Pour mémoire

Le street art, à corps perdu

« Le street art au tournant »

Il y a déjà presque dix ans, dans son ouvrage « Le street art au tournant », le professeur d’université Christophe Genin portait un regard lucide sur le devenir de cet art urbain : « Le Street art est entré dans l’industrie de la mode, devenue une rubrique du marché de l’art et du design qui promeut des oeuvres cessibles (toiles, objets d’art, installations, vidéos, vêtements, accessoires de mode, objets de consommation courante), faites dans le style de la rue pour satisfaire une clientèle fascinée ou divertie par l’héroïsme canaille associé à la figure du graffeur, que cette clientèle soit un adolescent mimétique en mal de modèle d’identification ou une grande bourgeoise blasée en mal de frisson » .
Ces années récentes n’ont fait que confirmer ce constat de mort imminente d’un art dont la nature même tenait à cette présence urbaine non autorisée, libre de toute attache mercantile, imposant au spectateur involontaire son cri rebelle. Dans les années cinquante, les murs des villes supportaient le lieu de la révolte. Il était même question de révolution. En France le  « Ne travaillez jamais !  » de Guy Debord en 1953 marque une prise de possession de la rue certes politique mais également artistique aux yeux de son auteur. Les Lettristes, les Situationnistes  accaparaient cet espace avant que les acteurs de mai 1968 s’approprient à leur tour la rue et ses murs.
A cette trop libre parole, les institutions opposaient alors les accusations de vandalisme et de dégradation réprimées par la loi.

Underbelly Project

Pourtant à New York le street art ne renonçait pas à sa vocation d’origine. En 2010 un groupe nommé The Underbelly Project investissait une galerie de métro désaffectée de Brooklyn et créait le plus improbable des halls d’exposition dédié au street art. Une centaine d’artistes, jouissant pour certains d’une notoriété bien établie (Ron English, Swoon, Revok) ainsi que des inconnus du grand public, revenaient ainsi aux racines du street art.

Jibeone

« Full1 » et « Jibeone

Il y a quarante huit heures la tragique disparition de deux artistes françaises à New York rappelle douloureusement combien le street art est identifié à une pratique hors des institutions, illégale parfois, underground souvent, risquée. Pierre Audebert et Julien Blanc, alias « Full1 » et « Jibeone », sont décédés mercredi 20 avril à New York, happés par une rame de métro alors qu’ils s’apprêtaient à réaliser l’un de leurs rêves : graffer l’intérieur d’un des iconiques métros de la ville de New York, érigés au rang de symbole dans le monde du graffiti. Les corps ont été retrouvés près de la station Sutter Ave-Rutland Road un endroit connu pour être un haut lieu du graffiti new-yorkais. Les deux artistes toulousains avaient 28 et 34 ans.

Full 1

Pierre Audebert et Julien Blanc réalisaient tous les deux des œuvres à l’international, comme récemment au Maroc, en Italie et en Espagne. Full1 mélangeait paysages géométriques rappelant son Quercy natal aux lettrages à la bombe empruntés au graffiti.
On imagine bien que les deux artistes n’envisageaient pas de payer de leur vie cette liberté hors système qui les rattachait à cette histoire d’un mouvement indomptable ne pouvant se laisser enfermer, bien alignées sur les cimaises des musées, trônant sur les palissades officielles.
Cette disparition tragique de « Full1 » et « Jibeone » nous rappelle que la liberté de l’artiste est un marqueur incontournable du street-art, au risque de se perdre.

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