La semaine du blanc (dont Aristide Boucicaut, fondateur du magasin du Bon Marché à Paris, est l’inventeur), sert d’argument au Bon Marché à Paris pour proposer chaque année à un artiste d’investir les amples espaces marchands du magasin. Depuis 2016 cette exposition à grande échelle a accueilli des artistes de toutes origines, notamment Ai Weiwei, Chiharu Shiota, Leandro Erlich, Joana Vasconcelos et Oki Sato. En 2020 le facétieux Philippe Katherine s’en était donné à cœur joie en envahissant les lieux avec son armée pacifique de « Monsieur Rose » dans l’ensemble du bâtiment.
Cette année, Subodh Gupta (né en 1964 et vivant à New Delhi), artiste contemporain de renommée internationale, investit à son tour à la fois les salles du magasin et les vitrines nombreuses qui bordent la rue de Sèvres.
Dans la capitale les installations de l’artiste Indien s’étaient déjà fait remarquer lors de l’exposition « Paris Delhi Bombay » en 2011 au Centre Pompidou et « Adda / rendez-vous » à la Monnaie de Paris.

« Sangam»
Aujourd’hui au Bon Marché Gupta propose «Sangam». “Sangam est une cascade de facettes de miroir et de sculptures formées d’objets domestiques. « Une installation qui interroge les spectateurs sur leur pèlerinage dans une société axée sur la consommation”, explique Subodh Gupta. Avec les milliers d’ustensiles de cuisine et de fragments de miroirs «Sangam» fait référence à la Kumbh Mela de Prayagraj (Allahabad), un immense pèlerinage à la confluence sacrée du Gange, de la Yamuna et de la mythique Saraswati.
Pour autant nous ne sommes plus dans l’accumulation Nouveau réaliste d’un Arman mais dans une construction cumulative destinée à générer avec cet assemblage une réalité seconde donnant à lire un autre discours.
Cette dérive d’un art ménager opère alors un métissage inattendu entre la multitude de ces objets quotidiens et l’approche quasiment sacrée de l’artiste.
« Confluences »
Le sous-titre de l’exposition « Confluences » évoque ce métissage. « Confluences car, ici, des gens du monde entier se retrouvent. On est à la confluence de différentes cultures » revendique l’artiste. Les ustensiles quotidiens pourraient banaliser cette ambition. Encore que ces ustensiles ménagers que l’on pourrait considérer comme des objets sans valeur marchande significative, représentent pour nombre de familles indiennes un vrai trésor. Leur apparence impeccable, rutilante, presque scintillante, contribue à donner à ces outils ordinaires du quotidien leur qualification de richesse inaccessible.
L’historien Lucien Febvre se livrait en 1955 dans l’avant-propos de La civilisation quotidienne, à une valorisation de ces objets ménagers si ordinaires que les historiens et les sociologues délaissaient ces témoignages d’une société. « Toutes les pièces d’une même civilisation sont solidaires parce qu’elles reflètent les mêmes tendances profondes » soulignait-il.

The Proust Effect
Le « Very Hungry God », crane géant composé de centaines d’ustensiles de cuisine présenté à la Monnaie de Paris en 2018 laisse la place ici à une installation moins inquiétante avec The Proust Effect, assemblage en suspensions de ces mêmes ustensiles de cuisine, hutte fragile que le visiteur doit éviter de bousculer.
The Proust Effect, en référence à la fameuse madeleine de Proust se veut une rencontre spirituelle qu’il souhaite provoquer chez chaque visiteur, le plongeant dans sa mémoire culinaire pour y déclencher un souvenir enfoui. L’artiste explore ce lien avec la cuisine indienne dès ses premières créations, fasciné depuis l’enfance par l’aspect rutilant des ustensiles de cuisine.
On peut alors envisager plusieurs entrées pour tenter de cerner le propos de Gupta. De l’approche contemporaine post-Duchamp d’une accumulation d’objets à la cascade d’une consommation ménagère démesurée, de la civilisation matérialiste d’un art ménager quotidien à l’approche spirituelle indienne, l’oeuvre reste ouverte aux spéculations. Et si tout ce qui brille n’est pas d’art, la carte blanche offerte à Subodh Gupta ne passe pas inaperçue pour les milliers de clients qui parcourent les rayons du Bon Marché.
Subodh Gupta
« Sangam»
Du 9 janvier au 19 février 2023
Bon Marché
24 Rue de Sèvres, 75007 Paris