pas celui de l’amour. Il est celui du sang. Christoforou  donne le sentiment d’avoir parcouru cette longue vie comme un chemin de croix. Son discours n’est pas en reste :
 » On ne se fait pas l’illusion que l’art peut changer le monde, la qualité de vie. Mais il est possible que le besoin qu’éprouve l’artiste de faire de l’art, son ardeur, sa ténacité et ses tourments, puisse rencontrer ou répondre à un besoin chez d’autres individus qui cherchent le moyen d’extérioriser les terribles passions qui les rongent et les dominent. C’est la vérité tragique de celui qui essaie vainement de fixer les émotions qui le déchirent agonisant comme un mourant, avant d’être emporté par le néant. »
John Christoforou a vécu ainsi, dans cette vision d’un univers tragique et sans espoir. Ses références à Kafka sont nombreuses, obsédantes.
« La vérité la plus proche, écrivait Kafka, c’est que tu te cognes la tête contre le mur d’une cellule sans porte ni fenêtre. »
Chaque toile de Christoforou traduit cet enfermement, ce désespoir d’un enfer sur terre. On ne trouvera pas chez ce peintre des périodes présentant une évolution vers la lumière.  L’espoir n’existe pas. Seuls témoignent les titre de ses tableaux : « Crucifixion », « L’enfer du paradis », « Homme désespéré », « L’homme devant le néant », « Massacre »…
Si le noir est une couleur, alors celui de John Christoforou est le noir de la figuration comme le noir de Soulages est celui de l’abstraction . Mais si le noir de Soulages est porteur de lumière, celui de Chistoforou ouvre un gouffre sans fond, il est la couleur du néant.

John  Chistoforou dans l’Encyclopédie audiovisuelle de l’art contemporain

4 commentaires sur “John Christoforou : la couleur du néant.

  1. Pour avoir eu le privilège de parler quelques instants à cet immense artiste, je sais que Dieu était présent dans sa peinture. De là aussi la puissance de celle-ci. John a magnifié sa souffrance et la souffrance du monde, que Dieu en qui il croyait l’accueille et substitue le repos éternel aux grands tourments qui furent sa beauté d’âme et sa beauté d’art.

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  2. C’est aujourd’hui seulement, ce 6 juin, que j’apprends la mort en février de John Christoforou.

    Je l’avais rencontré plusieurs fois entre 1985 et 1990 dans son atelier après avoir découvert son œuvre lors d’une exposition à la Fondation Rothschild.

    J’avais ressenti pour la force de sa peinture un gout très vif que j’ai toujours; comme je continue à vivre avec l’une de ses toiles.

    Je citerais juste le titre d’une de celles-ci :  » Lumière des Ténèbres » puisqu’il y avait l’espoir que les hommes puissent quand même faire quelque chose de leur vie.

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