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Constantin Brancusi : vous n’avez rien à déclarer ?

Le plus redoutable critique d’art que le sculpteur Constantin Brancusi ait eu à affronter est vraisemblablement le service des douanes des États-Unis. L’exposition que le Centre Pompidou de Paris consacre à l’artiste évoque cette histoire folle.

L’oiseau dans l’espace (1926), bronze, 135 cm

« The bird »

En octobre 1926, lors de l’envoi d’une vingtaine de sculptures de Brancusi pour une exposition personnelle à New York, tout le chargement, accompagné de Marcel Duchamp, est saisi par la douane. Elle examine en particulier un objet : une pièce de métal jaune de forme mince et fuselée, mesurant 1,35 m de haut et polie comme un miroir sur toute sa surface, ressemblant à un objet manufacturé. L’artiste expliquait qu’il s’agissait d’un objet d’art intitulé « The bird ». Les douaniers réclament une taxe, au motif que « cet objet ne ressemblait pas à une sculpture ».
Un an plus tard ce contentieux donne lieu à un procès en octobre 1927 à New York qui oppose le sculpteur à l’État américain. Le 26 novembre 1928, le juge rend son verdict. Après avoir admis que certaines définitions toujours en vigueur sont en fait périmées, il reconnaît que
« Une école d’art dite moderne s’est développée dont les tenants tentent de représenter des idées abstraites plutôt que d’imiter des objets naturels. Que nous soyons ou non en sympathie avec ces idées d’avant-garde et les écoles qui les incarnent, nous estimons que leur existence comme leur influence sur le monde de l’art sont des faits que les tribunaux reconnaissent et doivent prendre en compte. »
En fonction de ces nouveaux critères, la Cour a jugé que l’objet était beau, que sa seule fonction était esthétique, que son auteur, selon les témoignages, était un sculpteur professionnel, et qu’en conséquence, il avait droit à l’admission en franchise. Au terme de ce procès, la presse américaine titre : « C’est un oiseau ! »

« L’art ne fait que commencer »

Le Centre Pompidou rend un hommage ample sous le titre « L’art ne fait que commencer » à cet artiste roumain venu à Paris il y a cent vingt ans après avoir traversé l’Europe à pied. Dans son atelier de Montparnasse le jeune sculpteur va faire naître progressivement un art de l’essentiel dont l’exposition rend compte.

Atelier de Brancusi reconstitué dans l’exposition du Centre Pompidou 2024

En 1956 Constantin Brancusi lègue tout ce que contient son atelier (œuvres achevées, ébauches, meubles, outils, bibliothèque, discothèque, photographies…) à l’État français, sous réserve que celui-ci s’engage à le reconstituer tel qu’il se présentera à la mort de l’artiste. Après une première reconstitution partielle en 1962 à l’intérieur de la collection du Musée national d’art moderne alors situé au Palais de Tokyo, cette reconstitution est réalisée en 1977, face au Centre Pompidou.

Celui qui fut brièvement l’assistant de Rodin va poursuivre cette quête de l’essentiel dans son atelier qui est devenu son propre lieu d’exposition.

Colonne sans fin

Ce « Less is more » avant la lettre s’exprime également dans la démesure, à la recherche d’un hypothétique infini.
De 1918 jusqu’à la fin de sa vie, Constantin Brancusi réalise plusieurs versions de sa Colonne sans fin, dans des tailles et des matériaux différents. La répétition de formes rhomboïdales superposées entraine l’artiste dans cet élan qui veut dépasser les limites habituelles de la sculpture de son époque. Dans un élan vertical, apparaissent les qualités rythmiques, l’harmonie des proportions et la simplicité des motifs. Sa dernière colonne (1938) de près de 30 mètres de haut est installée au milieu d’un parc à Târgu Jiu en Roumanie, dans un sanctuaire dédié aux morts de la Première Guerre mondiale.

Les critiques d’art du service des douanes américains en 1926 auraient-ils rendu service à Brancusi en validant administrativement l’audace de cette quête infinie de l’absolu ?

Brancusi
« L’art ne fait que commencer »
27 mars – 1 er juillet 2024
Centre Pompidou Paris

5 commentaires sur “Constantin Brancusi : vous n’avez rien à déclarer ?

  1. Bonjour,

    Merci pour votre newsletter toujours très intéressante.
    Mais je crois qu’il y a une petite coquille, ne serais-ce pas plutôt « l’art ne fait que commencer ? » au lieu de « de fait ».
    Merci et belle journée

    CH

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      1. Bonjour,

        Ah oui je comprends.

        Mais il reste le titre de l’expo à la toute fin de l’article 🙂

        Je pinaille…

        Bien à vous

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