Expositions

Barbara Navi : « Sous tant de paupières »

Revivre, 2023, huile sur toile, 150 x 150 cm

Écrire que Barbara Navi nous a habitués, depuis ses années de peinture, à nous perdre dans sa narration ne serait pas exact. Sa démarche est le contraire d’une habitude, à l’opposé d’une méthode appliquée. Nous égarer dans sa peinture apparaît alors comme la seule attitude possible pour tenter d’appréhender ce qui fait la nature même de son œuvre.
Dans l’exposition « Sous tant de paupières » à la galerie Valérie Delaunay à Paris, cette approche se vérifie une fois encore. Nous savions déjà que la lecture d’une toile de Barbara Navi ne peut faire l’économie d’une analyse s’étendant à un ensemble de tableaux, un examen qui tente de révéler ces liens souterrains dessinant la trajectoire mentale d’une œuvre en mouvement.
La liberté que nous accorde la peintre en laissant ouvertes les fenêtres de ses tableaux sur un monde quelque peu énigmatique, chacun en disposera comme il l’entend pour entreprendre ce voyage, non seulement dans la peinture, mais aussi dans une relation au monde peut-être différente d’un individu à l’autre.
Pour avoir suivi Barbara Navi dans ces cheminements passés, ces rapports à la figuration, au réel, au mouvement, au temps m’apparaissent comme autant de questionnements sur la vision, terme ô combien double puisqu’il désigne à la fois une capacité physiologique et une aptitude conceptuelle. « Sous tant de paupières », formule empruntée à Rainer Maria Rilke, met en jeu, me semble-t-il, ce moment fragile entre vue et pensée, entre rêve et réalité. Réflexion et reflection se présentent comme les deux faces d’un sens à double sens : la vue et la conscience. Que se passe-t-il sous tant de paupières ? À nouveau Barbara Navi nous entraîne dans cette pérégrination qui vient de loin, qui se nourrit de tout ce qu’elle a vécu, lu, entendu, éprouvé. Au-delà de cette perception du monde, l’artiste se livre dans le même temps à une captation personnelle qui passe par les choix auxquels elle procède dans la quête des documents, des textes, des images, des musiques, des histoires, de tout ce qui cultive sa démarche.

Les témoins, 2024, huile sur toile, 146 x 114 cm

Au fil des toiles, l’errance dans laquelle elle nous engage ne peut être ressentie comme un égarement. Au contraire, au-delà d’un réel immédiat trop flagrant, l’artiste nous dévoile un univers où sa peinture fait voler en éclats une figuration dans laquelle elle refuse de se laisser enfermer par un réalisme illusoire. D’une toile achevée à une toile en cours de travail, cette même interrogation subsiste. Quel est donc ce moment où la vision mentale donne naissance à une image ? Comment ne pas rappeler une fois encore cette lumineuse analyse de Michel Foucault sur les peintres de la figuration narrative ?
« Une image saisie dans la trajectoire qui la mène de la photographie au tableau».

Pour l’artiste, cette image devient le lieu de passage vers un autre espace physique et mental. C’est dans cette trajectoire, décrite par Foucault, que se joue ce que le terme réducteur d’ « inspiration » clôturerait un peu trop vite. Pour la peinture, comme peut-être pour la philosophie, la question apparaît plus importante que la réponse. C’est ainsi que Barbara Navi nous invite à accepter ce voyage dans l’inconnu.
Et quand les paupières s’ouvrent sur ce réel revisité par la peinture, l’horizon est sans limite le champ de la vision et le champ de réflexion se confondent dans cette déambulation à perte de vue.

SOUS TANT DE PAUPIERES
Barbara Navi
Exposition du  14 mars au 20 avril 2024
Vernissage le jeudi 14 mars 2024
20 rue chapon, 75003 PARIS
Galerie Valerie Delaunay