
Dans l’oeuvre du peintre Gérard Fromanger (que j’ai le plaisir de présenter prochainement à Avallon dans la double exposition « Annoncez la couleur ! ») un mobilier urbain familier a toujours occupé une place privilégiée : le kiosque à journaux. Ce qui pourrait paraître comme un aspect accessoire dans son œuvre révèle pourtant, me semble-t-il, un symbole majeur de sa relation au monde. Pour cet artiste qui a toujours clamé « Je suis dans le monde, pas devant le monde », le kiosque n’est pas seulement la modeste bâtisse qui protège le vendeur de journaux, silhouette depuis si longtemps intégrée au paysage de la ville. Il s’inscrit dans une histoire contemporaine.
Dans la capitale, cette petite histoire des kiosques est liée à celle, plus imposante, de l’urbanisme due au baron Haussmann. L’architecte Gabriel Davioud, également à l’origine du théâtre du Châtelet et de la fontaine Saint-Michel, s’est vu chargé d’imaginer des petits pavillons destinés à cette diffusion de presse. Les premiers kiosques à journaux voient le jour le 15 août 1857. À l’époque, ils sont réservés aux veuves de militaires et de fonctionnaires pour qu’elles puissent toucher un petit revenu. Et si leur modèle a évolué au fil des années , leur présence conserve la même symbolique. Le kiosque est le lieu toujours vivant d’une expression de la liberté de la presse, d’une image de la pluralité quand bien même cette pluralité doit être tempérée par la réalité contraignante des concentrations de presse, des liens souterrains entre publications apparemment indépendantes. Au coin de la rue, accessible à tous, il propose encore aujourd’hui son propre théâtre de l’information dans une époque dominée par l’envahissante information audiovisuelle.
Lorsque le peintre, au début des années soixante dix, privilégie ce sujet dans ses toiles, l’information numérique n’existe pas. La télévision ne propose pas encore un flot ininterrompu d’informations. Et si la radio est familière, les images immédiatement soumises au passant sont celles du kiosque ouvert tôt le matin. Là s’offrent à la vue de tous les titres accrocheurs, les photos choc. Chacun peut discrètement feuilleter un quotidien, un hebdomadaire avant de faire son choix.

Et s’il a pu paraître désuet aujourd’hui, noyé dans ce tourbillon infernal propulsé de la galaxie Gutenberg vers la galaxie Mac Luhan, le kiosque reste un point de repère incontournable. L’incendie de l’un d’eux sur les Champs Elysées à Paris lors des récentes émeutes urbaines a brutalement rappelé combien sa présence était précieuse.
La distribution de masse pour la presse papier n’ a pas fait disparaître cette image quotidienne associée à la ville, à l’humain, à l’odeur du café matinal, au bruits de la rue. Le kiosque à journaux prend sa place dans un tissu citadin où les rencontres sont encore possibles, où l’échange verbal fait partie d’une communication de proximité, sans intermédiaire technique, sujette aux humeurs, aux hasards des rencontres.

L’intention ici n’est pas de promouvoir dans ces lignes la préservation d’une espèce en voie de disparition ni même la conservation crispée d’une image du passé. Elle souhaite davantage porter, près d’une demi siècle après ces tableaux de Gérard Fromanger, un regard actuel sur notre relation au monde, à la ville, aux autres. Face au tsunami de l’information audiovisuelle, c’est l’échelle humaine qui prévaut dans l’approche de cette presse écrite mise en scène dans le kiosque à journaux. Une information accessible au piéton qui se hâte lentement. Pour cette prise de conscience, le temps presse.
« Annoncez l a couleur ! »
Gérard Fromanger
22 juin- 22 septembre
Les Abattoirs et les salles Saint-Pierre/La Fabrique
89200 Avallon
