Expositions

Boltanski, pour mémoire(s)

Passé recomposé

Passant de « L’Album de la famille D » aux « Vitrines de références » , des « Habits de François C » aux « Reliquaires« , des « Théâtres d’ombres » aux « Monuments« , des « Réserves » aux « Tombeaux« , l’exposition consacrée à Christian Boltanski au Centre Pompidou de Paris décline au « passé recomposé« , pour reprendre l’expression du commissaire de l’exposition Bernard Blistène, toutes les variantes possibles de la mémoire, qu’il s’agisse d’une mémoire réelle, fictive ou reconstituée.

« L’Album de photos de la famille D., 1939-1964 » Christian Boltanski 1971

Depuis le début des années soixante dix, où je découvrais dans Chorus, cette revue confidentielle créée par Pierre Tilman, Franck Venaille et Jean-Pierre Le Boul’ch, les premiers articles sur quelques artistes méconnus (parmi lesquels Daniel Buren, Jean-Pierre Raynaud et Christian Boltanski), les années ont passé et la création de Boltanski a certes évolué mais ce lancinant travail sur la mémoire perdure.
Dès 1971 « L’Album de photos de la famille D , 1939-1964 » utilise comme matériau les photographies trouvées, banales, de l’album de famille d’un ami. L’artiste en reconstitue le déroulement chronologique pour arriver à la conclusion que cette série de photographies, bien qu’étant le relevé effectif d’une famille, n’apprend rien de spécifique sur la vie de ses membres et ressemble à n’importe quel autre album de famille. Loin d’être un constat d’échec, cette œuvre marque avec force le parcours de Boltanski. Temps, mémoire, mort, photographie dessinent déjà le quadrilatère à l’intérieur duquel va se développer la recherche à venir de l’artiste.
C’est dire que ce parcours ne s’annonce pas comme une voie parsemée de roses. Près d’un demi-siècle plus tard, l’exposition du Centre Pompidou vérifie, au travers d’espaces sombres, à peine éclairés par une lumière électrique blafarde, ce chemin jalonné de théâtres d’ombres, de miroirs noirs, d’autels, de reliquaires, de photographies de cadavres, de portraits noirs, de morts.
Le temps a passé depuis que Christian Boltanski rassemblait les photos des soixante deux membres du Club Mickey en 1955 pour déjà s’approprier un passé qui n’était pas le sien.

Le tragique n’a cessé de s’inviter dans cet univers au fil des années. Pour la première fois en 1988 l’artiste se sert de documents ayant un lien direct avec la Soah. Les « Reliquaires » ont pour origine la photographie de fin d’études d’un lycée juif de Vienne en1937, le gymnasium Chases. Ces gens souriants ont pu mourir au cours des années suivantes.

« Crépuscule »

« Crépuscule » Christian Boltanski 2015

Plus l’œuvre se développe plus cette mémoire semble s’enfoncer dans la nuit. Pour preuve cette pièce de 2015 « Crépuscule » dans laquelle l’installation d’ampoules et de fils électriques noirs disposés au sol évolue le temps d’une exposition : l’œuvre, qui au début est très éclairée, s’assombrit progressivement. Chaque jour une des ampoules composant l’installation s’éteint. Si bien que l’ensemble de l’espace d’exposition nous plonge dans un univers sombre, peuplé de fantômes, visibles notamment sur ces voiles fragiles agités par le déplacement de l’air lors de notre passage. Avec « Entre-temps » (2003) ce sont les photos à différents âges de Boltanski lui-même projetées en boucle sur un rideau de fines cordes qui proposent l’illusion de ce cycle dans lequel on voit l’artiste vieillir puis retourner en enfance. Ce « jeu » sur l’entropie accompagne toute l’exposition et le retour à la lumière vive au sortir du parcours scénographique semble libérateur. Pour autant, c’est, me semble-t-il, le statut de la photographie qui se trouve mise au centre du dispositif le plus souvent et acquiert avec Christian Boltanski sa position privilégiée.

Photos Centre Pompidou

Christian Boltanski : faire son temps
13 Novembre 2019 – 16 mars 2020
Centre Pompidou de Paris