Expositions

Barbara Navi : « Tableaux d’une exposition »

« Extime »

Pour l’exposition de Barbara Navi en 2016 à Paris je posais la question : « Comment voit-on un tableau ? Comment le regarde-t-on ?  » . Aujourd’hui, sa présentation parisienne « Extime » à la Galerie Belem interroge une nouvelle fois : comment regarde-t-on une exposition ? Car si les tableaux accrochés aux murs de la galerie peuvent être observés chacun pour ce qu’il est, difficile de faire l’économie d’un autre questionnement concernant cette artiste.
Parfois un peintre consacre une série de tableaux à un thème choisi, parfois il s’assigne la tâche de construire un ensemble indissociable qui ne forme, au bout du compte, qu’une seule œuvre. Pour ce qui est de Barbara Navi, le visiteur et spectateur se trouve confronté, je crois, à une autre réflexion : de ce « Talisman » de 2017 à « La dévoilée » de 2019, de « Babel » de 2015 à « Prémices » de 2011, quels sont les liens mystérieux qui relient à travers l’espace de la galerie et le temps ces « moments » d’une oeuvre ?

« Le foyer II » huile sur toile 2013 Barbara Navi

Comme cela a déjà été décrit, ses constructions s’élaborent à même la matière visuelle, à travers la vie imaginée et ébauchée de ses personnages. Sa peinture traduit cet échappement de la structure formelle rigide, ce désengagement des formes préétablies pour mieux explorer les voies opportunément ouvertes par une pensée en rhizomes (Barbara Navi, une œuvre en rhizomes)
Au-delà de ce protocole mis en place pour la construction de la toile qui se nourrit « par l’association de divers matériaux iconographiques, des photos, des films, des dessins qui proviennent du flux Internet ou sont issus de mes propres recherches. » explique-t-elle, le visiteur de l’exposition ne peut pas ne pas s’interroger sur ce que cache et révèle à la fois la constellation virtuelle de ces toiles. Peux-t-on se hasarder à évoquer une « lecture symptomale » de cette œuvre pour reprendre une expression chère à Louis Althusser ?

« Tout-Monde »

Ce qui relie les tableaux de Barbara Navi reste peut-être invisible mais n’est peut-être pas indicible. L’emploi des images qui ébauche cette relation au monde nous renvoie à l’acuité de Michel Foucault décrivant pour les peintres de la Figuration narrative « une image saisie dans la trajectoire qui la mène de la photographie au tableau« . De la même façon que le mouvement des images n’est qu’une illusion miraculeuse due à la persistance rétinienne produite par le cerveau, l’éclosion de cette production picturale reste le privilège insaisissable d’une élaboration mentale nourrie par toutes les sources puisées dans ce qu’ Édouard Glissant appelait le « Tout-Monde ». C’est dans cette proposition de trajectoire émise par Michel Foucault que se situe, me semble-t-il, ce changement d’état : comme l’eau devient glace ou vapeur, l’idée passe de concept à peinture grâce à l’apport d’une énergie transformatrice.

« Alliance » huile sure toile 2019 Barbara Navi

Barbara Navi témoigne de son besoin permanent de musique pour accompagner ces moments de travail. Ce médium serait-il le vecteur invisible de ce changement d’état ? Quand le compositeur Moussorgski écrit « Tableaux d’une exposition » la musique évoque la visite imaginaire d’une collection d’art rassemblant près de quatre cents œuvres du peintre Viktor Hartmann, ami du musicien et décédé très jeune avant cette exposition à l’Académie des Beaux-Arts de Saint-Pétersbourg. Si la musique de Moussorgski nait dans ce cas après la création picturale, elle permet pourtant de se poser la question de cette symbiose entre deux formes d’expression non verbale. Ce mystérieux moment de « l’image saisie dans la trajectoire qui la mène de la photographie au tableau » mériterait bien d’être envisagé dans l’œuvre de Barbara Navi à l’aune de ce pouvoir transcendant de la musique.

Barbara Navi : « Extime »
Jusqu’au 6 février 2020
Galerie Belem
7 rue Froissart
75003 Paris