
Le blog des Chroniques du Chapeau noir poursuit la publication de « Seuphor, libre comme l’art », écrit par Claude Guibert sur la vie de l’écrivain, historien et artiste Michel Seuphor (1901-1999), de son vrai nom Fernand Berckelaers. Ce livre a été écrit en 2008 et sera publié intégralement à raison de quelques pages par publication, une fois par semaine
Publication N°5
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Une autre avant-garde se manifeste bruyamment dans Berlin. On signale aux trois voyageurs la conférence de Marinetti à la Casa futurista à l’angle du Kurfürstendamm. En plein essor, les futuristes ne reculent devant rien. Amour de la vitesse, de la violence, de la machine, mépris de la femme, la guerre « comme seule hygiène du monde », ils affichent une ambition sans limite. Bien au-delà d’un mouvement artistique, le futurisme se veut art de vivre : peinture, sculpture, photographie, cinéma, littérature, théâtre, musique, architecture, mais en outre mode, cuisine et….politique.
Deux mois plus tôt, à Rome, le ciel s’est assombri. Les Chemises noires de Mussolini, parties des différentes villes d’Italie le 27 octobre 1922, marchent sur Rome le 30. Ni le parlement ni le gouvernement ni l’armée ne s’y opposent. Le président du Conseil en titre, Luigi Facta propose au roi de décréter l’état de siège, mais celui-ci, après quelques hésitations, refuse. Mussolini attend les événements à Milan, d’où il est prêt à s’enfuir pour la Suisse, au cas où la crise tournerait mal. Il peut dès lors monter dans un wagon-lit et s’afficher à Rome pour se voir chargé par le roi d’Italie, Victor Emmanuel III de former le nouveau gouvernement. On ne compte alors que trente cinq députés fascistes. Mussolini se présente devant le parlement, où il déclare qu’il a dépendu exclusivement de son bon vouloir de ne pas transformer le gouvernement en « bivouac de ses manipules » (Discours d’investiture de Mussolini au Parlement 16 novembre 1922) . En novembre il se fait attribuer les pleins pouvoirs par vote des députés de la Chambre. Marinetti, ardent défenseur et ami de Mussolini, peut tout déclarer, sans retenue. Seuphor écoute et ses réserves tombent, pour l’instant, face au charme de l’artiste.- « Nous chanterons les foules agitées par le travail, par le plaisir ou par l’émeute : nous chanterons les marées multicolores et polyphoniques des révolutions dans les capitales modernes . ».

Marinetti maintenant s’exprime en Français, lisant avec emphase son « Bombardement d’Andrinople »:
– « En contrebas esclaffements de marécages rires buffles chariots aiguillons piaffe de chevaux caissons flic flac zang zang chaak chaak cabrements pitouettes patatraak éclaboussements crinièrs hennissements i i i i i i i tohu-bohu tintements 3 bataillons bulgares en marche croook-craaak Choumi Maritza o Karvavena ta ta ta ta jii-toumb Taang-Toumb Toumbsrrrrrrr Grang-Grang ». (Marinetti et le futurisme » Giovanni Lista Cahiers des avant-gardes L’âge d’homme 1977 p 44).
Seuphor admire dans l’exposition de la casa futurista cette peinture inconnue : Balla, Baldessari, Carra, Depero, Palladini, Soffici …A la fin de la conférence, on lui présente Marinetti et Prampolini. Premiers contacts, premières polémiques aussi. Mais rien, pour le moment, ne peut entacher son admiration pour le chef de file du futurisme. Avec Prampolini, le courant passe bien également. Il faudrait qu’ils se revoient.
Copyright Claude Guibert 2008